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CINCINNATI : MOORE raconta ion Tojaga à PjlDS et à Lao£dÊmoiie, son naufrage sur la oCte de Sicile, la pÉril où il fntf d'être immolÉ'aiix mines d'ADchise, ie secours que Mentor et lai donnèrent à Aosnte dans nne inaniBion de barbares, et la Boinqaa ce roi ont' do raoonnaltie' M serrios, en leur donnant un Taisseaa Tjrien ponr ratouiner en leur pays. Caltpso ne pouvait* se consoler da départ dlJlyBBe. Dans bs ' douleur, elle se trouvait DialheuTeuae'° d'être iinmorUIle. Sa grotte ne" résonnait'" plus de" son chant: les nymphes qui la servaient n'osaient" lui parier. Elle se promenait" souvent seule sur les gazons" fleuris dont" un printemps étemel bordait son fi Ile; mais ces beaux lieux, loin de modÈrcr sa douleur, ne faisaient 1 Coud'ait,gTiided;from conduire, irr. iconj., sisNewFbehch Hsthod, Îage 362.-2 aborde, lands. — 3 reeoit, rcceivca ; from. raetoir, reg. 3. ami, (ethod, p. 339, and S B2.— 4 lui, tohtr; M. § 33, (3) p. 309.— S fat, wiu-.from itri, ir.i.M.p. 333,-6 immolé, sacriflctd.— 7 ent, look : from atoir, ir. 3. M. p. 326.-8 reooaaaitre, ir. 4. acIcnoaUdge, rcpay.—S ne pouvait, could nul 1 fram pouaoir, ir. 3. M. p. 3B0.— 10 malhenraoïB, v,nforHoialt; U. Liston 13, Ride 5. — II ne — plus, tw longer. — 13 résonnait, echoed. — ISdeiMl ohant, vith htr eong.—H n'osaient, dvrat net; M. 3 13B, (2).— 15 W promenait, vaikid. — 16 gaions, twtf. — 17 dont, uiîlA.wAt«ft, 6 TÉLÉMAQUE. UV. L que lui rappeler* le triste souvenir d'Ulysse, qu'elle y' avait vu tant de fois auprès d'elle. Souvent elle demeurait' immobile sur le rivage de la mer, qu'elle arrosait* de ses larmes ; et elle était sans cesse tournée vers le côté où le vaisseau d'Ulysse, fendant^ 6 les ondes, avait disparu* à^ ses yeux.® Tout-à-coup elle aperçut les débris d'un navire, qui venait de faire naufrage," des bancs de rameurs mis" en pièces, des rames écartées çà et là" sur le sable, un gouvernail, un mât, des cor- dages flottant sur la côte: puis elle découvre de loin" deux 10 hommes, dont l'un" paraissait^* âgé; l'autre, quoique jeune, ressemblait à Ulysse. Il avait sa douceur et sa fierté, avec sa taille*'* et sa démarche" majestueuse. La déesse comprit" que c'était Télémaque, fils de ce héros : mais, quoique les dieux sur- passent de loin" en connaissance tous les hommes, elle ne put" 15 découvrir qui était cet homme vénérable dont Télémaque était accompagné. C'est que''" les dieux supérieurs cachent aux in- férieurs tout ce qu'il leur pi ait f^ et Minerve, qui accompagnait Télémaque sous la figure de Mentor, ne voulait pas être connue de Calypso. 20 Cependant Calypso se réjouissait d'un naufrage qui mettait'''' dans son île le fils d'Ulysse, si semblable à son père. Elle s'avance vers lui ; et sans faire semblant^' de savoir qui il est : D'où vous vient, lui dit-elle, cette témérité"* d'aborder en mon île ? Sachez,"* jeune étranger, qu'on"® ne vient point impunément"^ 25 dans mon empire. Elle tâchait"® de couvrir"* sous ces paroles menaçantes la joie de son cœur, qui éclatait*" malgré elle sur son visage. Télémaque lui répondit: O vous, qui que vous soyez,** mortelle ou déesse, quoiqu'à vous voir on ne puisse'" vous prendre que pour 30 une divinité, seriez-vouâ insensible au malheur d'un fils qui, I ne faisaient que lui rappeler, lUeroUy, did nothing bttt recall to fur — anlv reeaUed to her mind. — 2 y, there; M. § 39, (18). — 3 demeurait, remainea. 4 arrosait, bathed. — 5 fendant, ploughing. — 6 disparu, vanished ; frora dis- paraître, ir. 4 M. p. 36Ô. — 7 k^from. — 8 yeux, eyes ; sing.^ œil^ M. ti. 11, R. 7. 9 venait de faire naufrage, had just been wrecked; M. L. 26, R. 2. — 10 mis, broken ;from mettre^ ir. 4. M. p. 376. — 11 çà et là, hère and there. — 12 de loin, at a distance. — 13 dont l'un, one of them. — 14 paraissait, appeared ; from. paraître, ir. 4. — 15 taille, stature. — 16 démarche, walk. — 17 comprit, per- eeived ; j^rom comprendre, ir. 4. M. p. 362. — 18 de loin, by far. — 19 put, Jrom pouvoir. — ^20 que, becav^e. — 21 qu'il leur plait, that theywish. — 22 met- tait, brought. — 23 faire semblant, appearing. — 24 témérité, presumption 25 sachez, knoto ; from savoir, ir. 3. M. p. 384. — 26 on, one, people, M. §41, (4). — 27 impunément, with impunity. — 28 tâchait, tried. — 29 couvrir, conceal. — 30 éclatait, appeared. — 31 qui que vous soyez, whoever y ou may be. — 32 -prÔBBef from pouvoir. iJ ïT^i t£l£ha^ub. V lëhm^ktit «on pente à la ta^rûi des rente et dès ll<>tk» ti tû^ tMttft* son navire contre vos rochers î Qnel est dOne Votre pdre ^tiie Yons tïhèrcbez ? teprit la déesse. Il se nomine UljrBsio, dit Télé- nïaqne^ c'èât un des rois qai ont^ aj^rès un siège de dit aùs^ ren- versé* la fànieuse TVoie. Son nom Ait célèbre dans tonte* la 5 Grèct et dans toute l'Asie, par sA valeui* dans les eiôBibats, et plus encore par da sài^esse dans les conseils. Maintenant, errant dacs*^ tonte Tétendtie' des lÀers, il p^x^ourt^ tèus lés écueils" les plaà terribles. Sa patrie seiûble faîr devant lui. Péné1o)[)è k& Ifomme, et moi' ^ni Sois son fils, nous aVons peirdti Pe^ràncè de 10 ie revoir. Je courd, avec les inémés dangerè que lai, pour ap- irendte où il est. Mais que dis-jé ?^® peut-être qu'il est maintenant enseveli" dans lë^ profondé abîmes de la mèr. Aye^ pitië de nos ïnalfafèurs ; et si Vous sàve2, 6 déeàsè, de que les destinées Ont fait pour èauver Ou pOulr perdre Ulysàe, daignez en institiire" éon i6 fils Télémaquè. Càl^ppso, éfonnèe et attendrie de voir dans une si vive*' jeu- nesse tant de sages^ et d'éloquence, ne pouvait rastosier** ses yeux en le regardant ; et elle demeurait en silence. Enfin elle luP' dit: Télémaqùe, rioùs voué" apprendrons ce qui est arrivé*^ à âO votre père. Mais l'histoire en est long*uè : il est teirips de vous dé- lasser" de tous vos travaux." Venez dans ma demeuïe. Où je vous recevrai comnie înon filé : venez, vous serez mft consolation dans cette solitude ; et je fâ^i'*'* votre bonheur, pourvu que vous sachiez en jouir. 25 Télémaqùe suivait la déesse environnée" d'une foule de jè^unes nymphes, au-dessus desquelles elle s'élevait*' de toute" là tête, comme un gi*and chêne dans une forêt élève ses branchée épaisses'* au-dessus de tous les arbres qui l'environnent. H admirait Féclat'* de sa beauté, la riche pourpre de sa robe longue et flottante, isès So cheveux noués'* par derrière négiigemïhent mais aveO gricé, le feu qui sortait'^ de ses yeux, et la douceur qui tempérait cette 1 vu, 0een;from votr^ ir. $- M. p. 390— 2brÎBer, doafeed f ti j)t«^.— 3 rtn- Veréé, ùttTtkraiDn.—A dans toute la, throughoût. — 5 dans, ôrer. — 6 toute retendue, tke whole extent.—7 parcourt, is expâsed to ; ÏU, i^ns fkfàugL fnym parcourir^ ir. 2. M. p. 378.-8 éoueils, dangers^ s?ioala.—9 n>6i, J; Jjf. §33, (9).— 10 que dia-je? what do I say? from dire, ir. A. M. p. 368. 11 enseveli, huried. — ^12 en instruire, inform bfit; Jkf . * 39, (17).— 13 Vive, lively ; from vif, M. L. 13, R. 5—14 rassasier, 8atisfy.--l5 M. L. 27,^. 2. 16 M. L. 27, R. 2.— 17 arrivé, hajrpened.—\% délasser, rtfresh.—W tra- vaux, taOa, M. L. 11, R. 5.— 20 ferai, wiUmake; from faire.— 21 environnée, surr(mnded.—22 s'élevait, rasa M. L. 36.-23 de toute, 5y the whùln 24 épaisses, thick, M. § 16, (3).— 26 l'éclat, <&e luBirc—HB nouft, ttttL 27 writAtf^fiashed. j6 TâLÉMAQUE. LIV.Z. vivacité. Mentor, les yeux baissés,^ gardant' un silence modeste, suivait Télémaque. On arrive à la porte de la grotte de Calypso, où Télémaque fut surpris' de voir, avec une apparence de simplicité rustique, tout 5 ce qui peut* charmer les yeux. On n'y voyait' ni or, ni irgent, ni marbre, ni colonnes, ni tableaux, ni statues : cette grottâ étut taillée' dans le roc, en voûtes^ pleines de rocailles' et de co- quilles;' elle était tapissée" d'une jeune vigne, qui étendait ses branches souples^^ également de tous côtés. Les doux zépkyrs 10 conservaient en ce lieu, malgré les ardeurs du soleil, une délicieuse fraîcheur : des^' fontaines, coulant avec un doux murmure sur des prés semés" d'amarantes et de violettes, formaient en divers lieux des bains aussi purs et aussi clairs que le cristal: mille fleurs naissantes^* émaillaient" les tapis verts dont la grotte était en- 16 vironnée. Là, on trouvait un bois de ces arbres touflTus" qui portent des pommes d'or, et dont^"^ la fleur, qui se renouvelle dans toutes les saisons, répand" le plus doux de tous les parfums ; ce bois semblait couronner ces belles prairies," et formait une nuit" que les rayons du soleil ne pouvaient percer :'^ là, on n'en- 20 tendait jamais que" le chant des oiseaux, ou le bruit d'un ruisseau qui, se précipitant" du haut d'un rocher, tombait à gros bouillons, pleins d'écume, et s'enfuyait'* au travers de la prairie. La grotte de la déesse était sur le penchant" d'une colline : de là on découvrait" la mer, quelquefois claire et unie'^ comme une 5t5 glace, quelquefois follement" irritée contre les rochers, où elle se brisait en gémissant," et élevant ses vagues comme des mon- tagnes : d'un autre côté on voyait une rivière où se formaient des lies bordées" de tilleuls fleuris et de hauts peupliers qui por- taient leurs têtes superbes'^ jusques dans" les nues. Les divers 30 canaux qui formaient ces îles semblaient se jouer" dans la cam- pagne : les uns roulaient leurs eaux claires avec rapidité ; d'autres Î^ebblea. — 9 ooauilles, ahella. — 10 tapissée, omamerUed. — Il soaples, pliant. 2 M. 513, (ÎO). — 13 semés d', strewed vnth. — 14 naissantes, springing, 15 émaillaient, tnanUUed. — 16 touffus, shady^ tufty. — 17 dont, of whiai. 18 répand, diffïues. — 19 prairies, meadows. — 20 nuit, sTiade. — 21 percer, peruùrate. — 22 on n'entendait jamais que, nothing waa ever keard bui. — 23 se précipitant, rushing.^Zi s'enfuyait, glided; from s'enfuir, ir. 2. M. p. 370. 26 penchant, dedivity.— 26 découvrait, saw; from découvrir, ir. 2, M. p. 366. 27 unie, amooth. — 28 follement, madly. — 29 gémissant, groaning. — 30 bor- dées, surrwmded. — 31 superbes, proud. — 32 jusques dans, even among. — 33 so jouer, to sport. LIï. I, TELEMAQUE. 9 avuent ane eau paisible et dormante ; d'autres, par de longs dé- tours,' revenaient sur leurs piiB, comme pour* remonter vers leur source, et semblaient ne pouvoir' quitter ces borda enchantés. On apercevait de loin des colliaes et des montagnes qui se perdaient dans les nues, et dont la ûguie bizarre* formait un horizon i. sou' 5 hait pour le plaisir des yeux.' Les montagnes voisines étaient couvertes de pacDpre' vert qui pendait' en festons ; le raisin, plus éclatant' que k ponrpre, ne pouvait se cacher sous les feuilles, et la vigne était accablée sons* son fruit Le iiguicr, l'olivier, le grenadier, et tous les autres arbres, couvraient la campagne, et 10 eo faisaient" un grand jardb. Calypso ayant montré à Télémaque toutes ces beautés natu- relles lui dit: Reposez-vous; vos habits" sont mouillés, il est temps que voua en changiez;" ensuite nous nous reverrons;" et je vous raconterai des histoires dont votre cœur sera touché." 15 En même temps elle le lit entrer avec Mentor dans le lieu le plus secret et le plus reculé" d'une grotte voisine de celle où la déesse demeurait Les nymphes avaienteu soin" d'allumer en ce lieu un grand feu de bois de cèdre, dont la bonne odeur se répandait de tous c6tés; etellesy avaient laissédes habits pour les nouveaux hWes," 20 Télémaque, voyant qu'on lui avait destiné" une tunique d'une laine fine, dont la blancheur effaçait" celle de la neige, et une robe de pourpre avec une broderie d'or, prït'° le plaisir qui est naturel à un jeune homme, en considérant" cette magnificence. Mentor lui dit d'un ton grave: Sont-ce donc là, â Télémaque, 26 les pensées qui doivent" occuper le cœur du fils d'Ulysse î Songez"' plutôt i soutenir la réputation de votre père, et à vaincre la fortune qui vous persécute. Un Jeune homme qui aime à se parer" vainement comme une femme est indigne de la sagesse et de la gloire. La gloire n'est due qu'à un cœur qui sait" 30 souffrir'" la peine et fouler aux pieds"' les plaisirs. , as if wi^ing.—S ne pouvoir Tctucl- lait pour le plaisir des yeui, prcsent- pampre, branehcs i)f tht vme. — 7 qui mghier.—^ accablés soua, vciehtd in(o.— II habita, garmmts.— Vi en I.— 13 noua nous leverrons, ics sJui« «rf.— 15 reculé, retiTed.—\Z en soin, itaa, guesti. — IB destine, prtpaferf. I from prendre, ir. 4, M. p 380. thoutd: from deroir, M. p. 339. 1 ftis peraon. — 26 sait, knoaa lune to ; rir, to bcar.—27 fouler aux pieds, to 10 TÉLÉMAQUB. lIV. l Télémaque répondit en soupirant : Qne^ les dieux me fassent périr' plutôt' que de souffrir que la mollesse et la volupté s'em- parent* de mon cœur ! Non, non, le fils d'^Ulysse ne sera jamais vaincu* par les charmes d'une vie lâche' et efféminée. Mais 6 quelle faveur du ciel nous a fait trouver, après notre naufrage, cette déesse ou cette mortelle qui nous comble^ de biens ? Craignez,® repartit Mentor, qu'elle ne" vous accable de maux ; -yf craignez ses trompeuses douceurs plus que les écueils qui ont brisé votre navire : le naufrage et la mort sont moins funestes 10 que les plaisirs qui attaquent la vertu. Gardez-vous" bien de croire ce qu'elle vous racontera. La jeunesse est présomptueuse, elle se promet tout d'elle-même: quoique fragile, elle croit** pouvoir tout, et n'avoir jamais*' rien à craindre ; elle se confié légèrement et sans précaution. Gardez-vous d'écouter les paroles 16 douces et flatteuses de Cal)rpso, qui se glisseront*' comme un serpent sous les fleurs ; craignez ce poison caché ; défiez-vous de** vous-même ; et attendez toujours mes conseils. Ensuite ils retournèrent auprès de Calypso, qui les attendait.** Les nymphes, avec leurs cheveux tressés,** et des habits bkncs, 20 servirent d'abord un repas simple, mais exquis pour le goût et pour la propreté.*^ On n'y voyait aucune autre viande que celle des oiseaux qu'elles avaient pris*' dans les filets, ou des bétes qu'elles avaient percées de leurs flèches à la chasse : un vin plus doux que le nectar coulait*' des grands vases d'argent dans des 25 tasses d'or couronnées de fleurs. On apporta dans des cor- beilles" tous les fruits que le printemps promet et que l'automne répand'* sur la terre. En même temps, quatre jeunes nymphes se mirent" à chanter. D'abord" elles chantèrent le combat des dieux contre les géants, puis'* les amours de Jupiter et de Sé- 30 mêlé, la naissance de Bacchus et son éducation conduite par" le vieux Silène, la course" d'Atalante et d'Hippomène qui fut vain- queur par le moyen des pommes d'or venues du'^ jardin des 1 que, may. — 2 me fassent périr, end my life. — 3 plutôt, raiher.—A s'em- parent, ensuive. — 5 vaincu, conquered; from vaincre^ ir. 4. M. p. 388. 6 lâche, cowardh/f idle. — 7 comble, loads^ overwhelms. — 8 craignez, fear; from craindre^ ir. 4. M. p. 364. — 9 qu'elle ne, lest she; M. p. 440, 3. — 10 gar- dez-vous, beware lest you. — 11 croît, oelieves; from croire, ir. 4. — 12 et n'avoir jamais, and that she has never. — 13 glisseront, will glide. — 14 défiez-vous de, mistrust. — 15 les attendait, was waiting for them. — 16 tressés, hrcdded. 17 propreté, ruainess^ deanliness. — 18 pris, caughi; from prendre, ir. 4. M. p. 380. — 19 oovLÏa.ïi,jiowed. — 20 corbeilles, baskets. — 21 répand, spreads^ be- stows. — 22 se mirent, commenced; M. L. 69, R. 3. — 23 d'abord, atjirst. 24 puis, then. — 25 conduite par, under. — 26 course, race. — 27 venues du, broughtfrwn. \ tnr.L TÉIiâMAQ0B. il Héspéfrideis: enfin, k|rtterre de Troie fut ausû cbantéd; Ibs eoi»* bàrt» d'Ulysse et isa sagesse furent élevés* jusqu'aux deux.' Lk |>remi^Te des nymphes, qui s'appelait Leucothoé, joignit* les a6- cords^ de sa lyre aux douces voix de toutes les antres. Quand Télémaque entendit le nom de son père, les larmes qui 5 coulèrent le long de^ ses joues donnèrent un nouveau lustre à sa beauté. Mais comme Calypso aperçut qu'il ne pouvait manger, et qu'il était saisi* de douleur, elle fit signe aux nymphes.  l'instant'' on chanta le combat des Centaures avec les Li^thes, et la descente d'Oiphée aux enfers pour en retirer* Eurydice. 10 Quand le repas fut fini, la déesse prit Télémaque, et lui parla ainsi ; Voua voyez, fils du grand Ulysse, avec quelle faveur* je •vous reçois. Je suis immortelle : nuP* mortel ne peut entrer dans cette île sans être puni de sa témérité ; et votre naufrage méme*^ ne vous garantirait*^ pas de mon indignation, si d'ailleurs je ne** 15 Vous aimais. Votre père a eu le même bonheur que vous : mais, hélas ! il n'a pas su*^ en profiter. Je l'ai gardé long-temps dans cette île : il n'a tenu qu'à lui** d'y vivre avec moi dans nn état immortel ; mais l'aveugle passion de retourner dans sa misérable patrie lui fit** rejeter tous ces avantages. Vous voyez ce qu'il a 20 perdu pour Ithaque qu'il n'a pu*"' revoir. E voulut me quitter, il partit;** et je fiis vengée par la tempête; son vaisseau, après avoir été long-temps le jouet** des* vents, fut enseveli^* dans les ondes. Profitez d'un si triste exemple. Après son naufrage, vous n'avez plus rien à espérer, ni pour le revoir, ni pour régner 25 jamais dans l'île d'Ithaque après lui: consolez-vous de l'avoir perdu, puisque voua trouvez ici une divinité prête'* à vous rendre heureux, et un royaume qu'elle vous offre. La déesse ajouta à ces paroles de longs discours pour montrer combien Ulysse avait été heureux auprès d'elle : elle raconta*' ses 30 aventures dans la caverne du Cyclope Polyphême, et chez'* Anti- pathes, roi des Lestrigons : elle n'oublia pas ce qui lui était ar- rivé'* dans l'île de Circé, fille du Soleil, ni les dangers qu'il avait 1 élevés, extoUed. — 2 jusqu'aux oieuz, to the skies i sing.^ cid, M. L. 11, R. 7. — 3 joignit, mingled ; from joindre^ ir. 4. M. p. 374.-— 4 accords, har- tnony. — 5 le long de, dovm^ along. — 6 saisi, ovcrcome. — 7 à l'instant, irtmu- dMtdy. — 8 retirer, to bring bock. — 9 faveur, kindness. — 10 nul, no. — 11 même, even. — 12 garantirait, could shelter. — 13 si d'ailleurs je ne, if I did not. 14 su, kntwn how; from savoir^ ir. 3. M. p. 384. — 15 il n'a tenu qu'à lui, it tDOS in his ^ower; Jrom tenir ^ ir. 2. M. p. ôBQ. — 16 ûtj from faire. — 17 qu'il xi*^a pu, wkieh he has not been able ; from pouvoir. — 18 partit, went. — 19 jouet, fport. — 20 fut enseveli, sank. — 21 prête, disposed. — 22 raconta, relatid, 23 chez, at the court of; M. § 142, (3). — 24 arrivé, happened- 12 TÉLBMAQUB. liv. I. coorufi^ entre Scylla et Charybde. Elle représenta' la dernière teinpéte que Neptune avait excitée* contre lui quand il partit d'auprès d'elle.* Elle 'voulut faire entendre* qu'il avait péçi dans ce naufrage, et elle supprima" son arrivée dans l'île des 6 Phéaciens. Télémaque, qui s'était' d'abord abandonné trop promptement à la joie d'être si bien traité de Calypso, reconnut^ enfin son arti- fice, et la sagesse des conseils que Mentor venait de* lui donner. n répondit en peu de mots: O déesse, pardonnez à ma douleur; 10 maintenant je ne puis que m'affliger^®; peut-être que dans la suite" j'aurai plus de force pour goûter la fortune que vous m'ofirez: laissez-moi en ce moment pleurer^^ mon père; vous savez mieux que moi combien il mérite d'être pleuré. , Calypso n'osa d'abord le presser davantage: elle feignit" 16 même d'entrer dans^* sa douleur; et de s'attendrir pour" Ulysse. Mais pour mieux connaître les moyens de toucher le cœur du jeune homme, elle lui demanda comment il avait fait naufrage, et par quelles aventures il était sur ses côtes. Le récit de mes malheurs, dit-il, serait trop long. Non, non, répondit-elle ; il me 20 tarde" de les savoir, hâtez-vous de me les raconter. Elle le pressa long-temps. Enfin il ne put lui résister, et il parla ainsi : Pétais parti d'Ithaque pour aller demander aux autres rois revenus du siège de Troie- des nouvelles de mon père. Les amants^' de ma mère Pénélope furent surpris de mon départ : 25 j'avais pris" soin de le leur cacher, connaissant" leur perfidie. Nestor, que je vis à Pylos, ni Ménélas, qui me reçut avec amitié dans Lacédémone, ne purent m'apprendre^" si mon père était encore en vie. Lassé^^ de vivre toujours en suspens et dans l'incertitude, je me résolus*" d'aller dans la Sicile, où j'avais ouï 30 dire'^* que mon père avait été jeté par les vents. Mais le sage Mentor, que vous voyez ici présent, s'opposait à ce téméraire dessein ; il me représentait d'un côté les Cyclopes, géants mons- trueux qui dévorent les hommes ; de l'autre** la flotte d'Enée et 1 oouriis, incurred. — 2 représenta, described. — 3 excitée, raised. — 4 partit d'auprès d'elle, left her. — 5 faire entendre, to insinuate. — -Q supprima, con' eeaUd. — 7 s'était, had; M. L. 45, R. 1. — 8 reconnut, jocrceircd. — y venait de, hadjust; M. L. 26, R. 2. — 10 je ne puis que m' affliger, Ican ordy grieve. 11 dans la suite, ^r£a/j(er. — 12 pleurer, moumjbr. — 13 feignit, pretended; Jrom feindre^ ir. 4. M. p. 372. — 14 d'entrer dans, to share. — 15 s'attendrir four, to regret. — 16 il me tarde, lUmg; M. L. 58, R. 3. — 17 amants, suitors. 8 pris, taken; from prendre. — 19 connaissant, knovmig ; from connaîtrCf ir. 4. M. p. 362. — 20 m^ apprendre, inform me. — 21 lassé, weary. — 22 résolus, detemUned; from résoudre^ ir. 4. M. p. 384.-23 ouï dire, heard. — 24 do l'autre, on the other. UV. I. TÉLÉlCAQtJE. 18 des Troyens, qui était sur ces côtes. Ces Troyens, disait-il, sont animés^ contre tous les Grecs; mais sur-tout ils répandraient' avec plaisir le sang du fils d*Ulysse. Retournez, continuait-il, en Ithaque : peut-être que votre père, aimé des dieux, y sera aussitôt que vous. Mais si les dieux ont résolu' sa perte, s'il ne doit^ ja^ 6 mais revoir sa patrie, du moins il faut que vous* alliez le venger, délivrer" votre mère, montrer votre sagesse à tous les peuples, et faire voir' en vous à toute la Grèce un roi aussi digne de régner . que le fut jamais Ulysse lui-même. Ces paroles étaient salutaires : mais je n'étais pas assez prudent 10 pour les écouter f je n'écoutai que ma passion. Le sage Mentor m'aima jusqu'à* me suivre dans un voyage téméraire que j'entre- prenais" contre ses conseils ; et les dieux permirent que je fisse" une faute qui devait servir à me corriger de ma présomption. Pendant que Télémaque parlait, Calypso regardait" Mentor. 16 Elle était étonnée : elle croyait sentir en lui quelque chose de divin; mais elle ne pouvait démêler*^ ses pensées confuses : ainsi elle demeurait" pleine de crainte et de défiance" à la vue de cet inconnu. Alors elle appréhenda de laisser voir*" son trouble." Continuez, dit-elle à Télémaque, et satisfaites ma curiosité. 20 Télémaque reprit" ainsi : Nous eûmes assez long-temps un vent favorable pour aller en Sicile ; mais ensuite une noire tempête déroba" le ciel à nos yeux, et nous fûmes enveloppés^** dans une profonde nuit. A la lueur** des éclairs, nous aperçûmes d'autres vaisseaux exposés au même 26 péril; et nous reconnûmes bientôt que c'étaient les vaisseaux d'Enée: ils n'étaient pas moins à craindre pour nous que les rochers. Je compris*'* alors, mais trop tard, ce que l'ardeur*® d'une jeunesse imprudente m'avait empêché** de considérer attentive- ment.** Mentor parut,*' dans ce danger, non seulement ferme et 30 intrépide, mais plus gai*' qu'à l'ordinaire :*® c'était lui qui m'en- courageait; je sentais qu'il m'inspirait une force invincible. Il 1 animés, exasperaied. — 2 répandraientj wovld shed. — 3 résolu, decreed. 4 doit, 18. — 5 il faut que tous, you must ; fromfaUoir^ ir. 3. M. L. 48. — 6 dé- livrer, liberate. 7 faire voir, exhibit. — 8 les écouter, to attend to them. 9 jusqu'à, si0ciently to. — 10 j'entreprenais, lundertook; from entreprendre^ ir. 4. ilf.x». 370. — 11 que je fisse, that I shxnjdd commit. — 12 regardait, looked ai. — 13 démêler, clear up. — 14 demeurait, remained. — 15 défiance, suspicion. 16 de laisser voir, to show. — 17 trouble, émotion. — 18 reprit, resumed his nar- ration ; from reprendre. — 19 déroba, concealed. — 20 enveloppés, surrounded. 21 Inenr, Jlasking. — 22 eom^na, understood ; from comprendre. — 23 ardeur, heat. — 24 empêché, prcoented. — 25 attentivement, suffi^ciently. — 26 parut, ap^ peared; frcrm paraître^ ir. 4. M. p. 378. — 27 gai, cheerftd. — 28 à ^ordinaire, usiuil. 14 TÊLÉMÀQUE. uv.L donnait tranquillement touB les ordres, pendant que le pilote était troublé.* Je lui disais : Mon cher Mentor, pourquoi ai-je refusé de suivre vos conseils? ne suis-je pas malheureux d'avoir voulu me croire moi-même, dans un âge où Ton n'a ni pré- 5 voyance de l'avenir,'' ni expérience du passé, ni modération pour ménager'* le présent ! Oh ! si jamais nous échappons de cette tempête, je me défierai^ de moi-même comme de mon plus dan- gereux-ennemi : c'est vous. Mentor, que je croirai toujours. Mentor, en souriant,* me répondit : Je n'ai garde" de vous re-v 10 prêcher la faute que vous avez faite; il suffit^ que vous la sentiez, et qu'elle vous serve à être une autre fois plus modéré dans vos désirs. Mais quand le péril sera^ passé, k présomption revien- dra* peut-être. Maintenant il faut se soutenir par le courage. Avant que de se jeter" dans le péril, il faut le prévoir et le crain- 16 dre: mais quand on y est, il ne reste plus qu'à" le mépriser. Soyez donc le digne fils d'Ulysse ; montrez un cœur plus grand que tous les maux qui vous menacent. La douceur" et le courage du sage Mentor me charmèrent :" mais je fus encore** bien plus surpris quand je vis avec quelle 20 adresse*® il nous délivra des Troyens. Dans le moment où le ciel commençait à s'éclairclr,*® et où les Troyens, nous voyant de près," n'auraient pas manqué de" nous reconnaître," il remarqua^* un de leurs vaisseaux qui était presque semblable au nôtre, et que la tempête avait écarté.^* La poupe'^^ en était couronnée de cer- 25 taines fleurs : il se hâta de mettre sur notre poupe des couronnes de fleurs semblables ; il les attacha^'* lui-même avec des bande- lettes** de la même couleur que'^* celles des Troyens ; il ordonna à*" nos rameurs de se baisser'*^ le plus qu'ils pourraient le long^^ de leurs bancs,''* pour n'être point reconnus'* des ennemis. En 30 cet état, nous passâmes au milieu de leur flotte : ils poussèrent''* des cris de joie en nous voyant, comme en revoyant des compa- 1 troublé, embarrasstd. — 2 avenir, /li^wrc. — 3 ménager, improve. — 4 défie- rai, shall distrust. — 5 souriant, smiling; from sourirCy ir. 4. M. p. 386. — 6 je n'ai fçarde, lamfar.—l il suffit, it is sufficîent.—Q sera, is; M. L. 61, R, 5, p. 172. — 9 reviendra, wUl retum; from revenir, ir. 2. M. p. 384. — 10 se jeter, rushing. — 11 il ne reste plus qu'à, aU that remains to be dente is to. — 12 dou- ceur, kindness. — 13 charmèrent, delighted. — 14 encore, yet. — 15 adresse, skill. — 16 s'éclaircir, to clear up. — 17 de près, close. — 18 manqué de, failed. 19 reconnaître, recognize. — 20 remarqua, observed. — 21 écarte, driven apart from the others. — 22 poupe, stem. — 23 attacha, fastened. — 24 bandelettes, ribboTis. — 25 que, as. — 26 ordonna à, commanded. — 27 de se baisser, to atoop. — 28 le plus qu'ils pourraient le long, as much as they cotUd, over. 29 bancs, seats. — 30 reconnus, known; from reconnaître. — 31 poussèrent, tUtered. LIV, I. TÉLÉMAQUfi. 16 gnons qu^ls avaient crus perdus. Nous fûmes méme^ eolitaramts par la violence de la mer d'aller assez long-temps avec eux : enfin nous demeurâmes* un peu derrière ;• et, pendant que les vents impétueux les poussaient* vers l'Afrique, nous fîmes les derniers* efforts pour aborder à force de rames' sur la côte voisine de 6 Sicile. Nous y arrivâmes en effet. Mais ce que nous cherchions n'était guère^ moins funeste que la flotte qui nous faisait fuir : nous trou- vâmes sur cette côte de Sicile d'autres Troyens ennemis des Grecs. C'était là que régnait le vieux Aceste sorti de* Troie. A peine 10 fûmes-nous arrivés* sur ce rivage, que les habitants crurent que nous étions, ou d'autres peuples de l'île armés pour les surprendre, ou des étrangers qui venaient s'emparer de" leurs terres. Us brûlent notre vaisseau dans le premier emportement ;" ils égor- gent" tous nos compagnons; ils ne réservent que Mentor et 15 moi pour nous présenter à Aceste, afin qu'il pût savoir de nous quels étaient nos desseins, et d'où nous venions. Nous entrons dans la ville les mains liées derrière le" dos ; et notre mort n'était retardée que pour nous faire servir de spectacle à un peuple cruel, quand on saurait que nous étions Grecs. 20 On nous présenta d'abord à Aceste, qui, tenant son sceptre d'or en main, jugeait** les peuples, et se préparait à un grand sacrifice. D nous demanda, d'un ton sévère," quel était notre pays et le su- jet" de notre voyage. Mentor se hâta de" répondre, et lui dit : Nous venons des côtes" de la grande Hespérie, et notre patrie" 26 n'est pas loin de là. Ainsi il évita^" de dire que nous étions Grecs. Mais Aceste, sans l'écouter** davantage, et nous prenant*'' pour des étrangers qui cachaient leur dessein, ordonna qu'on nous en- voyât dans une forêt voisine, où nous servirions en** esclaves sous ceux qui gouvernaient** ses troupeaux. 30 Cette condition me parut plus dure que la mort. Je m'écriai : O roi ! faites-nous mourir plutôt que de nous traiter si indigne- ment; sachez** que je suis Télémaque, fils du sage Ulysse, roi 1 même, even. — 2 demeurâmes, remained. — 3 derrière, bock. — 4 pous- saient, were driving. — 5 fîmes les derniers, vsed the utmost. — 6 à force de rames, hy stremunis rowing. — 7 ne — guère, but litUe; M. L. 17, R. 5. — 8 sorti de, a fugitive from. — 9 à peine fûmes-nous arrivés, scarcdy had we reached. 10 s'emparer de, to seize upon. — 11 emportement, burst qf anger. — 12 égor- gent, skores. to him. — 22 prenant, takihg ; from prendre. — 23 en, as. — 24 gouTemaient, had the charge of. — 25 sachez, krww ; from savoir ^ ir. 3. M. p. 384. 16 TÉLBMAQUE. Liv. i. des Ithaciens ; je cherche mon père dans toutes les mers : si je ne puis ni le trouver, ni retourner dans ma patrie, ni éviter la ser- vitude, ôtez-moi^ la vie, que je ne saurais" supporter. A peine eus-je prononcé ces mots, que tout le peuple ému 6 s'écria* qu'il fallait* faire périr® le fils de ce cruel Ulysse dont les artifices avaient renversé' la ville de Troie. O fils d'Ulysse ! me dit Aceste, je ne puis refuser votre sang aui mânes de tant de Troyens que votre père a précipités^ sur les rivages du noir Co- cyte: vous, et celui qui vous mène,® vous périrez. En même 10 temps un vieillard de la troupe proposa au roi de nous immoler* sur le tombeau d'Anchise. Leur sang, disait-il, sera agréable à l'ombre" de ce héros : Énée même, quand il saura" un tel sacri- fice, sera touché de voir combien vous aimez ce qu'il avait de plus cher au monde. 16 Tout le peuple applaudit à cette proposition, et on ne songea" plus qu'à" nous immoler. Déjà on nous menait^* sur le tombeau d'Anchise. On y avait dressé^* deux autels, où le feu sacré était allumé; le glaive qui devait^® nous percer était devant nos yeux; on nous avait couronnés de fleurs, et nulle compassion ne pouvait 20 garantir^'' notre vie ; c'était fait de nous,^® quand Mentor deman- da" tranquillement à parler au roi. Il lui dit : O Aceste ! si le malheur du jeune Télémaque, qui n'a jamais porté"" les armes contre les Troyens, ne peut vous toucher,"^ du moins que"" votre propre'^'' intérêt vous touche. La science que 25 j'ai acquise"* des présages"* et de la volonté des dieux me fait connaître qu'avant que trois jours soient écoulés"* vous serez attaqué par des peuples barbares, qui viennent"^ comme un tor- rent du haut des montagnes pour inonder"® votre ville et pour ravager tout votre pays. Hâtez-vous de les prévenir ; mettez"* 30 vos peuples sous les armes: et ne perdez pas un moment pour retirer au-dedans*° de vos murailles les riches troupeaux que vous avez dans la campagne. Si ma prédiction est fausse, vous serez 1 utez-moî, deprive me of. — 2 je ne saurais, 7 can no longer. — 3 s'écria, exclaimed.—A qu'il fallait, that they shxmld; M. L. 48. — 5 faire périr, put to death. — 6 renversé, overthrovm, caused the ruin of. — 7 précipités, sent, hurled. 8 celui qui vous mène, your giiardian, he who guides you ; M. L. 81, R. 4, Î. 218. — 9 immoler, sacrifice. — 10 l'ombre, the shade. — 11 saura, leams. 2 songea, thought. — 13 plus qu'à, merely to. — 14 menait, were leading. 15 dressé, erected. — 16 devait, was. — 17 garantir, save. — 18 c'était fait de nous, ourfate was sealed. — 19 demanda, requested Icave. — 20 porté, home ; M. L. 42, R. 8. — 21 toucher, mo^e. — 22 du moins que, at least let. — 23 propre, own. — 24 acquise, acquired ; front acquérir, ir. 2. M. p. 356. — 25 présages, omena. — 26 écoulés, elapsed ; M. L. 42, R. 6. — 27 viennent, rush. — 28 inon- der, to overflow. — 29 mettez, put. — 30 retirer au-dedans, to secure wUhin. L3Y. L TÈh±UXQVE. 17 libre^ de nous immoler dans trois joa]:s; si an* contraire elle est véritable, souvenez-vous* qu'on ne doit pas ôter la vie à ceux de qui on la tient^ Aceste fut étonné de ces paroles que Mentor lui disait avec une assurance qu'il n'avait jamais trouvée^ en aucun htmme. Je vois 5 bien, répondit-il, ô étranger, que les dieux, qui vous ont si mal partagé" pour tous les dons de la fortune, vous ont accordé^ une sagesse qui est plus estimable que toutes les prospérités. En même temps il retarda le sacrifice, et donna avec diligence les ordres nécessaires pour prévenir® l'attaque dont Mentor l'avait 10 menacé. On ne voyait de tous côtés que des femmes tremblantes, des vieillards courbés," de petits enfants les larmes aux yeux, qui se retiraient dans la ville. Les bœufs mugissants," et les brebis bêlantes," venaient en foule, quittant les gras pâturages, et ne pouvant trouver assez d'étables" pour être mis à couvert. C'é- 15 talent de toutes parts des bruits confus de gens qui se^* poussaient les uns les autres, qui ne pouvaient s'entendre, qui prenaient dans ce trouble un inconnu^* pour leur ami, et qui couraient, sans sa- voir où tendaient leurs pas.^^ Mais les principaux*'' de la ville, se croyant plus sages que les autres, s'imaginaient" que Mentor 20 était un imposteur qui avait fait une fausse prédiction pour sauver sa vie. Avant la fin du troisième jour, pendant qu'ils étaient pleins" de ces pensées, on vit sur le penchant des montagnes voisines un tourbillon*" de poussière ; puis on aperçut une troupe innombrable 25 de barbares armés : c'étaient^" les Himériens, peuples féroces, avec les nations qui habitent sur les monts Nébrodes, et sur le som- met d'Acragas, où règne un hiver que les zéphyrs n'ont jamais adouci.^* Ceux qui avaient méprisé" la prédiction de Mentor per- dirent leurs esclaves et leurs troupeaux. Le roi dit à Mentor : 30 J'oublie'^* que vous êtes des Grecs ; nos ennemis deviennent** nos amis fidèles. Les dieux vous ont envoyés pour** nous sauver : je 1 vous serez libre, it wUl be in your power. — 2 au, on the. — 3 souvenez- Tous, remember ; M. L. 37, R. 2. — 4 tient, owe ; from tenir^ ir. — 5 trouvée, found; M. L. 42, R. 7. — 6 vous ont si mal partagé, hâve bestowed upon you such a small portion. — 7 accordé, granted. — 8 prévenir, to prépare against. 9 courbés, bowed down. — 10 mugissants, lowirig. — 11 bêlantes, bleating. 12 assez d'étables, stables erwugh; M. L. 34, R. 3. — 13 se, one another. 14 inconnu, stranger. — 15 où tendaient leurs i>qs, whUher they were going. 16 principaux, heads; M. L. 14, R. 7. — 17 s'imaginaient,/a7icicâ. — 18 pleins, occupied.— 19 tonThiUoDj whirlwind, cloud.— 20 c'étaient, they were; M. L. 82, R. L— 21 adouci, 7noderated.—22 méprisé, despwai.— 23 j'oublie, J/or^e*. 24 deviennent, become. — 25 pour, to; M. L. 28, R. 8. 18 i-ilLÉkÀQtrE. Ei^.x ti'atteïidâ^ pàa moins de votre valeur que de la sagesse de vos Conseils ; hâtez-voua de nous secourir.* Mentor montre dans ses yeux une audace' qui étonne les plus fiers^ combattants. Il prend un bouclier, un casque,* une épée, 5 une lance ; il range' les soldats d'Aceste, il marche à leur tête, et s'avance en bon ordre vers les ennemis. Aceste, quoique plein de courage, ne peut dans sa vieillesse le suivre que de loin. Je le suis^ de plus près,® mais je ne puis égaler sa valeur. Sa cuirasse ressemblait, dans le combat, à Timmortelle égide.* La mort courait 10 de rang en" rang par-tout sous ses coups. Semblable à un lion de Numidie que la cruelle faim dévore," et qui entre dans" un troupeau de faibles brebis, il déchire," il égorge," il nage dans le sang ; et les bergers, loin de" secourir le troupeau, fuient, trem- blants, pour se dérober^' à sa fureur. 16 Ces barbares, qui espéraient de surprendre la ville, furent eux- mêmes surpris et déconcertés. Les sujets d'Aceste, animés" par l'exemple et par les ordres de Mentor, eurent" une vigueur" dont ils ne se croyaient point capables. De ma lance je renversai'**' le fils du roi de ce peuple ennemi. H était de mon âge, mais il 20 était plus grand^* que moi ; car ce peuple venait d'une race de géants qui étaient de la même origine que les Cyclopes : il mé- prisait un ennemi aussi faible que moi.*^ Mais, sans m'étonner de sa force prodigieuse, ni de son air sauvage et brutal, je pous- sai"* ma lance contre sa poitrine, et je lui fis vomir, en expirant, 26 des torrents d'un sang noir. Il pensa m'écraser"* dans sa chute ;*• le bruit de ses armes retentit** jusqu'aux montagnes. Je pris ses dépouilles, et je revins trouver*^ Aceste. Mentor, ayant achevé de mettre les ennemis en désordre,*® les tailla en pièces, et pous- sa*' les fuyards jusques dans les forêts. 30 Un succès si inespéré'" fit regarder Mentor comme un homme chéri et inspiré des dieux. Aceste, touché de reconnaissance, nous avertit" qu'il craignait tout pour nous, si les vaisseaux 1 attends, expect. — 2 secourir, assist. — 3 audace, intrepidity.—A plus fiers, braveat. — 5 casque, helmet. — 6 range, draws up. — 7 suis, follow; front suivre^ ir. 4. M. p. 386. — 8 de plus près, more closdy. — 9 égide, œgis. — 10 en, to. 11 dévore, consumes. — 12 entre danSi JaUs upon. — 13 déchire, tears. — 14 égorge, àlays. — 15 loin dA^far fr&m. — 16 se dérober, to e^copc. — 17 animés, tnjconir- aeed. — 18 eurent, felt. — 19 vigueur, strength. — 20 renversai, threw down. 21 plus grand, taUer. — 22 moi, /; see M. L. 17, R. 6. — 23 poussai, thrust. 24 il pensa m' écraser, he came near cruahing me. — 25 chute, .^i^. — 26 reten- tit, echoed. — 27 revins trouver, reiumed to; M. L. 26, R. 3. — 28 achevé de mettre les ennemis en désordre, entirdy routed the enemy. — 29 pouiBSft, drove, 30 inespéré, unhopedfor -^31 nous avertit, iriformedtu. LIT. I. TÉLÉUAQUE. 19 d'Snéa revenaient en Sicile ; il nous en donna un pour retourner sans retardement' en notre paya, noua combla de présenta, et uotiB pressa de partir, pour prévenir tous les malheura qu'il prévoyait: maia il ne voulut nous donner ni un pilote ni des rameurs de sa nation, de peur' qu'ils ne ftieeent trop exposés sur les côtes de la S Grèce, n nous donna des marchands phéniciens, qui, étant en conunerce avec tous les peuples du monde, n'avaient rien à crain- dre, et qui devaient ramener* le vaisseau à Aceate quand ils nous auraient laissés en Ithaque. Hais les dieux, qui se jonent des' desseins des hommes, nons réservaient à* d'ftntres dangers. 10 . 1 istardamsut, delaif.—2 âa peur qa«— iis, loi! 3S. t 143, (S), p. 46S. 3 derùtat TB.nitnei, tcere ta bring bock. — 1 BB Jouent des, ijwrt wiw.—ï nom rÉserv^nt à, had preparcd/or iw. J LIYSS FREUIER. £ LIVEE SECOND. BoMMAiBE. — ^Télémaque raconte^ qu'il fat pris dans le yaisseau tyrien par la flotte de Sésostris, et emmené^ captif en Egypte. Il dépeint^ la beauté de ce pays et la sagesse du gouyemement de son roi. Il ajoute^ que Mentor fut enyoyé esolaye en Ethiopie ; que lui même, Télémaque, fut réduit à conduire^ un troupeau dans le désert d'Oasis ; que Termosiris, prêtre d'Apollon, le consola, en lui apprenant^ à imiter Apollon, qui ayait été autrefois berger chez? le roi Admète ; que Sésostris ayait enfin appris^ tout ce qu'il faisait de meryeilleux parmi les bergers; qu'il r ayait rappelé,^ étant persuadé^<) de son innocence, et lui ayait promis de le renyoyer à Ithaque ; mais que la mort de ce roi l' ayait replongeai dans de nouyeaux malheurs ; qu'on le mit en prison dans une tour sur le bord de la mer, d'où ilyit le nouyeau roi Bocchoris qui périt^ dans un combat contre ses sujets réyoltés et secourus^^ par les Tyrîens. Les Tyriens, par leur fierté," avaient irrité contre eux le grand roi Sésostris, qui régnait en Egypte, et qui avait conquis tant de" royaumes. Les richesses qu'ils ont acquises" par le commerce, et la force de l'imprenable ville de Tyr, située^^ dans 6 la mer, avaient enflé" le cœur de ces peuples : ils avaient refusé" de payer à Sésostris le tribut qu'il leur avait imposé''** en reve- nant de ses conquêtes ; et ils avaient fourni^^ des troupes à son firère, qui avait voulu''' le massacrer** à son retour, au milieu des réjouissances'** d'un grand festin. 10 Sésostris avait résolu,"* pour abattre"* leur orgueil, de troubler"'^ leur commerce, dans toutes les mers. Ses vaisseaux allaient de 1 raconte, relates. — 2 emmené, carried. — 3 dépeint, describes.-^ ajoute, adds. — 5 réduit à conduire, ohligéd to tend. — 6 apprenant, teadiing. — 7 chez, in the service qf. — 8 appris, leamt. — 9 rappelé, recaUed. — 10 persuadé, amvÎTUied. — 11 replongé, throvm again. — 12 périt, feU. — 13 secourus, sup- Îorted. — 14 fierté, pride. — 15 tant de, so many. — 16 acquises, amassed. 7 située, seated,founded.—lQ enflé, elated.— 19 See M. L. 42, R. 5.— 20 im- posé, laid. — 21 fourni, supplied with. — 22 voulu, attempted. — 23 massacrer, fMJorder. — 24 réjouissances, r«;otctn^ff. — 25 réMhi, determinedifrom résoudre. 26 abattre, humble. — 27 troubler, interrupt^ disturb. zir.n. TÉLÉUAQua. 21 tons cAtêB cherchant lea Phêiiicieas. Une flotte égyptienne' nona tenconlra, comme' nous commencions à perdre de vue' les mon- tagnes de la Sicile : le port et la terre semblaient fuir derrière nouB et se perdre* dans les nues. En même temps nous voyons approcher les navires des Ëgyptiens, semblables à nne ville flot- 5 tante. I«b Phéniciens les reconnurent,* et voulurent s'en éloi- gner;' mais il n'était plus temps;' leurs voiles étaient meilleures que les nôtres ; le vent les favorisait ; leurs rameurs étaient en plus grand nombre: ils noua abordent,' nous prennent, et nous emmènent* prisonniers en Egypte. 10 En vain je leur représentai que sous n'étions pas Phéniciens ; à peine" daignèrent-ils m'écouter : ils nous regardèrent" conune des esclaves dont les Phéniciens trafiquaient; et ils ne songèrent" qu'an profit d'une telle prise. Déjà nous remacquona les eani de la mer qui blanchissent par le mélange" de celles du Nil, et nous 16 voyons la côte d'Egypte presque aussi basse" que la mer. En- suite nous arrivons à l'île de Pharos, voisine de la ville de No. De là nons remontons" le Nil jusqu'à" Mempbis. Si ta donlenr de notre captivité ne nous edt rendus insensibles à tons lea plaiaira, nos yeui auraient été-charmés de voir cette 30 fertile terre d'Egypte, semblable à un jardin délicieuK arrosé" d'un nombre infini de canaux. Nous ne pouvions jeter les yeux sur les deux rivages, sans apercevoir des villes opolentes, des maisons de ciimpagne" agréablement situées, dea terres qui se couvrûent tons les ans" d'une moiason dorée" sans se reposer jamais, des 26 prairies"' pleines de troupeaux, des laboureurs qui étaient accablés" sous le poids des fruits que la terre épanchait"' do son sein, dea bergers qui faisaient répéter les doui sons" de leurs flûtea et de leurs chalnineaux" i. tous les échoa d'alentour.°° Heureux, disait Mentor, le peuple qui est conduit" par un sage 30 roi ! il est dans l'abondance, il vit" heureux, et aime celui à qui il V^ doit tont son bonheur. C'est ainsi, ajoutait-il, ô Télémaqne, que perdre de vne, lu loae sigM "f- — * ib tcognixedi from_res^ïinaitTS- — 6 B'en tempe, ioo laie.— -S gbordent, boardtd. hardiy. — U regardèrent, amsidcred, mixtaTe. — 14 basse, loir, — 15 remon- ' M.-.— 17 arrosé, leatercd, irrigaied. ina lea ans, «ery y car ; M. L. 2S, R. S. PTsiriea, muulDUis. — 23 acoablés, boit, atru.— S5chaIamsBi]i,p^r».— 26 iabaa onduit, gavemtd^-TB vit, Usetifim» ^ TâLJiHÀQUS. IXV. XL vous devez régner, et faire la joie de vos peuples, si jania% les dieux vous font posséder le^ royaume de votre père. Aimez vos peuples comme vos enfants ; goûtez^ le plaisir d'être aimé d'eux, et faites qu'ils* ne puissent^ junais sentir la paix et la joie 5 sans se ressouvenir que c'est un bon roi qui leur a fait ces riches présents. Les rpis qui ne songent qu'à' se faire craindre et qu'à abattre leurs sujets pour les rendre plus soumis, sont les fléaux du genre humain :* ils sont craints^ comme ils le veulent être ; mais ils sont haïs, détestés ; et ils ont encore plus à craindre 10 de leurs sujets, que leurs sujets n'ont à craindre d'eux. Je répondis à Mentor : Hélas ! il n'est pas question de" songer aux maximes suivant* lesquelles on doit régner ; il n'y a plus d'Ithaque pour nous ; nous ne reverrons jamais ni notre patrie ni Pénélope: et quand^° même Ulysse retournerait plein de 16 gloire dans son royaume, il n'aura jamais la joie de m'y voir; ja- mais je n'aurai celle de lui obéir pour apprendre à commander. Mourons, mon cher Mentor, nulle autre pensée ne nous est plus permise;" mourons, puisque les dieux n'ont aucune pitié de nous. 20 En parlant ainsi, de profonds soupirs entrecoupaient" toutes mes paroles. Mais Mentor, qui craignait" les maux avant qu'ils arrivassent, ne savait" plus ce que c'était que de les craindre, dès qu'ils" étaient arrivés. Indigne fils du sage Ulysse ! s'écriait-il, quoi donc ! vous vous laissez vaincre" à votre malheur ! Sachez" 25 que vous reverrez un jour l'île s Dommait, icos caUed.—W tâcher, to cndeacor.—Vt surprendre, to canfun. 18 defianoe, siunneton.— 19 s'irritent contre, dsfcït.— W ans, knea i /rom ao- Boir, M. p. 384,-21 devenu, bcaime ; M. L. 8B, R. B.— 22 coup de Eondi», IkundeTboU— 23 éblouir, dazzle.—2t de bonne foi, sincerefy, tniiy.—a mal- gré, jiOtwiihstaTidiv^, 20 TÊLÂMAQUE. IZV. B. soBt souvent surpris.* Des hommes artificieux et intéressés les environnent.^ Les bons se retirent, parcequ'ils ne sont ni em- pressés* ni flatteurs; les bons attendent* qu'on les cherche, et les princes ne savent guère les aller chercher ; au contraire les 5 méchants sont hardis,* trompeurs, empressés à s'insinuer et à plaire, adroits à dissimuler, prêts à tout faire contre l'honneur et la conscience pour contenter" les passions de celui qui règne. Oh! qu'un roi est malheureux'' d'être exposé aux artifices des méchants! Il est perdu® s'il ne repousse* la flatterie, et s'il*** 10 n'aime ceux qui disent hardiment*' la vérité. Voilà" les réflexions que je faisais dans mon malheur ; et je me rappelais** tout ce que j^'avais ouï-diie à** Mentor. Cependant Métophis m'envoya vers les montagnes du désert d'Oasis avec ses esclaves, afin que je servisse avec eux à con- Ifi duire" ses grands troupeaux. En cet endroit*^ Calypso interrompit" Télémaque, disant : Eh bien" que fîtes-vous alors, vous qui aviez préféré en Sicile la mort à la servitude ? Télémaque répondit: Mon malheur croissait** toujours; je 3j8f i^Wais plus la misérable consolation de choisir entre la servitude et la mort : il fallut^" être esclave, et épuiser" pour ainsi dire^' toutes les rigueurs de la fortune ; il ne me restait'^* plus aucune espérance, et je ne pouvais pas même dire un mot** pour travail- le?" à me délivrer.''^ Mentor m'a dit depuis qu'on l'avait vendu 3ft à des Éthiopiens, et qu'il les avait suivis en Ethiopie. Pour moi, j'arrivai dans des déserts affreux : on y voit des sables blNiladiits au milieu des plaines, des neiges qui ne fondent^^ jamais^ et qui font un hiver perpétuel sur le sommet des montagnes ; et l'on trouve seulement, pour nourrir^* les troupeaux, des pâturages 30 parmi les rochers, vers le milieu du penchant^" de ces montagnes escarpées»*** Les vallées y sont si profondes, qu'à peine* le soleil y peut faire luire** ses rayons. l surpris, deceived. — 2 enrironnent, surrotcnd. — 3 empressés, cmxioua. 4 attendent, icait. — 5 hardis, bold. — 6 contenter, gratify. — 7 qu'un roi est malheureux, how unfortunaie a king is. — 8 perdu, undone. — 9 repousse, rc- pel. — 10 s'il ne, unlesa he. — 11 hardiment, holdly^ courageously. — 12 voilà, theat axe^ M. § 108, (4), p. 428. — 13 je me rappelais, I recoUected; M. i, 37. — 14 ouï dire à, heardjrom. — 15 conduire, to look ajier. — 16 en cet endroit, luTû. — 17 Jrom inÉerromprô, ir. 4. — 18 eh bien, well. — 19 croissait, greWy in- cvêOêedifrom croître^ ir. 4. M. p. 364. — 20 i\ faXluty I was forccd ; from /'alloir.'--2l épuiser, exhauat. — 22 pour ainsi dire, if Imaysosay. — 23 il no m» restait, ffure rtTnained for Tne ; M. L. 85, R. 4. — 24 un mot, a singU ieord.^-25 travailler, to endeavor. — 26 à me délivrer, to obtain my libtrty, 27 fondent, melt. — 28 nourrir, fted. — 29 penchant, dedivity. — 30 escarpées, êUep. — 31 faire luire, Bendforâi. IIV. a. TÉLSMAQUE. 27 Je ne tronvai d'autres hommes dons ce pays qne dca bergers, aussi sauvages' que le pays même. Li, je passais ies nuits à dé- plorer' mon malheur, et les jours k suivre un troupeau, pour évi- ter la fureur brutale d'un premier' esclave, qui, espérant d'obtenir sa liberté, accusait sans cesae les autres, pour faire valoir' à son fi maitre son zèle et son attachement à ses intérêts. Cet esclave se nommait Butis. Je devais succomber* daus cette occasion: ta douleur me pressant, j'oubliai un jour mon troupeau, et je m'éten- dis' sur l'herbe auprùs d'une caverne, où j'attendais' la morl, ne pouvant plus* supporter mes peines. 10 En ce moment, je remarquai que toute la montagne tremblait; les chênes' et les pins semblaient descendre" de son sommet; les vents retenaient" leurs haleines." Une voix mugissante" sortit" 1 de la caverne, et me fit entendre ces paroles : Fila du sage Ulysse, ^"^ il faut que tu deviennes, comme lui, grand par ia patience; les 15 princes qui ont toujours été heureux ne sont guère" dignes de l'être;" la mollesse les corrompt, l'orgueil les enivre." Que tu seras heureux, si tu surmontes" tes malheurs, et si tu ne les oublies jamais ! Tu reverras Itliaque ; et ta gloire montera" jus. qu'aux astres. Quand tu seras"" le maître des autres hommes, 20 souviens-loi" que tu as été faible, pauvre, et souffrant comme eux; prends plaisir ilea soulager, aime ton peuple, déteste la flat- terie, et sache" que tu ne seras grand qu'autant que-' tu seras modéré, et courageux pour vaincre les passions. Ces paroles divines entrèrent jusqu'au fond" de moncosur; 26 elles y tirent renaître" la joie et le courage. Je ne sentis point cette horreur qui fait dresser les cheveux"' sur la tête, et qui glace" le sang dans les veines, quand les dieux se communiquent aux mortels; je me lovai" tranquille; j'adorai, à genoux," les mains levées vers le ciel. Minerve, k qui je crus devoir'" cet oracle. 30 En même temps je me trouvai un nouvel homme : la sagesse 1 eaUTftges, imcuitiro^Hf.— 2 déplorer, bewaiL—3 pTemîer, head. — 4 fai» valoir, (o cxlUbit. — 5 Buocoinber, to einA. — 6 )o m'étondia, I tkreTH myseff; lit. slretehed mysôlf. — 7 atlendaia, Kailidfor.—B ne pouvant plus, being no longer abU. — 9 chêne;, oaks, — 10 dcROendre, io bstid. — 11 retenaient. -urUhr Iuld.~l2 haleinea. ùrsal/i.— 13 mugissante, rooWn^.— 14 sortit, camefroni. 15 De— guère, but lilUs.—ÏG l'être, being soi M. L. 46, B. 4.— 17 enivre, inloxiivtes: M. note, p. 20.— 18 surmontas, orercomesi— 19 montera, sftaU osemd.— 20 seras, arl; M. L. 61, E. 5.— 21 souviena-loi, rsmsmin-, 32 sache, krunc, from gocoir.— 23 qu'autant que, onfy in prcipwtiim ai. 24 jnsqu'an fond, into my mmot(.— 25 Brent renaître, rsstoi-id.— 26 fwt dresser les oheveujt, makcs Ike haïr stand erect.—27 glace, chUls.—SB je tus .levai, laroae.— 29 A s^io^'i i"* '"J knces.—'iO ja crua devoir, / btlintd myiclf indebtedfoT. \y 28 TBLBMAQUE. LIV. IL éclairait^ mon esprit ; je sentais une douce force pour modérer toutes mes passions, et pour arrêter l'impétuosité de ma jeunesse. Je me fis aimer de tous les bergers du désert : ma douceur, ma patience, mon exactitude, apaisèrent enfin le cruel Butis, qui 6 était en autorité sur les autres esclaves, et qui avait voulu d'abord' me tourmenter. Pour mieux supporter l'ennui^ de la captivité et de la solitude, je cherchai des livres ; car j'étais accablé de tristesse, faute* de quelque instruction qui pût* nourrir mon esprit et le soutenir. 10 Heureux, disais-je,® ceux qui se dégoûtent des plaisirs violents,' et qui savent se contenter des douceurs d'une vie innocente! Heureux ceux qui se divertissent® en s'instruisant,* et qui se plaisent^** à cultiver leur esprit par les sciences ! En quelque" endroit que la fortune ennemie les jette,^^ ils portent toujours 16 avec eux de quoi^' s'entretenir; et l'ennui, qui dévore** les autres hommes au milieu même des délices, est inconnu à ceux qui savent s'occuper*^ par quelque lecture.*® Heureux ceux qui aiment à lire, et qui ne sont point, comme moi, privés de la lecture ! Pendant que ces pensées roulaient dans*"^ mon esprit, je m'en- 20 fonçai*® dans une sombre forêt, où, j'aperçus tout-à-coup** un vieillard qui tenait un livre dans sa main. Ce vieillard avait un grand front chauve^" et un peu ridé :^* une barbe blanche pendait jusqu'à^^ sa ceinture,^* sa taille était haute et majestueuse ; son teint^* était encore frais et vermeil f^ ses yeux étaient vifs et 25 perçants, sa voix douce, ses paroles simples et aimables. Jamais je n'ai vu un si vénérable vieillard. Il s'appelait^* Termosiris. Il était prêtre d'Apollon, qu'il servaif^^ dans un temple de marbre que les rois d'Egypte avaient consacré à ce dieu dans cette forêt. Le livre qu'il tenait était un recueiP® d'hymnes en l'honneur des 30 dieux. Il m'aborde^^ avec amitié : nous nous entretenons.®" Il racon- tait si bien les choses passées, qu'on croyait les voir ; mais il les 1 éclairait, enlightened. — 2 voulu d'abord, wished at Jirst. — 3 l'ennui, tc- diousness, ennui. — 4 faute, for uant. — 5 pût, might ; from 'pouvoir. — 6 di- sais-je, said I; from dire^ ir. 4. M. p. 368. — 7 violents, exciting. — 8 se diver- tissent, ^n(i amusement. — 9 en s' instruisant, in improving themsdves. — 10 se plaisent, delight; M. L. AQ, E. 6. — 11 quelque, ichatever. — 12 from jeter; seeM.îAO, (4). — 13 de quoi, wherewith. — 14 dévore, consumes. — 15 s'occu- per, to employ themselves. — 16 lecture, reading. — 17 roulaient dans, were revolving in. — 18 je m'enfonçai, I entered. — 19 tout-à-coup, sudderdy. 20 front chauve, hald forehead. — 21 ridé, wrinkled. — 22 pendait jusqu'à, hung dmcn to. — 23 ceinture, girdle^ waist. — 24 teint, complexion. — 25 ver- meil, ruddy. — 26 il s'appelait, his name was. — 27 servait, worshipped. 28 recueil, collection. — 29 m'aborde, accosted me. — 30 entretenons, conversed. UT. IL TÉLÉMAQUS- 29 racontait courtement, et jamais ses hiatoirea ne m'ont laaaé.' H prévoyait l'avenir par la profonde sagesao qui lui faisait connsitre les hommes et les desseins dont ils sont capables. Avec tant de prudence, il était gai,' complaisant; et la jeunesse la plus enjouée* n'a point autant de grâce qu'en avait cet liomme dans une vieil- 6 lease si avancée : aassi* aimoit-il les jeunes gens lorequ'ils étaient dociles et qu'ils avaient le goût de la vertu. Sientfit il m'aima tendrement, et me donna des livres pour me consoler: il m'appelait son flls. Je lui disais souvent; Mon père, les dieus, qui m'ont Ole' Mentor, ont eu pitié de' moi; ils 10 m'ont donné en vous un autre soutien.' Cet homme, semblable à Orphée ou à Lions, était sans doute inspiré des dieux: il me récitait" les vers qu'il avait faits, et me donnait ceux de plusieurs excellents poètes favorisés des muses. Lorsqu'il était revêtu de' sa longue robe d'une Éclatante blancheur, et qu'il prenait en main 16 sa lyre d'ivoire, les tigres, les ours," les lions, venaient le flatter," et lécher" ses pieds ; les satyres" sortaient des forêts pour dan- ser autour de" lui ; les arbres mêmes paraissaient émus," et vous auriez cm" que les rochers allendria"'' allaient descendre du haut des montagnes aux charmes de ses doux accents." H ne chan- 20 tiùt que la grandeur" des dieux, la vertu des héros, et la sagesse \ des hommes qui préfèrent la gloire aux plaisirs.—-' n me disait souvent que je devais" prendre courage, et qae les dieux n'abandonneraient ni Ulysse ni son fils. Enfin il m'assura que je devais, à l'exemple d'Apollon, enseigner aux bergers à cul- 26 tiver les muses. Apollon, disait-il, indigné" de ce que" Jupiter par ses foudres" troublait" le ciel dans les plus beaux jours, voulut s'en venger sur les Cyclopes qui forgeaient les foudres, et les perça de ses flèches." Aussitôt le mont Etna cessa de vo- mir" des tonrbillons" de flammes ; on n'entendit plus les coups" 30 des terribles marteaux qui, frappant l'enclume," faisaient gémir'" les profondes cavernes de la terre et les abîmes de la mer. Le fer et l'idrain," n'étant plus polis " par les Cyclopes, ci 1 lasBé, iceorierf, 2 gai, checrful. 3 enjouÊe, sprigktly. 4 aussi, therefore. B 5t*, depHved. 6 eu pitié de, taken. ■oây on. 7 bouUbd. tupport. S réoi- tait, rtpiaied. 9 revêtu de, rlad in ; front Tteitir, ir. 2. M. p. 384. 10 onrs, bears. Il le flatter,/au!n. 13 lécher, iîefc. 13 satyres, «oJjrs. 14 autour de, around. 15 émus, mored. Ifi cru, belicvedi from croire, ir. i. M. p. 364. 17 attendris, afected. 18 aooenta, eirainii, harmony. 19 grandeur, majesty. 30 devais, should. 21 indigné, irriiated. 22 de ce que, becouat. ■>aF„„J™ ,i.._j^...,, lA, — v,_.. j._..._,,^ 25 flèches, arroios. 26to- 'Ji. 33 coups, ttrokca. 29 l'en- B,lhcbra3i. 32 poIiSj/urbisAtti 80 TÉLÉMAQUE. UV. n. çaient à se rouiller.^ Vulcain, furieux, sort de sa fournaise:* quoique boiteux," il monte en diligenceSers l'Olympe ; il arrive, suant* et couvert de poussière, dans l'assemblée des dieux; il fait des plaintes amères.® Jupiter s'irrite contre Apollon, le 6 chasse du ciel, et le précipite' sur la terre. Son char vide faisait de lui-même® son cours ordinaire,* pour donner aux hommes les jours et les nuits avec le changement régulier des saisons. Apollon, dépouillé^" de tous ses rayons, fut contraint" de se faire^'* berger, et de garder les troupeaux du roi Admète. Il 10 jouait de la flûte, et tous les autres bergers venaient à l'ombre des ormeaux" sur le bord d'une claire fontaine écouter ses chan- sons. Jusques là" ils avaient mené une vie sauvage et brutale; ils ne savaient que conduire leurs brebis, les tondre,^^ traire leur lait,^® et faire des fromages : toute la campagne était comme un 15 désert affreux.^î^ — ' Bientôt Apollon montra'® à tous ces bergers les arts qui peu- vent rendre la vie agréable. 11 chantait les fleurs dont le prin- temps se couronne, les parfums qu'il répand, et la verdure qui nait'^ sous ses pas. Puis il chantait les délicieuses nuits de l'été, 20 où les zéphyrs rafraîchissent les hommes, et o\\ la rosée^" désal- tère*^ la terre. Il mêlait*^ aussi dans ses chansons les fruits dorés dont l'automne récompense les travaux des laboureurs,'*' et le repos de l'hiver, pendant lequel la folâtre jeunesse danse auprès du feu. Enfin il représentait les forêts sombres''* qui 25 couvrent les montagnes, et les creux'^^ vallons, où les rivières, par mille détours, semblent se jouer'^" au milieu des riantes'" prairies. Il apprit ainsi aux bergers quels sont les charmes de la vie cham- pêtre,''® quand on sait goûter''" ce que la simple nature a de gracieux.'" 30 Les bergers, avec leurs flûtes, se virent'^ bientôt plus heureux que les rois ; et leurs cabanes'" attiraient" en foule'* les plaisirs purs qui fuient les palais dorés. Les jeux,"^ les ris,'^ les grâces, 1 se rouiller, to rust. — 2 fournaise, forge. — 3 boiteux, lame. — i en dili- gence, speedily. — 5 suant, perspiring. — 6 amères, bUter. — 7 précipite, hurù. § de lui-même, of itself. — 9 ordinaire, usual. — 10 dépouillé, deprived. 11 contraint, obligea; Jram contraindre^ ir. 4. M. p. 364. — 12 se faire, to be- came; M. L. 65, R. 3. — 13 ormeaux, young elms. — 14 jusques là, hitherto. 15 tondre, shear. — 16 traire leur lait, mUk them. — 17 affreux, friglitful. 18 montra, taught. — 19 nait, springs; from naître^ ir. 4. M. p. 376. — 20 rosée, dew. — 21 désaltère, moistens. — 22 mêlait, mingled. — 23 laboureurs, husbandl men. — 24 sombres, gloomy. — 25 creux, hollow. — 26 se jouer, to sport. — 27 rian- tes, smUing. — 28 champêtre, rural. — 29 sait goûter, knows how to reliah. 30 gracieux, pleasing. — 31 virent, saw,found; from voir. — 32 cabanes, kiUs. 33 attiraient, attracted.—3i en foule, crowds o/*.— 35 jeux, sports.— 36 ris, smile». UV.n. TÊLÉlfAQUE. 61 Bvivûent' par-tout les innoceates bergères. Tonales j«im étnieDt des fêtes : on n'ent«iidait plus que' le gazouilleinent' des oiaeaax, ou U douce haleioe des zéphyrs qui bo jouaient' dans les rameanz* des arbres, ou le murmure d'une onde claire qui tombait de quelque rocher, ou les chansons que les muses inspiraient aux fi bergers qui suivaient Apollon. Ce dieu leur enseignait' à rem- porter te prii de la course, et à percer de flèches les daims' et les cerfs.' Les dieux mêmes devinrent jaloux des bergers ; cette vie leur parut plus douce qne toute leur gloire, et ils rappelèrent* Apollon dana l'Olympe. 10 Mon fila, cette hUtoïre doit voua instruire," puisque v«us êtes dans l'état où fut Apollon : défrichez" eett« terre sauvage ;" fwtes v fleurir" comme lui le désert; apprenez i tous ces bergers quela sont les charmes de l'harœoiiie; adoucissez" leurs cœmrs fanm- ehes;" montre i^-Ieur l'aimable vertu ; faites-leur sentir" combien 10 il eat doux de jouir dans la solitude dea plaisirs innocenta que rien ne peut ûter aux" bergers. Un jour, mon fils, un jour, lea peines et les soucia" cruela qui environnent les rois vous i^iont regretter sur ie trône la vie pastorale. Ayant ainai parle, Termosiris me donna une flûte si douce" que SO les échos de ces montagnes, qui la lirent entendre de'° tous eûtes, attirèrent bientfit autour de moi tous les bergers voisina. Ma voix avait une harmonie divine : je me sentais ému et comme hors de moi-même"' pour chanter les gtlcea dont la nature a orné la campagne. Noua passions les jours entiers et une partie des 25 nuits à chanter ensemble. Tous les bergera, oubliant" leurs cabanes et leurs troupeaux, étaient suspendus'^ et immobiles" autour de moi pendant que je leur donnais des leçons ; il semblait que" ces déserts n'eussent pins rien de sauvage, tout y était doux et riant:" la politesse des habitants semblait adoucir'' la 8Q Nous nous assemblions souvent pour offrir des sacrifices dans ce temple d'Apollon oii Termosiris était prêtre. Lea bergers 1 «nivsisBt, /«Uoieed ; fi-am suivre.— 2 na— pluB que, notlàng l>ul.—3 ga- cauillemsat, war&ling. — 1 ee jouaient, aporled.~i rmieftui, bratuhec.—S ao- ssienait, tauxht.—7 daims, deer.S carfa, atags.—9 rappelèrent, recaUtd. 10 doit Tou» iDatruirt, ehould be a leston to you— U dÊfnobei, tiU, clcar. 12 «auvage, icUd.—U faites fisurir, cause lo bloam.—li adouciiseï, eqfltn. 15 faroucbee, >acage.—lG fuites-leur eentir, Ut thtmftd.—YI uter auï, de- pritt.-lB Boueii. car£!.-19 donc», ™«(.-aO de, o<..-21 hors "ie inri- mobiloB, moiiWiss.— 25 il semblait que, ii tttmtd as V^2S riant, tmtimg. 82 TÉLBMAQUE. LIV. n. y* allaient couronnés de laurier en l'honneur du dieu : les ber- gères y allaient aussi, en dansant, avec des couronnes de fleurs, et portant sur leurs têtes dans des corbeilles^ les dons sacrés. Après le sacrifice, nous faisions un festin champêtre ; nos plus 6 doux mets étaient le lait de nos chèvres* et de nos brebis, que nous avions soin de traire nous-mêmes, avec les fruits fraîche- ment cueillis* de nos propres mains,* tels que les dattes, les figues et les raisins : nos sièges" étaient les gazons ; nos arbres touffus^ nous donnaient une ombre plus agréable que les lambris^ dorés 10 des palais des rois. Mais ce qui acheva* de me rendre fameux parmi nos bergers, c'est qu'un jour un lion afiamé" vint se jeter" sur mon troupeau; déjà il commençait un carnage affreux." Je n'avais en main que ma houlette :" je m'avance hardiment. Le lion hérisse" sa cri- 16 nière," me montre ses dents et ses griffes," ouvre une gueule sèche" et enflammée : ses yeux paraissaient" pleins de sang et de feu ; il bat" ses flancs avec sa longue queue. Je le terrasse i'*** la petite cotte de mailles dont j'étais revêtu,'** selon la coutume des bergers d'Egypte, l'empêcha de me déchirer. Trois fois je 20 l'abattis,"' trois fois il se releva i'" il poussait des rugissements qui faisaient retentir toutes les forêts. Enfin je l'étouffai'** entre mes bras ; et les bergers, témoins'* de ma victoire, voulurent'* que je me revêtisse'^ de la peau de ce terrible animal. Le bruit'® de cette action, et celui du beau changement'* de 26 tous nos bergers, se répandit'* dans toute L'Eg3^te ; il parvint même jusqu'aux'* oreilles de Sésostris. H sut" qu'un de ces deux captife qu'on avait pris pour des Phéniciens avait ramené" l'âge d'or dans ces déserts presque inhabitables. Il voulut me voir : car il aimait les muses ; et tout ce qui peut instruire les 30 hommes touchait son grand cœur. H me vit, il m'écouta avec plaisir, et découvrit que Métophis l'avait trompé'* par avarice. Il 1 y, ikUhtr; M. L. 24, R. 11. — 2 corbeilles, baskets. — 3 chèvres, goats, 4 oatU^. gathered ! from cueillir, ir. 2. M. p. 366. — 5 propres mams, own hands. — 6 sièges, seats. — 7 touffus, leafy^ tufty. — 8 lambris, ceilings. — 9 acho- YA^Jinished. — 10 affamé, hungry. — 11 yintse jeter, /ctt. — 12 carnage affreux, fnghtfvl shuffhter. — 13 houlette, crook. — 14 hérisse, hristlts up. — 15 cri- nière, mane. — ^16 griffes, daws. — 17 gueule sèche, parched mouth. — 18 pa- raissaient, apneared. — 19 bat, lashts; from battre. — W le ten&sse, threw htm to the grouna. — ^21 revêtu, clothed, protected. — 22 abattis, prostrated. — 23 re- leva, rose again. — 24 étouffai, strangled, choked. — 25 témoins, witiusses. 26 voulurent, wished ; from vâvloir. — 27 revêtisse, sJwidd wear. — 28 bruit, ^me.--29 beau ohansement, improvement. — 30 se répandit, spread. — 31 par- vint — jusqu'aux, reackcd even the. — 32 sut, learnt; from savoir. — 33 ramené, reatored. — 34 trompé, deceived. Liv.n. TÉLÉMAQUE. 83 le condamna à une prison perpétuelle,' et lui ûta toutes les ricties- ees qu'il possédait injustement Oii ! qu'on est mnliieureuît, disait- il, quand on est au dessus" du rest« des hommes ! souvent on ne , peut voir la vérité par ses propres yeux: on est environné de gens ^ qui i'empéclient d'arriver jusqu'à' celui qui commande; cliacun 5 est intéressé à le tromper; chacun, sous une apparence de zèle, cache son ambition. On fait semblant' d'aimer le roi, et on n'aime que les richesses qu'il donne ; on l'aime si peu, que pour obtenir ses faveurs on le flatte et on le trahit.* Ensuite Sésostris me traita avec une tendre amitié, et résolut 10 de me renvoyer en Ithaque, avec des vaisseaux et dos troupes pour délivrer Pénélope de tous ses amants. La flotte était déjà prête, nous ne songions qu'à' nous embarquer. J'admirais les coups' de la fortune, qui relève' tout-à-coup ceux qu'elle a le plus abaissés.* Cette expérience me faisait espérer qu'Ulysse pourrait IS bien revenir enfin dans son royaume après quelque longao souf- france. Je pensais aussi en moi-même que je pourrais encore re- voir Mentor; quoiqu'il eût été emmené'" dans les pays les plus inconnus de l'Ethiopie. Pendant que je retardais" un peu mon départ, pour tâcher" d'en 20 savoir des nouvelles," Sésostris, qui était fort âgé, mourut" su- bitement, et sa mort me replongea dans de nouveaux malheurs." Toute l'Egypte parut inconsolable de cette perle; chaque fa- mille croyait avoir perdu son meilleur ami, son protecteur, son père. Les vieillards, levant" les mains au ciel, s'écriaient ;" Jamais 2fi l'Egypte n'eut un si bon roi ! jamais elle n'en aura de semblable ! O cUeux ! il fallait,'" ou ne le montrer point aux hommes, ou ne le leur ûter jamais I pourquoi faut-il que nous" survivions au grand Sésostris! Les jeunes gens disaient; L'espérance de l'Egypte est détruite:" nos pères ont été heureux de passer leur vie sous 30 un si bon roi ; pour nous, nous ne l'avons vu que pour sentir sa perte. Ses domestiques pleuraient nuit et jour. Quand on fit" les funérailles" du roi, pendant quarante jours les peuples 1 prison parpétaelle, ptrpettxal cotifinemenl. — 3 au dessus, abaitc.—S d'ai rivBr jasqu'à, frcrm r^iehing. — 4 fait sembiant, prétend; M. L. 64, R. ■ B trahit, betTay. — 6 ns soDgiona qu'à, ice thougU onîy to. — 7 coups, caprice B relèTB, ™i»es,— 9 abaisafe, humbtfd.—lÙ emmené, ia4en, carntd,—\\ n tsrdwB, delayed. — 12 tâcher, ta emisaTOr. — 13 d'an savoir des nouvelles, i obtain intelligence front kim,— 14 rnoorul, dicd; fritm mourir, ir. i. M. ] 376.^15 malheurB-caiomifiM,— 16 levant,)- ' ' " '-■-"—•-'—■ — ■-:-- 18 ilf»lUit,îKrasW;lam. — 3 suivre, observe. — 4 faste, extrava- gance. — 5 le font, carry U on ; fromfaire, ir. 4. Jf . p. 372. — 6 surtout, above ail. — 7 entreprenez, attempt. — 8 gêner, restrict the freedom qf; M. L. 83, R. 5.-9 tourner, to direct.— \0 s'en mêle, interfère with i/.— 11 tirera, wiU dérive.— 12 entreront, toill be brought into.— 13 sources, springs.—li dé- tourner, change.— -15 tarir, dryup.—l6 il n'y a que, nothin^ but: literally, ihere is nothing but, M. L. 33, R. 4.— 17 attirent, attract—lQ chez, to your cUy: M. L. 24, R. 9.— 19 se passer de, to do without; M. i- 39, R. 1. 20 obscurcie, tamished.— 21 maintenant, note.— 22 tristes, sad.— 23 restes, remains.— 2i menace ruine, is threatened by ruin.—25 au heu de, instead qf; M. L. 35, R. 4.-26 d'ouvrir, of throwing open.— 27 doivent, are tOy intend to. — 28 supercherie, artifice. — 29 surprendre, entrap. 3 GO TÉLÉMAQUE. LÏT. SL fequîète' lès marchands qu'il croit les plus opulents; il établit,* 80HS divers prétextes, de nouveaux impôts.* Il veut entrer lui- même dans le commerce,* et tout-le monde* craint d'avoir quelque affaire' avec lui. Ainsi le commerce languit; les étrangers 6 oublient peu-à-peu le chemin de Tyr, qui leur était autrefois si doux ; et si Pygmalion ne change de' conduite, notre gloire et notre puissance seront bientôt transportées® à quelque autre peuple mieux gouverné que nous. Je demandai ensuite à Narbal comment les Tyriens s'étaient 10 rendus si puissants sur la mer : car je voulais n'ignorer rien* de tout ce qiti sert au" gouvernement d'un royaume. Nous avons, me répondit-il, les forêts du Liban qui nous fournissent les bois" des vaisseaux ; et noos les réservons avec soin pour cet usage : 0^ n'en coupe jamais que pour les besoins publics. Pour la con- 15 structâon des vaisseaux, nous avons l'avantage d'avoir des ouvriers" habiles." Comment, lui disais-je, avez-vous pu faire" pour trouver ces ouvriers? Ils sô sont formés," répondit Narbal, peu-à-peu dans le pays. 20 Quand on récompense bien ceux qui excellent dans les arts, on \j est sûr d'avoir bientôt des hommes qui les mènent à" leur der- ' Bière" perfection; car les hommes qui ont le plus de sagesse et de talent ne manquent point de s'adonner" aux arts auxquels les grandes récompenses .«ont attachées. Ici on traite avec honneur S6 tous ceux qui réussissent" dans les arts et dans les sciences utiles à la navigation. On considère''" un bon géomètre; on estime fort''* un habile astronome ; on comble de biens'*'' un pilote qui surpasse les autres dans sa fonction :"* on ne méprise point"* un bon charpentier ; au contraire, il est bien payé et bien traité. 30 Les bons rameurs même ont des récompenses sûres et propor- tionnées à leurs services ; on les nourrit bien ; on a soin"* d'eux quand ils sont malades; en leur absence on a soin de leurs femmes et de leurs enfants ; s'ils périssent dans un naufrage, on 1 inquiète, troubles.— 2 établit, lays.—3 impôts, taxes. — i entrer— dans le commeroev to become a méritant. — 5 tout le monde, every one; M. L. 95. 6 %Sn\Te^ business.— 'J deyhis; M. L. 58, R. l. — 8 transportées, transftrred. 9 n'ignoiar rien, be ignorant qf noffiing. — 10 sert au, may be of use in the. 11 bois, timber. — 12 ouvriers, tcorkmen. — 13 habiles, akilful- — 14 pu faire, managed. — 16 Ise sont formés, became expert. — 16 les mènent à, carry them to. — 17 dernière, highest. — 18 s'adonner, to dévote themselves. — 19 réussissent, stKcted, excel.— 20 considère, value, respect.— 21 fort, highly. — 22 comble de biens, reward generously. — ^23 fonction, occupation.— ut/i ob iw mépriae point, we do not slight. — 25 on a soin, we take eare. lUT. m. TÉLÉUAQDK 61 dédommage' leur famille : on renvoie ch«i eux ceux qui ont servi un certain temps. Ainsi on en a autant qu'on en veut:'' le père est ravi d'élever' son fils dans un si bon métier ;* et, dès sa plus tendre jeunease, il ae hSrte de lui enseigner ^ manier' la rame, i tendre* les cordages,' et k mépriser les tempêtes. C'est ainsi qa'on mène S les hommes, sans contrainte,^ par la récompense et par le bon ordre. L'autorité seule ne fait jamais bien;' la Boumission des inférieurs ne suffit pas, il faut gagner les cœurs, et faire'° trouver aux hommes leur avantage dans les choses où l'on veut se servir de" leur indostrie. 10 Après ces discours, Narbal me mena'^ visiter tous tes magasins, les arsenaux, et tous les métiers qui servent à la construction des navires. Je demandais le détail des" moindres choses, et J'écrivais tout ce que j'avais appris, de peur" d'oublier quelque clrconsUnce utile. IS Cependant Narbal qui connaissait Pygmalion, et qui m'aimait, attendait" avec impatience mon départ, craignant, que je n^fusse" ■ découvert par les espions du roi, qui allaient" nuit et jour par toute la ville: mais les vents ne nous permettaient pas encore Se nous embarquer. Pendant que nous étions ocuupés à visiter 30 curieusement" le port, et à interroger divers" marchands, nous vîmes venir à nous un officier de Pygmalion, qui dit k Narbal:^ Le roi vient d'apprendre^' d'un des capitaines des vaisseau; qui sont revenus d'Egypte avec vous, que vous avez amené un étran- ger qui passe pour Cyprien: le roi veut qu'on l'arrête, et qu'on 25 sache" certainemeut de quel pays il est ; vous en répondrez sur"' votre tête. Dans ce moment je m'étais un peu éloigné" pour re- garder de plus près" les proportions que les Tyriena avaient gar- dées^' dans la construction d'un vaisseau presque neuf, qui était, disatt-on, par cette proportion si exacte de toutes ses parties, le 30 meilleur voilier"'qu'onent jamais vu dans le port; et j'interrogeais l'ouvrier qui avait réglé cette proportion. 1 ou dédommugG, T^sproEÙle for- — 2 qu'on en veut, as W£ teiah- — 3 d'Éle- ver, to pTNjare — 4 caétwr. occupation, trade- — 5 msainT, Tnamtse- — ^6 tondre, strelch, place.— 1 oorditges, rigging.S oontraiote, compuision.— 9 ne fsit jftmaiBbifln, niDertnuïeedt— rO fBire, iî(.— Il se tervii à», make-uatof; M. M. L. 44, R. e.— 13 je demonduB le dËtail le— 14 de peur, for fear.—\i attendait, ._ .,-- ^. _ , lot I migM bat M. I 127, 3, p. 440. 17 liaient, Tcrrt lurking.—lS onrleoMment, rioseiy,— 19 divers, svndry. 20 TÏBDt d'apprandra, has pat leamt ; M. L. 26, JE. 2.— 21 eaebe, Ua,m; from «amrir,— 22 sur, wiih—23 on peu éloigna, at a liitlt ^dietanct-^ïi ra- garder de pins près, examine more cloeely. — 25 gardées, obaefved. — 26 voilier, 52 TÉLÉMAQUE. LIT. m. Narbal, surpris et effrayé, répondit: Je vais chercher^ cet étranger qui est de Pile de Chypre. Mais quand il eut perdu de vue" cet oflScier, il courut vers moi pour m'avertir' du danger où j'étais : Je ne l'avais que trop prévu,* me dit-il, mon cher Télé- 5 maque ! nous sommes perdus l^ le roi, que sa défiance' tourmente jour et nuit, soupçonne^ que vous n'êtes pas de l'île de Chypre ; il ordonne qu'on vous arrête : il veut me faire périr si je ne vous mets® entre ses mains. Que ferons-nous? O dieux, donnez- nous la sagesse pour nous tirer* de ce péril. H faudra," Télé- 10 maque, que je vous mène au palais du roi. Vous soutiendrez" que vous êtes Cyprien, de la ville d'Amathonte, fils d'un statuaire de Vénus. Je déclarerai que j'ai connu autrefois votre père ; et peut-être que le roi, sans approfondir davantage," vous laissera partir. Je ne vois plus d'autres moyens de sauver votre vie et la lô mienne. Je répondis à Narbal : Laissez périr un malheureux que le des- tin veut perdre. Je sais mourir, Narbal, et je vous dois trop pour vous entraîner" dans mon malheur. Je ne puis me résoudre à mentir. Je ne suis point Cyprien ; et je ne saurais" dire que je \j^0 le" suis. Les dieux voient ma sincérité, c'est à" eux à conser- ver ma vie par leur puissance s'ils le veulent ; mais je ne veux point la sauver par un mensonge." Narbal me répondit : Ce mensonge, Télémaque, n'a rien qui ne soit innocent ; les dieux mêmes ne peuvent le condamner : il ne 25 fait" aucun mal à personne ;" il sauve la vie à deux innocents ; il ne trompe le roi, que pour l'empêcher de faire un grand crime. Vous poussez trop loin l'amour de la vertu et la crainte de blesser"" la religion. Il suffit,"^ lui-disais-je, que le mensonge soit mensonge, pour 30 ne pas être digne d'un homme qui parle en présence des dieux, et qui doit tout à la vérité. Celui qui blesse la vérité offense les dieux et se blesse soi-même, car il parle contre sa conscience. Cessez, Narbal, de me proposer ce qui est indigne de vous et de 1 chercher, seek, look for. — 2 eut perdu de vue, had loat sight of. — 3 aver- tir, to vram. — 4 prévu, Jbreseen ; front prévoir, ir. 3. M. p. 380. — 5 perdus, losty undone. — 6 défiance, mistrust. — 7 soupçonne, suspects. — 8 mets, aeliver ; from rtiettre^ ir- 4. M. p. 376. — 9 tirer, exùricate. — 10 il faudra, / Tmist^ it wUl be necessary; from falloir^ ir. 3. M. L. 48, alsop. 372. — 11 soutiendrez, wUl affirm; from soutenir, ir. 2. M. p. 386. — 12 approfondir davantage, any further inquiry. — 13 entraîner, involve. — 14 saurais, cannot. — 15 31. L. 46, R. 4. — 16 èi,for. — 17 mensonge, falsehood. — 18 fait — mal, injures; M. x# 63, R. 3. — 19 ne — personne, nobody ; M. L. 7, R. 7. — 20 blesser, to ofend. — 21 il suffit, it is sufficient. Lrv.m. TÉLÉUAQUE, 68 moi. Si les dieux ont pitié de noua, ila sauront bien' noua délivrer : s'ils veulent nous laisser périr, noua serons en monrant les tîc- times de la TËrité, et nous laisserons" aax hommes l'exemple de préférer la vertu sans tache' à une longnie vie : la mienne n'est déjà que* trop longue, étant ai malheureuse. C'est voua seul, 6 5 mon cher N&rbol, ponr qui mon cceur s'attendriL' Fallait-il' que votre amitié pour ua malheureux étranger vous fût bÏ funeste I Noua demeurâmes' long-temps dans cette espèce de combat;' mais enfin nous vimea arriver un homme qui courait hors d'ha- leine:' c'était un autre officier da roi, qui venait de la part'° 10 d'Astarbé. Cette femme était belle comme une déeaae ; elle joignait nuz charmea du corps tous ceux de l'esprit; elle était enjouée," flat- teuse, insinuante. Avec tant de charmes trompeurs elle avait, comme les Sirènes, un coeur cruel et plein de malignité : mais elle 10 savait cacher ses sentiments'" corrompus par un profond arti- fice." Elle avait su" gagner le cœur de Pygmalion par sa beauté, par son esprit, par sa douce voix, et par l'harmonie de sa lyre. Pygmalion, aveuglé par un violent amour pour elle, avait aban- donné la reine Topha, son épouse. Il ne songeait" qu'à eonten- 20 ter les passions de l'ambitieuse Astarbê : l'amour de cette femme ne lui était guère" moins funeate que aoa infime avarice. Mais quoiqu'il eût tant de passion pour elle, elle n'avait pour lui que du mépris et du dégoût: elle cachait ses vrais sentimenta; elle faJaait semblant" de ne vouloir vivre que pour lui, dans le t«mpa 9fi même où elle ne pouvait te soafirir." Il y avait" à Tyr un jeune Lydien, nommé Malachon, d'une merveilleuse beauté, mais mou,"° efféminé, noyé"' dans les plaisirs. Il ne songeait qu'à'" conserver la délicatesse de son teint," qu'à peigner ses cheveux blonds"* flottant"' sur ses épaules, qu'à ae 30 parfumer, qu'à donner un tour gracieux" aux plia" de sa robe, enfin qu'à chanter ses amours sur sa lyre. Astarbé le vit, elle tache, ujisullied. — 1 n'est déjà qne, is alreadi/ but. — 5 B'Kttendrît, gritva. 6 fallait-LI, wky should.—l demeurâmea, continuai.— S combat, amtaiiùm. 9 hors d'haleine, bTtathltse.—ld de la part de, /rom— 11 eojouie, chtfrfal. 12 sBatimeats, tkmighls. — 13 profond artifice, amsummatc art. — 14 su, aac- ceeded in ; from savoiT.—lb songeait, ttoug-W— 16 na— guère, butliUlc; M. t. 17, R. 5,— n faisait Bemblaot, pretendid; M. L. M, R. 4.— IB souffrir, endure, 6ear.— 19 il y ayait, there iras; M. 561-2, p. 355,-20 mon, mft. 31 noyé, im,merscd.—22 il ne songeait qu'à, Ais only stady uw«.— 23 teint, «rnipitrûni,— 24 ehaveui blonds,,rtïienfiûi>.— 25 flottant, irariTig-.— 26 don- ner un tour graoienx, gite a graccful nppeoronee.— 37 plia,/o(i(. 64 TÉLÉMAQUE. Liv. m. raiina, et en devint furieuse.* Il la méprisa, parcequ'il était pas- sionné' pour une autre femme. D'ailleurs il craignit'' de s'exposer à la cruelle jalousie, du roi. Astarbé, se sentant* méprisée, s'abandonna à son ressentiment. Dans son désespoir, elle s'ima- 6 gina qu'elle pouvait faire passer** Malachon pour l'étranger que le roi faisait chercher, et qu'on disait qui® était venu avec Narbal. En effet, elle le persuada à Pygmalion, et corrompit tous ceux qui auraient pu le détromper."' Comme il n'aimait point les hommes vertueux, et qu'il ne savait point les discerner,® il n'était 10 environné que de gens intéressés, artificieux,' prêts à exécuter ses ordres injustes et sanguinaires.*" De telles gens" craignaient ' l'autorité d'Astarbé, et ils lui aidaient à tromper le roi, de peur de déplaire à cette femme hautaine^" qui avait toute sa confiance. Ainsi Malachon, quoique connu pour Lydien dans toute la ville, 16 passa pour le jeune étranger que Narbal avait amené d'Egypte ; il fut mis en prison. Astarbé, qui craignait que*^ Narbal n'allât parler au roi et ne découvrît son imposture, envoya en diligence'* à Narbal cet offi- cier, qui lui dit ces paroles : Astarbé vous défend*' de découvrir 20 au roi quel est votre étranger; elle ne vous demande que le silence, et elle saura bien faire*' en sorte* '^ que le roi soit content de vous: cependant hâtez-vous de faire embarquer avec les Cypriens le jeune étranger que vous avez amené d'Egypte, afin qu'on ne le voie plus dans la ville. Narbal, ravi*® de pouvoir 26 ainsi sauver sa vie et la mienne, promit de se taire ;*• et l'officier, satisfait d'avoir obtenu ce qu'il demandait, s'en retourna rendre compte'" à Astarbé de sa commission.'* Narbal et moi nous admirâmes la bonté des dieux, qui récom- ^ pensaient notre sincérité," et qui ont un soin si touchant" de 30 ceux qui hasardent tout pour la vertu. Nous regardions avec horreur un roi livré à l'avarice et à la volupté. Celui qui craint avec tant d'excès d'être trompé, disions- nous, mérite de l'être, et l'est presque toujours grossièrement'* 1 furieuse, distracted. — 2 passionné, enamored. — 3 craignit, feared; from craindre^ ir. 4. M. p. 364. — 4 se sentant, feeling. — 5 faire passer, subsiUute. 6 qu'on disait qui, whOy it was said; M. L. 35, K. 1, 2. — 7 détromper, unde- ceive. — 8 discerner, distinguish. — 9 artificieux, ariful — 10 sanguinaires, bloody. — 11 de telles gens, sttcfi people; M. L. 95, R. 2. — 12 hautaine, over- hearing. — 13 cjue — n , lest. — 14 en diligence, hastily. — 15 défend, forhids. 16 elle saura bien faire, she icill contrive it. — 17 en sorte, so, in such a mari- ner. — 18 ravi, delighted. — 19 de se taire, to be sUent. — 20 rendre compte, to ?ive an account. — 21 commission, errand, mission. — 22 sincérité, inUgrity. 3 touchant, tender. — 24 grossièrement, grossly. Liv. m. TÉLÉMAQUE. 66 H se défie des gens de bien et s'abandonne* à des scélérats :* il * est le seul qui ignore ce qui se passe. Voyez Pygmalion ; il est le jouet d'une femme sans pudeur.* Cependant les dieux se ser- vent du* mensonge des méchants pour sauver les bons, qui aiment mieux* perdre la vie que de mentir. 5 En même temps nous aperçûmes que les vents changeaient, et qu'ils devenaient favorables* aux vaisseaux de Chypre. Les dieux se déclarent J s'écria Narbal ; ils veulent, mon cher Télémaque, vous mettre en sûreté :'' fuyez cette terre cruelle et maudite." Heureux qui pourrait vous suivre jusque* dans les rivages les 10 plus inconnus ! Heureux qui pourrait vivre et mourir avec vous ! Mais un destin sévère m'attache" à cette malheureuse patrie ; il faut souffrir avec elle : peuUêtiie faudra-t-il être enseveli dans ses ruines; n'importe," pour\'u que je dise toujours la vérité, et que \y/ mon cœur n'aime que la justice. Pour vous, ô mon cher Télé- 16 maque, je prie les dieux, qui vous conduisent comme" par la main, de vous accorder le plus précieux de tous les dons," qui est la vertu pure et sans tache, jusqu'à la mort Vivez,** retournez en Ithaque, consolez Pénélope, délivrez-la de ses téméraires amants. Que vos yeux puissent voir,** que vos mains puissent embrasser 20 le sage Ulysse ; et qu'il trouve en vous un fils qui égale sa sa- gesse l Mais dans votre bonheur souvenez-vous du malheureux Narbal, et ne cessez jamais de m'aimer. Quand il eut achevé ces paroles, je l'arrosai*** de mes larmes*' sans lui répondre : de profonds soupirs m'empêchaient de parler : 26 nous nous embrassions en silence. li me mena jusqu'au vaisseau ; il demeura sur le rivage ; et quand le vaisseau fut parti,*® nous ne cessions de nous regarder tandis que*" nous pûmes'^" nous voir. 1 g' abandonne, confides blmdly. — 2 scélérate, villains. — 3 sans pudeur, êhamdess. — 4 se servent du, employ the ; M. L. 39, R. 2. — 5 aiment mieux, 'DTtfer. — % favorables, fair. — 7 vous mettre en sûreté, prcycidefor your safety. 8 mandite, doomed. — 9 jusque, even. — 10 m'attache, binds me. — 11 n'im- F ortQi what Tnatters U, no Tnatter ; M. L. 94, R. 1. — 12 commet^ as U were. 3 dons, gifts. — 14 vivez, lite ; from vivre, ir. 4. — 15 que vos yeux puissent voir, may your eyes behold. — 16 arrosai, haihed. — 17 larmes, teara. — 18 fut parti, kad sailed. — 19 nous regarder tandis aue, to look at each other aa long SA. — 20 pûmes, coidd ; from poxwoir^ M. p. 380. FIN DU LIVRE TROISIÈME. LIVRE QUATRIÈME. Sommaire. — Calypso interrompt^ Télémaque pour le faireS reposer. Mentor le blâme en secret^ d'avoir entrepris^ le récit de ses aventures, et lui conseille de les achever^ puisqu'il les a commencées. Télémaque raconte que, pen- dant sa navigation depuis Tyr jusqu'en l'île de Chypre, il avait eu un 8onge< où il avait vu Vénus et Gupidon, contre qui Minerve le proté- geait ;7 qu'ensuite il avait cru voir^ aussi Mentor qui l'exhortait à fuir l'île de Chypre ; qu'à son réveil' une tempête aurait fait périr^o le vais- seau s'il n'eût pris lui-même le gouvernail," parceque les Cypriens, noyés dans" le vin, étaient hors d'état^s de le sauver; qu'à son arrivée dans l'île il avait vu^^ avec horreur les exemples leà plus contagieux ; mais que le Syrien Hazaël, dont Mentor était devenues l'esclave, se trouvant alors au même lieu,^^ lui avait rendu ce sage conducteur,^? et les avait embarqués dans son vaisseau pour les mener en Crète ; et que, dans ce trajet, ^^ ils avaient vu le beau spectacle d'Amphitrite traînée dans son char par des chevaux marins.*' Cai^tpso, qui avait été jusqu'à ce moment immobile et trans- portée de plaisir en écoutant les aventures de Télémaque, l'inter- rompit pour lui faire^® prendre quelque repos. H est temps, lui dit-elle, que vous alliez goûter'** la douceur du sommeil*'' après 6 tant de travaux.''* Vous n'avez rien à craindre ici : tout vous est favorable. Abandonnez-vous donc à la joie : goûtez la paix et tous les autres dons des dieux dont vous allez être comblé. De- main, quand l'aurore avec ses doigts de rose"* entr'ouvrira"* les portes dorées"' de l'Orient,"^ et que les chevaux du Soleil, sortant"® 1 interrompt, interrupts. — 2 pour le faire, to let hîm. — 3 en secret, privately. 4 entrepris, undertaken ; from entreprendre^ ir. 4. M. p. 370. — 5 achever, Jini8h.-—% songe, dream. — 7 protégeait, proteded. — 8 cru voir, fancied ht saw. — 9 à son réveil, when he awoke. — 10 fait périr, wrecked. — 11 gouver- nail, hdm. — 12 noyés dans, intoaricated with. — 13 hors d'état, unahle. — 14 vu, behdd. — 15 était devenu, had become. — 16 lieu, pla4;e. — 17 conducteur^ guide. 18 trajet, passage^ voyage, — 19 chevaux marins, sea horses. — 20 lui faire, to let him. — Zl alliez goûter, go and enjoy; M. L. 73, R. 1. — 22 sommeil, êleep. — 23 travaux, ^o/t^e*. — 24 de rose, rosy. — 25 entr' ouvrira, will open. 26 dorées, golden^ gilded.— 27 Orient, fasf..—2i^ sortant, emerging ; frvm wrHr, ir. 2. M. p. 386. * LIV. IV. TÉLÉMAQUP], 57 de l'onde amère/ répandront les flammes du jour pour chasser^ devant eux toutes les étoiles du ciel, nous reprendrons,' mon cher Télémaque, l'histoire de vos malheurs. Jamais votre père n'a égalé votre sagesse et votre courage : ni Achille, vainqueur d'Hec- tor, ni Thésée, revenu des enfers,* ni même le grand Alcide, qui 5 a purgé* la terre de tant de monstres, n'ont fait voir,' autant de force' et de vertu que vous. Je souhaite qu'un profond® sommeil vous rende cette nuit courte. Mais, hélas ! qu'elle sera longue pour moi ! qu'il me tardera' de vous revoir, de vous entendre, de vous faire redire^" ce que je sais déjà, et de vous demander ce que 10 je ne sais pas encore ! Allez, mon cher Télémaque, avec le sage Mentor que les dieux vous ont rendu," allez dans cette grotte écartée, où tout est préparé pour votre repos. Je prie Morphée de répandre ses plus doux charmes" sur vos paupières^' appesan- ties," de faire couler^? une vapeur divine dans tous vos membres^' 15 fatigués, et de vous envoyer des songes légers," qui, voltigeant*® autour de vous, flattent** vos sens par les images les plus riantes,^" et repoussent^* loin de vous tout ce qui pourrai t^^ vous réveiller trop promptement. La déesse conduisit elle-même Télémaque dans une grotte se- 20 parée de la sienne. Elle n'étaient ni moins rustique,^^ ni moins agréable. Une fontaine, qui coulait dans un coin, y faisait^* un doux murmure qui appelait'^* le sommeil. Les nymphes y avaient préparé deux lits d'une molle^** verdure,'*' sur lesquels elles avaient étendu^® deux grandes peaux,'** l'une de lion pour Télémaque, et 25 l'autre d'ours pour Mentor. Avant que de laisser^" fermer ses yeux au sommeil. Mentor parla ainsi à Télémaque : Le plaisir de raconter vos histoires vous a entraîné;'* vous avez charmé la déesse en lui expliquant''* les dangers dont votre courage et votre industrie vous ont tiré:" 30 par-là" vous n'avez fait'* qu'enflammer davantage son cœur, et que vous préparer une plus dangereuse captivité. Comment espérez- • 1 amère, bUter, hriny. — 2 chasser, drive. — 3 reprendrons, tciU resurnc. 4 enfers, infernal régions. — 5 purgé, J^recd. — 6 fait voir, exhïbited. — 7 force, courage, fortitude. — 8 profond, unbroken. — 9 cm' il nie tardera, how I shall long. — 10 redire, repeat. — 11 rendu, restored. — 1!3 charmes, influence. — 13 pau- Îières, eyelids. — 14 appesanties, weary, heavy. — 15 faire couler, diffuse. 6 membres, limbs. — 17 légers, light. — 18 voltigeant, hovering.— 19 flattent, hUl, sootke. — 20 riantes, smiling. — 21 repoussent, remove. — 22 pourrait, might; Jrom pouvoir. — 23 moins rustique, less rural. — 24 faisait, produced. — 25 ap- pelait, invited. — 26 molle, soft. — 27 verdure, j^ro^s, green leaves. — 28 étendu, «jreorf.— 29 peaux, slàns; M.L.l\,R. 3.— 30 de laisser, sufering, alîowing. 31 entraîné, allured.^32 expliquant, detaUing.—33 tiré, Jreed.—M par-la, thereby. — 35 n'avez fait que, you hâve merely. o 58 TÉLÊMAQUE. Liv. IV. vous qu'elle vous laisse maintenant sortir* de son île, vous qui l'avez enchantée par le récit de vos aventures ? L'amour d'une \/ vaine'' gloire vous a fait^ parler sans prudence. Elle s'était en- gagée* à vous raconter des histoires, et à vous apprendre"* quelle 6 a été la destinée d'Ulysse ; elle a trouvé moyen' de parler long- temps sans rien dire ; et elle vous a engagé à lui expliquer tout ce qu'elle désire savoir : tel est l'art des femmes flatteuses et pas- sionnées."' Quand est-ce,® ô Télémaque, que vous serez assez sage pour ne jamais parler par vanité ; et que vous saurez taire" tout 10 ce qui vous est avantageux quand il n'est pas utile à dire? Les autres admirent votre sagesse dans un âge où il est pardonnable d'en manquer?*" pour moi, je ne puis vous pardonner rien ; je suis le seul qui vous connaisse, et qui vous aime assez pour vous avertir" de toutes vos fautes. Combien êtes-vous encore éloi- 16 gné*'' de la sagesse de votre père ! Quoi donc!^' répondit Télémaque, pouvais-je** refuser à Ca- lypso de lui raconter mes malheurs ? Non, reprit Mentor, il fal- lait" les lui raconter: mais vous deviez le faire en ne lui disant que ce qui pouvait lui donner de la** compassion. Vous pouviez 20 lui dire que vous aviez été, tantôt" errant, tantôt captif en Sicile, puis*® en Egypte. C'était lui dire assez : et tout le reste n'a servi*' qu'à augmenter le poison qui brûle^° déjà dans son cœur. Plaise aux dieux^* que le vôtre puisse s'en'*'* préserver. ^Mais que ferai-je donc? continua Télémaque d'un ton modéré 25 et docile. Il n'est plus temps,''* répartit Mentor, de lui cacher ce qui reste de vos aventures : elle en sait assez pour ne pouvoir être trompée sur ce qu'elle ne sait pas encore ; votre réserve ne servirait qu'à l'irriter. Achevez''* donc demain de lui raconter tout ce que les dieux ont fait en votre faveur, et apprenez une 30 autre fois à parler plus sobrement"* de tout ce qui peut vous atti- rer"' quelque louange."' Télémaque reçut avec amitié"® un si bon conseil; et ils se couchèrent."" 1 sortir, départ. — 2 vaine, idle. — 3 fait, induced. — 4 s'était engagée, fiad pr(xmisedi M. L. 45, R. 2. — 5 apprendre, inform. — 6 moyen, means. — 7 pas- sionnées, enamored. — 8 quand est-ce — que, when ; M. L. 25, R. 4. — 9 taire, conceal. — 10 d'en manquer, to want it. — il avertir, icam^ tell. — 12 éloigné, far^ remote. — 13 quoi aonc, how. — 14 pouvais-je, could L — 15 il fallait, you shoidd. — 16 donner de la, inspire her with. — 17 tantôt, sometimes. — 18 puis, ffien. — 19 servi, tended. — 20 brûle, bums, — 21 plaise aux dieux, the gods grant ; from plaire, ir. 4. M. p. 378. — 22 en^from it. — 23 n'est plus temps, too îate. — 24 achevez, conclude. — 25 plus sobrement, with more reserve. 26 vous attirer, hring you. — 27 louange, praise. — 28 avec amitié, kindly. 29 se couchèrent, retirée; M. L. 37, R. 5. MV. IT. TBLÉMAQUE. Ç9 Aussitôt que Phêbus eut répandu^ ses premiers rayons sur la terre, Mentor, entendant la voix de la déesse qui appelait ses nymphes dans le bois, éveilla'* Télémaque. Il est temps, lui dit-il, de vaincre' le sommeil. Allons retrouver* Calypso : mais défiez- vous de' ses douées paroles : ne lui ouvrez jamais votre cœur ; 5 craignez le poison flatteur' de ses louanges. Hier elle vous éle- vait^ au-dessus® de votre sage père, de l'invincible Achille, du fa- meux Thésée, d'Hercule devenu' immortel. Sentîtes-vous** com- bien cette louange est excessive ? Crûtes-vous" ce qu'elle disait ? Sachez qu'elle ne le croit pas elle-même : elle ne vous loue qu'à 10 cause^^ qu'elle vous croit faible et assez vain pour vous laisser \/ tromper^* par des louanges disproportionnées à vos actions. Après ces paroles, ils allèrent au lieu où la déesse les attendait." Elle sourit en les voyant, et cacha, sous une apparence de joie, la crainte et l'inquiétude qui troublaient son cœur; car elle pré- 15 voyait" que Télémaque, conduit par Mentor, lui échapperait" de même" qu'Ulysse. Hâtez-vous, dit-elle, mon cher Télémaque, de satisfaire ma curiosité ; j'ai cru,^® pendant toute la nuit, vous vonr partir de Phénicie et chercher une nouvelle destinée dans l'île de Chypre : dites-nous donc quel fut ce voyage, et ne perdons pas 20 un moment Alors on s'assit^* sur l'herbe, semée^" de violettes, à l'ombre"* d'un bocage'*'* épais.'*® Calypso ne pouvait s'empêcher'** de jeter sans cesse des re- gards'** tendres et passionnés'** sur Télémaque, et de voir avec indignation que Mentor observait jusqu'au moindre'*^ mouvement 25 de ses yeux. Cependant"® toutes les nymphes en silence se pen- chaienf*' pour prêter l'oreille,^" et faisaient^* une espèce de demi- cercle'" pour mieux écouter et pour mieux voir : les yeux de toute l'assemblée étaient immobiles et attachés'' sur le jeune homme. Télémaque, baissant les yeux'* et rougissant'* avec beaucoup 30 de grâce, reprit'® ainsi la suite" de son histoire : 1 répandu, shed. — 2 éveilla, atcakened. — 3 vaincre, overcome. — 4 allons re- trouver, let us retum to. — 5 défiez-vous de, mistrust. — 6 flatteur, insinucUing. 7 élevait, extoUed. — 8 au-dessus de, above. — 9 devenu, become. — 10 sentîtes- vous, did you Jeel. — 11 crû tes- vous, did you believe; Jrom croire. — 12 à cause, becattse. — 13 laisser tromper, beimposed upon. — 14 attendait, awaited. 15 prévoyait, foresaw. — 16 lui échapperait, wauld élude her toils. — 17 de même qu', liJce. — 18 cru, believedyfancied. — 19 s'assit, sot down; from s^as- seoir^ ir. 3. M. p. 358. — 20 semée, intermingled.— 21 à l'ombre, in the shade. 22 bocage, grave.— 23 épais, thick.—24 s'empêcher, refrain; M. i. 93, R. 4. 25 regards, glances. — 26 passionnés, impassùmed. — 27 jusqu'au moindre, the moat trijling. — 28 cependant, meanwhile. — 29 se penchaient, leaned Jbrward. 30 prêter roreille, give an attentive ear.— 31 faisaient, formed; from faire. 32 demi-cercle, semtcirde.— 33 attachés. ^cd.— 34 baissant les yeux, looking dotm. — 35 rougissant, blushing. — 36 reprit, resumed. — 37 suite, contimiatiorif thread. 60 TÉLÉMAQUE. LIV. IV. A peine le doux souffle* d'un vent favorable avait rempli nos voiles, que la terre de Phénicie disparut à nos- yeux. Comme j'étais avec les Cypriens, donf* j'ignorais* les mœurs, je résolus de me taire, de remarquer tout, et d'observer toutes les règles de la 6 discrétion pour gagner leur estime. Mais pendant mon silence un sommeil doux et puissant vint me saisir: mes sens étaient liés* et suspendus ; je goûtais** une paix et une joie profonde qui enivrait mon cœur. Tout-à-coup" je crus voir Vénus qui fendait^ les nues dans 10 son char volant® conduit par deux colombes. Elle avait cette éclatante beauté, cette vive jeunesse, ces grâces tendres, qui pa^ rurent en elle quand elle sortit de l'écume® de l'océan et qu'elle éblouit*** les yeux de Jupiter même. Elle descendit d'un voP* rapide jusqu'auprès de moi, me mit en souriant** la main sur 16 l'épaule,*' et, me nommant** par mon nom, prononça ces paroles : Jeune Grec, tu vas*^ entrer dans mon empire ; tu arriveras bientôt dans cette île fortunée*** oh les plaisirs, les ris,*^ les jeux folâtres,*® naissent*® sous mes pas.'^° Là, tu brûleras des parfums sur mes autels ; là, je te plongerai dans un fleuve''* de délices.'*'* Ouvre 20 ton cœur aux plus douces espérances ; et garde-toi bien''' de ré- sister à la plus puissante'^* de toutes les déesses, qui veut te rendre heureux. En même temps j'aperçus l'enfant Cupidon, dont"^ les petites ailes"® s'agitanf' le faisaienf*® voler autour"® de sa mère. Quoi- 25 qu'il eût sur son visage la tendresse,'" les grâces, l'enjouement'* de l'enfance, il avait je ne sais quoi'" dans ses yeux perçants qui me faisait peur." Il riait en me regardant: son ris était malin,'* moqueur,'* et cruel. Il tira de son carquois'" d'or la plus aiguë'^ de ses flèches, il banda son arc,'® et allait'® me percer, quand 30 Minerve se montra*" soudainement pour me couvrir de son égide. Le visage de cette déesse n'avait point cette beauté molle et 1 souffle, bteath. — 2 dont, of whose. — 3 j'ignorais, I was ignorant. — 4 liés, bound. — 5 goûtais, enjoyed.—-6 tout-à-coup, suddenly. — 7 qui fendait, eut- ting. — 8 volant, Jlying. — 9 écume, foam. — 10 éblouit, dazzled. — 11 vol, jlight. — 12 souriant, smiling. — 13 épaule, shmdder. — 14 nommant, calling. 15 tu vas, thou art ahout; M. L. 26, R. 1. — 16 fortunée, happy. — 17 ris, «ni/es.— 18 les jeux folâtres, light sports. — 19 naissent, spring up; from naître^ ir. 4. M. p. 376. — 20 pas, steps. — 21 fleuve, stream. — 22 délices, pleasures. — 23 garde-toi bien, beware lest thou. — 24 puissante, powerful. 25 dont, whose; M. L. 31, R. 8.--26 aîles, wings.-'27 s' agitant, Jiuttering. 28 le faisaient, aUowed him to. — 29 voler autour, hover around. — 30 ten- dresse, fondness. — 31 l'enjouement, the sprightliness. — 32 je ne sais quoi, I know not what — 33 me faisait peur, intimidated me. — 34 malin, artfM, cun- ning.—35 moqueur, scomful.—36 carquois, guiver.^37 aiguë, sharp.— 33 arc, oow. — 39 allait, was abaid to.—40 se montra, appeared. la ^ UV.IV. TéLBMAQDE. 61 cette langueur passionnée qne j'avais remurquéea daDs ie visage et dans la posture' de Vénns, C'était au contraire une beauté sim- ple, négligée,' modeste : tout était grave, vigoureux,' noble, plein de force et de majesté. Ut fièche de Cupidon, ne pouvant percer l'égide, tomba par-terre.' Cupîdon, indigné, en soupira amère- 6 ment; il eut honte de se voir vaincu. Loin d'ici,° s'écria Minerve, loin d'ici, téméraire en&ntl tu ne vaincras jamais que des âmes lâches, qui aiment mieux tes honteux plaisirs que la sagesse, A ces mots l'Amour irrité s'envola;' et Vénus remontant vers l'Olympe, je vis long-temps son char avec ses deux colombes dans une nuée d'or et d'azur; pnis elle disparut. En baissant' mes yeux vers la terre, je ne retrouvai plus' Minerve. Il me sembla' que j'étais transporté dans un jardin délicieux, tel qu'on dépeint" les Champs Élysées. En ce lieu je reconnus" Mentor, qui me dit: Fuyez'" cette cruelle terre, cette ile empes- tée," où l'on ne respire" que la volupté. La vertu la plus coura- geuse y doit" trembler, et ne se peut sauver qu'en fuyant." Dès que je le vis je voulus" me jeter à. son cou" pour l'embrasser; mais je sentais que mes pieda ne pouvaient" se mouvoir, que mes genoux se dérobaient" sous moi, et que mes mains, s'efforçant" de saisir"' Mentor, cherchaient une ombre" vaine qui m'échappait toujours. Dans cet effort je m'éveillai;" et je connus que ce songe" mystérieux était un avertissement"' divin. Je me sentis plein de couroge contre les plaisirs, et de défiance" contre moi- même pour détester la vie molle" des Cypriens. Mais ce qui me perça le cœur"' fut que je crus que Mentor avait perdu la" vie, et qu'ayant passé les ondes du Styx il habitait l'heurenx séjour" des âmes justes. Cette pensée me fit répandre'" nn torrent de larmes. On me demanda pourquoi je pleurais. Les larmes, répondis-je, ne con- viennent" que trop à un malheureux étranger qui erre sans espé- — 2 D^glîeée, iinafectril- — 3 TigonrenT, manly, — 4 par- attitude- — grmind. — . __ __ , _ _ , from. dépeindre. — 11 reconniu, recogniied- — _, ._^ hee/rom! /rom fuir, M. p. 372.— 13 empeste*, infected.~-li reepire, iriaVus, — 15 doit, ahmdd, mitï/.— 16 en fuyant, 6y fiigM. — lï voulus, ai- sonS.— 21 s'efforçimt, smleoror»,— 23 saiiir. gTaap.—23 ombre, shadmc. 34 jeœ'ÉïBillai, /aaoie; M. L. 39, Jf. 6,— 35 songe, rfrsam —26 ftverliaaa- ment, ■aoming.—21 dÉflBnce, diffidence,— 28 mollo, eg-tminate.—29 le cœur, to Oie A*ort,— 30 Ses M. S 77, (9), p. 404.— 31 séjour, otodf,- 32 répandre, ihed.—33 eoUTiennont, suit. 62 TBLÉMAQUE. Liv. iv. rance de revoir sa patrie. Cependant tous les Cypriena qui étaient dans le vaisseau s'abandonnaient à une folle^ joie. Les rameurs, ennemis^ du travail, s'endormaient* sur leurs rames; le pilote, couronné de fleurs, lassait le gouvernail, et tenait en sa 5 main une grande cruche* de vin qu'il avait presque vidée ;* lui et tous les autres, troublés' par la fureur de Bacchus, chantaient à l'honneur de Vénus et de Cupidon des vers qui devaienf^ faire horreur à tous ceux qui aiment la vertu. Pendant qu'ils oubliaient ainsi les dangers de la mer, une sou- 10 daine tempête troubla le ciel et la mer. Les vents déchaînés** mugissaient" avec fureur dans les voiles ;" les ondes noires bat- taient" les flancs du navire, qui gémissait" sous leurs coups." Tantôt" nous montions sur le dos" des vagues enflées, tantôt" la mer semblait se dérober" sous le navire et nous précipiter dans 16 l'abîme. Nous apercevions auprès de nous des rochers contre lesquels les flots" irrités se brisaient^" avec un bruit horrible. Alors je compris*" par expérience ce que j'avais souvent ouï dire à Mentor,** que les hommes mous et abandonnés au plaisir man- V quent de*" courage -dans les dangers. Tous nos Cypriens abat- 20 tus*' pleuraient** comme des femmes ; je n'entendais que des cris pitoyables, que des regrets sur les délices de la vie, que de vaines promesses-* aux dieux pour** leur faire des sacrifices si on pou- vait arriver au*' port. Personne ne conservait*® assez de pré- sence d'esprit, ni pour ordonner les manœuvres,** ni pour les S5 faire. Il me parut que je devais, en sauvant ma vie, sauver celle des autres. Je pris le gouvernail en main, parceque le pilote, troublé*" par le vin comme une Bacchante, était hors d'état** de connaître le danger du vaisseau: j'encourageai les matelots effrayés ;** je leur fis** abaisser** les voiles ; ils ramèrent vigou- 30 reusement: nous passâmes au travers** des écueils, et nous vîmes*' de près" toutes les horreurs de la mort. 1 toWe, foolishi M. § 16, (7), p. 295. — 2 ennemis, averse. — 3 s'endormaient, fell asleep ; M. L. 39, R. 5. — 4 oruche, pitcher. — 5 vidée, emptied. — 6 trou- blés, agUated. — 7 devaient, must, — 8 déchainés, unchained^ let loose. — 9 mu- gissaient, bellowed. — 10 voiles, sails. — 11 battaient, lashed. — 12 gémissait, Îroaned. — 13 coups, strokes. — 14 tantOt, at times. — 15 dos, ridge^ bock. 6 tantôt, at others. — 17 se dérober, to sink, disappear. — 18 flots, wave». 19 se brisaient, dashed. — 20 compris, understood ; Jrom comprendre, ir. 4. M. p. 362. — 21 ouï dire à Mentor, heard Mentor say. — 22 manquent de, lack. 23 abattus, dejected. — 24 pleuraient, wept* — 25 promesses, vows. — 26 pour, to. — 27 arriver au, reach. — 28 conservait, preserved. — 29 manœuvres, work- ingqfthe ship. — 30 troublé, inebriated. — 31 hors d'état, unable. — 32 effrayés, qffrighted. — 33 leur fis, ordered them. — 34 abaisser^ to take doum. — 35 au travers, between. — 36 vîmes, beheld, saw ; front voir. — 37 de près, closely. UV. IV. TÉLÉMAQUE. 68 Cette aventure parut comme un songe à tous ceux qui me de- vaient^ la conservation de leur vie ; ils me regardaient avec étonne- ment. Nous arrivâmes en l'île de Chypre au mois du prin- temps qui est consacré à Vénus. Cette saison, disaient les Cypriens, convienf* à cette déesse ; car elle semble animer toute 6 la nature, et &ire naître^ les plaisirs comme les fleurs. En arrivant dans l'île, je sentis un air doux qui rendait les corps lâches^ et paresseux,*^ mais qui inspirait ime humeur enjouée et folâtre. Je remarquai que la campagne, naturellement fertile et agréable, était presque inculte, tant les habitants étaient ennemis 10 du*^ travail. Je vis de tous côtés des femmes et de jeunes filles vainement' parées® qui allaient, en chantant les louanges de Vénus, se dévouer" à son temple. La beauté, les grâces, la joie, les plaisirs, éclataient" également sur leurs visages, mais les grâces y étaient affectées. On n'y voyait point une noble simplicité et 16 une pudeur^* aimable, qui fait" le plus grande charme de la beauté. ' \y L'air^' de mollesse,^* l'art de composer leurs visages,^^ leur parure" vaine, leur démarche" languissante, leurs regards^® qui semblaient chercher ceux des hommes, leur jalousie entre elles pour allumer*" de grandes passions, en un mot, tout ce que je voyais dans ces 20 femmes me semblait vil et méprisable:''^ à force de vouloir plaire elles me dégoûtaient.''* On me conduisit au temple de la déesse ; elle en a plusieurs dans cette île ; car elle est particulièrement adorée'''' à Cythère, à Ida^ lie, et à Paphos. C'est à Cythère que je fus conduit. Le temple 26 est tout de marbre ; c'est un parfait péristyle : les colonnes sont d'une grosseur"' et d'une hauteur'** qui rendent cet édifice très majestueux: au-dessus de"* l'architrave et de la frise"* sont à chaque face"' de grands frontons,"® où l'on voit en bas-relief" toutes les plus agréables aventures de la déesse. A la porte du 30 temple est sans cesse une foule*" de peuples qui viennent faire leurs offrandes.** 1 me devaient, wtrt indebted to me for. — 2 convient, suUs^ belongs to. 3 faire naître, to give hirth to.—4 lâches, slotkful. — 5 paresseux, inacHve. 6 ennemis du, averse to. — 7 vainement, frivolously. — 8 parées, adorned^ dressed. — 9 se dévouer, to dedicate tkemselves. — 10 éclataient, sparkled. — 1 1 pu- deur, modesty. — 12 fait, constitutes. — 13 air, appearance. — 14 mollesse, effem- inacy. — 15 l'art de composer leurs visages, the studied look. — 16 parure, attire. — 17 démarche, carriage, gait. — 18 regards, glances. — 19 allumer, kindle. — 20 méprisable, despicable. — 21 me dégoûtaient, excited my dislike. 22 adorée, worshipped. — 23 grosseur, size.-^24 hauteur, height. — 25 au-dessus de, above. — 26 frise, /riczô. — 27 face, fr(mt. — 28 frontons, pediments. — 29 bas- relief, bas-relief j basso-relievo. — 30 foule, crowd. — 31 offrandes, oferings. 64 TBLÉMAQtJE. LIV. IV. On n'égorge' jamais, dans l'enceinte^ du lieu sacré, aucune vic- time ; on n'y brûle point, comme ailleurs, la graisse des génisses' et des taureaux ;* on n'y répand* jamais leur sang : on présente seulement devant l'autel les bêtes* qu'on offre ; et on n'en peut' 6 offrir aucune qui ne soit® jeune, blanche, sans défaut* et sans tache :" on les couvre de bandelettes" de pourpre brodées d'or : leurs cornes sont dorées et ornées de bouquets" de fleurs odori- férantes. Après qu'elles ont été présentées devant l'autel, on les renvoie" dans un lieu écarté," où elles sont égorgées" pour les 10 festins" des prêtres de la déesse. On offre aussi toutes sortes de liqueurs parfumées et du vin plus doux que le nectar. Les prêtres sont revêtus de" longues robes blanches avec des ceintures d'or et des franges de même" au bas" de leurs robes. On brûle nuit et jour sur les autels 16 les parfums les plus exquis de l'Orient,^ et ils''" forment une es- pèce de nuage'** qui monte vers'*'* le ciel. Toutes les colonnes du temple sont ornées de festons pendants f^ tous les vases qui servent au'** sacrifice sont d'or ; un bois'** sacré de myrtes envi- ronne le bâtiment."' Il n'y a que''' de jeunes garçons et de 20 jeunes filles d'une rare beauté qui puissenf*® présenter les victimes aux prêtres et qui osent allumer le feu des autels. Mais l'impu- dence"* et la dissolution"* déshonorent un temple si magnifique. D'abord, j'eus horreur de tout ce que je voyais : mais insensi- blement je commençais à m'y accoutumer. Le vice ne m'effrayait 25 plus ; toutes les compagnies m'inspiraient je ne sais quelle incli- nation pour le désordre :'* on se moquait de'" mon innocence; ma retenue" et ma pudeur"* servaient de jouet" à ces peuples effrontés."" On n'oubliait rien pour exciter toutes mes passions, \y pour me tendre des pièges,"' et pour réveiller"® en moi le goût 30 des plaisirs. Je me sentais affaiblir tous les jours ;"" la bonne 1 égorge, slofi/. — 2 enceinte, precincts^ enclosure. — 3 génisses, hcifers. 4 taureaux, buUs. — 5 répand, shed, spiU. — 6 bêtes, animais. — 7 peut, can; front pouvoir. — 8 aucune qui ne soit, none that is not. — 9 défaut, defcct. 10 tache, bleinish. — 11 bandelettes, Jillets. — 12 bouquets, nosegays, huvchcs. 13 on les renvoie, ihey are sent bacK. — 14 écarté, retired, remote. — 15 éf^or- gées, slain. — 16 festins, banquets. — 17 revêtus de, clad inj from revêtir^ ir. 2. M. p. 384. — 18 do même, qf the same material. — 19 au bas, at the hottom. 20 ils, thèse. — 21 nuage, cloud. — 22 monte vers, ascends towards. — 23 î^cn- dants, hanging. — 24 servent au, are used in. — 25 bois, wood, grave. — 26 bâti- ment, édifice. — 27 il n'y a que, none but. — 28 puissent, may. — 29 impudence, immodesty. — 30 dissolution, dissohUeness. — 31 désordre, immorality. — 32 hq moquait de, derided. — 33 retenue, reserve. — 34 pudeur, modesty. — 35 de jouet, as a sport. — 36 eflFrontés, sh/imeless. — 37 pièges, snares. — 38 ré voilier. awake. — 39 tous les jours, daily. LIV. IV. TÉLÉMAQUE. 66 éducation que j'avais reçue ne me soutenait presque plus ; tontes mes bonnes résolutions s'évanouissaient.^ Je ne me sentais plus la force de résister au mal qui me pressait de tous côtés ; j'avais même une mauvaise'* honte' de la vertu. J'étais comme un homme qui nage* dans une rivière profonde et rapide : d'abord il fend* les 6 eaux et remonte contre le torrent ; mais si les bords" sont escar- pés,^ et s'il ne peut se reposer sur le rivage, il se lasse^ enfin peu- à-peu, sa force l'abandonne, ses membres épuisés' s'engour- dissent^" et le cours du fleuve l'entraîne." Ainsi mes yeux commençaient à s'obscurcir, mon cœur tombait 10 en défaillance :" je ne pouvais plus rappeler^' ni ma raison ni le souvenir des vertus de mon père. Le songe où je croyais avoir vu le sage Mentor descendu aux Champs Élysées, achevait de" me décourager: une secrète et douce langueur s'emparait de moi." J'aimais^" déjà le poison flatteur qui se glissait" de veine 15 en veine, et qui pénétrait jusqu'à la moelle^® de mes os." Je poussais^" néanmoins encore de profonds soupirs; je versais" des larmes amères ; je rugissais*^ comme un lion, dans ma fureur. O malheureuse jeunesse, disiiis-je : O dieux, qui vous jouez cruelle- ment des hommes, pourquoi les ftiitcs-vous'' passer par^* cet âge, 20 qui est un temps de folie et de fièvre ardente?^* Oh! que ne suis-je couvert de cheveux blancs, courbé"*' et proche du*' tombeau, comme Laërte, mon aïeul !^^ La mort me serait plus douce que V la faiblesse honteuse où je me vois. A peine avais-je ainsi parlé, que ma douleur s'adoucissait,'** et 26 que mon cœur, enivré^" d'une folle passion, secouait^^ presque toute pudeur f^ puis je me voyais replongé dans un abîme de re- mords. Pendant ce trouble, je courais errant ça et là dans le sacré bocage, semblable à une biche'^ qu'un chasseur a blessée :" elle court au travers des vastes forêts pour soulager sa douleur; 30 mais la flèche qui l'a percée dans le flanc la suit partout f^ elle 1 s'évanouissaient, vanislied. — 2 mauvaise, false. — 3 honte, shame. — 4 qui nage, awimming. — 5 fend, parts, divides. — 6 bords, banks. — 7 escarpés, steep. — 8 se lasse, becomes iceai'y. — 9 épuisés, exhausted. — 10 s'engourdissent, become stiff". — 11 l'entraîne, car ries him. — 12 tombait en défaillance, ^aiTi^cd, Jailed. — 13 rappeler, recall. — 14 achevait de, Jinished to. — 15 s'emparait de moi, gaîned possession of me. — 16 j'aimais, 1 cherished. — 17 se glissait, glided. — 18 moelle, marrow. — 19 o?, bones. — 20 poussais, fetched. — 21 ver- sais, shed. — 22 rugissais, roared. — 23 les faites-vous, do you compel them to. 24 par, through. — 25 ardente, buming. — 26 courbé, berit dovm. — 27 proche du, close to, on the brink of, — 28 aïeul, grand father. — 29 s'adoucissait, was allevicUed. — 30 enivré, intoxicated. — 31 secouait, sJiook qff'. — 32 pudeur, mod' esty. — 33 biche, hind. — 34 blessée, wounded. — 35 la suit partout, foUows fur evcTywhere ; from suivre, ir. 4. M. p. 3R6. 06 TÉLÉMAQUE. Liv. rv. porte* par-tout avec elle le traitf* meurtrier.* Ainsi je courais en vain pour m'oublier* moi-même; et rien n'adoucissait* la plaie* \y de mon cœur. En ce moment j'aperçus assez loin^ de moi, dans l'ombre 6 épaisse® de ce bois, la figure du sage Mentor : mais son visage me parut si pâle, si triste* et si austère, que je ne pus*" en ressen- tir" aucune joie. Estrce donc vous, m'écriai-je, 6 mon cher ami, mon unique^" espérance? est-ce vous? quoi donc! est-ce vous- même? une image trompeuse" ne vient-elle pas abuser" mes 10 yeux? est-ce vous. Mentor? n'est ce point votre ombre encore sensible à mes maux ?" n'êtes-vous point au rang^' des âmes heureuses qui jouissent de" leur vertu, et à qui les dieux donnent des plaisirs purs dans une éternelle paix aux Champs Élysées ? Parlez, Mentor, vivez- vous encore V^ Suis-je assez heureux pour 16 vous posséder? ou bien^" n'est ce qu'une ombre'*" de mon ami? En disant ces paroles je courais vers lui, tout transporté, jusqu'à perdre la respiration -^^ il m'attendait^'' tranquillement sans faire^* un pas vers'** moL O dieux, vous le savez, quelle fut ma joie quand je sentis que mes mains le touchaient ! Non, ce n'est pas 20 une vaine''* ombre ! je le tiens, je l'embrasse, mon cher Mentor ! C'est ainsi que je m'écriai. J'arrosai" son visage d'un torrent''' de larmes; je demeurai''® attaché à son cou"' sans pouvoir par- ler. Il me regardait tristement avec des yeux pleins d'une tendre compassion. 26 Enfin je lui dis : Hélas! d'où*° venez-vous? en quels dangers ne m'avez-vous point laissé pendant votre absence ! et que ferais- je maintenant sans vous? Mais sans répondre à mes questions: Fuyez ! me dit-il d'un ton terrible ; fuyez ?" hâtez-vous de fuir ! \ y Ici la terre ne porte pour fruit que'*" du poison: l'air qu'on res- 30 pire''' est empesté f*' les hommes, contagieux, ne se parlent que*' pour se communiquer un venin mortel.'* La volupté lâche** et l porte, t>ear«, carrics. — 2 trait, arrow. — 3 meurtrier, mttrdcroiw.— 4 ou- hWer y forg et, escapefrom. — 5 adoucissait, alleviàted, — 6 plaie, wound. — 7 as- sez loin, at some distance. — 8 épaisse, dense. — 9 triste, sad. — 10 je ne pus, 1 could not; M. § 138, (2). — 11 ressentir, feel; ir. 2. — 12 unique, ordy. 13 trompeuse, deceitful; M. § 16, (5), Ist. p. 294. — 14 abuser, to delvde. 15 maux, sitferings; sing. mal. — 16 au rang, in the numher. — 17 jouissent de, enjoy the reward of. — 18 vivez- vous encore, are you yet olive. — 19 ou bien, or. — 20 ombre, shade. — 21 respiration, breath. — 22 m'attendait, awaited me. 23 faire, coming, taking. — 24 vers, toward. — 25 vaine, empty. — 26 arrosai, bathed. — 27 torrent, Jtood. — 28 demeurais, remained. — 29 cou, neck. — 30 d'où, whence. — 31 fuyez, Jlee; from fuir. — 32 ne — que, only. — 33 respire, breaihe. — 34 empesté, pestileTitialy poisorud. — 35 venm mortel, deadly venom. 36 lâche, coicardly. UV.tV. TÉLÉMAQUB. 67 infâme, qui est le plus horrible des maux sortis* de la boîte* de Pandore, amollit* les cœurs, et ne souffre ici aucune vertu. Fuyez I que tardez-vous ?* ne regardez* pas même derrière vous en fuyant ;• effacez jusques au moindre^ souvenir* de cette île exécrable. Il dit, et aussitôt je sentis comme un nuage épais qui se dissi- 5 pait sur* mes yeux et qui me laissait voir la pure lumière : une joie douce et pleine d'un ferme courage renaissait" dans mon cœur. Cette joie était bien différente de cette autre joie molle et folâtre dont mes sens avaient d*abord été empoisonnés : l'une est une joie d'ivresse" et de trouble, qui est entrecoupée^' de passions 10 furieuses et de cuisants** remords : l'autre est une joie de raison, \/ qui a quelque chose de bienheureux et de céleste : elle est tou- jours' pure et égale, rien ne peut l'épuiser,** plus" on s'y plonge, plus qWq est douce; elle ravit*" l'âme sans la troubler. Alors je versai des larmes de joie, et je trouvais que rien n'était si doux 16 que de pleurer ainsi." O heureux, disais-je, les hommes à qui la vertu se montre" dans toute sa beauté! peut-on la voir sans l'aimer ! peut-on l'aimer sans être heureux ! Mentor me dit : Il faut que je vous quitte :** je pars dans ce mo- ment : il ne m'est pas permis de m'arrêter.^" Où allez-vous donc ? 20 lui répondis-je : en quelle terre inhabitable''* ne vous suivrai-je point? ne croyez pas pouvoir m'échapper; je mourrai" plutôt** sur vos pas. En disant ces paroles, je le tenais serré** de toute ma force. C'est en vain, me dit-il, que vous espérez de me rete- nir.** Le cruel Métophis me vendit à des Ethiopiens ou Arabes. 26 Ceux-ci*" étant allés à Damas en Syrie pour leur commerce, vou- lurent se défaire de moi,*^ croyant en tirer^* une grande somme , d'un nommé Hazaël, qui cherchait un esclave grec pour connaître les mœurs de la Grèce et pour s'instruire de** nos sciences. En effet Hazaël m'acheta chèrement.*® Ce que je lui ai appris'* de 30 nos mœurs lui a donné la curiosité de passer dans l'île de Crète, 1 sortis, issued ; from sortir^ ir. 2. M. p. 386. — 2 boîte, bop;.—3 amollit, énervâtes.— A que tardez-vous, wherefore do you tarry. — 5 regardez, look. 6 en fuyant, in yourjlight. — 7 moindre, least, slightest. — 8 souvenir, remem- brance. — 9 se dissipait sur, dispersed Jrom. — 10 renaissait, revived ; front renatire, ir. 4. M. p. 382. — 1 1 ivresse, intoxication. — 12 entrecoupée, inter- rupted. — 13 cuisants, hurning. — 14 l'épuiser, exhaust it. — 15 plus, the morCf the deeper; M. §82, (10), o. 408.— 16 ravit, delights.— 17 ainsi, thiis.-^lQ se montre, reveals herseiy. — 19 quitte, leave; M. L. 86, R. 3. — 20 m' arrêter, to 8topj tarry — 21 inhabitable, uninhabitable. — 22 mourrai, shall die; from mourir^ ir. 2. M. p. 376.-23 plutôt, ratker.^24 serré, closely.—25 retenir, dttain. — 26 ceux-ci, thèse.— 21 se défaire de moi, to dispose of me.— 2% tirer, to obtam. — 29 s'instruire de, obtain a knowledge of. — 30 chèrement, at a high rate» — 31 appris, told. 68 TBLÉMAQUE. LIV. IV. pour étudier les sages lois de Minos. Pendant notre navigation les vents nous ont contraints* de relâcher'* dans l'île de Chypre. En attendant un vent favorable, il est venu faire ses ofirandes au temple : le voilà' qui en sort ;* les vents nous appellent : déjà 6 nos voiles s'enflent.* Adieu, cher Télémaque : un esclave, qui craint les dieux doit** suivre fidèlement^ son maître. Les dieux ne me permettent plus d'être à moi :® si j'étais à moi, ils le sa^ vent," je ne serais" qu'à vous seul. Adieu : souvenez-vous des travaux" d'Ulysse et des larmes de Pénélope; souvenez-vous des 10 justes dieux. O dieux, protecteurs de l'innocence, en quelle terre" suis-je contraint*'' de laisser Télémaque ! Non, non, lui dis-je, mon cher Mentor, il ne dépendra pas de vous" de me laisser ici: plutôt" mourir que de vous voir partir" sans moi. Ce maître syrien est-il impitoyable ?" estrce une ti- 16 grosse dont il a sucé les mamelles*® dans son enfance ? voudra-t-il vous arracher*'' d'entre mes bras ? Il faut qu'il me donne la mort, ou qu'il souflre que je vous suive.'*" Vous m'exhortez vous-même à fuir, et vous ne voulez pas que je fuie en suivant vos pas ! Je vais parler'** à Hazaël, il aura peut-être pitié de ma jeunesse et 20 de mes larmes : puisqu'il aime la sagesse et qu'il va si loin la chercher,'*'* il ne peut point avoir un cœur féroce'*® et insensible : je me jetterai'** à ses pieds, j'embrasserai ses genoux, je ne le laisserai point aller qu'il ne'** m'ait accordé'*** de vous suivre. Mon cher Mentor, je me ferai esclave avec vous ; je lui offrirai de me 25 donner à lui, s'il me refuse, c'est fait de moi,'*^ je me délivrerai de la vie. Dans ce moment Hazaël appela'*® Mentor ; je me prosternai*' devant lui. Jl fut surpris de voir un inconnu*" en cette posture : Que voulez**-vous ? me dit-il. La vie, répondis-je ; car je ne puis 30 vivre si vous ne souffrez que je suive Mentor, qui est à vous." Je suis le fils du grand Ulysse, le plus sage des rois de la Grèce, 1 contraints, compelled. — 2 relâcher, put in. — 3 le voilà, tîuU is ht. — 4 qui en sort, who cornes mit. — 5 s'enflent, sweU. — 6 doit, must. — 7 fidèlement, faW^ftàly.-^ d'être à moi, tobeat my ovm disposai. — 9 savent, know ;from savoir^ M. p. 204. — 10 seiaiSi should belong ; M. L. 91, R. 2. — 11 travaux, dtedsj feats. — 12 terre, country. — 13 contraint, compelled,' from contraindre^ ir. 4. M. p. 364. — 14 il ne dépendra pas de vous, it shcUl net be in your power. 15 plutôt, rather^ I will rather. — 1 6 partir, départ. — 17 impitoyable, pitiless. 18 dont il a sucé les mamelles, which has nursed htm. — 19 arracher, tear. 20 suive, ybttotr. — 21 vais parler, wiU speak; M. L. 26, R. 1. — 22 chercher, to 8tek. — 23 féroce, cru«Z. — 24}etter»,i,willthrowinyself;/romjetery M. §49, (4). 25 qu*il ne, until he. — 26 accordé, eiven leave. — 27 c'est fait de moi, aU is over vnth m«? — 28 appela, caUed. — 29 prosternai, fell prostrate. — 30 inconnu, étranger. — 31 voulez, request. — 32 à vous, your slnve ; M. L. 91, jR. 2. 7Û TÉLÉMAQUE. LIV. IT joie que les mortels puissent^ sentir. Je me voyais sauvé d'un horrible danger ; je m'approchais de mon pays ; je trouvais un secours pour y retourner ; je goûtais la consolation d'être auprès \^ d'un homme qui m'aimait déjà par^ le pur amour de la vertu : en* 6 fin je trouvais touf en retrouvant Mentor pour ne le plus quitter.* Hazaël s'avance sur le sable du rivage ;^ nous le suivons : on entre dans le vaisseau, les rameurs'' fendent les ondes paisibles : un zéphyr léger se joue dans nos voiles, il am'me tout le vaisseau et lui donne un doux^ mouvement. L'île de Chypre disparaît 10 bientôt." Hazaël, qui avait impatience' de connaître mes senti- ments, me demanda ce que je pensais des mœurs de cette île. Je lui dis ingénument en quels dangers ma jeunesse avait été expo- sée et le combat^" que j'avais souffert" au-dedans de moi." Il fut touché de mon horreur pour" le vice, et dit ces paroles : O 16 Vénus, je reconnais^* votre puissance et celle de votre fils ; j'ai brûlé de l'encens sur vos autels : mais souffrez que je" déteste x/ l'infâme mollesse^' des habitants de votre île et l'impudence bru- tale" avec laquelle ils célèbrent vos fêtes. Ensuite il s'entretenait*® avec Mentor de cette première puis- 20 sance** qui a formé le ciel et la terre ; de cette lumière infinie et immuable'" qui se donne'* à tous sans se partager,*' de cette vérité souveraine et universelle qui éclaire'* tous les esprits,'* comme le soleil éclaire tous les corps. Celui,'* ajoutait-il, qui n'a jamais vu cette lumière pure, est aveugle" comme un aveugle-né :'^ il 26 passe sa vie dans une profonde nuit, comme les peuples que le soleil n'éclaire'* point pendant'* plusieurs mois de Tannée; il croit être sage, il est insensé ;'° il croit tout voir, et il ne voit rien ; il meurt," n'ayant jamais rien vu; tout au plus*' il aperçoit de sombres'' et fausses'* lueurs,'* de vaines ombres, des fantômes 30 qui n'ont rien de réel. Ainsi sont tous les hommes entraînés'* I puissent, are capable qf; M. L. 74, R. 4. — 2 par, through. — 3 tout, every- thing. — 4 ne le plus quitter, no more io leavc him,. — 5 rivage, shore. — 6 ra- meurs, rowers. — 7 doux, easy. — 8 disparait bientôt, quickly disappears. 9 avait impatience, who waa impaiient. — 10 combat, coujlict. — 11 souffert, endured ; Jrom soi^rir, ir. 2. M. p. 3S6. — 12 au-dedans de moi, withinme. 13 pour, towards. — 14 reconnais, acknowledge. — 15 souffrez que je, ailow me to. — 16 mollesse, effeminacy. — 17 impudence brutale, bAUal aensuality. 18 s'entretenait, conversed. — 19 puissance, power. — 20 immuable, immtUabU. 21 se donne, is com/municated. — 22 se partager, being divided. — 23 éclaire, eiûighteTis. — 24 esprits, m,ind8^ intellects. — ^5 celui, he; M. L 81, R. 4. 26 aveugle, blind. — 27 aveugle-né, bom vnthout sight ; from naître^ ir. 4. M. p. 376. — 28 éclaire, enlightens. — 29 pendant, during/for.—20 insensé, afool. 31 meurt, dies; Jrom mourir. — 32 tout au plus, at most. — 33 sombres, in- distincty gloomy. — 34 fausses, deceitful. — 35 lueurs, glimmers. — 36 entraînés, capHvated. jJY*vr> TÉLÉMAQUB. 71 par le plaisir des sens et par le charme de TimaginatioiL II n'y a* point' sur la terre de véritables* hommes, excepté ceux qui \^ consultent, qui aiment, qui suivent^ cette raison étemelle : c'est elle qui nous inspire quand nous pensons bien ; c'est elle qui nous reprend* quand nous pensons mal. Nous ne tenons" pas moins 5 d'elle la raison que la vie. Elle est comme un grand océan- de lumière: nos esprits sont comme de petits ruisseaux qui en sortent,^ et qui y retournent pour s'y perdre.* Quoique je ne comprisse pas encore parfaitement la profonde sa- gesse de ce discours, je ne laissais pas d'y goûter* je ne sais quoi 10 de pur et de sublime : mon cœur en était échauffe ; et la vérité me semblait reluire" dans toutes ces paroles. Ils continuèrent à par- ler de l'origine des dieux, des héros, des poètes, de l'âge d'or du déluge, des premières histoires du genre humain," du fleuve d'oubli" où se plongent les âmes des morts, des peines éternelles 16 préparées aux impies dans le gouffre noir du Tartare, et de cette . heureuse paix dont jouissent les justes dans les Champs Élysées, sans crainte de pouvoir la perdre. Pendant qu'Hazaël et Mentor parlaient, nous aperçûmes des dauphins couverts d'une écaille" qui paraissait d'or et d'azur. 20 En se jouant ils soulevaient" les flots avec beaucoup d'écume. Après eux venaient des tritons qui sonnaient de la trompette" avec leurs conques recourbées.^' Ils environnaient le char d'Am- phitrite, traîné" par des chevaux marins plus blancs que la neige, et qui, fendant" l'onde salée, laissaient loin derrière eux** un 25 vaste'* sillon'* dans la mer. Leurs yeux étaient enflammés," et leurs "bouches étaient fumantes.'® Le char de la déesse était une conque d'une merveilleuse figure:'* elle était d'une blancheur plus éclatante'* que l'ivoire, et les roues" étaient d'or. Ce char semblait voler'^ sur la face des eaux paisibles. Une troupe de nymphes 30 couronnées de fleurs nageaient'® en foule'* derrière le char, leurs beaux cheveux pendaient'* sur leurs épaules et flottaient** au gré" 1 il — y a, thert are. — 2 ne — point, no. — 3 véritables, true^ trorthy qf the lame.— 4 suivent, ./bttow the dictâtes of. — 5 reprend, reproves. — 6 tenons, dé- rive. — 7 en sortent, Ustie from it. — 8 s'y perdre, to be lost, to merge into it again. — 9 je ne laissais pas d'y goûter, I nevertheless relished in it. — 10 re- luire, to shine. — 11 genre humain, mankind. — 12 oubli, oblivion. — 13 écaille, écoles. — 14 soulevaient, raised. — 15 sonnaient de la trompette, blowing. 16 conques recourbées, spiral shdls. — 17 traîné, drawn. — 18 fendant, divi- ding-.— 19 derrière eux, bekind them.—20 vaste, large.— 21 sillon, furrow. 22 étaient enflammés, sparkled. — 23 étaient fumantes, smokcd. — 24 figure, ^pCiform. — 25 plus éclatante, brighiei:— 26 roues, wheels. — 27 voler, to fy—2Q nageaient, swam. — 29 foule, crowd. — 30 pendaient, hung. — 31 flot- taient, waved.—32 au gré, at the will. 72 TÉLÉMAQUE. LIV. IV. du vent. La déesse tenait d'une main un sceptre d'or pour com- mander aux vagues, de l'autre elle portait sur ses genoux le petit dieu Palémon son fils pendant à sa mamelle.^ Elle avait un visage serein, et une douce majesté qui faisait fuir^ les vents sé- 5 ditieux et toutes les noires' tempêtes. Les tritons conduisaient* les chevaux et tenaient les rênes dorées. Une grande voile^ de pourpre flottait dans l'air au-dessus du char; elle était à demi enflée® par le souffle d'une multitude de petits zéphyrs qui s'efîbr- çaient^ de la pousser® par leurs haleines." On voyait au milieu 10 des airs Éole empressé,^" inquiet^' et ardent. Son visage ridé^^ et chagrin," sa voix menaçante, ses sourcils épais et pendants," ses yeux pleins d'un feu sombre^* et austère, tenaient^" en silence les fiers aquilons" et repoussaient tous les nuages. Les immenses baleines" et tous les monstres marins, faisant avec leurs narines" 15 un flux, et un reflux*" de l'onde amère, sortaient à la hâte de leurs grottes profondes pour voir la déesse. 1 pendant à sa mamelle, at her breast. — 2 faisait fuir, dispersed. — 3 noires, dark, gloomy. — 4 conduisaient, guided; frovi conduire^ M. p. 362. — 5 voile, sail. — 6 à demi enflée, half distended. — 7 s'efforçaient, labored. — 8 pousser, impel it forward. — 9 haleinesT^ breath. — 10 empressé, busy. — 11 inquiet, anxiaus, — 12 ridé, wHvkled. — 13 chagrin, morose. — 14 ses sourcils épais et pendants, his bushy and hanging eyebrows. — 15 sombre, suUen. — 16 tenaient, heldi kept. — 17 aquilons, north winds. — 18 baleines, whcUes. — 19 narines, nostrUs. — 20 un flux et un reflux, an ebbing andjlowing. FIN DU LIVRE QUATRIÈME. LIVRE CINQUIÈME. SoMMAiBE. — Télémaque raconte qu'en arrivant en Crète il apprit^ qn'Ido- ménée roi de cette île, avait sacrifié son fils unique pour accomplir un vœu indiscret ;2 que les Cretois, voulants venger le sang du fils, avuent réduit^ le père à quitter leur pays ; qu'après de longues inoertitudesS ils étaient actuellement^ assemblés pour élire^ un autre roi. Télémaque ajoute^ qu'il fut admis dans cette assemblée ; qu'il y remportai les prix à divers jeux, 11* qu'il ezpliqua^^ les questions laissées par Minos dans la livre de ses lois ; et que les vieillards juges de l'île, et tous les peuples, voulurent le faire roi, voyant sa sagesse. Après que nous eûmes admiré ce spectacle, nous commençâmes à découvrir les montagnes de Crète, que nous avions encore assez de peine" à distinguer des nuées du ciel et des flots" de la mer. Bientôt nous vîmes le sommet du mont Ida au-dessus des^* autres montagnes de l'île, comme un vieux cerf" dans une forêt porte 6 son bois" rameux" au-dessus des têtes des jeunes faons" dont il est suivi. Peu-à-peu" nous vîmes plus distinctement les côtes de cette île, qui se présentaient à nos yeux comme un amphithéâtre. Autant que" la terre de Chypre nous avait paru négligée et inculte, autant''^ celle de Crète se montrait" fertile et ornée de tous les XO fruits par le travail^' de ses habitants. De tous côtés nous remarquions des villages bien bâtis,'* des bourgs'* qui égalaient des villes,'® et des villes superbes. Nous ne trouvions aucun champ où la main du diligent laboureur''^ ne 1 apprit, leamt ;from apprendre^ M. p. 358.-2 indiscret, rash.—-^ voulant, tDÎshing.—A réduit, obligea. — 5 incertitudes, uncertainty. — 6 actuellement, tfien, now. — 7 élire, dect.—Q ajoute, adds. — 9 remporta, won, obtained. — 10 jeux, games, carcrcwc*.— 11 expliqua, resolved.— 12 nous avions encore assez de peine, we cauld y et scarcely di8tingui8h.—l3 flotfl, waves.— li au-dessus des, abave the.—l5 cerf, stag.— 16 bois, anUers.— 17 rameux, bramhy.—lQ faons, fawns. — 19 peu-à-peu, by degrees. — 20 autant que, as. — 21 autant, *51v~? /5? montrait, appeared.—2d travail, labor, industry.—2^ bâtis, buiU; M. % 66, (3), p. 392.-25 bourgs, t(ywns.—26 villes, cities— 27 laboureur, fmsbarUimair^ 4 74 TÉLÉMAQUE» LIV. T. fût imprimée ;* par-tc>ut la charrue* avait laissé de creux sillons : les ronces,' les épines^* et toutes les plantes qui occupent inutile- ment* la terre, sont inconnues en ce pays. Nous considérions avec plaisir les creux" vallons où les troupeaux^ de bœufs mugis- 6 saient dans les gras herbages le long des ruisseaux :* les moutons paissant' sur le penchant d'une colline, les vastes campagnes** couvertes de jaunes" épis," riches dons de la féconde Gé- rés; enfin, les montagnes ornées de pampres" et de grappes" d'un raisin déjà coloré, qui promettait aux vendangeurs" les doux 10 présents de Bacchus pour charmer les soucis^" des hommes. Mentor nous dit qu'il avait été autrefois en Crète, et il nous expliqua ce qu'il en connaissait. Cette île, dit-il, admirée de tous les étrangers, et fameuse par ses cent villes, nourrit" sans peine tous ses habitants, quoiqu'ils soient innombrables. C'est que la 16 terre ne se lasse jamais*® de répandre*** ses biens'^" sur ceux qui la \/ cultivent. Son sein fécond ne peut s'épuiser f^ plus il y a** d'hommes dans un pays, pourvu qu'ils soient laborieux, plus ils jouissent de l'abondance : ils n'ont jamais besoin^' d'être jaloux les uns des autres. La terre, cette bonne mère, multiplie ses dons 20 selon le nombre de ses enfants qui méritent ses fruits par leur travail. L'ambition et l'avarice des hommes sont les seules sources de leur malheur: les hommes veulent tout avoir, et ils se rendent malheureux*^^ par le désir du superflu ; s'ils voulaient vivre simplement, et se contenter de satisfaire aux vrais besoins, on 26 verrait** par-tout l'abondance, la joie, la paix, et l'union. C'est ce que Minos, le plus sage et le meilleur de tous les rois, avait compris.** Tout ce que vous verrez de plus merveilleux*^ dans cette île est le fruit de ses lois. L'éducation qu'il faisait donner*® aux enfants rend les corps sains"* et robustes : on les 30 accoutume d'abord"" à une vie simple, frugale, et laborieuse ; on suppose que toute volupté amollit"* le corps et l'esprit ;"* on ne leur propose jamais d'autre plaisir que celui d'être invincibles par 1 imprimée, impressed. — 2 charruo, plough. — 3 ronces, briars. — 4 épines, thams. — 5 inutilement, unproJUahly.—Q creux, hoUow^ deep. — 7 troupeaux, herds.—Q ruisseaux, Hvulets.—d paissant, grazing, feeding ; from paître, ir. 4. M>p. 378. — 10 vastes campagnes, spacioua plains. — Il jaunes, yeÛow, Îolden. — 12 épis, ears. — 13 pampres, branches or verdure of the vint. i grapjyes, bunçhea^ chtoters. — 15 vendangeurs, vintagers. — 16 soucis, cares. 17 nourrit, mairUains. — 18 ne se lasse jamais, is never weary. — 19 de ré- paiMire, (^pouring. — 20 biens, bensJUs, blessings.~2\ s'épuiser, be exhausted. 22 il y a, tkere are. — 23 besoin, ncec?.— 24 malheureux, wretched.—^B verrait, VHnddseeîfrom voir, M. p. 390.— 26 compris, understood.— 27 merveilleux, ï^^'^r^^AT" ?® faisait donner, prescribed; M. L. 32, R. 3.-29 saiiw. AeaOfty.— 30 d'abord, early.— 31 amollit, cncrco/as.— 32 esprit, mÎTid, 117. V. TÉLÉMAQUE. 76 la vertu, et d'acquérir beaucoup de gloire. On ne met pas seule- ment ici le courage à* mépriser la mort dans les dangers de la guerre, mais encore à fouler" aux pieds les trop grandes richesses et les plaisirs honteux. Ici on punit trois vices qui sont impunis chez* les autres peuples ; l'ingratitude, la dissimulation, et l'avarice. 6 Pour le faste* et la mollesse, on n'a jamais besoin* de les ré- primer," car ils sont inconnus en Crète. Tout le monde y travaille, ""^^ et personne ne songe^ à s'y enrichir ; chacun se croit assez payé de son travail par une vie douce® et réglée,' où l'on jouit en paix et avec abondance de tout ce qui est véritablement nécessaire à 10 la vie. On n'y souffre ni meubles précieux," ni habits" magni- fiques, ni festins délicieux,^'' ni palais dorés. Les habits sont do laine fine et de belles couleurs, mais tout" unis^* et sans broderie. Les repas y sont sobres,^* on y boit peu^" de vin : le bon pain en fait" la principale partie, avec les fruits que les arbres offrent 15 comme d'eux-mêmes," et le lait des troupeaux. Tout au plus" on y mange un peu de grosse'^" viande sans ragoût ;"^ encore même a-t-on soin de"" réserver ce qu'il y a de meilleur dans les grands troupeaux de bœufs,"* pour faire fleurir l'agriculture."* Les maisons y sont propres,'^* commodes, riantes,"® mais sans orne- 20 ments. La superbe"' architecture n'y est pas ignorée ;"* mais elle est réservée pour les temples des dieux : et les hommes n'ose- raient"' avoir des maisons semblables à celles des immortels. Les grands biens*" des Cretois sont la santé, la force, le cou- rage, la paix et l'union des familles, la liberté de tous les ci- 25 toyens, l'abondance des choses nécessaires, le mépris** des super- flues, l'habitude du travail et l'horreur'" de l'oisiveté,** l'émulation pour la vertu, la soumission aux lois, et la crainte** des justes dieux. Je lui demandai en quoi consistait l'autorité du roi ; et il me ré- 30 1 on ne met pas seulement ici le courage à, they do not think hère that cour- âge merely consista in. — 2 fouler, trample. — 3 chez, among; M. L. 24, R.9. 4 pour le faste, wUh regard to pmnp. — 5 on n'a jamais besoin, thereis never need. — 6 réprimer, repress. — 7 songe, thinks. — 8 douce, easy. — 9 réglée, regular. 10 meubles précieux, costly fumiture. — 11 habits, apparel. — 12 délicieux, luxurious. — 13 tout, quite ; M. §97, {S), p. 419. — 14 unis, plain. — 15 sobres, temperate. — 16 peu, but little. — 17 fait, forms. — 18 d'eux-mêmes, spontane- ously. — 19 tout au plus, at tnost. — 20 grosse, coarse. — 21 sans ragoût, plairily dressed. — 22 a-t-on soin de, they carefully. — 23 bœufs, oxen. — 24 pour faire fleurir l'agriculture, that agriculture mayjlourish ; M. L. 32, R. 3. — 25 pro- pres, clean. — 26 riantes, pleasant. — 27 superbe, élégant. — 28 ignorée, un- known. — 29 n'oseraient, wotUd not dare; M- § 138, (2), p. 451.— 30 biens, possessions^ weaUh. — 31 mépris, contempt. — 32 horreur, abhorrence. — 33 oisi- veté, icUeness. — 34 crainte, reverekce. 76 TÉLÉMAQUE. LIV. V. \y pondit ; Il peut tout* sur les peuples ; mais les lois peuvent tout sur lui II a une puissance absolue pour faire le bien,' et les mains liées* dès qu'il veut faire le mal. Les lois lui confient les peuples comme le plus précieux de tous les dépôts,* à condition 6 qu'il sera le père de ses sujets. Elles veulent* qu'un seul* homme serve"' par sa sagesse et par sa modération à la félicité de tant d'hommes; et non pas que tant d'hommes servent, par leur misère® et par leur servitude lâche, à flatter l'orgueil et la mol- lesse d'un seul homme. Le roi ne doit' rien avoir au-dessus des 10 autres, excepté ce qui est nécessaire ou pour le soulager" dans ses pénibles" fonctions, ou pour imprimer aux peuples le respect de celui qui doit soutenir** les lois. D'ailleurs" le roi doit être plus sobre, plus ennemi** de la mollesse, plus exempt de faste et de hauteur, qu'aucun autre. Il ne doit point avoir plus de riches- 16 ses et de plaisirs, mais plus de sagesse, de vertu, et de gloire, que le reste des hommes. Il doit être au-dehors" le défenseur de la patrie, en commandant les armées ; et au-dedans," le juge des peuples, pour les rendre bons, sages, et heureux. Ce n'est point" pour lui-même que les dieux l'ont fait roi : il ne l'est que" 20 pour être l'homme des peuples: c'est aux peuples qu'il doit" tout son temps, tous ses soins, toute son affection; et il n'est digne de la royauté qu'autant qu'iP" s'oublie lui-même pour se sacrifier au bien public. Minos n'a voulu** que ses enfants régnassent après lui qu'à 26 condition qu'ils régneraient suivant** ses maximes. Il aimait en- core plus son peuple que sa famille. C'est par une telle sagesse,*' qu'il a rendu la Crète si puissante et si heureuse ; c'est par cette modération qu'il a efiàcé** la gloire de tous les conquérants qui veulent faire servir les peuples"^ à leur propre grandeur, c'est-à- 30 dire à leur vanité; enfin, c'est par sa justice qu'il a mérité d'être aux enfers^' les souverain^"' juge des morts. Pendant que Mentor faisait ce discours,*' nous abordâmes dans*' 1 peut tout, is ail powerful ; from 'pouvoir. — 2 biçn, good. — 3 liées, bound, 4 dépôts, depositSy tinists. — 5 veulent, ordain. — 6 seul, single. — 7 serve, pro- mate. — 8 misère, wretchedness. — 9 doit, should; from devoir. — 10 soulager, relieve. — 11 pénibles, arduous. — 12 soutenir, tnaintain. — 13 d'ailleurs, he~ sides. — 14 ennemi, averse. — 15 au-dehors, àbroad. — 16 au-dedans, at home^ within. — 17 ne — point, not, hy no means; M. §138, (1), p. 451. — 18 il no l'est que, ^e is so on/y. — 19 doit, owes. — 20 qu'autant ç{\i^ï\ in proportion as he. — 21 voulu, directed. — 22 suivant, in accordance with. — 23 sagesse, wise regulaiions. — 24 eflfacé, eclipsed. — 25 faire servir les peuples, to render ihe P^le subservient to. — 26 enfers, infernal régions. — 27 souverain, suprtmc. Z8 faisait ce discours, was thus speàking. — 29 abordâmes dans, reached. UV. V. TÉLBMAQUE. 77 l'île. Nous vîmes* le fameux labyrinthe, ouvrage des mains de l'ingénieux Dédale, et qui était une imitation du grand labyrinthe que nous avions vu en Egypte. Pendant que nous considérions' ce curieux édifice, nous vîmes le peuple qui couvrait le rivage, et qui accourait* en foule dans un lieu^ assez voisin* du bord" de la 6 mer. Nous demandâmes la cause de leur empressement;^ et voici ce qu'un Cretois, nommé Nausicrate, nous raconta : Idoménée, fils de Deucalion et petit-fils® de Minos, dit-il, était allé, comme les autres rois de la Grèce, au siège de Troie. Après la ruine de cette ville il fit voile® pour revenir en Crète ; mais la 10 tempête fut si violente, que le pilote de son vaisseau, et tous les autres qui étaient expérimentés" dans la navigation, crurent que leur naufrage était inévitable. Chacun" avait la mort devant" les yeux ;" chacun voyait les abîmes ouverts pour l'engloutir ;" chacun déplorait son malheur, n'espérant pas même le triste" repos 16 des ombres qui traversent le Styx après avoir reçu la sépulture.*' Idoménée, levant" les yeux et les mains vers le ciel, invoquait Neptune : O puissant dieu, s'écriait-il, toi qui^® tiens" l'empire des ondes, daigne écouter un malheureux : si tu me fais''" revoir l'île de Crète malgré'^* la fureur des vents, je t'immolerai la première 20 tête^^ qui se présentera à mes yeux. Cependant son fils, impatient de revoir son père, se hâtait^* d'aller au-devant^* de lui pour l'embrasser : malheureux, qui ne savait pas que c'était courir à sa perte.''* Le père échappé à la*' tempête arrivait dans le port désiré; il remerciait Neptune d'avoir 26 écouté'' ses vœux : mais bientôt il sentit''® combien ses vœux lui étaient funestes. Un pressentiment de son malheur lui donnait un cuisanf*' repentir*" de son vœu indiscret ; il craignait d'arriver parmi les siens, et il appréhendait** de revoir ce qu'il" avait de plus cher** au monde. Mais la cruelle Némésis, déesse impitoya- 30 ble** qui veille** pour punir les hommes et surtout les rois orgueil- 1 vîmes, satr, beheld ; Jrom voir^ ir. 3. M. p. 390. — 2 considérions, were con," templating. — 3 qui accourait, hastening ; from accouriry M. p. 356.-4 lieu, place. — 5 assez voisin, not far distant. — 6 bord, skore. — 7 empressement, naste. — 8 petit-fils, grandson. — 9 fit voile, sailed. — 10 expérimentés, experi- enced, skiUed. — 11 chacun, every one. — 12 devant, hefore. — 13 les yeux, hia eyes; M.%77, (9), p. 404. — 14 engloutir, swallow up. — 15 triste, moumful. 16 sépulture, funeral rites. — 17 levant, raising. — lo toi ({ui, t?wu w?io ; M. S 33, (9), p. 310.-19 tiens, rulest, fwldest.— 20 fais, allowest.— 21 malgré, in spite of.— 22 tête, living ohject.—2'^ se hâtait, kastened; M. L. 40, R. 7. 24 d'aller au devant, togoand meet. — 25 perte, destruction. — 26 échappé à la, having escapedfram the. — 27 écouté, hmrd. — 28 sentit, felt.— 29 cuisant, buming, buter. — 30 repentir, regret, repentance. — 31 appréhendait, dreaded. 32 ce que, what ; M. L. 31, R. 4.-33 de plus cher, dcarest. — 34 impitoyable, inexorable. — 35 veille, watchts. 78 TÉLBMAQUE. I.iy. V. leux, poussait* d'une main fatale et invisible Idoménée. Il arrive : à peine ose-t-il lever les yeux. Il voit son fils : il recule,^ saisi d'horreur. Ses yeux cherchent, mais en vain, quelque autre tête moins chère qui puisse lui servir de victime. 5 Cependant le fils se jette à son cou, et est tout étonné que son père réponde' si mal* à sa tendresse ; il le voit fondant en larmes. O mon père, dit-il, d'où vient cette tristesse?* Après une si longue absence êtes-vous fâché" de vous revoir dans votre royaume, et de faire la joie de votre fils ? Qu'ai-je fait ? vous dé- 10 tournez vos yeux de peur de^ me voir ! Le père, accablé® de douleur, ne répondit rien. Enfin, après de profonds soupirs, il dit : Ah ! Neptune, que t'ai-je promis ! à quel prix m'as-tu ga- ranti' du naufrage ! rends*"-moi aux vagues et aux rochers qui devaient"' en me brisant finir ma triste vie ; laisse vivre mon fils. 16 O dieu cruel ! tiens, voilà^'^ mon sang, épargne" le sien. En par- lant ainsi il tira" son épée pour se percer ;" mais ceux qui étaient autour" de lui arrêtèrent sa main. Le vieillard Sophronyme, interprète des volontés des dieux, lui assura qu'il pourrait contenter" Neptune sans donner la mort 20 à^® son fils. Votre promesse, disait-il, a été imprudente : les dieux ne veulent point être honorés par la cruauté ; gardez-vous bien" d'ajouter à la faute'*" de votre promesse celle de l'accomplir con- tre les lois de la nature ; oflrez à Neptune cent taureaux plus blancs que la neige ; faites couler'** leur sang autour de son autel 25 couronné de fleurs ; faites fumer'"* un doux encens en l'honneur de ce dieu. Idoménée écoutait ce discours, la tête baissée et sans répondre ; la fureur était allumée'*' dans ses yeux ; son visage pâle et dé- figuré'** changeait à tout moment de couleur ; on voyait ses mem- 30 bres tremblants. Cependant son fils lui disait: Me voici, mon père ; votre fils est prêt à mourir pour apaiser le dieu ; n'attirez'** pas sur vous sa colère ; je meurs content puisque ma mort vous aura garanti de la vôtre. Frappez,'*' mon père; ne craignez 1 poussait, impelled. — 2 recule, started bock. — 3 réponde à, retum.—4 si mal, so badlj/y so coldly. — 5 tristesse, aorrow. — 6 fâché, grieved. — 7 de peur de, as if they dreaded to. — 8 accablé, overtchdmed. — 9 garanti, jpreserved. 10 rends, restore. — 11 devaient, were. — 12 tiens, voilà, take. — 13 épargne, spare. — 14 tira, drew. — 15 percer, pierce, slay. — 16 autour, around. — 17 con- tenter, satisfy. — 18 donner la mort à. putting to death. — 19 gardez-vous bien, beware lest you. — 20 faute, error. — 21 faites couler, shed, spill; literaUy^ cause to Jlow ; M. L. 32, R. 3. — 22 faites fumer, burn; literally, cause to amoke. — 23 était allumée, sparkled. — 24 défiguré, ghastly. — 25 attirez, draw. 26 frappez, strike. UV.V. TÉLÉMÂQUE. 79 fK>mt de trouver en moi un fils indigne de vous, qui enûgne de mourir. £n ce moment Idoménée, tout hors de lui^ et comme déchiré* par les furies infernales, surprend' tous ceux qui Pobserv&ient^ de près f il enfonce" son épée dans le cœur de cet enfant : il la retire 6 toute famante^ et pleine^ de sang pour la plonger dans ses profM^s entrailles f il est encore une fois retenu par ceux qui l'environnent L'enfant tombe dans son sang ; ses yeux se couvrent des om- bres de la^** mort ; il les entr'ouvre à la lumière : mais à peine • l'ar-t-il trouvée," qu'il ne peut plus la supporter." Tel un beau 10 lis^' au milieu des champs, coupé dans sa racine par le tranchant de la charrue,^^ languit et ne se soutient plus ;^^ il n'a point encore perdu cette vive blancheur et cet éclat^' qui charme les yeux, mais la terre ne le nourrit plus, et sa vie est éteinte : ainsi le fils d'Ido- ménée, comme une jeune et tendre fleur, est cruellement mois- 15 Bonné" dès son premier âge.** La père, dans l'excès de sa douleur, devient insensible ;^" il ne sait où il est, ni ce qu'il a fait, ni ce qu'il doit^** faire ; il marche ehancelant^* vers la ville, et demande^' son fils. Cependant le peuple, touché de compassion pour Penfant et 20 d'horreur pour l'action barbare du père, s'écrie que les dieux justes l'ont livré aux*' furies. La fureur leur fournit des armes; ils prennent** des bâtons et des pierres ;"* la discorde souflSe"' dans tous les cœurs un venin mortel. Les Cretois, les sages Cretois, oublient la sagesse qu'ils ont tant aimée; ils ne reconnaissent 25 plus" le petit-fils du sage Minos. Les amis d'Idoménée ne trou- vent plus de salut*® pour lui qu'en le ramenant*' vers ses vais- seaux : ils s'embarquent avec lui ; ils fuient à la merci des ondes. Idoménée, revenant ù soi,'" les remercie de l'avoir arraché'* d'une terre qu'il a arrosée'* du sang de son fils, et qu'il ne saurait plus" 30 habiter. Les vents les conduisent vers l'Hespérie, et ils vont fon- der un nouveau royaume dans le pays des Salentins. 1 hors de lui, franiic. — 2 déchiré, torturtd. — 3 surprend, escapeê the vigi" lance of.-^ observaient, watched. — 5 de près, closely. — 6 enfonce, plunged. 7 fumante, reeJcing. — 8 pleine, covered. — 9 entrailles, hreast. — lO se cou- vrent des ombres de la, are overahadowed hy. — 11 trouvée, beheld. — 12 suppor- ter, bear. — 13 lis, /%. — 14 tranchant de la ah&rrne, ploughshare. — 15 ne Se soutient plus, droops — 16 éclat, lustre. — 17 moissonné, eut dorcn. — 18 dès Bon premier âge, in its earliest bloom. — 19 insensible, stupefUd. — 20 doit, efiouUl, ougbi to.— 21 chancelant, withfalterivg »teps.—22 demand^ »n2 arrosée, èa/Aetf.— 33 ne laarait plus, eould no longer. 80 TÉLBMAQUE. uv. V Cependant les Cretois, n'ayant plus de roi pour les gouverner, ont résolu d'en choisir un qui conserve* dans leur pureté les lois établies. Voici les mesures qu'ils ont prises^ pour faire ce choix. Tous les principaux citoyens des cent villes sont assemblés ici. 6 On a déjà conmiencé par des sacrifices, on a assemblé tous les ^ sages les plus fameux des pays voisins pour examiner la sagesse de ceux qui paraîtront' dignes de commander. On a préparé des jeux* publics où tous les prétendants,* combattront;" car on veut donner pour prix la royauté à celui qu'on jugera vainqueur de 10 tous les autres et pour^ l'esprit et pour le corps. On veut un roi dont le corps soit fort et adroit,® et dont l'âme soit ornée de la sagesse et de la vertu. On appelle* ici tous les étrangers. Après nous avoir raconté toute cette histoire étonnante, Nausi- crate nous dit : Hâtez-vous donc, ô étrangers, de venir dans notre 15 assemblée: vous combattrez avec les autres; et si les dieux des- tinent" la victoire à l'un de vous, il régnera en ce pays. Nous le suivîmes, sans aucun désir de vaincre, mais par la seule" curiosité de voir une chose si extraordinaire. Nous arrivâmes à une espèce" de cirque très-vaste, environné 20 d'une épaisse" forêt : le milieu du cirque était une arène" pré- parée pour les combattants ; elle était bordée" par un grand am- phithéâtre d'un gazon" frais sur lequel était assis et rangé" un peuple innombrable. Quand nous arrivâmes on nous reçut avec honneur ; car les Cretois sont les peuples du monde qui exercent 25 le plus noblement et avec le plus de religion" l'hospitalité. On nous fit asseoir," et on nous invita à combattre. Mentor s'en excusa sur'*'* son âge, et Hazaël sur sa faible santé.'** Ma jeunesse et ma vigueur m'ôtaient toute^'* excuse ; je jetai néanmoins un coup-d'œiP* sur Mentor pour découvrir sa pensée : 30 et j'aperçus qu'il souhaitait que je combattisse. J'acceptai donc l'offre qu'on me faisait : je me dépouillai de*" mes habits ; on fit couler*^ des flots d'huile douce et luisante'® sur tous les mem- 33 96 1 oonserve, prcserrc— 2 prises, adopted; from prendre, ir. 4. M. p. 380. 3 paraîtront, will appear. — 4 jeux, games. — 5 prétendants, cariaidates. 6 combattront, vsïll corUend. — 7 et pour, hoth for. — 8 adroit, well trained. 9 appelle, invite; M. % 49, (4). — 10 destinent, decree. — 11 par la seule, through the mère. — 12 espèce, kind. — 13 épaisse, dense. — 14 arène, area. — 15 bordée, surrounded. — 16 gazon, turf- — 17 assis et rangé, seated in rows; frcmi asseoir^ ir, 3. M. p. 358. — 18 avec le plus de religion, the Tnost rdigiously. — 19 nous fit asseoir, gave us seats. — 20 s'en excusa sur, declined it on accmmt of. 21 santé, îiealÛi.—22 m'ôtaient toute, left me no.— 22 jetai, cas^— 24 coup d'œil, glance. — 25 pensée, thought, vnshes. — 26 me dépouillai de, threw ofT, 27 fit couler, poi«r«rf.— 28 luisante, ffhinimr. LIV. V. TÉLÉMAQUE. 81 bres* de mon corps; et je me mêlai parmi^ les combattants.- On dit de tous côtés que c'était le fils d'Ulysse qui était venu pour tâcher de remporter" le prix ; et plusieurs Cretois qui avaient été à Ithaque pendant mon enfance me reconnurent/ Le premier combat fut celui de la lutte.* Un Rhodien d'envi- 5 ron trente-cinq ans surmonta" tous les autres qui osèrent"^ se pré- senter à lui.® Il était encore dans toute la vigueur de la jeunesse : ses bras étaient nerveux et bien nourris ^'^ au moindre mouvement qu'il faisait on voyait tous ses muscles : il était également souple et fort. Je ne lui parus^° pas digne d'être vaincu ; et, regardant 10 avec pitié ma tendre jeunesse, il voulut se retirer:" mais je me présentai à lui. Alors nous nous saisîmes l'un l'autre ; nous nous serrâmes à perdre" la respiration." Nous étions épaule contre^* épaule, pied contre pied, tous les nerfs tendus" et les bras entre- lacés^" comme des serpents, chacun s'efibrçant d'enlever de" terre 16 son ennemi.^" Tantôt il essayait de me surprendre" en me pous- sant du côté droit, tantôt il s'efforçait de me pencher'^" du côté gauche. Pendant qu'il me tâtait'^^ ainsi, je le poussai avec tant de violence, que ses reins se plièrent:^* il tomba sur l'arène,'^' et m'entraîna** sur lui. En vain il tâcha^* de me mettre dessous;"® 20 je le tins immobile sous moi. Tout le peuple cria : Victoire au fils d'Ulysse ! Et j'aidai'^' au Rhodien confus à se relever.'^" Le combat du ceste'^' fut plus difficile. Le fils d'un riche citoyen de Samos avait acquis une haute réputation dans ce genre de combat. Tous les autres lui cédèrent ;^° il n'y eut que moi^^ 25 qui espérai la victoire. D'abord il me donna dans la tête, et puis dans l'estomac, des coups qui me firent vomir le sang, et qui ré- pandirent sur mes yeux un épais^^ nuage. Je chancelai f^ il me pressait, et je ne pouvais plus respirer : mais je fus ranimé par la voix de Mentor, qui me criait: O fils d'Ulysse, seriez-vous vaincu? 30 La colère'* me donna de nouvelles forces; j'évitai'* plusieurs 1 membres, limbs. — 2 me mêlai parmi, placed tnyself amoiig. — 3 rempor- ter, to obtain. — 4 reconnurent, recollected ; Jrom reconnaître^ M. p. 382. 5 lutte, wrestling. — 6 surmonta, overcame. — 7 osèrent, vemiured. — 8 se pré- senter à lui, to encounter him. — 9 bien nourris, full. — 10 parus, appeared ; Jrom paraître. — 11 se retirer, to withdraw. — 12 nous nous serrâmes à perdre, we pressa each ot/ier sa as to lose. — 13 respiration, hredth. — 14 contre, to. 15 tendus, strained. — 16 entrelacés, entwined. — 17 d'enlever de, to raisefrom. 18 ennemi, antagonist. — 19 de me surprendre, to take me hy surprise. 20 pencher, hend. — 21 tâtait, was trying. — 22 ses reins se plièrent, his back gave way. — 23 arène, sand, ground. — 24 m'entraîna, drew me. — 25 tâcha, at- iempted. — 26 dessous, under. — 27 aidai, assisted. — 28 se relever, rise. 29 ceste, cestus. — 30 cédèrent, yieîded. — 31 il n'y eut que moi, I was the onlv one. — 32 épais, thUJc. — 33 chancelai, tott&red. — 34 la colère, anger ; M. L. 29, R. 3. — 35 j'évitai, I avoided. 4* 82 TÊLÊMAQUE. LIV. v. coups dont* j'aurais été accablé.'* Aussitôt que le Samien m'avait porté un faux coup^ et que son bras s'allongeait* en vain, je le surprenais dans cette posture penchée :* déjà il reculait,' quand je haussai^ mon ceste pour tomber sur lui avec plus de force : il 5 voulut esquiver,® et perdant l'équilibre® il me donna le moyen*" de le renverser." A peine fut-il étendu par*'* terre que je lui ten- dis la main pour le relever." Il se redressa lui-même," couvert de poussière et de sang : sa honte fut extrême ; mais il n'osa" renouveler le combat. 10 Aussitôt on commença la course" des chariots, que l'on distri- bua au sort." Le mien se trouva le moindre" pour la légèreté" des roues et pour la vigueur des chevaux. Nous partons :^° un nuage de poussière vole et couvre** le ciel. Au commencement je laissai les autres passer devant moi. Un jeune Lacédémonien, 15 nommé Crantor, laissait d'abord tous les autres derrière lui. Un Cretois, nommé Polyclète, le suivait de près.'** Hippomaque, parent*^ d'Idoménée, et qui aspirait à lui succéder, lâchant^* les rênes à ses chevaux fumants de sueur,'^^ était tout penché''"' sur leurs crins flottants,'*^ le mouvement des roues de son chariot 20 était si rapide, qu'elles paraissaient immobiles comme les aîles d'un aigle qui fend les airs. Mes chevaux s'animèrent et se mi- rent peu-à-peu en haleine f^ je laissai loin derrière moi presque tous ceux qui étaient partis avec tant d'ardeur. Hippomaque, pa» rent d'Idoménée, poussant trop ses chevaux, le plus vigoureux 26 s'abattit,'** et par sa chute il ôta"" à son maître l'espérance de régner. Polyclète, se penchant trop sur ses chevaux, ne put se tenir ferme dans une secousse;^* il tomba, les rênes lui échappèrent;" et il fut trop heureux de pouvoir éviter la mort. Crantor, voyant 30 avec des yeux pleins d'indignation que j'étais tout auprès de lui, redoubla son ardeur : tantôt il invoquait les dieux et leur pro- mettait" de riches offrandes, tantôt il parlait à ses chevaux pour 1 dont, bywhich. — 2 accablé, overcome. — 3 m'avait porté un faux coup, had 7nissedastrokeatine.—4 s'allongeait, was extended. — 5 penchée, stooping. 6 reculait, gave way. — 7 haussai, raised. — 8 esquiver, avoid the blow. 9 équilibre, balance. — 10 moyen, opportunity. — 11 renverser, overthrow. 12 par, on the. — 13 relever, raise. — 14 se redressa lui-même, arose without assistance. — 15 n'osa, did not dare; M. § 138, (2). — 16 course, race. — 17 au sort, by lot. — 18 moindre, worst. — 19 légèreté, lightness. — 20 partons, started. 21 couvre, obscures. — 22 de près, closely. — 23 parent, relation. — 24 lâchant, giving. — 25 fumants de sueur, reeking. — 26 penché, bent. — 27 crins flottants, waving mane. — 28 se mirent — en haleine, iook breath. — 29 s'abattit, Jell. 30 ôta, deprived. — 31 secousse, shock. — 32 échappèrent, were forced from his hands. — 33 tantôt, sometimes. — 34 promettait, vowed ; Jrom promettre. uv. V. TÈLÊMAQUE. 88 les animer: il craignait que je ne' passasse eotre la borne' et lui; car mes uhev aux, mieux ménagés' que les siens, étaient en état de* le devancer:' il ne lui restait plus d'autre ressource que cella de me fermer" le passage. Pour y réussir,' il hasarda' de se bri- ser" contre la borne ; il y brisa etrectivement'" sa roue. Je ne son- 6 geai qu'à faire promptement le tour" pour n'être pas engagé" dans son désordre: etilme vit un moment après au bout de laearrière." Le peuple s'écria encore une fois : Victoire au fils d'Ulysse ! c'est lui que les djeiix destinent i régner sur nous I Cependant les plus illustres et les plus sages d'entre les Cré- 10 tois nous conduisirent dans un bois antique et sacré, reculé" de lu vue des hommes profanes," oit les vieillards" que Minos triait établis juges du peuple et gardes" des lois nous assemblèrent" Nous étions les mêmes qui avions combattu dans les jeu:c; nul" autre n'y fut admis. Les sages ouvrirent le livre où toutes les 1& lois de Minos sont recueillies.'" Je me sentjs saisi de respect et de honte'" quand j'approchai du ces vieillards que Tige rendait vénérables sans leur ôler la vigueur de l'usprit. Ils étaient assis avec ordre, et immobiles dans leurs places : leurs cheveux étaient blancs; plusieurs n'en avaient presque plus,"" On voyait reluire" 30 sur leurs visages graves une sagesse douce et tranquille ; ils ne se pressaient point" de parler; ils ne disaient que ce qu'ils avaient résolu de dire. Quand ils étaient d'avis"' diSërents, ils étaient si modères à soutenir ce qu'ils pensaient de part et d'autre," qu'on aurait cm"'' qu'ils étaient tous d'une même opinion. La longue 3& expérience des choses passées, et l'habitude du travail, leur don- naient de grandes vues"' sur toutes choses ; mais ce qui perfection- nait le plus" leur raison,'" c'était le caimo" de leur esprit délivré'" \^ des folles" passions et des caprices de la jeunesse. La sagesse toute seule agissait en eux," et le fruit de leur longue vertu était 30 d'avoir si bien dompté'^ leurs humeurs,^' qu'ils goûtaient sans I qae J9 ne, lat I; M., i 138, (5).— 2 borne, bo.rncr.—'i mieux nu Ittt tihaiisled. — 1 en état de, able.~h devancer, to ouirun. — 6 fermer, o 7 pour ï réasair, lo acarmplith thù. — S hsBarda, nm the ria/r. — 9 de ee la break hit car— iO eflêetivement, ociua/iy.—l 1 faire— le tour, toiarnahoH. 13 engagé, intdvcd. — 13 oarrière, gael — 14 reculé, Timole. — 19 des hommei frofanea, fnna tht pro/ime. — 16 vieillards, cldcrs. — 17 gardes, guardiar- S «Memblèreot, conrenrd.—l9 nul— ne, no; M. S30, (7)— 20 recueilli. toOecled. -~-2l honte, Aumato— ,22 presque pins, almoal ticbi* Uft.—23 r^uii akining.—Zi ne se pressaient point, leere noi ltaaty.—2S avis, opaiùi 26 de part et d'antre, on eOhtr sirfs.- 27oru, Mieeid ; from croire, M. p. 3( 28 grandes vues, grtai îniighl.—29 perfectionnait le plus, amduted the ™ toperfett—'iii raison, diacemment—'il oalma, («fattnus.— 32 délivré, /r.. 33 follo^ turbulent.— 'ii agissait eo cm, icm tkeir princxple of action- 35 dompté, siiMuerf— 36 hunjeura, diaprailiont. 1 84 TBLBMAQUE. LIV. V. peine le doux et noble plaisir d'écouter la raison. En les admi- rant je souhaitai que ma vie pût s'accourcir* pour arriver tout-à- coup à une si estimable vieillesse.^ Je trouvais la jeunesse mal- heureuse d'être si impétueuse et si éloignée de cette vertu si 6 éclairée" et si tranquille. Le premier 'd'entre ces vieillards ouvrit le livre des lois de Minos. C'était un grand livre qu'on tenait d'ordinaire* renfermé* dans une cassette" d'or avec des parfums. Tous ces vieillards le baisèrent avec respect; car ils disent qu'après^ les dieux, de qui 10 les bonnes lois viennent, rien ne doit être si sacré aux hommes que les lois destinées à les rendre bons, sages, et heureux. Ceux qui ont dans leurs mains les lois pour gouverner les peuples doi- V^ vent® toujours se laisser gouverner eux-mêmes par les lois. C'est la loi, non pas l'homme, qui doit régner. Tel était le discours de 15 ces sages. Ensuite celui qui présidait proposa trois questions, qui devaient être* décidées" par les maximes de Minos. La première question était de savoir quel est le plus libre de tous les hommes. Les uns répondirent que c'était un roi qui avait sur son peuple un empire" absolu et qui était victorieux de 20 tous ses ennemis. D'autres soutinrent" que c'était un homme si riche qu'il pouvait contenter tous ses désirs. D'autres dirent que c'était un homme qui ne se mariait point, et qui voyageait^* pen- dant toute sa vie en divers pays sans jamais être assujetti^* aux lois d'aucune nation. D'autres s'imaginèrent que c'était un bar- 26 bare, qui, vivant de sa chasse" au milieu des bois, était indépen- dant de toute police" et de tout besoin. D'autres crurent que c'était un homme nouvellement affranchi," parcequ'en sortant" des rigueurs de la servitude il jouissait plus qu'aucun autre des douceurs de la liberté. D'autres enfin s'avisèrent" de dire que 30 c'était un homme mourant,^" parceque la mort le délivrait de tout, et que tous les hommes ensemble n'avaient plus aucun pouvoir sur lui. Quand mon rang'** fut venu, je n'eus pas de peine^" à répondre, parceque je n'avais pas oublié ce que Mentor m'avait dit souvent. \y Le plus libre de tous les hommes, répondis-je, est celui qui peut 1 s'ttocoarcir, be sharterud. — 2 vieillesse, old âge. — 3 éclairée, enligfitened. 4 d'vdinaire, usuaJly. — 5 renfermé, endosed. — 6 cassette, box. — 7 après, ncrt to.— 8 doivent, shomd. — 9 devaient être, wtre to be. — 10 décidées, resolved. 11 empire, power. — 12 soutinrent, maintairud. — 13 voyageait, travelled. 14 assujetti, subjecting himself — 15 chasse, hunting. — 16 police, restriction. 17 affranchi, mode free. — 18 sortant, being relievea; from sortir, ir. 2. M. ?. 386. 19 s'avisèrent, even betkought themselves. '20 mourant, dying. 1 rang, tum. 22 je n'eus pas de peine, tcas not at a loss. LIV. V. TÉLÉMAQUE. 85 être libre dana l'esclavage même. En quelque^ pays et en quelque condition qu'on soit, on est très libre pourvu qu'on craigne les dieux, et qu'on ne craigne qu'eux. En un mot, l'homme véritable- ment libre est celui qui, dégagé'' de toute crainte et de tout désir, n'est soumis qu'aux dieux et à sa raison. Les vieillards s'entre- 6 regardèrent' en souriant, et furent surpris de voir que ma réponse fût précisément celle de Minos. Ensuite on proposa la seconde question en ces termes î* Quel est le plus malheureux de tous les hommes ? Chacun disait ce qui lui venait dans* l'esprit. L'un disait: C'est un homme qui n'a 10 ni bien, ni santé, ni honneur. Un autre disait : C'est un homme qui n'a aucun ami. D'autres soutenaient* que c'est un homme qui a des enfants ingrats et indignes^ de lui. Il vint® un sage de l'île de Lesbos, qui dit: Le plus malheureux de tous les hommes est celui qui croit l'être f car le malheur dépend" moins des choses 16 qu'on souffre, que de l'impatience avec laquelle on augmente" son malheur. A ces mots toute l'assemblée se récria :^^ on applaudit, et cha- cun crut^' que ce sage Lesbien remporterait" le prix sur cette question. Mais on me demanda ma pensée," et je répondis, sui- 20 vaut" les maximes de Mentor : Le plus malheureux de tous les hommes est un roi qui croit être heureux en rendant les autres \^ misérables. Il est doublement malheureux par son aveuglement :" ne connaissant pas son malheur, il ne peut s'en guérir;^® il craint même de le connaître. La vérité ne peut percer la foule des flat- 25 teurs pour aller jusqu'à lui." Il est tyrannisé par ses passions ; il ne connaît point ses devoirs ; il n'a jamais goûté^" le plaisir de faire le bien, ni senti"^ les charmes de la pure vertu. Il est mal- heureux, et digne de l'être: son malheur augmente tous les jours f^ il court à sa perte ; et les dieux se préparent à le confon- 30 dre par une punition éternelle. Toute l'assemblée avoua^' que j'avais vaincu le sage Lesbien, et les vieillards déclarèrent que j'avais rencontré'** le vrai sens de Minos. Pour la troisième question, on demanda : Lequel des deux est 1 quelque, whatever. — 2 dégagé, jTrce. — 3 s'entre-regardèrent, looked wpon each other. — 4 termes, words. — 5 venait dans, erUered. — 6 soutenaient, dbn- tended. — 7 indignes, unworthy. — 8 il vint, there came. — 9 l'être, tfuit heis so; M. L. 46, R. 4. — 10 dépend, avises. — 11 augmente, increases. — 12 se récria, shonied. — 13 crut, believed. — 14 remporterait, would obtain. — 15 pensée, opinion. — 16 suivant, inconformity loith. — 17 aveuglement, blindness. — 18 s'en guérir, cure himself of U. — 19 aller jusqu'à lui, reach him. — 20 goûté, tasted^ enjoyed.— 21 senti, been sensible of. — 22 tous les jours, daily ; M. L. 26, R. Q, 23 avoua, declared. — 24 rencontré, erpressed. 86 TÉLÉMAQUE. LIV. V. préférable; d'un côté, un roi conquérant et invincible dans la guerre ; de l'autre, un roi sans expérience de la guerre, mais pro- pre* à policer" sagement les peuples dans la paix? La plupart* répondirent que le roi invincible dans la guerre était préférable. 6 A quoi sert,* disaient-ils, d'avoir un roi qui sache^ bien gouver- ner en paix, s'il ne sait pas défendre le pays quand la guerre vient ? les ennemis le vaincront et réduiront son peuple en servi- tude. D'autres soutenaient, au contraire, que le roi pacifique serait meilleur, parcequ'il craindrait la guerre et l'éviterait par ses soins." 10 D'autres disaient qu'un roi conquérant travaillerait à"^ la gloire de son peuple aussi bien qu'à la sienne, et qu'il rendrait ses sujets maîtres des autres nations ; au lieu qu'un® roi pacifique les tien- drait* dans une honteuse lâcheté.*" On voulut savoir" mon sen- timent. Je répondis ainsi : 16 Un roi qui ne sait gouverner que dans la paix ou dans la guerre, et qui n'est pas capable de conduire*'' son peuple dans ces deux >/ états,** n'est qu'à demi** roi. Mais si vous comparez un roi qui ne sait que la guerre, à un roi sage qui, sans savoir** la guerre, est capable de la soutenir dans le besoin par ses généraux, je le 20 trouve** préférable à l'autre. Un roi entièrement tourné à la guerre*"^ voudrait toujours la faire pour étendre sa domination et sa propre gloire : il ruinerait son peuple. A quoi sert-il*® à un peu- ple que son roi subjugue d'autres nations, si on est malheureux sous son règne ? D'ailleurs, les longues guerres entraînent*' tou- 25 jours après elles beaucoup de désordres : les victorieux même se dérèglent^" pendant ces temps de confusion. Voyez ce qu'il en coûte" à la Grèce pour avoir triomphé de Troie: elle a été privée de ses rois pendant plus do dix ans. Lorsque tout est en feu par la guerre,'*'* les lois, l'agriculture, les arts, languissent : les meil- 30 leurs princes même, pendant qu'ils ont une guerre à soutenir, sont contraints de faire'*'' le plus grand des maux, qui est de tolérer la licence,"* et de se servir'** des méchants. Combien y a-t-il de scélérats"" qu'on punirait pendant la paix, et dont on a besoin"' de 1 propre, qualified. — 2 policer, to govtrn. — 3 plupart, mqjority; M. L. 85, R. 3. — 4 A. nnoî serf., mh/it dn/rn if n.rni.iJ. — K snixliA. Icnrun» • /V/i4n e^wÂ.*^ 6 9 duire, , __ ^ , _„ „„^ _ _ _.^„, being acquainted with. — 16 trouve, deevfi. — 17 tournée la guerre, of war- like inclincUûms. — 18 à quoi sert-il, qf wIicU use îs U. — 19 entraînent, hring. 20 se dérèglent, become corrupt. — 2*1 ce qu'il en coûte, what it has cost. 22 tout est en feu par la guerre, war has kindled ail. — 23 faire, commit. 24 licence, licentiousnes8.—25 se servir, to empl^ ; M. L. 39, R. 2.-26 scé- lérats, vîaains.—27 on a besoin, they must. LIV, V. TÊLBMAQUE. 87 récompenser l'aadace^ dans les désordres de la guerre ! Jamais aucun peuple n'a eu un roi conquérant, sans avoir beaucoup souf- fert de son ambition. Un conquérant, enivré'' de sa gloire, ruine \y^ presque autant sa nation victorieuse que les nations vaincues. Un prince qui n'a point les qualités nécessaires pour la paix, ne peut 5 faire goûter à ses sujets les fruits d'une guerre heureusement* finie: il est comme un homme qui défendrait son champ contre son voi- sin et qui usurperait celui de voisin même, mais qui ne saurait ni labourer ni semer pour recueillir* aucune moisson. Un tel homme semble né pour détruire, pour ravager, pour renverser* le monde, 10 et non pour rendre un peuple heureux par un sage gouvernement. Venons maintenant au roi pacifique. Il est vrai qu'il n'est pas propre à de' grandes conquêtes ; c'est-à-dire qu'il n'est pas né'' pour troubler le bonheur de son peuple en voulant vaincre les autres nations que la justice ne lui a pas soumises; mais s'il est 15 véritablement propre à gouverner en paix, il a toutes les qualités nécessaires pour mettre son peuple en sûreté® contre ses ennemis. Voici comment ;* Il est juste, modéré, et commode à l'égard de" v ses voisins; il n'entreprend jamais contre eux rien qui puisse troubler la paix: il est fidèle dans ses alliances. Ses alliés 20 l'aiment, ne le craignent point, et ont une entière confiance en lui. S'il a quelque voisin inquiet," hautain et ambitieux, tous les autres rois voisins, qui craignent ce voisin inquiet, et qui n'ont aucune jalousie du roi pacifique, se joignent à" ce bon roi pour l'empêcher d'être^'' opprimé.** Sa probité, sa bonne foi, sa modération, le 26 rendent l'arbitre de tous les états qui environnent le sien.** Pen- dant que" le roi entreprenant est odieux à tous les autres, et sans cesse exposé à leurs ligues,*"^ celui-ci a la gloire d'être comme le père et le tuteur*® de tous les autres rois. Voilà les avantages qu'il a au-dehors." Ceux dont il jouit au- 30 dedans''" sont encore plus solides. Puisqu'il est propre à gouver- ner en paix, je suppose qu'il gouverne par les plus sages lois. Il retranche'** le faste, la mollesse, et tous les arts qui ne servent qu'à flatter les vices ; il fait fleurir'*'' les autres arts qui sont utiles 1 l'audace, boldness. — 2 enivré, intoxicaied. — 3 heureusement, «Mccc«s/utty. 4 recueillir, toreap. — 5 renverser, (W?er/wm. — 6 propre à de, qualifitdfor ; M. 13 pour l'empêcher d'être, io prevent his heing. — 14 opprimé, oppressée. 15 le sien, his ovm. — 16 pendant que, whUe. — 17 ligues, canùnruUùms. — 18 tu- teur, gtiardian. — 19 au-dehors, àbroad. — 20 au-dedans, ai home. — 21 re- tranche, restrains. — 22 fait fleurir, encourages. 88 TÉLBMAQUE. LIV. V. aux véritables besoins de la vie ; sur-tout il applique* ses sujets à Pa^culture. Par là il les met^ dans l'abondance des choses né- cessaires. Ce peuple laborieux, simple dans ses mœurs, accou- tumé à vivre de peu, gagnant facilement sa vie' par la culture de 6 ses terres, se multiplie à Pinfini.* Voilà dans ce royaume un peuple innombrable, mais un peuple sain, vigoureux, robuste, qui n'est point amolli* par les voluptés, qui est exercé* à la vertu, qui n'est point attaché aux douceurs d'une vie lâche et délicieuse, qui sait mépriser la mort, qui aimerait mieux'^ mourir que de perdre 10 cette liberté qu'il goûte* sous un sage roi appliqué à ne régner que' pour faire régner la raison. Qu'un*" conquérant voisin attaque ce peuple, il ne le trouvera peut-être pas assez" accou- tumé à camper, à se ranger en" bataille, ou à dresser*'' des ma^ chines pour assiéger" une ville ; mais il le trouvera invincible par 16 sa multitude,** par son courage, par sa patience dans les fatigues, par son habitude de souffrir la pauvreté, par sa vigueur dans les combats, et par une vertu que les mauvais succès mêmes ne peu- vent abattre.*" D'ailleurs, si ce roi n'est pas assez expérimenté pour commander lui-même ses armées, il les fera commander par 20 des gens qui en seront capables, et il saura s'en servir,*^ sans per- dre son autorité. Cependant il tirera*® du secours de ses alliés : ses sujets aimeront mieux mourir que de passer sous la domina- tion** d'un autre roi violent et injuste: les dieux mêmes com- battront pour lui.^" Voyez quelles ressources il aura au milieu'* 25 des plus grands périls. Je conclus donc que le roi pacifique qui ignore la guerre est un . roi très imparfait, puisqu'il ne sait point remplir''^ une de ses plus grandes fonctions,*^ qui est de vaincre ses ennemis ; mais j'ajoute qu'il est néanmoins infiniment supérieur au roi conquérant qui 30 manque des'** qualités nécessaires dans la paix, et qui n'est propre qu'à la guerre. J'aperçus dans l'assemblée beaucoup de gens qui ne pouvaient goûter'** cet avis; car la plupart des hommes, éblouis par les choses éclatantes,'^'' comme les victoires et les conquêtes, les pré- 1 applique, tums thc attention of. — 2 met, places. — 3 vie, liveliliood. — 4 à l'infini, inJiniteLy. — 5 amolli, effieminated.—é exercé, inured. — 7 aimerait mieux, would rather. — 8 goûte, enjoy. — 9 appliqué à ne régner que, ichose sole study in ruling. — 10 qu'un, let a. — 11 assez, sufficiently. — 12 à se ranger en, to form. the order of. — 13 dresser, to erect^ — 14 assiéger, to besiege. 15 multitude, numbers. — 16 abattre, svbdue. — 17 s'en servir, ^ise them ; M. L. 39, R. 2. — 18 tirera, wiU obtain. — 19 domination, rule. — 20 pour lui, on h%8 suie. — 21 au milieu, amidst. — 22 remplir, to exécute. — 23 fonctions, duties. 24 manque des, lacks.—2^ goûter, relish.— 26 éclatantes, dazzling. trv. V. TÊLÉMAQUE. 89 fêrent à ce qui eut simple, tranquille et solide, comme la pais et la bonne police' des peuples. Mais tous les vieillards déclarèrent que j'avais parlé comme Minoa. Le premier de ces vieillards s'écria; Je vois' l'accomplissement d'un oracle d'Apollon, connu dans toute' notre lie. Minos avait S consulté le dieu pour savoir combien de temps* sa race' régnerait suivant les lois qu'il venait d'établir. Le dieu lui répondit: Les tiens' cesseront de régner quand nu étranger entrera dans ton Ile pour y faire régner tes lois. Nous avions craint que quelque étranger ne'' vint fiiire la conquête de l'ile de Crête ; mais le mal- 10 heur d'Idoménée, et la sagesse du fils d'Ulysse qui entend" mieux que nul' autre mortel les IoIei de Minos, nous montrent le Bens'° de l'oracle. Que tardons-nous" ù couronner celui que les des- tina" nous donnent pour" roi? 1 police, govsrnTnent. — 2 jo tqîb, / perceive, ikîs is. — 3 cDDnn dons touto, Imovm throughout ! from connaîire, ir. i. M, p. 262.~i combien da t«mu, AoiB long; M. L. 44, E. 1.^5 race, family.—G les tiens, Ihy vosteritu; M. S 35, (3),p. 312.— 7 qne— ne, liât; ïlf. 4 13S (3},p. 452.— 8 entend, widtr- sta,i\ds.~g nul, any— 10 fena, (rue tense.— 11 quu tardooB-nooa, whi/dj) lee rfiiny.— 12 dejtias,/n/f.— 13 pour, osa. FIN DU LIVRE CINQC1ÈMB. LIVRE SIXIÈME. Sommaire. — Télémaque raconte qu'il refusa la royauté de Crète pour re- tourner en Ithaque : qu'il proposa d'élire^ Mentor, qui refusa aussi le diadème: qu'enfin l'assemblée pressant Mentor de choisir pour toute la nation, il leur avait exposé'' ce qu'il venait d'apprendre^ des vertus d' Aris- todème, qui fut proclamé roi au même moment; qu'ensuite Mentor et lui^ s'étaient embarqués pour aller en Ithaque ; mais que Neptune, pour consoler Vénus irritée, leur avait fait faire le naufrage^ après lequel la déesse Oaljpso venait de les recevoir dans son île. Aussitôt les vieillards sortent de Teuceinte" du bois sacré f et le premier, me prenant par la main, annonça au peuple, déjà im- patient dans l'attente® d'une décision, que j'avais remporté' le prix. A peine acheva-t-il de parler, qu'on entendit un bruit con- 6 fus de toute l'assemblée. Chacun pousse des cris de joie. Tout le rivage et toutes les montagnes voisines retentissent^" de ce cri: Que" le fils d'Ulysse, semblable à*^ Minos, règne sur les Cretois ! J'attendis un moment, et je faisais signe de la main pour de- mander" qu'on m'écoutât." Cependant Mentor me disait à 10 l'oreille:" Renoncez-vous à votre patrie? l'ambition de régner vous fera-t-elle oublier Pénélope qui vous attend" comme sa der- nière espérance, et le grand Ulysse que les dieux avaient résolu de vous rendre ? Ces paroles percèrent mon cœur et me soutin- rent contre le vain désir de régner. 16 Cependant un profond silence de toute cette tumultueuse assemblée me donna le moyen*' de parler ainsi: O illustres Cré- 1 d'élire, that they shouLd elect. — 2 exposé, related. — 3 venait d'apprendre, hadjust heard; M. L. 26, R. 2.-4 lui, he; M. §33, (10), pp. 310, 311. 5 fait faire le naufrage, had caused that ttreck. — 6 enceinte, t/u prtcincts, 7 bois sacré, consecrated grove. — 8 attente, erpectation — 9 remporte, carried. . — 12 semblable à, similar to. — 13 de- that they should hear me. — 15 me di- attend, avaita y ou. — 17 le moyen, an opportuniiy. UV. YL TELÉMAQUE. 91 tois, je ne mérite point de vous commander. L'oracle qu'on vient de rapporter^ marque bîen^ que la race de Minos cessera de régner quand un étranger entrera dans cette île, et y fera régner* les lois de ce sage roi : mais il n'est pas dit que cet étranger régnera. Je veux* croire que je suis cet étranger marqué par 6 l'oracle. J'ai accompli la prédiction ; je suis venu dans cette île, j'ai découvert le vrai sens des lois, et je souhaite que mon expli- cation serve* à les faire régner avec l'homme que vous choisirez. Pour moi, je préfère ma patj-ie, la pauvre petite île d'Ithaque, aux cent villes de Crète, à la gloire et à l'opulence de ce beau royaume. 10 Souffrez que je suive' ce que^ les destins ont marqué. Si j'ai combattu dans vos jeux, ce n'était pas dans l'espérance de régner ici ; c'était pour mériter votre estime et votre compassion ; c'était afin que vous me donnassiez les moyens de retourner prompte- ment au lieu de ma naissance : j'aime mieux obéir à mon père 16 Ulysse, et consoler ma mère Pénélope que de régner sur tous les peuples de l'univers. O Cretois, vous voyez le fond de mon cœur: il faut que je vous quitte, mais la mort seule pourra finir" ma reconnaissance. Oui, jusques au dernier soupir, Télémaque aimera les Cretois, et s'intéressera* à leur gloire comme à la 20 sienne propre. A peine eus-je parlé, qu'il s'éleva dans l'assemblée un bruit sourd*" semblable à celui des vagues de la mer qui s'entre-cho- quent" dans une tempête. Les uns*^ disaient : Est-ce quelque divinité sous une figure*' humaine? D'autres soutenaient" qu'ils 25 m'avaient vu en d'autres pays, et qu'ils me reconnaissaient. D'autres s'écriaient : Il faut" le contraindre*" de régner ici. En- fin je repris" la parole,** et chacun se hâta de se taire,** ne sa- chant si je n'allais point accepter ce que j'avais refusé d'abord.'"* Je leur dis : 30 Souffrez,^* ô Cretois, que je vous dise ce que je pense. Vous êtes le plus sage de tous les peuples ; mais la sagesse demande, ce me semble, une précaution qui vous échappe.''^ Vous devez 1 qu'on vient de rapporter, which hasjust been mioted. — 2 marque bien, in- dicateSf U is true. — 3 fera régner, shaU re-tstmlish. — 4 veux, am wiUing, 5 serve, may contribute. — 6 que je suive, me tojbllow. — 7 ce que, tfu course. 8 finir, put an end to. — 9 s' intéressera, /«cZ an interest in. — 10 bruit sourd, a deep murmur. — II s'entre-choquent, break against each other. — 12 les uns, «orne. — 13 figure, appearance, shape. — 14 soutenaient, ojffi,rmed. — 15 il faut, we must. — 16 contraindre, compel.— 17 repris, resumed; from reprendre, M. p. 382. — 18 la parole, my discourse. — 19 se hâta de se taire, wa$ ailerU in a wuwicn/.— 20 d'abord, at Jir8t.—2\ souffrez— que je, aUow me to.— 22 vous échappe, youforget. 92 TBLBMAQUE. UV. VL choisir, non pas l'homme qui raisonne le mieux sur les lois, mais \/ celui qui les pratique avec la plus constante vertu. Pour moi, je suis jeune, par conséquent^ sans expérience, exposé à la vio- lence des passions : et plus en état de m'instruire^ en obéissant 6 pour commander un jour, que de commander maintenant. Ne cherchez donc pas un homme qui ait' vaincu les autres dans les jeux d'esprit et de corps, mais qui se soit' vaincu lui-même ; cher- chez un homme qui ait' vos lois écrites dans le fond de son cœur, et dont toute la vie soit la pratique de ces lois; que* ses actions, 10 plutôt que ses paroles, vous le fassent* choisir. Tous les vieillards, charmés de ce discours, et voyant toujours croître* les applaudissements de l'assemblée, me dirent : Puisque les dieux nous ôtent l'espérance de vous voir régner au milieu de nous, du moins aidez-nous à trouver un roi qui fasse régner'' nos 16 lois. Connaissez- vous quelqu'un qui puisse commander avec cette modération ? Je connais, leur dis-je d'abord, un homme de qui je tiens* tout ce que vous avez estimé en moi ; c'est sa sa- gesse et non pas la mienne qui vient* de parler, et il m'a inspiré toutes les réponses que vous venez' d'entendre. 20 En même temps toute l'assemblée jeta les yeux sur Mentor, que je montrais, le tenant par la main. Je racontais les soins qu'il avait eus*** de mon enfance, les périls dont il m'avait délivré, les malheurs" qui étaient venus fondre** sur moi dès que j'avais cessé de suivre ses conseils. 25 D'abord on ne l'avait point regardé*' à cause de" ses habits" simples et négligés, de sa contenance modeste, de son silence presque continuel, de son air froid et réservé. Mais quand on v s'appliqua à le regarder,*® on découvrit dans son visage je ne sais quoi de ferme et d'élevé ;*^ on remarqua la vivacité de ses yeux 30 et la vigueur avec laquelle il faisait*® jusqu'aux moindres actions. On le questionna, il fut admiré : on résolut de le faire roi. H s'en défendit** sans s'émouvoir:** il dit qu'il préférait les douceurs d'une vie privée à l'éclat** de la royauté : que les meilleurs rois étaient malheureux en ce qu'ils** ne faisaient presque jamais 1 par conséquent, consequenily. — 2 en état de m' instruire, in a situation requiring instruction. — 3 See M. L. 74, R. 3. p. 202, on the itse qf the subjunc- tive.—A que, Itt. — 5 vous fassent, induce you. — 6 croître, increase. — 7 fasse régner, put in force; see note 3. — 8 tiens, dérive. — 9 See M. Z/. 26, R. 2. 10 eus, taken. — 11 malheurs, calamities. — 12 qui étaient venus fondre, that fdl. — 13 regardé, noticed. — 14 à cause de, on account qf. — 15 habits, dress, 16 s'appliqua à le regarder, looked at him closely. — 17 élevé, noble. — 18 fai- sait, performed; from faire^ M. p. 372.— 19 s'en défendit, declined thia. 20 sans s'émouvoir, wifhmti émotion. — 21 éclat, splendor. — 22 en ce qu'ils, in as miteh as they. UV. VL TÉLÉMAQUE. 98 le bien qu'ils voulaient faire, et qu'ils faisaient souvent, par la sur- prise^ des flatteurs, les maux qu'ils ne voulaient pas. Il ajouta que si la servitude est misérable, la royauté ne l'est pas moins, puisqu'elle est une servitude déguisée. Quand on est roi, disait- il, on dépend de tous ceux dont on a besoin pour se faire obéir.' 5 Heureux celui qui n'est point obligé de commander ! Nous ne devons qu'à notre seule patrie, quand elle nous confie l'autorité, le sacrifice de notre liberté pour travailler au bien public. Alors les Cretois, ne pouvant revenir de* leur surprise, lui demandèrent quel homme ils devaient choisir. Un homme, ré- 10 pondit-il, qui vous connaisse bien,* puisqu'il faudra* qu'il vous gouverne, et qui craigne de vous gouverner. Celui qui désire la royauté ne la connaît pas : et comment en remplira-t-il les devoirs, ne les connaissant point? Il la cherche pour lui: et vous devez désirer un homme qui ne l'accepte que pour l'amour de vous." 16 Tous les Cretois furent dans un étrange étonnement de voir deux étrangers qui refusaient la royauté, recherchée par tant d'autres : ils voulurent savoir avec qui ils étaient venus. Nausi- crate, qui les avait conduits depuis le port jusqu'au cirque où l'on célébrait les jeux, leur montra Hazaël avec lequel Mentor et moi^ 20 nous étions venus de l'île de Chypre. Mais leur étonnement fut encore bien plus grand quand ils surent* que Mentor avait été es- clave d'Hazaël ; qu'Hazaël, touché de la sagesse et de la vertu de son esclave, en avait fait son conseil® et son meilleur ami ; que cet esclave mis en^** liberté était le même qui venait de refuser 25 d'être roi, et qu'Hazaël était venu de Damas en Syrie pour s'instruire des" lois de Minos, tant" l'amour de la sagesse rem- plissait son cœur. Les vieillards dirent à Hazaël: Nous n'osons" vous prier de nous gouverner, car nous jugeons** que vous avez les mêmes 30 pensées que Mentor. Vous méprisez trop les hommes pour vou- loir vous charger de" les conduire:" d'ailleurs vous êtes trop détaché des richesses et de l'éclat de la royauté pour vouloir acheter*^ cet éclat par les peines attachées au gouvernement des peuples. Hazaël répondit: Ne croyez pas, ô Cretois, que je 36 1 surprise, circumvention. — 2 se faire obéir, to enforce obédience. — 3 reve- nir de, recover from. — 4 connaisse bien, well acquainted ; see M. L. 74, R. 3, p. 202. — 5 faudra qu'il, ht vnist; from falloir. -—6 pour l'amour de vouSj^br vour sake. — 7 moi, /; M. §33, (10), p. 310. — 8 surent, leamt; from savoir. 9 conseil, adviser. — 10 mis en, set ai; from mettre. — 11 s'instruire des, to 6c- comne acquainted with. — 12 tant, so much. — 13 n'osons, dare not; M. % 138, (2). 14 jugeons, suppose; JVi". § 49, (1). — 15 vous charger de, to take upon your- self the care of — 16 les cqxAmvc% governing therm. — 17 acheter, topurchase. 94 TÉLÉMAQUS. UT. Tt méprisé les hommes. Non, non : je sais combien il est grand de travailler à les rendre bons et heureux ; mais ce travail est rem- pli* de peines et de dangers. L'éclat qui y est attaché est faux, et ne peut éblouir" que des âmes vaines. Ija vie est courte ; les \ fi grandeurs irritent plus les passions qu'elles ne* peuvent les con- tenter : c'est pour apprendre à me passer de* ces faux biens,* et non pas pour y parvenir,' que je suis venu de si loin.'^ Adieu. Je ne songe qu'à* retourner dans une vie paisible et retirée, où la sagesse nourrisse mon cœur, et où les espérances qu'on tire* de 10 la vertu pour une autre meilleure vie après la mort me consolent dans les chagrins de la vieillesse. Si j'avais quelque chose à souhaiter, ce ne serait pas d'être roi, ce serait de ne me séparer jamais de ces deux hommes que vous voyez. Enfin les Cretois s'écrièrent, parlant à Mentor : Dites-nous, ô 16 le plus sage et le plus grand de tous les mortels, dites-nous donc qui est-ce que nous pouvons choisir pour notre roi : nous ne vous laisserons point aller que" vous ne nous ayez appris" le choix que nous devons faire. Il leur répondit: Pendant que j'étais dans la foule des spectateurs, j'ai remarqué un homme qui ne 20 témoignait" aucun empressement :" c'est un vieillard assez vigou- reux. J'ai demandé" quel homme c'était, on m'a répondu qu'il s'appelait" Aristodème. Ensuite j'ai entendu qu'on lui disait que ses deux enfants étaient au nombre de ceux qui combattaient ; il a paru*' n'en avoir aucune joie : il a dit que pour l'un" il ne lui 26 souhaitait point les périls de la royauté, et qu'il aimait trop sa patrie pour consentir que l'autre régnât jamais. Par-là j'ai com- pris que ce père aimait d'un amour raisonnable" l'un de ses en- fants qui a de la vertu, et qu'il ne flattait point l'autre dans ses dérèglements." Ma curiosité augmentant, j'ai demandé quelle a été 30 la vie de ce vieillard. Un de vos citoyens m'a répondu : Il a long- temps porté"" les armes, et il est couvert de blessures :"* mais sa vertu sincère et ennemie de la flatterie l'avait rendu incommode"" à Idoménée. C'est ce qui empêcha"* ce roi de s'en servir"* dans la siège de Troie : il craignit un homme qui lui donnerait de ser nir is. — 9 tire, draw. — 10 que, until. — 11 appris, directed us in; from, apprendre. 12 témoignait, exhibited. — 13 empressement, eagerness. — 14 demandé, in- miired. — 15 s'appelait, wds caUed. — 16 paru, anpeared ; Jrom paraître, ir. 4. jkf.p, 378. — 17 pour l'un, withrespect to oneqfthem. — 18 raisonnable, rationaJ. 19 déréglementa, vices. — 20 porte, borne. — 21 blessures, wounds.— 22 incom- mode, disagreeable. — 23 empêcha, prevented. — 24 s'en servir, to empl&y him- l tif. TL TÉLSMAQUE. 96 sages conseils qu'il ne pourrait se résoudre à suivre; il fût même jaloux de la gloire que cet homme ne manquerait pas^ d'acquérir bientôt ; il oublia tous ses services ; il le laissa ici pauvre, méprisé des hommes grossiers^ et lâches qui n'estiment que les richesses. Mais, content dans sa pauvreté, il vit gaiement' dans un endroit 6 écarté de l'île, oà il cultive son champ de ses propres mains. Un de ses fils travaille avec lui ; ils s'aiment tendrement, ils sont heu- reux. Par leur frugalité et leur travail ils se sont mis dans^ l'abon- dance des choses nécessaires à une vie simple. Le sage vieillard donne aux pauvres malades de son voisinage tout ce qui lui reste^ 10 au-delà de" ses besoins et de ceux de son fils. Il fait travailler / tous les jeunes gens; il les exhorte,"^ il les instruit; il juge tous les différents de son voisinage;^ il est le père de toutes les familles. Le malheur de la sienne est d'avoir un second fils qui n'a voulu suivre aucun de ses conseils. Le père, après avoir 16 long-temps souffert pour tâcher* de le corriger de ses vices, l'a enfin chassé :^° il s'est abandonné à une folle ambition et à tous les plaisirs. Voilà," ô Cretois, ce qu'on m'a raconté. Vous devez savoir si ce récit est véritable. Mais si cet homme est tel qu'on le dépeint,*^ 20 pourquoi faire des jeux 1" pourquoi assembler tant d'inconnus ?" Vous avez au milieu de vous un homme qui vous connaît et que vous connaissez ; qui sait la guerre ; qui a montré son courage non seulement contre les flèches" et contre les dards, mais contre V-^ l'affreuse pauvreté ; qui a méprisé les richesses acquises par la 25 flatterie ; qui aime le travail ; qui sait combien l'agriculture est utile à un peuple ; qui déteste le faste '^* qui ne se laissé point amollir par un amour aveugle de ses enfants ; qui aime la vertu de l'un, et qui condamne le vice de l'autre ; en un mot, un homme qui est déjà le père du peuple. Voilà votre roi, s'il est vrai que 30 vous désiriez" de faire régner chez vous les lois du sage Minos. Tout le peuple s'écria : Il est vrai, Aristodème est tel que vous le dites ; c'est lui qui est digne de régner. Les vieillards le firent" appeler: on le chercha dans la foule, où il était confondu" avec 1 ne manquerait pas, would not fail. — 2 grossiers, coarae. — 3 gaiement, chterfuUy. — 4 mis dans, possessed themsélvts of. — 5 reste, remains. — 6 au- delà de, abave. — 7 exhorte, stimulâtes. — 8 voisinage, neighborJvood. — 9 tâcher, endeavoTj — 10 chassé, exvelled. — 11 voilâL, this is. — 12 dépeint, represented; from, dépeindre^ M. p. 366. — 13 faire des jeuX, estàblish puhlic exercises, 14 inconnus, strangers. — 15 flèches, arrows. — 16 faste, parade. — 17 dési- riez, toish; see M. L. 73, R. 3, p. 199. — 18 firent, ordered. 19 confondu, TfUxed. / V 96 TBLÉMAQUE. LIV. VL les derniers* du peuple. Il parut tranquille.'* On lui déclara qu'on le faisait roi. Il répondit : Je n'y puis consentir qu'à' trois conditions. La première, que je quitterai* la royauté dans deux ans si je ne vous rends meilleurs que vous n'êtes,"* et si vous ré- 6 sistez aux lois. La seconde, que je serai libre" de continuer une vie simple et frugale. La troisième, que mes enfants n'auront aucun rang, et qu'après ma mort on les traitera sans distinction, selon leur mérite, comme le reste des citoyens. A ces paroles il s'éleva^ dans l'air mille cris de joie. Le dia- 10 déme fut mis par le chef des vieillards gardes des lois sur la tête d'Aristodème. On fit® des sacrifices à Jupiter et aux autres grands dieux. Aristodème nous fit des présents, non pas avec la magnificence ordinaire® aux rois, mais avec une noble simplicité. Il donna à Hazaël les lois de Minos écrites*" de la main de Minos lô même ; il lui donna aussi un recueil de toute l'histoire de Crète de- puis Saturne et l'âge d'or ; il fit mettre dans son vaisseau des fruits de toutes les espèces qui sont bonnes en Crète et inconnues dans la Syrie, et lui offrit tous les secours dont il pouvait avoir besoin." Comme nous pressions notre départ,*'* il nous fit préparer*' un 20 vaisseau avec un grand nombre de bons rameurs et d'hommes arm^s ; il y fit mettre** des habits pour nous et des provisions. A l'instant même il s'éleva*^ un vent favorable pour aller en Ithaque: ce vent, qui était contraire à Hazaël, le contraignit*® d'attendre. Il nous vit partir; il nous embrassa comme des amis 2$ qu'il ne devait*' jamais revoir. Les dieux sont justes, disait-il, ils voient*® une amitié qui n'est fondée que sur la vertu : un jour ils nous réuniront; et ces champs fortunés oïl l'on dit*^ que les justes jouissent après la mort d'une paix éternelle verront nos âmes se rejoindre'**^ pour ne se séparer jamais. Oh ! si mes cendres'** pou- 30 valent aussi être recueillies'*'* avec les vôtres ! En prononçant ces mots, il versait'*' des torrents de larmes, et les soupirs étouffaient sa voix. Nous ne pleurions pas moins que lui : et il nous con- duisif** au vaisseau. 1 derniers, lowest. — 2 tranquille, calm. — 3 qu'à, but on. — 4 quitterai, will resign. — 5 the ne is expletive ; M. § 138, (5). — 6 libre, at liberty. — 7 il s'éleva, there arose. — 8 fit, offered. — 9 ordinaire, usual. — 10 écrites, written ; from écrire^ M. p. 368; see also L. 98, R. 1. — 11 avoir besoin, need; M. L. 21, R. 4. — 12 nous pressions notre départ, we were impatient to leave. — 13 fit pré- parer, ordered to heJUted. — 14 y fit mettre, caused to be put on board ; M. L. 32, R. 3. — 15 il s'^eva, there arose. — 16 contraignit, compelled ; Jrom con- traindre, ir. 4. M. p. 364. — 17 devait, tcas, expected. — 18 voient, witness. — 19 l'on dit, it is said ; M. L. 35, R. 2. — 20 rejoindre, meet again. — 21 cendres, a^us. — 22 recueillies, coUected. — ^23 versait, shed. — 24 conduisit, accompanied. XJV.VL TÉLÉMAQUE. 97 Pour Aristodème, il nous dit : C'est vous qui venez de^ me £ure roi ; souvenez-vous des dangers où vous m'avez mis.' Deman- dez aux* dieux qu'ils m'inspirent la vraie sagesse, et que je sur- passe autant en modération les autres hommes, que je les surpasse en autorité. Pour moi, je les prie de vous conduire heureuse- 6 ment dans votre patrie, d'y confondre* l'insolence de vos ennemis, et de vous y faire voir* en paix Ulysse régnant avec sa chère Pé- nélope. Télémaque, je vous donne un bon vaisseau plein de rameurs et d'hommes armés ; ils pourront vous servir* contre ces hommes injustes qui persécutent votre mère. O Mentor, votre 10 sagesse, qui n'a besoin de rien, ne me laisse rien à désirer pour vous. Allez tous deux,'' vivez heureux ensemble, souvenez-vous" d'Aristodème : et si jamais les Ithaciens ont besoin des Cretois, comptez sur moi jusqu'au dernier soupir' de ma vie. H nous em- brassa; et nous ne pûmes, en le remerciant, retenir nos larmes. 16 Cependant le vent qui enflait nos voiles nous promettait une douce navigation. Déjà le mont Ida n'était^® plus à nos yeux que comme une colline ; tous les rivages disparaissaient ; les côtes du Péloponnèse semblaient s'avancer dans la mer pour venir au- devant de" nous. Tout-à-coup" une noire tempête enveloppa le 20 ciel," et irrita toutes les ondes de la mer. Le jour se changea en nuit, et la mort se présenta à nous. O Neptune, c'est vous qui excitâtes," par votre superbe" trident, toutes les eaux de votre empire! Vénus, pour se venger de ce que nous Favions mépri- sée jusques" dans son temple de Cythère, alla trouver*' ce dieu ; 26 elle lui parla avec douleur; ses beaux yeux étaient baignés de larmes : du moins" c'est ainsi que Mentor, instruit" des choses divines, me l'a assuré. Souffrirez-vous, Neptune, disait-elle, que ces impies se jouent*** impunément de ma puissance ? Les dieux mêmes la sentent; et ces téméraires mortels ont osé** condamner 30 tout ce qui se faif** dans mon île. Tls se piquent** d'une sagesse à toute épreuve,** et ils traitent** l'amour de folie. Avez-vous oublié que je suis née dans votre empire ? Que tardez-vous à 1 venez de, ?uwe just. — 2 mis, placed. — 3 demandez aux, request.-^ con- fondre, humble. — B vous faire voir, permit you to see^—S servir, asaist — 7 tous deux, both. — 8 souvenez- vous, remfiemberi M. L. 37, R. 2. — 9 soupir, breath, 10 était, appeared. — 11 au-devant de, to m^et. — 12 tout-à-ooup, avddeniy, 13 ciel, aky. — 14 excitâtes, agUated. — 15 superbe, powerful. — 16 jusques, eoen.—VI alla trouver, wmt to; M. L, 26, R. 1.— 18 du moins, at leaat. 19 instruit, a/:quainted.— 20 se jouent de, d^ide.— 21 osé, presumed.— 22 sa fait, takes place. — 23 se piouent, ^ride them8dce8,—2i à tout© épreuve, thU can resist aU temptationa. — 25 traitent, coll. ensevelir^ dans vos profonds abîmes ces deux hommes que je ne puis souflrir.* À peine avait-elle parlé, que* Neptune souleva les flots jusqu^au cîel, et Vénus rit,* croyant notre naufrage inévitable. Notre b pilote, troublé, s'écria qu'il ne pouvait plus résister aux vents qui nous poussaient* avec violence vers des rochers: un coup de vent* rompit notre mât ; et un moment après nous entendîmes les pointes des rochers qui entr'ouvraient^ le fond' du navire. L'éau entre de tous côtés; le navire s'enfonce ;• tous nos ra- 10 meurs jpoussent de lamentables cris vers le ciel. Pembrasse Mentor, et je lui dis : Voici^" la mOrt, il faut" la recevoir" avec courage. Les dieux ne nous ont délivrés de tant de périls que poiur nous faire périr aujourd'hui.** Mourons, Mentor, mourons. CTest une consolation pour moi de mourir avec vous ; il serait 15 inutile de disputer" riotre vie contre la tempête. Mentor me répondit : Le vrai courage trouve toujours quelque v-^ ressource. Ce n'est pas assez d'être prêt" à recevoir tranquille- ment la mort ; H faut, sans la craindre, faire tous ses efforts pour la repousser." Prenons, vous et moi," un de ces grands bancs" 20 de rameurs. 'Tandis que cette multitude d'hommes timides et troublés regrette" la vie sans chercher les moyens de la conser- ver, ne perdons pas un moment pour sauver la nôtre. Aussi- tôt*" il prend une hache,'** il achève de couper^* le mât qui était déjà rompu,**' et qui, penchant^* dans la mer, avais mis"' le vais- i5 seau sur le côté : il jette le mât hors du vaisseau,"* et s'élance"' dessus au milieu des ondes furieuses ; il m'appelle par mon nom, et m'encourage pour le suivre. Tel"' qu'un grand arbre que tous les vents conjurés"® attaquent, et qui demeure immobile sur ses profondes racines,*" en sorte que" la tempête ne fait qu'agiter*' 30 ses feuilles : de même Mentor, non seulement ferme et coura- geux, mais doux et tranquille, semblait commander aux vents et à la mer. Je le suis.** Hé ! qui aurait pu ne le pas suivre étant encouragé par lui ? 1 ensevelir, plvnge. — 2 donffrir, endure. — 3 que, fhan. — 4 rit, smiUd; froin rire^ M. p. 384. — 5 poussaient, drove. — 6 coup de vent, sudden gust. 7 éntr'ouvraient, hroke open. — 8 fond, botUntt. — 9 s'enfonce, sinks. — 10 voici, iMè &. — If il faut, we muât. — 12 recevoir, rruet. — 13 aujourd'hui, mnr, Uhday, 14 disputer, canttmd for. — 15 d'être prêt, to he préparée. — 16 repousser, r«- «di.— 17 Udol, // M. § 33, (10), (11).— 18 bancs, seats.— 19 regrette, dejiort Vu lOêÈ of. — 20 aussitôt, immediately. — 21 hache, ax. — 22 achève de couper, di- vUdes. — 23 rompu, broken. — 24 penchant, hanging. — 25 mis, laid. — 26 hors du vaisseau, from the vessel.— 27 s'élance, leaped.—2S tel, like. — 29 ooi^urés, combined.— 30 racines, roots.—dl en sorte que, so that.—Z2 ne fait qa'aglt«r, mereiy shakes.^^ smBffollowed; fram. suivre. UV.TL TÂLÉMAQUB. 98 Nous noQs conduisions' nous-mêmes sur ce mât flottant. C'éUit un grand secours pour nous, car nous pouvions cous asseoir des- sus ; et s'il edt fallu' nager sans relâche, dos forces eussent étâ bientôt épuisées. Mais souvent la tempête faisait tourner cette grande pièce de Ijois, et nous nous trouvions enfoncés' dans la 6 mer : alors noua buvions l'onde amère, qui coulait de notre bouche, de nos narines* et de nos oreilles; et nous étions coutraiots de disputer' contre les flots, pour rattraper le dessus* de ce mit. Quelquefois aussi une vague haute comme une montagne venait passer sur' noua, et noua nous tenions fermes,' de peur que," dans 10 cette violente secousse, le mat, qui était notre unique espênutce, ne'° nous écbapplt." Pendant que nous étions dans cet état affreux," Mentor, ausâ paisible qu'il l'est maintenant sur ce siège de gazon, me disait: Croyez-vous, Télémaque, que votre vie soit abandonnée aux venta 15 et aux flots ? Croyez-vous qu'ils puissent vous faire périr sans l'ordre des dieux 1 Non, non ; les dieux décident de" tout. Cest donc les dieux, et non pas la mer, qu'il faut craindre. Fussiez^ vous" au fond des abîmes, la main de Jupiter pourrait vous en tirer. Fussiez-voua dana l'Olympe, voyant les astres sous vos 20 pieds, Jupiter pourrait vous plonger au fond de l'abîme, ou vous précipiter dans lea flammes du noir Tartare. J'écoutais et j'admi- rais ce discours qui me consolait un peu; mais je n'avaie pas l'esprit assez libre pour lui répondre. Il ne me voyait point; je ne pouvais le voir. Nous passâmes toute la nuit, tremblants" 25 de froid et demi-morts, sans savoir où la tempête nous jetait. En- fin les vents commencèrent à s'apaiser:'* et la mer, mugissant," ressemblait à une personne qui, ayant été long-temps irritée," n'» plus qu'un reste" de trouble et d'émotion, étant lasse de se mettre en fureur; elle grondait" sourdement,"' et ses flots n'étaient 30 presque plus que comme les sillons" qu'on trouve dans nn champ labouré." Cependant l'aurore vint ouvrir au soleil les portes du ciel, et 1 coDdaiaiona, ttccrcd. — 2 e'il eBt fallu, had wt bcm campdlcd.—3 anfonoÉi, pi-anged. — i aarinos, mtslrile. — 5 disputer, coniôiii' " '- " ■e^jehthe upper part. — T venait passer aurj Toïled over. — 8 tenions fermes, kepi DurftoW,— 9 de peur qne. Itet.— 10 expletixe, ace M. $ 138, (4).— 11 nona échappât, shoald ie drirm/rom us.— 12 état affreuï, dreadfui tiiuatùm. 13 décident de, delerraine.—U fussiei-vous, ifyou in , blanla, ikivering, — 16 s' apaiser, (0 aiate. — 17 mugiaaaol, roarîtig. — 18 irritée, enraged.—l9 n'a pins qu'un teste, feels but some Temaina.—iO grondait, 100 TÉLÉMAQUE. UV. VL nous annonça un beau jour. L'orient était tout en feu; et les étoiles, qui avaient été si long-temps cachées, reparurent, et s'en- fuirent* à l'arrivée de Phébus. Nous aperçûmes de loin la terre, et le vent nous en approchait '} alors je sentis l'espérance renaître* 6 dans mon cœur. Mais nous n'aperçûmes aucun de nos com- pagnons : selon* les apparences, ils perdirent courage, et la tem- pête les submergea^ tous avec le vaisseau. Quand nous fûmes auprès de la terre, la mer nous poussait contre des pointes de rochers qui nous eussent brisés ;• mais nous tâchions^ de leur 10 présenter le bout® de notre mât : et Mentor faisait de ce mât ce qu'un sage pilote fait du meilleur gouvernail.' Ainsi nous évi- tâmes ces rochers affreux, et nous trouvâmes enfin une côte douce" et unie," où, nageant sans peine, nous abordâmes sur le sable. C'est là que vous nous vîtes, ô grande déesse qui habitez "^16 cette île ; c'est là que vous daignâtes" nous recevoir. 1 s'enfuirent, dîsappeared. — 2 nous en approchait, wafttd us towardit, 3 renaître, revive. — i selon, according to. — 5 submergea, sunk; M. §49, (1). 6 brisés, daahed us in pièces. — 1 tâchionS; endeavored. — 8 bout, end. — 9 gou- vernail, ntdder. — 10 douce, with an easy ascent. — 11 unie, smooth. — 12 dai- gnâtes, vouchsqfed. FIN DU LIVRE SIXIÈME. LIVRE SEPTIEME. Sommaire. — Calypso admire Télémaque dans^ ses aventures, et n'oublie rien pour le retenir dans son île, en l'engageant dans sa passion.a Mentor par ses remontrances soutient Télémaque contre les artifices de cette déesse, et contre Gupidon, que Vénus avait amené à son secours. Néan- moins Télémaque et la nymphe Eucharis ressentent bientôt une passion mutuelle qui excite d'abord la jalousie de Oaljpso, et ensuite sa colère contre ces deux amants. Elle jure, par le Styx, que Télémaqae sortira de3 son île. Gupidon va la consoler, et oblige ses nymphes à aller brûler un vaisseau fait par Mentor, dans le temps que celui-ci entraîne Télé- maque pour s'y embarquer. Télémaque sent une joie secrète de voir brûler ce vaisseau. Mentor, qui s'en aperçoit, le précipite dans la mer, et s'y jette lui-même, pour gagner,^ en nageant,^ un autre vaisseau qu'il voyait près de cette cote. Quand Télémaque eut achevé'' ce discours, toutes les nymphes, qui avaient été immobiles, les yeux attachés'' sur lui, se regar- daient^ les unes les autres. Elles se disaient avec étonnement : Quels sont donc ces deux hommes si chéris des dieux ? A-t-on' jamais ouï parler*" d'aventures si merveilleuses ? Le fils d'Ulysse 6 le surpasse déjà ^n éloquence, en sagesse, et en valeur. Quelle mine!" quelle beauté! quelle douceur! quelle modestie! mais quelle noblesse et quelle grandeur !" Si nous ne savions qu'il \ est le fils d'un mortel, on' le prendrait*' aisément pour Bacchus, pour Mercure, ou même pour le grand Apollon. Mais quel est 10 ce Mentor qui paraît un homme simple, obscur, et d'une médiocre" condition ? quand on le regarde de près, on trouve en lui je ne sais quoi au-dessus de l'homme.*^ "r 1 dans, for. — 2 l'engageant dans sa passion, incUing hîm to retitm htr love; M. § 49, (1). — 3 sortira de, shaU Uave.—A gagner, reach. — 5 en nageant, by swvmming ; if. §49, (1). — 6 achevé, concZiwiecî. — 7 attachéSj^/îarec?. — 8 re- gardaient, looked. — 9 M. L. 4, iS. 6. — 10 ouï parler, /icard ; ^om omît, AT. p. 376. — 11 quelle mine, what an aspect. — 12 grandeur, élévation. — 13 le prendrait, miatake him. — 14 médiocre, ordinary. — 15 au-dessus do l'hozomej more than mortal. i-^:! 102 TÊLBMAQUE. Liv, vn. Caljrpso écoutait ce discours avec un trouble* qu'elle ne pouvait cacher: ses yeux errants'' allaient sans cesse de Mentor à Télé- maque, et de Télémaque à Mentor. Quelquefois elle voulait que Télémaque recommençât cette longue histoire de ses aventures ; 5 puis tout-à-coup elle s'interrompait elle-même. Enfin, se levant brusquement,^ elle mena* Télémaque seul dans un bois de myrtes, où elle n'oublia^ rien pour savoir" de lui si Mentor n'était point une divinité cachée sous la forme d'un homme. Télémaque ne \/ pouvait le lui dire; car Minerve, en l'accompagnant sous la figure"' 10 de Mentor, ne s'était point découverte à lui à cause de® sa grande jeunesse. Elle ne se fiait® pas encore assez à son secret*" pour lui confier ses desseins. D'ailleurs" elle voulait l'éprouver par les plus grands dangers; et, s'il eût su" que Minerve était avec lui, un tel secours l'eût trop soutenu ; il n'aurait eu aucune peine 16 à mépriser*' les accidents les plus affreux. Il prenait donc Minerve pour Mentor : et tous les artifices de Calypso furent inu- tiles pour découvrir ce qu'elle désirait savoir. Cependant toutes les nymphes, assemblées autour de Mentor, prenaient plaisir à le questionner. L'une lui demandait** les 20 circonstances de son voyage d'Ethiopie ; l'autre voulait savoir ce qu'il avait vu à Damas; une autre lui demandait s'il avait connu autrefois Ulysse avant le siège de Troie. Il répondait à toutes avec douceur; et ses paroles, quoique simples, étaient pleines de grâces.** 26 Calypso ne les laissa pas long-temps dans cette conversation: elle revint:** et pendant que les nymphes se mirent à*' cueillir** des fleurs en chantant pour amuser Télémaque, elle prit à l'écart*® Mentor pour le faire parler. La douce^° vapeur du sommeil ne coule''* pas plus doucement dans les yeux appesantis'^" et dans 30 tous les membres fatigués d'un homme abattu,"* que les paroles flatteuses de la déesse s'insinuaient pour enchanter le cœur de Mentor: mais elle sentait toujours je ne sais quoi qui repous- sait"* tous ses efforts, et qui se jouait de"* ses charmes. Sem- 1 trouble, confusion. — 2 errants, restUss. — 3 se levant brusquement, rising ahruptly ; M. L. 37, R. 6. — 4 mena, conductedj led; M. L. 44, R. 6. 5 n'oublia, jTorg"©^, neglected. — 6 savoir, leam. — 7 figure, likeness. — 8 à cause de, byreasonof. — 9 se fiait, trusted. — 10 secret, secrecy. — 11 d'ailleurs, be- sides. — 12 su, knovsn ; from savoir^ M. p. 384. — 13 mépriser, despise, brave. 14 demandait, inquired into. — 15 pleines de grâces, ^racefiâ, pleasing. 16 revint, retumed ; frorm revenir, M. p. 384. — 17 se mirent à, commenced to; M. L. 69, R. 3. — 18 cueillir, gather. — 19 à l'écart, asîde. — 20 douce, moeet, inaitmating. — 21 coule, steal, glide. — 22 appesantis, luavy^ weary. 23 abattu, exhausted. — 24 repoussait, baffled. — 25 se jouait de, eluded. X{7. VU* TiLtUA^Vlfi. m ))lable à m rodier escarpé' qui cache son froxxt' dima les nuea, et qui se joue de' la rage des vents, Meptor« immobile dans aea sages desseins, se laissait; presser par Calypsp. Quelquefois même il lui laissait* espérer qu'elle Tembairasser^t par i^s ques- lions, et qu'elle tirerait^ la vérité du fond de son coBur. Mais au ^ moment où elle croyait satisfaire sa curiosité, ses espérances s'évanouissaient; tout ce qu'elle ^'imaginait tenir lui ^happ^t tout-à-coup; et une réponse ^urte 4^ Mentor la replongeait 4^n8 ses incertitudes. Elle passait ainsi les journées, tantôt en âat|ant Télémaque, 10 tantôt; cherchant les moyens de le détacher* 4e Mentor, qu'elle n'espérait pl^is de faire parler, ^^e employait les plus belles nymphes à fairp naître^ les fenia de l'amour dans le cœur du jeune Télémaque ; et ifne divinité plus puissante qu'elle, vint ^ son se- cours® pour y réussir. 16 Vénus toujours pleine 4e ressentiment du mépris que Men^rV^,^ et Télémaque avaient témoigné pour le culte* qu'on }uf rendait'^ dans l'île 4e Chypre, ne pouvait se consoler de voir q^e ees deux téméraires^^ mortels eussent; échappé aux vents, et ^ la mer dans la tempête excitée par ^eptuno. ^\]e en fit des plaintes «mères SO à Jupiter : ipais le père des dieux ^uri^i^t,^? sans vouloir lui 4é- couvrir^' que Minerve sous la figure 4e JVfentor avait sauvé le âls d'Ulysse, penpit à Vénus 4^ chercher les moyens de se venger de ces deux hompie^ EUe quitte )'Ql3m3pe ; elle pul^e les doux parfums qu'on brûle ^ sur ses autels |. P^phoa, à Cytbère, et à Idalie ; elle vole dans son char attelé 4e" colombes," elle appelle^" son fils> et, la dou- leur répandant de nouvelles grâces sur son visage? elle lui parla ainsf: Vojs-tu, mon iils, ces deux hommes qui méprisent ta pi^is^^noe $0 et la mienne ? Qui voudra désormais*"^ nous adorer 1 V^ perce de tes flèches ces deux cœurs insensibles : dei^cends ayec moi dans cett^e îje; je parlerai à Galypso. JElle dit, et fendapt^" les «irs dans un nuage dorjè, elle se présente à Calypso, qui dans ce moment était seule au bord à^}ine fontaine assez loin de sa 35 grotte. I 1 il il I ^-' D secours, assistance — y cuice, uorsmp- — »v qu uu lui iou«»iu, //»f.«* •'^ .vv. . 11 téméraires, jiresuniptuous.—\2 souriant, smiling.—\Z lui découvrir, m- forming her.^U attelé de, drawn 6y.— 16 colouibes, dotes.— IQ ftppeUj, ealla; M. Ô49, (4).— 17 désormais, hence/orth.—lQ fendant, gliding through- 1 104 TBLBMAQUE. LIV. VU. Malheureuse déesse, lui dit-elle, l'ingrat Ulysse vous a méprisée ; son fils, encore plus dur* que lui," vous prépare un semblable mé- pris :* mais l'Amour vient lui-même pour vous venger. Je vous le laisse: il demeurera parmi vos nymphes, comme autrefois 6 l'enfant Bacchus, qui fut nourri parmi les nymphes de l'île de Naxos. Télémaque le verra comme un enfant ordinaire ; il ne pourra s'en défier ;* et il sentira bientôt son pouvoir. Elle dit, et remontant dans le nuage doré d'au elle était sortie, elle laissa après" elle une odeur d'ambrosie" dont tous les bois de Calypso 10 furent parfumés. L'Amour"' demeura entre® les bras de Calypso. Quoique déesse, elle sentit la flamme qui coulait déjà dans son sein. Pour se soulager, elle le donna aussitôt à la nymphe qui était auprès d'elle, nommée Eucharis. Mais, hélas! dans la suite," combien 16 de fois se repentit-elle de l'avoir fait ! D'abord rien ne paraissait plus innocent, plus doux, plus aimable, plus ingénu et plus gra- cieux," que cet enfant. A le voir enjoué, flatteur," toujours riant, on aurait cru*'' qu'il ne pouvait donner que du plaisir : mais à peine s'était-on fié à ses caresses, qu'on y sentait je ne sais quoi \^y 20 d'empoisonné. L'enfant malin** et trompeur ne caressait que pour trahir ;" et il ne riait jamais que des maux cruels qu'il avait faits,** ou qu'il voulait faire. Il n'osait approcher de Mentor, dont la sévérité l'épouvantait;*® et il sentait que cet inconnu était invulnérable, en sorte*"' qu'au- 25 cune de ses flèches n'aurait pu le percer. Pour les njnnphes, elles sentirent bientôt les feux que cet enfant trompeur allume ; mais elles cachaient avec soin la plaie profonde qui s'envenimait*® dans leurs cœurs. Cependant Télémaque, voyant cet enfant qui se jouait avec les 30 nymphes, fut surpris de sa douceur et de sa beauté. H l'em- brasse, il le prend tantôt** sur ses genoux, tantôt entre ses bras ; il sent en lui-même une inquiétude'" dont il ne peut trouver la cause. Plus il cherche à se jouer** innocemment, plus il se trou- ble et s'amollit.'" Voyez-vous ces nymphes ? disait-il à Mentor ; 1 dur, insensible. — 2 l\ù,he; M. L. 17, R. 6. — 3 un semblable mépris, a âimUar insuit, slight. — 4 s'en défier, suspect Mm. — 5 laissa après, left behind, 6 odeur d'ambrosie, ambrosial fragrance. — 7 l'Amour, C/Mpid.— -8 demeura entre, remaxned in. — 9 dans la suite, afterwards. — 10 gracieux, lovely. 11 flatteur, engaging. — 12 cru, tkought ; fromcroire^ M. p. 364. — 13 malin, art- fui. — 14 trahir, betray. — 15 faits, ivfiîcted. — 16 l'épouvantait, intimidated him. • 17 en sorte qu', so that. — 18 s'envenimait, rankled. — 19 tantôt, sometimes. 20 inquiétude, disquietvde. — 21 se jouer, to amuse Tmnsdf. — 22 plus il se trouble et s'amollit, ^ more restless and powerless he grotos; M. § 81, (10). LIV. VU. TELBMAQUE. 105 t combien* sont-elles différentes de ces femmes de l'île de Chypre, dont la beauté était choquante^ à cause de leur immodestie!» Ces beautés immortelles montrent une innocence, une modestie, une simplicité, qui charme. Parlant ainsi il rougissait" sans savoir pourquoi. Il ne pouvait s'empêcher de* parler: mais à peine 6 avait-il commencé, qu'il ne pouvait continuer ; ses paroles étaient entrecoupées," obscures, et quelquefois elles n'avaient aucun sens. Mentor lui dit : O Télémaque, les dangers de l'île de Chypre n'étaient rien, si on les compare à ceux dont vous ne vous défiez* pas maintenant. Le vice grossier"' fait® horreur, l'impudence bru- tale donne de l'indignation; mais la beauté modeste est bien plus dangereuse : en l'aimant, on croit n'aimer que la vertu : et insen- siblement on se laisse aller" aux appas" trompeurs d'une passion qu'on n'aperçoit que quand il n'est presque plus temps de l'éteindre. Fuyez, ô mon cher Télémaque, fuyez ces nymphes, qui ne sont si 16 discrètes que pour vous mieux tromper; fuyez les dangers de votre jeunesse : mais surtout fuyez cet enfant que vous ne con- naissez pas. C'est l'Amour, que Vénus, sa mère, est venue ap- porter dans cette île, pour se venger du mépris que vous avez témoigné" pour le culte qu'on lui rend à Cythère : il a blessé" le 20 cœur de la déesse Calypso ; elle est passionnée" pour vous : il a brûlé" toutes les nymphes qui l'environnent : vous brûlez vous- même, ô malheureux jeune homme, presque sans le savoir.^* Télémaque interrompait souvent Mentor, lui disant : Pourquoi ne demeurerions-nous pas** dans cette île ? Ulysse ne vit*^ plus ;" 26 il doit être" depuis long-temps enseveli dans les ondes: Péné- lope, ne voyant revenir ni lui ni moi, n'aura pu résister à tant de prétendants;*" son père Icare l'aura''* contrainte d'accepter un nouvel époux. Retournerai-je à Ithaque pour la voir engagée dans de nouveaux liens,*'' et manquant à** la foi qu'elle ayait don- 30 née** à mon père ? Les Ithaciens ont oublié Ulysse. Nous ne pouvons y retourner que pour chercher une mort assurée, puisque les amants de Pénélope ont occupé** toutes les avenues du** port pour mieux assurer notre perte à notre retour. 8'em- 1 combien, Juno. — 2 choquante, disgxisting. — 3 rougissait, blushed.- pêcher de, forhear ; M. L. 93, R. 4. — 5 entrecoupées, unconnected. — 6 défiez, suspect. — 7 grossier, undisguised. — 8 fait, excites. — 9 on se laisse aller, otu yitMs. — 10 appas, charms. — 11 témoigné, shown. — 12 blessé, wounded. 13 passionnée, enamored. — 14 brûlé, inflamed. — 15 savoir, knowing.— 16 ne demeurerions-nous pas, sJimUd we not remain. — 17 vit, lives; from vivre^ M. p. 390.— 18 ne— plus, no fonder.— 19 doit être, has without doubtbeen.—20 pré- tendants, suitors. — 21 l'aura, Jms prohahly. — 22 liens, connection. — 23 man- quant à, violating. — 24 donnée, plighted. — 25 occupé, seized on. — 2(j toutes les avenues du, au approaches to. 5» 106 TÉLÉMAQUE. LIV. VIL Mentor répondit: Voilà l'effet d'une aveugle passion. On . cherche avec subtilité toutes les raisons qui la favorisent, et on se ^ • détourne* de peur de voir toutes celles qui la condamnent. On n'est plus ingénieux que pour se tromper, et pour étouffer* ses 6 remords. Avez-vous oublié tout ce que les dieux ont fait pour vous ramener dans votre patrie ? Comment êtes-vous sorti de la Sicile ? Les malheurs que vous avez éprouvés en Egypte ne se sont-ils pas tournés tout-à-coup en prospérités? Quelle main inconnue vous a enlevé à* tous les dangers qui menaçaient votre 10 tête dans la ville de Tyr? Après tant de merveilles,* ignorez-vous encore ce que les destinées vous ont préparé? Mais que dis-je? vous en êtes indigne. Pour moi, je pars,* et je saurai bien" sortir de cette île. Lâche fils d'un père si sage et si généreux ! menez' ici une vie molle et sans honneur au milieu des femmes : faites, 16 malgré les dieux, ce que votre père crut indigne de lui. Ces paroles de mépris percèrent Télémaque jusqu'au fond du cœur. Il se sentait attendri® pour Mentor; sa douleur était mêlée* de honte; il craignait l'indignation et le départ de cet homme si sage à qui il devait tant :*° mais une passion naissante,** 20 et qu'il ne connaissait pas lui-même, faisait qu'il n'était plus''' le même homme. Quoi donc ! disait-il à Mentor les larmes aux yeux, vous ne comptez pour** rien l'immortalité qui m'est offerte par la déesse? Je compte pour rien, répondit Mentor, tout ce qui est contre la vertu, et contre les ordres des dieux. La \5 vertu vous rappelle** dans votre patrie pour revoir Ulysse et Pénélope : la vertu vous défend** de vous abandonner à une folle passion. Les dieux, qui vous ont délivré de tant de périls pour vous préparer une gloire égale à celle de votre père, vous ordon- nent de quitter cette île. L'Amour seul, ce honteux*® tyran, peut 30 vous y retenir. Hé ! que feriez-vous d'une vie immortelle, sans liberté, san» vertu, sans gloire ? Cette vie serait encore plus mal- heureuse, en ce qu'elle ne pourrait finir. TélémaqUe ne répondait à ce discours que par des soupirs. Quelquefois il aurait souhaité que Mentor l'eût arraché*' malgré 36 lui de l'île : quelquefois il lui tardait** que Mentor fût parti, pour 1 se détourne, tum aside. — 2 étouffer, stîfle. — 3 enlevé à, saved Jrom. 4 merveilles, wonders. — 5 pars, go ; from partir^ M. p. 378. — 6 saurai bien, sfiall easUyûnd means. — 7 menez, lead. — 8 attendri, moved. — 9 mêlée, mtn- gUd. — 10 devait tant, was so deeply indebted. — 11 naissante, rising. — 12 fai- sait qu'il n'était plus, preventedhis continuing to be; literally, was tht cause ihat he was no longer. — 13 pour, as. — 14 rappelle, recalls. — 15 défend, Jbr- bids. — 16 honteux, infanums.-^ll arraché, Jbrced. — 18 il lui tardait, he was impatient. \^i î«w. ^ tI;lémaqus. X07 B'avoir plus devant ses yeux cet ami sévère qui lui ]!e|)^ochait fia faiblesse. Toutes ces pensées contraires agitaient tpur-^-tpur son cœur ; et aucune n'y était constante : son cœur était cofl^jpi^ la mer qui est le jouet* de tous les vents contraires. Il dem,eMr^t souvent étendu^ et immobile sur le rivage de la mer, souvent dans 6 le fond" de quelque bois sombre, versant des larmes amères, et poussant des cris semblables aux rugissements^ d'un lion. Il était devenu^ maigre ; ses yeux creux** étaient pleins d'un feu. dé- vorant : à le voir pâle, abattu' et défiguré, on aurait cru que ce n'était point Télémaque. Sa beauté, son enjouement, sa noble 10 fierté s'enfuyaient loin de lui.® Il périssait, tel qu'une fleur qui, étant épanouie*^ le matin répandait ses doux parfums dans la cam- pagne, et se flétrit*" peu-à-peu vers le soir ; ses vives couleurs s'eflacent," elle languit, elle se dessèche;" et sa belle tête se penche," ne pouvant plus se soutenir. Ainsi le fils d'Ulysse était aux portes de la mort. Mentor, voyant que Télémaque ne pouvait résister à la violence de sa passion, conçut" un dessein plein d'adresse" pour le déli- vrer d'un si grand danger. Il avait remarqué que Calypso aimait éperdument" Télémaque, et que Télémaque n'aimait pas moins 20 la jeune nymphe Eucharis ; car le cruel Amour, pour tourmenter les mortels, fait qu'on n'aime guère*' la personne dont on est aimé. Eucharis devait" emmener Télémaque dans une chasse. Mentor dit à Calypso : J'ai remarqué dans Télémaque une passion pour la chasse, que je n'avais jamais vue en lui ; ce plaisir commence à 25 le dégoûter de tout autre: il n'aime plus que les forêts et les montagnes les plus sauvages. Est-ce vous, ô déesse, qui lui ins- pirez cette grande ardeur ? Calypso sentit un dépit cruel en écoutant ces paroles ; et elle ne put se retenir." Ce Télémaque, répondit-elle, qui a méprisé 30 tous les plaisirs de l'île de Chypre, ne peut résister à la médiocre'"' beauté d'une de mes nymphes. Comment ose-t-il se vanter^* d'avoir fe,it tant d'actions merveilleuses, lui dont le cœur s'amollit lâchement par la volupté, et qui ne semble né'*' que pour passer une vie obscure au milieu des femmes ? Mentor, remarquant avec 36 ^ 1 jouet, sport. — 2 étendu, stretched, — 3 fond, recesses. — 4 rugissementa, roarings. — 5 devenu, become ; M. L. 85. R. 5. — 6 creux, hiUùw. — 7 abattu, dejected. — 8 s'enfuyaient loin de lui, forsook him.—9 épanouie, blovxin^. 10 se flétrit, /aàe^.— 11 s'effacent, disappear. — 12 se dessèche, wUh6rs.—l3 penche, droops. — H conçut, formed;from concevoir, M. §51, 52. — 15 adresse, art.— 16 éperdument, passionately.— 17 fait qu'on n'aime guère, inspires but Utile qfection for.— IS devait, was.— 19 se retenir, contain her émotion. 20 médioore, moderate.— 21 se vanter, boast.— 22 né, born ; /rom naître. I hi 108 TBLÉMAQUB. UV. VIL plaisir combien la jalousie troublait le cœur de Caljrpso, n'en dit pas davantage, de peur de la mettre en défiance de lui: il lui montrait seulement un visage triste et abattu. La déesse lui dé- couvrait ses peines sur toutes les choses qu'elle voyait : et elle 5 faisait sans cesse des plaintes nouvelles. Cette chasse dont Mentor l'avait avertie* acheva de la mettre en fureur.' Elle sut que Télémaque n'avait cherché qu'à se dérober aux' autres nymphes pour parler à Eucharis. On proposait même déjà une seconde chasse, où elle prévoyait qu'il ferait comme dans la pre- 10 mière. Pour rompre* les mesures de Télémaque, elle déclara qu'elle en voulait être.* Puis tout-à-coup, ne pouvant plus modérer son ressentiment, elle lui parla ainsi: Est-ce donc ainsi, ô jeune téméraire," que tu es venu dans mon île pour échapper au juste naufrage que Neptune te préparait, et 16 à la vengeance des dieux 1 N'es-tu entré dans cette île, qui n'est ouverte à aucun mortel, que pour mépriser ma puissance et V_/ l'amour que je t'ai témoigné? O divinités de l'Olympe et du Styx, écoutez une malheureuse déesse. Hâtez-vous de confon- dre ce perfide, cet ingrat, cet impie. Puisque tu es encore plus 20 dur et plus injuste que ton père, puisses-tu"' soufirir des maux encore plus longs et plus cruels que les siens ! Non, non, que jamais tu ne revoies* ta patrie, cette pauvre et misérable Ithaque, que tu n'as point eu de honte* de préférer à l'immortalité ! ou plutôt que tu périsses en la voyant de loin au milieu de la mer, et 25 que ton corps, devenu le jouet des flots, soit rejeté" sans espé- rance de sépulture sur le sable de ce rivage ! Que mes yeux le voient mangé par les vautours ! Celle que tu aimes le verra aussi : elle le verra ; elle en aura le cœur déchiré : et son désespoir fera mon bonheur." 80 En parlant ainsi, Calypso avait les yeux rouges et enflammés : ses regards ne s'arrêtaient" en aucun endroit; ils avaient je ne sais quoi de sombre et de farouche. Ses joues tremblantes étaient couvertes de taches noires et livides; elle changeait à chaque moment de couleur. Souvent une pâleur mortelle se 86 répandait sur tout son visage ; ses larmes ne coulaient plus comme autrefois avec abondance ; la rage et le désespoir semblaient en 1 avertie, wamed. — 2 acheva de la mettre en fureur, broughi her anger to Us height. — 3 se dérober aux, to steal from. — 4 rompre, break, disappoint. 5 en voulait être, wished to be one qf the party. — 6 jeune téméraire, pre- aumptuous youtfi. — 7 puisses-tu, mayest tfiou. — 8 que jamais tu ne revoies, mayeat Hum never behold again.—Q eu de honte, been ashamed; M. L. 8, ^. 1. 10 rejeté, cast.—W bonheur, cUlight. ^12 s'arrêtaient, rested. IJV.vn. TÉLÉMAQUB. 109 avoir tari' la source ; et à peine en coulait-il quelqu'une sur ses joues. Sa voix était rauque,'* tremblante et entrecoupée.' Mentor observait tous ces mouvements, et ne parlait plus à Télémaque. Il le traitait comme un malade désespéré* qu'on «^' abandonne ;* il jetait souvent sur lui des regards de compassion. 6 Télémaque sentait combien il était coupable et indigne de l'amitié de Mentor. Il n'osait lever les yeux de peur de rencon- trer ceux de son ami dont le silence même le condamnait. Quelque- fois il avait envie" d'aller se jeter à son cou et de lui témoigner combien il était touché^ de sa faute : mais il était retenu, tantôt 10 par une mauvaise® honte, et tantôt par la crainte d'aller plus loin qu'il ne voulait pour se retirer** du péril ; car le péril lui semblait doux, et il ne pouvait encore se résoudre à vaincre sa folle passion. Les dieux et les déesses de l'Olympe, assemblés dans un pro- 16 fond silence, avaient les yeux attachés sur l'île de Calypso, pour voir qui serait victorieux, ou de Minerve, ou de l'Amour. L'Amour, en se jouant avec les nymphes, avait mis tout en feu dans l'île. Minerve, sous la figure de Mentor, se servait de" la jalousie, inséparable de l'Amour, contre l'Amour même. Jupi- 20 ter avait résolu d'être le spectateur de ce combat et de demeurer neutre. Cependant Eucharis, qui craignait que Télémaque ne lui échap- pât, usait de mille artifices pour le retenir dans ses liens. Déjà elle allait partir avec lui pour la seconde chasse, et elle était vêtue 26 comme Diane. Vénus et Cupidon avaient répandu sur elle de nouveaux charmes; en sorte que ce jour-la sa beauté effaçait celle de la déesse Calypso même. Calypso, la regardant de loin, se regarda en même temps dans la plus claire de ses fontaines ; elle eut honte de se voir. Alors elle se cacha au fond de sa grotte, 30 et parla ainsi toute seule : Il ne me sert donc de rien" d'avoir voulu troubler ces deux amants, en déclarant que je veux être de cette chasse ! En serai- je ?" irai-je la faire triompher, et faire servir ma beauté à relever la sienne ? faudra-t-il que Télémaque, en me voyant, soit encore 36 plus passionné pour son Eucharis ? O malheureuse ! qu'ai-je 1 tari, dried up. — 2 rauque, hoarse. — 3 entrecoupée, hrokm. — 4 malade désespéré, an incurable patient. — 5 qu'on abandonne, whx) is given over. 6 avait envie, ^«^^ inclined. — 7 touché, grieved. — 8 mauvaise, false sensé qf. 9 se retirer, vsithdraw. — 10 se servait de, emplayed; M. L. 39, R, 2. — 11 il ne me sert donc de rien, it has been in vain for me ; or more literaUy^ qf no service to me. — 12 en serai-je, shaU I go ; lUerally, shall I be one of tkem. IJ.0 TBLéMA^UJE. MV.m ^t! Non, je n'y irai p^, ils n'y iront pas ejux-mêmes; je saurai bien* les en empêcher. Je yais tr.ouyer Mentor; je le prierai d'enlever'' Télémaque : il le remèDera à Ithaque. Mais que dis- je? eh! que deviendrai-je,' quand Télémaque sera parti? Où 5 suis-je? Que reste-t-il à faire ? cruelle Vénus! Vénus, vous m'avez trompée ! ô perfide présent que vous m'avez fait ! Perni- cieux enfant ! Amour empesté ! je ne t'avais ouvert mon cœur que dans l'espérance de vivre heureuse avec Télémaque, et tu n'as porté* dans ce cœur que trouble et désespoir ! Mes nymphes se 10 sont révoltées contre moi. Ma divinité ne me sert plus qu'à* rendre mon malheur éternel. Oh ! si j'étais libre de me donner la mort pour finir mes douleurs! Télémaque, il faut que tu / meures, puisque je ne puis mourir ! Je me vengerai de tes ingrati- tudes: ta nymphe le verra; je te percerai à ses yeux. Mais je 16 m'égare.* O malheureuse Calypso ! que veux-tu ? faire périr un innocent que tu as jeté toi-même dans cet abime de malheurs ! C'est moi qui ai mis le flambeau^ fatal dans le sein du chaste Télémaque. Quelle innocence ! quelle vertu ? quelle horreur du vice! quel courage contre les honteux plaisirs! Fallait-il® em- 20 poisonner son cœur ? Il m'eût quittée ! Hé bien ! ne faudra-t-il* pas qu'il me quitte, ou que je le voie plein de mépris pour moi, ne vivant plus que pour ma rivale ? Non, non, je ne soufire que ce que j'ai bien mérité. Pars, Télémaque, va-t-en*° au-delà des mers : laisse Calypso sans consolation, ne pouvant supporter la vie ni 25 trouver la mort : laisse-la inconsolable, couverte de honte, déses- pérée, avec ton orgueilleuse Eucharis. Elle parlait ainsi dans sa grotte: mais tout-à-coup elle sort impétueusement: Où êtes-vous, ô Mentor? dit^elle. Est-ce ainsi que vous soutenez Télémaque contre le vice auquel il suc- 30 combe? Vous dormez tandis que l'Amour veille^* contre vous. Je ne puis souffrir plus long-temps cette lâche indifférence que vous témoignez. Verrez-vous toujours tranquillement le fils d'Ulysse déshonorer son père, et négliger sa haute destinée? Est-ce à vous, ou à moi que ses parents ont confié sa conduite ? 36 C'est moi qui cherche les moyens de guérir son cœur ! et vous, ne ferez-vous rien ? Il y a dans le lieu le plus reculé de cette l saurai bien, ahaUfind means. — 2 d'enlever, to remove. — 3 que deviendrai- je, whai wiU become qf me ; M. L. 85, R. 6. — 4 porté, brought. — 5 ne me sert plus qu'à, ordy serves to. — 6 je m'égare, I am delirious. — 7 flambeau, tor<^ — 8 fiulait-il, why did I; lUerally, was U necessary to. — 9 ne faudra-t-il Sas qu'il, must he not ; from falloir^ M. p. 372. — 10 va-t-en, go ; M. L. 40, 1. 1, 2. — U veille, watches. Liv. VU. TÊLÉMAQirE. m 1 tailler, ?iew. — 2 pièces, parts. — 3 caverne, cave. — 4 abattit, felled.--'B en état de voguer, JU for the sea. — 6 que, because. — 7 faisait, was building. 8 frémir, trernble. — y rêverie, musing. — 10 coup-d' œil, ^/ance.— 11 moqueur, raUying. — 12 rude, aevere. — 13 dépendre de lui, be rvUd by him. — 14 hors d'état, unable. — 15 s' étant passée, having taken place. l 1 ! forêt de grands peupliers propres à construire un vaisseau ; c'eçt là qu'Ulysse fit celui dans lequel il sortit de cette île. Vous trou- verez au même endroit une profonde caverne où sont tous les in- y^ • }J struments nécessaires pour tailler^ et pour joindre toutes les pièces^ d'un vaisseau. 6 [ A peine eut-elle dit ces- paroles qu'elle s'en repentit Mentor ne perdit pas un moment; il alla dans cette caverne,' trouva les instruments, abattit* les peupliers, et mit en un seul jour un vais- seau en état de voguer.* C'est que* la -puissance et l'industrie de Minerve n'ont pas besoin d'un grand temps pour achever les plus 10 grands ouvrages. Calypso se trouva dans une horrible peine d'esprit: d'un côté elle voulait voir si le travail de Mentor s'avançait; de l'autre elle ne pouvait se résoudre à quitter la chasse où Eucharis aurait été en pleine liberté avec Télémaque. La jalousie ne lui permit ja- 16 mais de perdre de vue les deux amants : mais elle tâchait de détourner la chasse du côté où elle savait que Mentor faisait^ le vaisseau. Elle entendait les coups de hache et de marteau : elle prêtait l'oreille ; chaque coup la faisait frémir.® Mais dans le mo- ment même elle craignait que cette rêverie* ne lui eût dérobé 20 quelque signe ou quelque coup-d'œil*" de Télémaque à la jeune nymphe. Cependant Eucharis disait à Télémaque d'un ton moqueur:** Ne craignez-vous point que Mentor ne vous blâme d'être venu à la chasse sans lui ? Oh ! que vous êtes à plaindre de vivre sous 26 un si rude" maître! Rien ne peut adoucir son austérité; il affecte d'être ennemi de tous les plaisirs ; il ne peut souffrir que vous en goûtiez aucun: il vous fait un crime des choses les plus innocentes. Vous pouviez dépendre de lui^® peindant que vous étiez hors d'état** de vous conduire vous-même; mais, après 30 avoir montré tant de sagesse, vous ne devez plus vous laisser traiter en enfant. Ces paroles artificieuses perçaient le cœur de Télémaque, et le remplissaient de dépit contre Mentor, dont il voulait secouer le | joug. H craignait de le revoir, et ne répondait rien à Eucharis, 36 j tant il était troublé. Enfin, vers le soir, la chasse s'étant passée** 112 TÉLÉMAQUE. Liv. vn. de part et d'autre* dans une contrainte perpétuelle, on revint par un coin de la forêt assez voisin du lieu où Mentor avait travaillé tout le jour. Calypso aperçut de loin le vaisseau achevé: ses yeux se couvrirent à l'instant d'un épais nuage semblable à celui 6 de la mort. Ses genoux tremblants se dérobaient'* sous elle : une froide sueur courut par tous les membres de son corps : elle fut contrainte de s'appuyer* sur les nymphes qui l'environnaient ; et Eucharis lui tendant la main pour la soutem'r, elle la repoussa en jetant sur elle un regard terrible. 10 Télémaque qui vit ce vaisseau, mais qui ne vit point Mentor, parcequ'il s'était déjà retiré ayant fini son travail, demanda à la déesse à qui était* ce vaisseau, et à quoi on le destinait. D'abord eUe ne put répondre ; mais enfin elle dit : C'est pour renvoyer Mentor, que je l'ai fait faire;" vous ne serez plus embarrassé par 16 cet ami sévère qui s'oppose à votre bonheur, et qui serait jaloux si vous deveniez immortel. Mentor m'abandonne! c'est fait de moi!" s'écria Télémaque. Eucharis, si Mentor me quitte, je n'ai plus que vous. Ces paroles lui échappèrent dans le transport de sa passion. Il vit le tort 20 qu'il avait eu en les disant : mais il n'avait pas été libre de pen- •ser au sens de ces paroles. Toute la troupe étonnée demeura dans le silence. Eucharis, rougissant et baissant les yeux, de- meurait derrière, toute interdite,^ sans oser se montrer. Mais pendant que la honte était sur son visage, la joie était au fond de 25 son cœur. Télémaque ne se comprenait® plus lui-même, et ne . pouvait croire qu'il eût parlé si indiscrètement Ce qu'il avait fait lui paraissait comme un songe, mais un songe dont il demeu- rait confus et troublé. Calypso, plus furieuse qu'une lionne à qui on a enlevé ses pe- 30 tits," courait au travers de la forêt sans suivre aucun chemin," et ne sachant où elle allait. Enfin elle se trouva" à l'entrée de sa grotte, où Mentor l'attendait. Sortez de mon île, dit-elle, ô étrangers qui êtes venus troubler mon repos : loin de moi ce jeune insensé." Et vous, imprudent vieillard, vous sentirez ce que 35 peut^' le courroux^* d'une déesse, si vous ne l'arrachez d'ici tout- à-l'heure." Je ne veux plus le voir; je ne veux plus souffrir 1 de part et d'autre, for ail parties. — 2 se dérobaient, were sinklng. 3 s* appuyer, to lean. — 4 était, belonged; M. L. 47, R. 5. — 5 fait faire, had it buÙt; M. L. 32, R. 4. — 6 c'est fait de moi, lam undone. — 7 interdite, con- Jbunded. — 8 comprenait, understood; from comprendre^ M. p. 362. — 9 pe- tits, young. — 10 chemin, path. — 11 se trouva, reached. — 12 jeune insensé, in- /atuated yovih. — 13 ce que peut, the power. — 14 courroux, anger. — 15 tout- à-l'heure, instantly. Liv. vn. TBLâHAQUE. 118 qu'aucune de mes nymphes lui parle ni le regarde. JTen jure par les ondes du Styx ; serment^ qui fait trembler les dieux mêmes. Mais apprends, Télémaque, que tes maux ne sont pas finis : in- grat ! tu ne sortiras de mon île que pour être en proie à de nou- veaux malheurs. Je serai vengée ; tu regretteras Calypso, mais 6 en vain. Neptune, encore irrité contre ton père qui l'a ofiensé en Sicile, et sollicité par Vénus que tu as méprisée dans l'île de Chypre, te prépare'* d'autres tempêtes. Tu verras ton père, qui n'est pas mort ; mais tu le verras sans le connaître. Tu ne te réuniras avec lui® en Ithaque qu'après* avoir été le jouet de la plus cruelle 10 fortune. Va :* je conjure les puissances célestes de me venger. Puisses-tu au milieu des mers, suspendu aux pointes d'un rocher, et frappé de la foudre, invoquer en vain Calypso, que ton supplice comblera* de joie ! Ayant dit ces paroles, son esprit agité était déjà prêt à prendre 16 des résolutions contraires. L'Amour rappela dans son cœur le désir de retenir Télémaque. Qu'il vive,'^ disait-elle en elle-même, qu'il demeure ici ; peut-être qu'il sentira enfin tout ce que j'ai fait pour lui. Eucharis ne saurait,® comme moi, lui donner l'immor- talité. O trop aveugle Calypso ! tu t'es trahie toi-même par ton 20 serment; te voilà engagée;" et les ondes du Styx, par lesquelles, tu as juré, ne te permettent plus^" aucune espérance. Personne n'entendait ces paroles : mais on voyait sur son visage les furies peintes ;" et tout le venin empesté" du noir Cocyte semblait s'ex- haler de son cœur. 25 Télémaque en fut saisi d'horreur. Elle le comprit;" car qu'est- ce que l'amour jaloux ne devine pas ? et l'horreur de Télémaque redoubla les transports de la déesse. Semblable à une bacchante qui remplit l'air de ses hurlements,** et qui en fait retentir les hautes montagnes de Thrace, elle court au travers des bois avec 30 un dard en main, appelant toutes ses nymphes, et menaçant de percer toutes celles qui ne la suivront pas. Elles courent en foule, effrayées de cette menace. Eucharis même s'avance les larmes aux yeux et regardant de loin Télémaque, à qui elle n'ose plus parler. La déesse frémit en la voyant auprès d'elle ; et, loin 36 de s'apaiser** par la soumission de celte nymphe, elle ressent" une U Il ' i il ; . ï • i 1^ - Mï: 1 serment, an oath. — 2 te prépare, has in stortfùr thee. — 3 tu ne te réuni- ras avec lui, thou shxdt meet him. — 4 qu'après, only after. — 5 va, départ 6 comblera, vnU overwhelm. — 7 qu'il vive, leù him live. — 8 ne saurait, cannot. 9 te voilà engagée, thou art bound. — 10 ne — plus, no longer. — 11 peintes, impressed. — 12 empesté, pestilential. — 13 le comprit, perceived U. — 14 hurle- ments, howling. — 15 s'apaiser, being softened. — 16 ressent, ^ett. nouvelle fureur, voyant que l'affîctîon augmente la beauté d'Eucbaris. Cependant Télémaque était demeuré' seul avec Mentor. Il embrasse ses genou:^ ; car il n'osait l'embrasser autrement, ni le 5 regarder : il verse un torrent de larmes ; il veut parler, la voix lui manque f les paroles lui manquent encore davantage f il ne sait ni ce qu'il doit ûiire, ni ce qu'il fait, ni ce qu'il veut. Enfin il s'écrie : O mon vrai père ! ô Mentor ! délivrez-moi de tant de maux ! Je ne puis ni vous abandonner ni vous suivre. . Délivrez-moi de 10 tant de maux, délivrez-moi de moi-même, donnez-moi la mort. Mentor l'embrasse, le console, l'encourage, lui apprend* à se supporter lui-même sans flatter sa passion, et lui dit : fils du sage Ulysse, que les dieux ont tant aimé, et qu'ils aiment encore, c'est par un efiet de leur amour que vous soufirez des maux si horri- 15 blés. Celui qui n'a point senti sa faiblesse et la violence de ses passions n'est point encore sage ; car il ne se connaît point en- core, et ne sait point se défier de soi. Les dieux vous ont con- duit comme par la main jusqu'au bord* de l'abîme, pour vous en montrer toute la profondeur® sans vous y' laisser tomber. Com- 20 prenez maintenant ce que vous n'auriez jamais compris si vous ne l'aviez éprouvé. On vous aurait parlé en vain des trahisons* de Tamour, qui flatte pour perdre,** et qui, sous une apparence de douceur, cache les plus afireuses amertumes.^" Il est venu, cet enfant plein de charmes, parmi" les ris, les jeux, et les grâces. Uô Vous l'avez vu : il a enlevé votre cœur; et vous avez pris plaisir à le lui laisser enlever. Vous cherchiez des prétextes pour igno- rer la plaie" de votre cœur : vous cherchiez à me tromper et à vous flatter vous-même ; vous ne craigniez rien. Voyez Je fruit de votre témérité : vous demandez maintenant la mort, et c'est 30 l'unique espérance qui vous reste. La déesse, troublée," ressem- ble à une furie infernale ; Eucharis brûle d'un feu plus cruel que toutes les douleurs'* de la mort; toutes les nymphes jalouses sont prêtes à s'entre-déchirer :'* et voilà ce que fait le traître amour qui paraît si doux I Rappelez tout votre courage. A quel 36 point^* les dieux vous aiment-ils, puisqu'ils vous ouvrent un si beau chemin" pour fuh* l'amour et pour revoir votre chère pa- 1 était demeuré, Jiad remained. — 2 lai manque, Juiled him. — 3 encore da- Tantaee, stiU more; M. L. 16, note.--4 apprend, teaches. — 5 bord, hrink. 6 profondeur, depth. — 7 y, into it. — 8 trahisons, treachery. — 9 perdre, destroy, ÏO amertumes, bUtemess, anguish. — 11 parmi, amidst. — 12 plaie, wound, 13 troublée, distracted. — 14 douleurs, pains. — 15 s'entre-déohirer, to tecw tach other. — 16 point, degrés. — 17 chemin, way. Zir.TXL TâLÉIMCAQUB. Uff ! j 1; \ 1 trie! Calypso elle-même est eantndnte de vous chasser. Le vaisseau est tout prêt: que tardons-nous^ ^ quitter cette île, où la vertu ne peut habiter ? En disant ces paroles, Mentor le prit par la main, et l'entraînait vers le rivage. Télémaque suivait à peine, regardant toujours 6 derrière lui. H considérait Ëucharis qui s'éloignait de lui. Ne pouvant voir son visage, il regardait ses beaux cheveux noués,'* ses habits flottants, et sa noble démarche.* H aurait voulu pou- voir baiser les traces^ de ses pas. Lors même qu'il la perdit de ji vue, il prêtait encore l'oreille, s'imaginant entendre sa voix. Quoi- 10 qu'absente, il la voyait ; elle était peinte et comme vivante devant ses yeux : il croyait même parler à elle, ne sachant plus où il était, et ne pouvant écouter Mentor. Enfin, revenant à lui*^ comme d'un profond sommeil, il dit ^ Mentor : Je suis résolu de vous suivre ; mais je n'ai pas encore 15 dit adieu" à Eucharis. J'aimerais mieux^ mourir, que de l'aban- donner ainsi avec ingratitude. Attendez que je la revoie encore une dernière fois pour lui faire un éternel adieu. Au moins souf- frez que je lui dise : O nymphe, les dieux cruels, les dieux jaloux de mon bonheur, me contraignent de partir; mais ils m'empêche- 20 ront plutôt de vivre,® que de me souvenir à jamais* de vous. O mon père, ou laissez-moi cette dernière consolation qui est si juste, ou arrachez-moi la vie dans ce moment. Non, je ne veux ni demeurer dans cette île, ni m'abandonner à l'amour. L'amour . n'est point dans mon cœur : je ne sens que de l'amitié et de la sik/ reconnaissance pour Eucharis. Il me suffit de lui dire adieu en- tore une fois, et je pars avec vous sans retardement. Que j'ai pitié de vous ! répondit Mentor : votre passion est si furieuse," que vous ne la sentez pas. yous croyez être tran- quille, et vous demandez la mort î vous osez dire que vous n'êtes 30 point vaincu par l'amour, et vous ne pouvez vous arracher" à la nymphe que vous aimez ! vous ne voyez, vous n'entendez qu'elle ; \ vous êtes aveugle et sourd" à tout le reste. Un homme que la fièvre rend frénétique" dit : Je ne suis point malade. O aveugle Télémaque I vous étiez prêt à renoncer à Pénélope qui vous at- 35 tend," à Ulysse que vous verrez, à Ithaque où vous devez" M II f 1 tardons-nous, do we tarry. — 2 noués, tied. — 3 noble démarebo, majesUc iccdk. — 4 traces, prints. — 5 revenant à lui, awakvng. — 6 dit adieu, bidfareweU, 7 j'aimerais mieux, IwoiUd rather.—Q m'empêcheront plutôt de vivre, sfiaU soaner put an end to my life. — 9 à jamais, for ever. — 10 furieuse, violent. 11 vous arracher, tear yoursdf.—Vl sourd, deaf,—\Z fréftétique, ddirUms» 14 attend, expects. — 16 devez, are to ; M. L. 35, R. 6. il6 TÉLÉMAQUB. LIV. Vfl. régner, à la gloire, et à la haute destinée que les dieux vous ont promise par tant de merveilles qu'ils ont faites* en votre faveur; vous renonciez à tous ces biens pour vivre déshonoré auprès ^ d'Eucharis! Direz-vous encore que l'amour ne vous attache 6 point à elle? Qu'est-ce donc qui vous trouble ? pourquoi voulez- vous mourir î pourquoi avez-vous parlé devant la déesse avec tant de transport? Je ne vous accuse point de mauvaise foi :" mais je déplore votre aveuglement." Fuyez, Télémaque, fuj-ez ! on ne peut vaincre l'amour qu'en fuyant. Contre un tel ennemi, le vrai 10 courage consiste à craindre et à fuir, mais à fuir sans délibérer, et sans se donner à soi-même le temps de regarder jamais derrière soi.* Vous n'avez pas oublié les soins que vous m'avez coûtés depuis votre enfance, et les périls dont vous êtes sorti par mes conseils : ou"* croyez-moi, ou souffrez que je vous abandonne. Si 16 vous saviez combien il m'est douloureux de vous voir courir à votre perte ! si vous saviez tout ce que j'ai souffert pendant que je n'ai osé vous parler ! la mère qui vous mit du monde souffrit moins dans les douleurs de l'enfantement." Je me suis tû ;' j'ai dévoré ma peine : j'ai étouffé mes soupirs, pour voir si vous re- 20 viendriez à moi. O mon fils ! mon cher fils ! soulagez mon cœur, rendez-moi ce qui m'est plus cher que mes entrailles f rendez-moi Télémaque que j'ai perdu ; rendez-vous à vous-même. Si la sa- . gesse en vous surmonte l'amour, je vis,* et je vis heureux ; mais '^ si l'amour vous entraîne malgré la sagesse. Mentor ne peut plus 25 vivre. Pendant que Mentor parlait ainsi, il continuait son chemin vers la mer ; et Télémaque, qui n'était pas encore assez fort pour le suivre de lui-même, l'était déjà assez pour se laisser mener sans résistance. Minerve, toujours cachée sous la figure de Mentor, 30 couvrant invisiblement Télémaque de son égide, et répandant autour de lui un rayon divin, lui fit sentir un courage qu'il n'avait point encore éprouvé*" depuis qu'il était dans cette île. Enfin ils arrivèrent dans un endroit de l'île où le rivage de la mer était es- carpé ; c'était un rocher toujours battu par l'onde écumante. Ils 36 regardèrent de cette hauteur si le vaisseau que Mentor avait pré- paré était encore dans la même place: mais ils aperçurent un triste spectacle. I fa.ite8,performed; M. L. 98, R. 4. — 2 mauvaise foi, decdt. — 3 ayeugle- ment, blirianess. — 4 derrière soi, bock. — 5 on, eUher. — 6 dans les douleurs de l'enfantement, at your birth.—7 je me suis tû, IreTnained silent; from taire. M. p. 388.-8 mes entrailles, my own life.—9 je vis, Ilive;from vivre, M. V' 390.-10 éprouvé, ftU. uv. vn. TÉLÉMAQUE. 117 1 traits, shafts. — 2 rouvrait, opened qfresh; from rouvrir^ M. p. 384. 3 tirée d', seduced me from.— A c'en est fait, itistoo laie. — 5 contrevenir à, violate. — 6 essuyant, drying up. — 7 souris, smile. — 8 malin, cunning. — 9 laia- gez-xnoi faire, leave U to me. — 10 suivez, observe. — 11 n'avons juré, ?uxBe 9Wom; M. L. 84, R. 4. — 12 il ne lui restera plus aucun moyen, he wUL haxù no means left. — 13 au fond des entrailles, irUo the inmost heart. — 14 délasser, refresh. — 15 flatta, caressed. — 16 folâtre, playful. î L'Amour était vivement piqué de voir que ce vieillard incomiu non seulement était insensible à ses traits,^ mais encore lui enle- vait Télémaque: il pleurait de dépit, et alla trouver Calj^so J errante dans les sombres forêts. Elle ne put le voir sans gémir, et elle sentit qu'il rouvrait' toutes les plaies de son cœur. L'Amour 5 \ lui dit: Vous êtes déesse, et vous vous laissez vaincre par un I faible mortel qui est captif dans votre île ! pourquoi le laissez-vous î sortir? O malheureux Amour, répondit-elle, je ne veux plus i écouter tes pernicieux conseils: c'est toi qui m'as tirée* d'une douce et profonde paix pour me précipiter dans un abîme de mal- 10 heurs. C'en est fait,* j'ai juré par les ondes du Styx que je laisse- rais partir Télémaque. Jupiter même, le père des dieux, avec toute sa puissance, n'oserait contrevenir à* ce redoubtable serment. Télémaque sort de mon île : sors aussi, pernicieux enfant : tu m'as fait plus de mal que lui ! 15 L'Amour, essuyant" ses larmes, fit un souris' moqueur et malin.® En vérité, dit-il, voilà un grand embarras! laissez-moi faire;" sui- vez" votre serment, ne vous opposez point au départ de Télé- maque. Ni vos nymphes ni moi n'avons juré" par les ondes du Styx de le laisser partir. Je leur inspirerai le dessein de brûler 20 ce vaisseau que Mentor a fait avec tant de précipitation. Sa dili- gence, qui vous a surprise, sera inutile. Il sera surpris lui-même à son tour; et il ne lui restera plus aucun moyen" de vous arra- cher Télémaque. Ces paroles flatteuses firent glisser l'espérance et la joie jusqu'au 25 ! fond des entrailles" de Calypso. Ce qu'un zéphyr fait par sa fraî- cheur sur le bord d'un ruisseau pour délasser** les troupeaux lan- j guissants que l'ardeur de l'été consume, ce discours le fit pour apaiser le désespoir de la déesse. Son visage devint serein, ses yeux s'adoucirent, les noirs soucis qui rongeaient son cœur s'en- 30 fuirent pour un moment loin d'elle : elle s'arrêta, elle sourit, elle flatta" le folâtre*" Amour ; et en le flattant elle se prépara de nou- velles douleurs. L'Amour, content de l'avoir persuadée, alla pour persuader aussi les nymphes, qui étaient errantes et dispersées sur toutes les mon- 36 tagnes, comme un troupeau de moutons que la rage des loups 119 TÉLÉHAQUB. WY. fB» i^més' a mis en fuite' loin du berger. L'Amour les rassemble, et leur dit: Télémaque est encore en vos mains; hâtez-vous de V br&ler ce vaisseau que le téméraire Mentor a fait pour s'enfuir. Aussitôt elles allument des flambeaux;^ elles accourent sur le 5 rivage; elles frémissent; elles poussent des hurlements; elles secouent^ leurs cheveux épars,^ comme des Bacchantes. Déjà la flamme vole," elle dévore le vaisseau, qui est d'un bois sec et en- duit^ de résine ; des tourbillons^ de fumée et de flammes s'élèvent dans les nues.^ 10 Télémaque et Mentor aperçoivent ce feu de dessus*" le rocher, et entendent les cris des nymphes. Télémaque fut tenté de s'en réjouir: car son cœur n'était pas encore guéri; et Mentor remar- quait que sa passion était comme un feu mal éteint, qui sort" de temps en temps de dessous la cendre, et qui repousse de vives 16 étincelles." Me voilà donc, dit Télémaque, rengagé dans mes Mens ! Il ne nous reste plus aucune espérance de quitter cette île. Mentor vit bien que Télémaque allait retomber dans toutes ses -faiblesses, et qu'il n'y avait pas un seul moment ^ perdre. Il aperçut de loin au milieu des flots un vaisseau arrêté qui n'osait** 20 approcher de l'île, parceque tous les pilotes connaissaient*^ que l'île de Calypso était inaccessible à tous les mortels. Aussitôt le sage Mentor poussant Télémaque, qui était assis sur le bord du rocher, le précipite dans la mer, et s'y jette avec lui. Télémaque, surpris de cette violente chute,** but*" l'onde amère, et devint le 26 jouet des «flots. Mais revenant à lui, et voyant Mentor qui lui tendait la main pour lui aider à nager, il ne songea plus qu'à*^ s'éloigner de l'île fatale. Les nymphes, qui avaient cru les tenir captifs, poussèrent des cris pleins de fureur, ne pouvant plus empêcher leur fuite. Ca- 30 lypso, inconsolable, rentra dans sa grotte, qu'elle remplit de ses hurlements. L'Amour, qui vit changer son triomphe en une hon- teuse défaite, s'éleva*^ au milieu de l'air en secouant ses ailes, et s'envola dans le bocage*' d'Ida! ie, oà sa cruelle mère l'attendait. L'enfant, encore plus cruel, ne se consola qu'en riant avec elle de 36 tous les maux qu'il avait faits. A mesure que''" Télémaque s'éloignait de l'île, il sentait avec 1 affamés, ravenoua. — 2 mis en fuite, disperstd, — 3 flambeaux, torches. 4 secouent, shake.—h épars, disheveUed. — 6 vole, aacends. — 7 enduit, cov- ered. — 8 tourbillons, whirlvnnds. — 9 nues, cUmda. — 10 de dessus, froTn, 11 sort, breaks. — 12 étincelles, sparks. — 13 n'osait, did not venture. — 14 oou- naissaient, kneu);from connaître^ M. p. 362. — 15 chute, /o^. — 16 but, drankf Jrom boire^ M. p. 360. — 17 ne songea plus qu'à, thoughi ordy of. — 18 s'éleva^ Jlew. — 19 bocage, grave. — 20 à mesure que, wWe. I uv« vu. TÊLÉMAQUE. 119 plaisir renaître son courage et son amour pour la vertu. J'éprouve, \ s'écriait-il, parlant à Mentor, ce que vous me disiez, et que je ne pouvais croire faute^ d'expérience : on ne surmonte le vice qu'en le fuyant.^ O mon père, que' les dieux m'ont aimé en me don- nant votre secours ! Je méritais d'en être privé, et d'être aban- 5 donné à moi-même. Je ne crains plus ni mer, ni vents, ni tem- pêtes ; je ne crains plus que mes passions. L'amour est lui seul plus à craindre que tous les naufrages. 1 faute à\for want ofr-l en le fuyant, ôy fii^U; from Juiry M. p. 372. 3 que, how mttch. TIN DU UVBE SSPTIÈMB. LIVRE HUITIEME. SoMMAiBE. — Adoam, frère de Narbal, commande le vaisseau tyrien où^ Télé- maqne et Mentor sont reçus favorablement. Ce capitaine, reconnais- sant^ Télémaque, lui raconte la mort tragique de Pygmalion etd'Astarbé, puis l'élévation^ de Baléazar, que le tyran son père avait disgracié à la persuasion de cette femme. Pendant un repas qu'il donne à Télémaque et à Mentor, Achitoas, par la douceur de son chant,^ assemble^ autour du vaisseau les tritons, les néréides, et les autres divinités de la mer. Men- tor, prenant une lyre, en® joue beaucoup mieux qu' Achitoas. Adoam raconte ensuite les merveilles de la Bétique. Il décrit^ là douce tem- pérature de l'air et les autres beautés de ce pays, dont les peuples mènent^ une vie tranquille dans une grande simplicité de mœurs. Le vaisseau qui était arrêté,® et vers lequel ils s'avançaient, était un vaisseau phénicien qui allait dans PÉpire. Ces Phéni- ciens avaient vu Télémaque au^° voyage d'Egypte: mais ils n'avaient garde de" le reconnaître au milieu des flots. Quand 6 Mentor fut assez" près du vaisseau pour faire entendre sa voix,** il s'écria d'une voix forte, en élevant sa tête au-dessus de l'eau : Phéniciens, si secourables** à toutes les nations, ne refusez pas la vie à deux hommes qui l'attendent" de votre humanité. Si le respect des dieux vous touche, recevez-nous dans votre vaisseau : 10 nous irons partout où" vous irez." Celui qui commandait ré- pondit: Nous vous recevrons avec joie; nous n'ignorons pas ce qu'on doit faire pour des inconnus^® qui paraissent malheureux. Aussitôt on les reçoit dans le vaisseau. 1 oÉi, in whîch. — 2 reconnaissant, recognizing. — 3 élévation, accession, 4 chant, singing. — 5 assemble, draws. — 6 en, upon it. — 7 décrit^ describes; Jrom décrire^ ir. 4. M. p. 366. — 8 mènent, lead ; M. § 49, (6). — 9 qui était MTèté^ which lay at ancJwr. — 10 au, îm Ais. — 11 ils n'avaient garde de, they coruld not certairdy. — 12 assez, siiffi sait pas semblant, pretmded not to ; M. L. 64, R. 4. — 5 louable, praiseworthy. n \ 6 délassent, refresh. — 7 entraînent, master. — 8 à propos, jyroper. — 9 prit, ^ ^ took up i from prendre, M. p. 380. — 10 s'allumèrent, kinaled. — 11 enlevé, |j| earriea. — 12 assistants, hearers. — 13 passionnait, g'acfi meaning. — 14 moindref, Uast. ïi V «l'I i I r 1 182 TBLBMAQUE. LiV. vm. v/ n chanta d'abord les louanges de Jupiter, père et roi des dieux et des hommes, qui d'un signe' de sa tête ébranle'' l'univers. Puis il représenta Minerve qui sort* de sa tête, c'est-à-diré la sa-' gesse, que ce dieu forme au-dedans de lui-même, et qui sort de 6 lui pour instruire les hommes dociles. Mentor chanta ces vérités d'une voix si touchante, et avec tant de religion, que toute l'as- semblée crut être transportée au plus haut de l'Olympe à la face* de Jupiter, dont les regards sont plus perçants que son tonnerre. Ensuite il chanta le malheur du jeune Narcisse, qui, devenant fol- 10 lement amoureux de sa propre beauté, qu'il regardait sans cesse au bord d'une fontaine, se consuma lui-même de douleur, et fut changé en une fleur qui porte son nom. Enfin il chanta aussi la funeste mort du bel Adonis, qu'un sanglier déchira, et que Vénus passionnée pour lui ne put ranimer en faisant au ciel des plaintes 15 amères. Tous ceux qui l'écoutèrent ne purent retenir' leurs larmes, et chacun sentait je ne sais quel plaisir en pleurant. Quand il eut cessé de chanter, les Phéniciens, étonnés, se regardaient les uns les autres. L'un disait : C'est Orphée : c'est ainsi qu'avec une 20 lyre il apprivoisait® les bêtes farouches, et enlevait' les bois et les rochers; c'est ainsi qu'il enchanta Cerbère, qu'il suspendit les tourments d'Ixion et des Danaïdes, et qu'il toucha l'inexorable Pluton, pour tirer* des enfers la belle Eurydice. Un autre s'écriait : Non, c'est Linus, fils d'Apollon ! Un autre répondait : 25 Vous vous trompez," c'est Apollon lui-même. Télémaque n'était guère moins surpris que les autres, car il ignorait que Mentor sût avec tant de perfection chanter et jouer de la lyre. Achitoas, qui avait eu le loisir*" de cacher sa jalousie, com- mença à donner des louanges à Mentor: mais il rougit en le 30 louant, et il ne put achever son discours. Mentor, qui voyait son trouble, prit la parole comme s'il eût voulu l'interrompre, et tâcha de le consoler, en lui donnant toutes les louanges qu'il méritait. Achitoas ne fut point consolé ; car il sentit que Mentor le surpas- sait encore plus par sa modestie que par les charmes de sa voix. 35 Cependant Télémaque dit à Adoam : Je me souviens que vous m'avez parlé d'un voyage que vous fîtes dans la Bétique" depuis que nous fûmes partis d'Egypte. La Bétique est un pays dont on raconte tant de merveilles, qu'à peine peut-on les croire. 1 signe, motion. — 2 ébranle, shakes. — 3 qui sort, issuing ; from sortir^ M. λ. 386. — 4 face, présence. — ^5 retenir, restrain. — 6 apprivoisait, tamed — 7 en- evait, gave motion. — 8 tirer, remove. — 9 vous vous trompez, you are mista- kem M. L. 38, R. 2.— 10 le loisir, si^fficient time.— Il la Bétique, Bœtica. Liv. vm. TÉLÉMAQUE. 183 1 en publie, relates about U. — 2 doux, temperate. — 3 se jette, faUs; M. §49, (4). — 4 digues, hmmds. — 5 tièdes, tnild. — 6 rigoureux, hleak.—ji aquilons, north winds. — 8 hymen, union. — 9 moisson, harvest. — 10 grenadiers, pome- granaie trees. — 11 recherchées de, in demand with. — 12 socs de charrue, ploughshares. — 13 commerce au-dehors, foreign trade. — 14 laboureurs, hus- banamen. — 15 filent, spin. Daignez m'apprendre si tout ce qu'on en dit est vrai. Je serai fort aise, dit Adoam, de vous dépeindre ce fameux pays, digne de votre curiosité, et qui surpasse tout ce que la renommée en publie.* Aussitôt il commença ainsi : Le fleuve Bétis coule dans un pays fertile, et sous un ciel doux" 6 qui est toujours serein. Le pays a pris son nom du fleuve, qui se jette^ dans le grand océan, assez près des colonnes d'Hercule, et de cet endroit où la mer furieuse, rompant ses digues,* sépara autrefois la terre de Tarsis d'avec la grande Afrique. Ce pays semble avoir conservé les délices de l'âge d'or. Les hivers y sont 10 tièdes,* et les rigoureux" aquilons^ n'y soufflent jamais. L'ardeur de l'été y est toujours tempérée par des zéphyrs rafraîchissants qui viennent adoucir l'air vers le milieu du jour. Ainsi toute l'année n'est qu'un heureux hymen® du printemps et de l'automne, qui semblent se donner la main. La terre dans les vallons et dans 15 * les campagnes unies y porte chaque année une double moisson.* ; Les chemins y sont bordés de lauriers, de grenadiers," de jasmins, et d'autres arbres toujours verts et toujours fleuris. Les mon- tagnes sont couvertes de troupeaux qui fournissent des laines fines recherchées de" toutes les nations connues. Il y a plusieurs mines 20 J d'or et d'argent dans ce beau pays : mais les habitants, simples, et heureux dans leur simplicité, ne daignent pas seulement comp- ter l'or et l'argent parmi leurs richesses ; ils n'estiment que ce qui sert véritablement aux besoins de l'homme. Quand nous avons commencé à faire notre commerce chez ces 25 peuples, nous avons trouvé l'or et l'argent parmi eux employés aux mêmes usages que le fer; par exemple, pour des socs de charrue." Comme ils ne faisaient aucun commerce au-dehors," ils n'avaient besoin d'aucune monnaie. Ils sont presque tous ber- \^ gers ou laboureurs.** On voit en ce pays peu d'artisans : car ils 30 ne veulent soufirir que les arts qui servent aux véritables néces- sités des hommes ; encore même la plupart des hommes en ce pays, étant adonnés à l'agriculture ou à conduire des troupeaux, ne laissent pas d'exercer les arts nécessaires pour leur vie simple et frugale. 35 Les femmes filent** cette belle laine, et en font des étofies fines 134 TBLÉMAQUE. Liv. vm. • et d'une merveilleuse blancheur : elles font le pain, apprêtent à manger; et ce travail leur est facile, car on ne vit en ce pays que de fruits ou de lait, rarement de viande. Elles emploient le cuir* de leurs moutons à faire une légère chaussure'^ pour elles, pour 6 leurs maris et pour leurs enfants; elles font des tentes, dont les unes sont de peaux cirées,* les autres d'écorces* d'arbres ; elles font et lavent tous les habits de la famille, tiennent les maisons dans un ordre et une propreté admirables. Leurs habits sont aisés à faire ; car, dans ce doux climat, on ne porte qu'une pièce 10 d'étoffe fine et légère, qui n'est point taillée,* et que chacun met à longs plis® autour de son corps pour la modestie, lui donnant la forme qu'il veut. Les hommes n'ont d'autres arts à exercer, outre la culture des terres et la conduite des troupeaux, que l'art de mettre le bois et 15 le fer en œuvre ;' encore même ne se servent-ils guère du fer, ex- cepté pour les instruments nécessaires au labourage. Tous les arts qui regardent^ l'architecture leur sont inutiles ; car ils ne bâ^ tissent jamais de maisons. C'est, disent-ils, s'attacher trop' à la terre, que de s'y faire une demeure^" qui dure beaucoup plus que 20 nous; il suffit de se défendre des injures de l'air." Pour tous les autres arts estimés chez les Grecs, chez les Egyptiens, et chez j tous les autres peuples bien policés, ils les détestent, comme des ^ inventions de la vanité et de la mollesse. Quand on leur parle des peuples qui ont l'art de faire des bàti- 25 ments superbes, des meubles^^ d'or et d'argent, des étoffes ornées de broderies et de pierres précieuses, des parfums exquis, des mets" délicieux, des instruments dont l'harmonie charme, ils ré- pondent en ces termes : Ces peuples sont bien malheureux d'avoir employé tant de travail et d'industrie à se corrompre eux-mêmes ! \pQ ce superflu" amollit, enivre, tourmente ceux qui le possèdent; il tente ceux qui en sont privés, de vouloir l'acquérir par l'injustice et par la violence. Peut-on nommer bien un superflu qui ne sert qu'à rendre les hommes mauvais ? Les hommes de ce pays sont- ils plus sains** et plus robustes que nous? vivent-ils plus long- 36 temps? sont-ils plus unis entre eux? mènent-ils une vie plus libre, plus tranquille, plus gaie? Au contraire, ils doivent être jaloux les uns des autres, rongés par une lâche et noire envie, 1 cair, skin^ leather. — 2 chaussure, shoes. — 3 cirées, waxed, vamished. 4 écorces, bark. — 5 taillée, eut. — 6 pHs, folds. — 7 mettre en œuvre, to work, 8 regardent, relate to. — 9 s'attacher trop, to show too much regard. — 10 de- meure, dweUing. — 11 des injures de l'air, froin the weather. — 12 meubles, Jurniture. — 13 mets, diahes. — 14 superflu, superjluities. — 15 sains, heaUhy. LIV. vm. TBLBMAQUE. 185 toujours agités par Tambition, par la crainte, par l'avarice, incapa- bles des plaisirs purs et simples, puisqu'ils sont esclaves de tant de fausses* nécessités dont ils fonf* dépendre tout leur bonheur. C'est ainsi, continuait Adoam, que parlent ces hommes sages, qui n'ont appris la sagesse qu'en étudiant la simple nature. Ils 6 ont horreur de notre politesse ; et il faut avouer que la leur est grande dans leur aimable simplicité. Ils vivent tous ensemble sans partager les terres ; chaque famille est gouvernée par son chef, qui en est le véritable roi. Le père de famille est en droit' de punir chacun de ses enfants ou petits-enfants qui fait une mau- 1G\ vaise action : mais, avant que de le punir, il prend l'avis du reste de la famille. Ces punitions n'arrivent* presque jamais ; car l'in- nocence des mœurs, la bonne foi, l'obéissance, et l'horreur du vice, habitent dans cette heureuse terre. Il semble qu'Astrée, qu'on dit retirée* dans le ciel, est encore ici-bas* cachée parmi ces 16 hommes. Il ne faut point de juges parmi eux ; car leur propre conscience les juge. Tous les biens sont communs ; les fruits des arbres, les légumes de la terre, le lait des troupeaux, sont des richesses si abondantes, que des peuples si sobres et modérés n'ont pas besoin de les partager. Chaque famille, errante' dans 20 ce beau pays, transporte ses tentes d'un lieu en un autre, quand elle a consumé les fruits et épuisé® les pâturages de l'endroit où elle s'était mise." Ainsi ils n'ont point d'intérêts à soutenir les uns contre les autres, et ils s'aiment tous d'un amour fraternel que rien ne trouble. C'est le retranchement*" des vaines richesses 25 et des plaisirs trompeurs qui leur conserve cette paix, cette union et cette liberté. Il sont tous libres, tous égaux. On ne voit parmi eux aucune distinction, que celle qui vient de J^ l'expérience des sages vieillards, ou de la sagesse extraordinaire de quelques jeunes hommes qui égalent les vieillards consommés 30 en vertu. La fraude, la violence, le parjure, les procès," les guerres, ne font jamais entendre leur voix cruelle et empestée dans ce pays chéri des dieux. Jamais le sang humain n'a rougi cette terre ; à peine y voit-on couler celui des agneaux. Quand on parle à ces peuples des batailles sanglantes, des rapides con- 35 quêtes, des renversements d'états" qu'on voit dans les autres nations, ils ne peuvent assez s'étonner. Quoi! disent-ils, les 1 fausses, imaginary. — 2 font, make ; fromfaire^ M. v. 372. — 3 est en droit, has the right. — 4 n'arrivent, happen. — 6 retirée, has taJcen refuge. — 6 ici bas, hère below. — 7 errante, wandering. — 8 épuisé, exhausted; M. L. 99, R.\. 9 s'était mise, had aettled. — 10 retranchement, rejection. — 11 procès, lawsuiis 12 renversements d'états, subversion of empires. .! 136 TBLBMAQUE. LIV. vm. hommes ne sont-ils pas assez mortels, sans se donner encore les uns aux autres une mort précipitée ? la vie est si courte î et il semble qu'elle leur paraisse trop longue! sont-ils sur la terre pour se déchirer les uns les autres, et pour se rendre mutuelle- 5 ment malheureux ? Au reste,* ces peuples de la Bétique ne peuvent comprendre qu'on admire tant les conquérants qui subjuguent les grands em- pires. Quelle folie, disent-ils, de mettre'' son bonheur à gouver- ner les autres hommes, dont le gouvernement donne tant de 10 peine si on veut les gouverner avec raison et suivant la justice ! Mais pourquoi prendre plaisir à les gouverner malgré eux 1 c'est tout ce qu'un homme sage peut faire, que de vouloir s'assujettir' à gouverner un peuple docile dont les dieux l'ont chargé, ou un peuple qui le prie d'être comme son père et son protecteur. Mais 15 gouverner les peuples contre leur volonté, c'est se rendre très misérable, pour avoir le faux honneur de les tenir* dans l'escla- V vage. Un conquérant est un homme que les dieux, irrités contre le genre humain, ont donné à la terre dans leur colère pour ra- vager les royaumes, pour répandre par-tout l'effroi, la misère, le 20 désespoir, et pour faire autant d'esclaves qu'il y a d'hommes libres. Un homme qui cherche la gloire ne la trouve-t-il pas assez en conduisant* avec sagesse ce que les dieux ont mis dans ses mains? croit-il ne pouvoir mériter des louanges qu'en deve- nant violent, injuste, hautain, usurpateur et tyrannique sur tous 25 ses voisins? Il ne faut jamais songer à la guerre, que pour dé- fendre sa liberté. Heureux celui qui, n'étant point esclave d'autrui,' n'a point la folle ambition de faire d'autrui son esclave ! Ces grands conquérants, qu'on nous dépeint avec tant de gloire, ressemblent à ces fleuves débordés^ qui paraissent majestueux, 30 mais qui ravagent toutes les fertiles campagnes qu'ils devraient seulement arroser. Après qu'Adoam eut fait cette peinture® de la Bétique, Télé- maque, charmé, lui fit diverses questions curieuses. Ces peuples, lui dit-il, boivent-ils du vin? Ils n'ont garde d'en boire," reprit 35 Adoam, car*" ils n'ont jamais voulu en faire. Ce n'est pas qu'ils manquent de raisins; aucune terre n'en porte de plus délicieux : mais ils se contentent de manger le raisin comme les autres fruits, et ils craignent le vin comme le corrupteur des hommes. C'est 1 au reste, besides. — 2 mettre, place. — 3 s'assujettir, to submit. — 4 tenir, ■ to kcep. — 5 conduisant, managing ; front conduire^ M. p. 362. — 6 d'autrui, of others. — 7 débordés, overjlowed. — 8 peinture, description. — 9 ils n'ont garde d'en boire, they arefarjrom drinking it. — 10 car,,/br. uv. vm. TÉLÉMAQUE. 1S7 une espèce de poison, disent-ils, qui met en fareur : il ne fait pas mourir l'homme, mais il le rend bête.^ Les hommes peuvent con- server leur santé et leurs forces sans vin : avec le vin, ils courent risque de ruiner leur santé et de perdre les bonnes mœurs. Télémaque disait ensuite: Je voudrais bien savoir quelles lois 6 règlent les mariages dans cette nation. Chaque homme, répondit X/ Adoam, ne peut avoir qu'une femme, et il faut qu'il la garde' tant qu'elle vit.^ L'honneur des hommes en ce pays dépend autant de leur fidélité à l'égard de^ leurs femmes, que l'honneur des femmes dépend chez les autres peuples de leu r fidélité pour leurs maris. Ja- 1 mais peuple ne fut si honnête, ni si jaloux de la pureté. Les femmes y sont belles et agréables, mais simples, modestes et laborieuses. Les mariages y sont paisibles,^ féconds," sans tache.^ Le mari et la femme semblent n'être plus qu'une seule personne en deux corps difiérents : le mari et la femme partagent ensemble tous les 16 soins domestiques; le mari règle toutes les affaires du dehors,® la femme se renferme dans son ménage :^ elle soulage son mari, elle parait n'être faite que pour lui plaire; elle gagne sa confiance, et le charme moins par sa beauté que piir sa vertu. Ce vrai charme de leur société dure autant que leur vie. La sobriété, la modéra- 20 tion et les mœurs pures de ce peuple lui donnent une vie longue et exempte de maladies. On y voit des vieillards de cent et de six-vingts^" ans, qui ont encore de la gaieté et de la vigueur. Il me reste, ajoutait Télémaque, ù savoir comment ils font pour éviter la guerre avec les autres peuples voisins. y26 La nature, dit Adoam, les a séparés des autres peuples, d'un côté par la mer, et de l'autre par de hautes montagnes vers le nord. D'ailleurs les peuples voisins les respectent à cause de leur vertu. Souvent les autres nations, ne pouvant s'accorder" ensemble, les ont pris pour juges de leurs différents, et leur ont confié les terres 30 et les villes qu'elles disputaient entre elles. Comme cette sage nation n'a jamais fait aucune violence, personne ne se défie d'elle. Ils rient quand on leur parle des rois qui ne peuvent régler entre eux les frontières de leurs états. Peut-on craindre, disent-ils, que la terre manque^^ aux hommes? il y en aura toujours plus 36 qu'ils n'en pourront cultiver. Tandi^^ qu'il restera des terres libres et incultes, nous ne voudrions pas même défendre les nôtres contre 1 1© rend bête, couverts him into a brute. — 2 garde, keep. — 3 tant qu'elle vit, as long as she lives ; from vivre, M. p. 390. — 4 à l'égard de, to. — 5 paisi- bles, peacefuL — 6 féconds, Jruitful. — 7 sans tache, undeJUed. — 8 du dehors, abroaa. — 9 ménage, kouse. — 10 six-vingis, a hnndred and twenty — six score, 11 s'accorder, ao^r«6. — 12 manque, &c/r/rA-/?i if. 188 TÉLÉMAQUE. LIV. Tm. des T qui Vignors-ient, ces peuples se prépa- raient à loi fejre I& guerre. Fendant eo récit d'Idoaéaée, les Maodu> riens, qui s'étaient bâtés de prendre les armes, ee prfeentéreat ani portei de Salenta. Heator, Philootéto et Phalante, qu'Idoménée erojeit neu- tres, sont contre Ini dans l'armée des Uandurieca. Mentor sort de Sa- leata, et ra seul proposer aux ennemis des conditions da paix. Mehtor, regardant d'un air doux et tranquille Têlénaque, qui ètmt déjà plein d'une noble ardeur pour lea combats, prit ainsi la parole :' Je auia bien aise, fils d'Ulysse, de voir en voua une si belle passion pour lu gloire; mais souvenez-vous que votre père n'en a acquis' une si grande parmi les Grecs, au siège de Troie, qu'en 5 se montrant le plus sage et le plus modéré d'entre eux. Achille, quoiqu'invincible et invulnérable, quoique sûr de porter la teneur et la mort partout où' il combattait, n'a pu prendre la ville de Troie : il est tombé lui-même au pied des murs de cette ville ; et elle a triomphé du vainqueur d'Hector, Mais Ulysse, en qui la 10 prudence uonduisaît la valeur, a porté la Qamme et le fer* au milieu des Troyens; et c'est à ses mains qu'on doit la chute de ces hautes et superbes tours qui menacèrent pendant dix ans toute la Grèce conjurée." Autant que iUinerve est au-dessus de 1 d'abord, af flrsi.— 2 M. L. 98, R- B.— 3 des Unit, of Ihtir ptopU ; X. «35, (3).— 4 ieg% sellltd.— 5 des iito>. of hls aubjal» ; Jtf. S3B, (3).— 6 prit «Mi la parole, K^< *"'*'«'' «'■^''» .- A™ P^™*". M. p. 360.-? M. L.tS, R. 11.— 8 partout où, vtheraier.—S fer, award.— 10 oonjurée, tonfederatt. 166 TÉLÉMAQUE. LIV. X. Mars, autant une valeur discrète et prévoyante surpasse-t-elle un courage bouillant^ et farouche. Commençons donc par nous ins- truire des circonstances de cette guerre qu'il faut soutenir. Je ne refuse" aucun péril ; mais je crois, ô Idoménée, que vous devez 6 nous expliquer premièrement si votre guerre est juste ; ensuite, contre qui vous la faites: et enfin, quelles sont vos forces pour en espérer un heureux succès. Idoménée lui répondit ; Quand nous arrivâmes sur cette côte, nous y trouvâmes un peuple sauvage qui errait dans les forêts, 10 vivant de sa chasse et des fruits que les arbres portent d'eux- mêmes.* Ces peuples, qu'on nomme les Manduriens, furent épouvantés, voyant nos vaisseaux et nos armes : ils se retirèrent dans les montagnes. Mais comme nos soldats furent curieux de voir le pays, et voulurent poursuivre des cerfs, ils rencontrèrent 16 ces sauvages fugitifs. Alors les chefs de ces sauvages leur dirent : Nous avons abandonné* les doux rivages de la mer pour vous les céder; il ne nous reste que des montagnes presque inaccessibles: du moins est-ir juste que vous nous y laissiez en paix et en liberté. Nous vous trouvons errants, dispersés et plus 20 faibles que nous ; il ne tiendrait qu'à nous* de vous égorger, et d'ôter même à vos compagnons la connaissance de votre mal- heur: mais nous ne voulons point tremper nos mains dans le sang de ceux qui sont hommes aussi bien que nous. Allez, sou- venez-vous que vous devez la vie à nos sentiments d'humanité. 26 N'oubliez jamais que c'est d'un peuple que vous nommez gros- sier* et sauvage, que vous recevez cette leçon de modération et de générosité. Ceux d'entre les nôtres^ qui furent ainsi renvoyés par ces bar- bares revinrent dans le camp, et racontèrent ce qui leur était 80 arrivé.* Nos soldats en furent émus; ils eurent honte de voir que des Cretois dussent' la vie à cette troupe d'hommes fugitifs qui leur paraissaient ressembler plutôt à des ours qu'à des hommes : ils s'en allèrent à la chasse en plus grand nombre que les pre- miers, et avec toutes sortes d'armes. Bientôt ils rencontrèrent 36 les sauvages, et les attaquèrent. Le combat fut cruel. Les traits" volaient" de part et d'autre comme la grêle" tombe dans une campagne pendant un orage. Les sauvages furent contraints 1 bouillant, impdwms; from bouillir^ M. p. 360. — 2 refuse, shun. — 3 d'eux mêmes, spanianeoualy. — 4 M. L. 99, R. 1.— 5 il ne tiendrait qu'à nous, it votUd be in our power. — 6 grossier, rucUf uncivilized. — 7 les nôtres, qf our veople; M. §35, (3). — 8 arrivé, fiappened. — 9 dussent, should owe; from devoir. — 10 traits, arrowa. — 11 volaient,^etr. — 12 grêle, hail. ■si UT. X. TÉLÊMAQUB. 167 de se i^tirer dana ]«uis montagnes esciupêes, oâ les nûtrea n'osèrent s'engager.' Peu de temps après, ces peuples envoyèrent vers moi deux de leurs plus sages vieillards, qui venaient me demander la paix. Hs m'apportèrent des présents : c'était des peaux des bâtes farouches 6 qu'ils avaient tuées, et des fruits du pays. Après m'avoir donné leurs présenta, ils parlèrent ainsi: O roi, nous tenons, comme tu vois, dans une main l'épée, et dans l'autre une branche d'olivier. (En effet, ils tenaient l'une et l'autre dans leurs mains.) Voilà la paix et la gneire; choisis. 10 Nous aimerions mieux la paix ; c'est pour l'amour d'elle que noua n'avons point eu honl« de i« céder le doux rivage de la mer, où le soleil rend la terre fertile, et produit tant de fruits délicieux. I^ paix est plus douce que tous ces fruits : c'est pour elle que nous nous sommes retirés dons ces hautes montagnes toujours cou. IS vertes de glace et de neige, où l'on ne voit jamais ni les Seurs du printemps ni les riches fruits de l'automne. Nous avons horreur de cette brutalité qui, sous de beaux noms d'ambition et de gloire, va follement" ravager les provinces, et répand le sang des hommes, qui sont tous frères. Si cette fausse gloire te touche, 20 nous n'avons garde^ de te l'envier; nous te plaignons, et nous prions les dieux de nous préserver d'une fureur' semblable. Si les sciences que les Grecs apprennent avec tant de soin, et si la politesse dont ils se piquent,* ne leur inspirent que cette détesta- ble injustice, nous nous croyons trop heureux de n'avoir point SÔ ces avantages. Nous nous ferons gloire' d'être toujours igno- rants et barbares ; maïs justes, humains, fidèles, déaintéressés, ac- coutumés à nous contenter de peu, et à mépriser la vaine délies^ tesse qui fait qu'on a besoin d'avoir beaucoup. Ce qna nous estjmons, c'est la santé, la frugalité, la liberté, la vigueur de corps 30 et d'esprit ; c'est l'amour de la vertu, la crainte des dieux, le bon naturel pour nos proches,' l'attachement à nos amis, la fidélité pour tout le monde, la modération dans ta prospérité, la fermeté dans les malheurs, le courage pour dire toujours hardiment la vérité, l'horreur de la flatterie. Voilîi quels sont les peuples que 35 nous t'offrons pour voisins et pour alliés. Si les dieux irrités t'aveuglent jusqu'i' te faire refuser la paix, tu apprendras, mais 1 s'engagsr, pentiTott. — 2 follement. Toadly. — 3 nou. are far. — 1 fureur, freniy.—S se piquent, jiWde thm TeroDs gloire, we AU gtory. — 7 proohea, kindred. — 3 degreiai. 168 TÊLBMAQUE. LIY. 3C trop tard) que les gens qui aiment par modération la paix sont les plus redoubtables dans la guerre. Pendant que ces vieillards me parlaient ainsi, je ne pouvais me lasser de les regarder. Us avaient la barbe longue et négligée/ 6 les cheveux plus courts, mais blancs; les sourcils épais, les yeux vifs, un regard et une contenance ferme, une parole grave et pleine d'autorité, des manières simples et ingénues. Les four- rures qui leur servaient d'habits étaient nouées sur l'épaule, et laissaient voir des bras plus nerveux et mieux nourris^ que ceux de 10 nos athlètes.' Je répondis à ces deux envoyés que je désirais la paix. Nous réglâmes^ ensemble de bonne foi,^ plusieurs condi- tions ; nous en prîmes* tous les dieux à témoin, et je renvoyai ces hommes chez eux avec des présents. Mais les dieux, qui m'avaient chassé du royaume de mes an- 16 cétres, n'étaient pas encore lassés de me persécuter. Nos chas- seurs, qui ne pouvaient pas être sitôt avertis de la paix que nous venions de faire, rencontrèrent le même jour une grande troupe de ces barbares qui accompagnaient leurs envoyés lorsqu'ils reve- naient de notre camp : ils les attaquèrent avec fureur, en tuèrent 20 une partie, et poursuivirent le reste dans les bois. Voilà^ la guerre rallumée. Ces barbares croient qu'ils ne peuvent plus se fier ni à nos promesses ni à nos serments. Pour être plus puissants contre nous, ils appellent à leur se- cours les Locriens, les Apuliens, les Leucaniens, les Brutiens, les 36 peuples de Crotone, de Nérite, de Messapie et de Brindes. Les Leucaniens viennent avec des chariots armés de faux tranchantes.' Parmi les Apuliens, chacun est couvert de quelque peau de bête farouche qu'il a tuée ; ils portent des massues* pleines de gros nœuds," et garnies de pointes de fer; ils sont presque de la 30 taille" des géants ; et leurs corps se rendent si robustes par les exercices pénibles auxquels ils s'adonnent, que leur seule vue épouvante." Les Locriens, venus de la Grèce, sentent encore^* leur origine, et sont plus humains que les autres : mais ils ont joint à l'exacte discipline des troupes grecques la vigueur des 36 barbares, et l'habitude de mener une vie dure ; ce qui les rend invincibles. Us portent des boucliers légers qui sont faits d'un tissu d'osier, et couverts de peaux; leurs épées sont longues. 1 négligée, untrimmed. — 2 mieux nourris, fvUer. — 3 athlètes, vyresUera. 4 réglâmes, aettled. — 5 de bonne foi, in good faith. — 6 prîmes, took^ caUed ; ff'om prendre^ M. tt. 380. — 7 voilà, so. — 8 faux tranchantes, sharp scythta. 9 massues, clubs. — 10 nœuds, krwts. — 11 taille, stature. — 12 épouvante, ta terrifyùig. — 13 sentent encore, stiU retain traces qf. â Liv. X. TBLEMAQUE. 159 Les Brulieoa sont légers à la course comine iea cerfs et comme les dums. On croirait que l'herbe même la plus tendre n'est point foulée' sous leurs pieds- ù peine laissent-ils dans le sable quelques traces d 1 pas O les voit tt>ut-à-caup fondre' sur leurs enneuii t p dp lire avec une égale rapidité. 5 Les peuples de C t t d ita à tirer* des flècbes. Un homme ordinaire p m I G e pourrait bander' un arc tel qu'on en voit commu m t h les Crotoniates; et si jamais ils s'appliquent à j 1 y remporleronl le prix. Leurs flèches sont trempées dans le suc' de certaines herbes Tenimeuses 10 qui ïiennent, dit-on, des borda de l'Averne, et dont le poison est mortel. Pour ceux de Nérîte, de Messapie et de Brindes, ils n'ont en partage que' la force du corps, et une valeur sans art. Les cris qu'ils poussent jusqu'au ciel, i la vue de leurs ennemis, sont affreux. Ils se servent assez bien de la fronde,' et ils obscur- Ifi ciasent l'air par une grêle de pierres lancées : mais ils combattent sans ordre. Voila, Mentor, ce que voua désiriez de savoir: vous con- naissez maintenant l'origine de cette guerre, et quels sont nos ennemis. 30 Après cet éclurcissement,' Télémaque, impatient de combattre, croyait n'avoir plus qu'it'" prendre les armes. Mentor le retint encore, et parla ainsi à Idoménée. D'où vient donc que les Loeriens mêmes, peuples sortis de la Grèce, a'uniasent aus barbares contre les Greca ! D'oil vient que 96 tant de colonies grecques fleurissent sur cette c6te de la mer, sans avoir les marnes guerres à soutenir que vousl Oldoménée, vous dites que les dieux ne sont p^is encore las" de vous persécu- ter ; et moi Je dis qu'ils n'ont pas encore achevé de voua instruire. Tant de malheurs que voua avez soufferts ne vous ont point en- 30 core appris ce qu'il faut faire pour éviter la guerre. Ce que vous racontez vous-même de la bonne foi de ces barbares suffit pour montrer qui voua auriez pu vivre eu paix ave« eus : mais la hau- teur et la fierté attirent les guerres tes plus dangereuses. Vous auriez pu leur donner des âtages et en prendre d'eux. Il eût été 3S facile d'envoyer avec leurs ambassadeurs quelques uns de vos chefs pour les reconduire avec sûreté. Depuis cette guerre I foulée, bent.—2 pas, stepa.—S fondra, fall. — i ttrer, ïtarf,— 6 bandsr, bend. — 6 eue. Juicc. — T n ont en partage que, they passas merely. — 8 ftonde, sling.—9 ËclùrcisBement, explanalvm- — 10 orajait n'avoir plus qu'à, Vunight qfnothiTig frirf. — 11 las, wcary. t 160 TÉLÉMAQUE. liv. x. renouvelée, vous auriez dû encore les apaiser, en leur représentant qu'on les avait attaqués faute de savoir^ ralllance qui venait d'être jurée. Il fallait leur ofirir toutes les sûretés qu'ils auraient de- mandées, et établir des peines rigoureuses contre ceux de vos 5 sujets qui auraient manqué à l'alliance. Mais qu'est-il arrivé depuis ce commencement de guerre ? Je crus, répondit Idoménée, que nous n'aurions pu, sans bas- sesse, rechercher'* ces barbares, qui assemblèrent à la hâte tous leurs hommes en âge de combattre, et qui implorèrent le secours • 10 de tous les peuples voisins, auxquels ils nous rendirent suspects et odieux. Il me parut que le parti le plus assuré était de s'em- parer' promptement de certains passages dans les montagnes, qui étaient mal gardés. Nous les prîmes sans peine, et par-là nous nous sommes mis en état de désoler* ces barbares. J'y ai fait 16 élever des tours, d'où nos troupes peuvent accabler* de traits tous les ennemis qui viendraient des montagnes dans notre pays. Nous pouvons entrer dans le leur, et ravager, quand il nous plaira, leurs principales habitations. Par ce moyen, nous sommes en état de résister, avec des forces inégales, à cette multitude innom- 20 brable d'ennemis qui nous environnent. Au reste,* la paix entre eux et nous est devenue très-difficile. Nous ne saurions"' leur abandonner ces tours sans nous exposer à leurs incursions, et ils les regardent comme des citadelles dont nous voulons nous ser- vir pour les réduire en servitude. 25 Mentor répondit ainsi à Idoménée : Vous êtes un sage roi, et vous voulez qu'on vous découvre la vérité sans aucun adoucisse- ment.® Vous n'êtes point comme ces hommes faibles qui crai- gnent de la voir, et qui, manquant de courage pour se corriger, n'emploient' leur autorité qu'à soutenir les fautes qu'ils ont 30 faites." Sachez donc que ce peuple barbare vous a donné une merveilleuse leçon, quand il est venu vous demander la paix. Était-ce par faiblesse qu'il la demandait ? manquait-il de courage ou de ressources contre vous? Vous voyez bien que non," puis- qu'il est si aguerri," et soutenu par tant de voisins redoubtables. 36 Que" n'imitiez-vous sa modération 1 Mais une mauvaise honte et une fausse gloire vous ont jeté dans ce malheur. Vous avez craint de rendre l'ennemi trop fier, et vous n'avez pas craint de le 1 faute de savoir, in ignorance of. — 2 rechercher, to seek. — 3 s'emparer, to »eize ; M. L. 93, R. 3.— -4 désoler, to harass. — 5 accabler, overwhelm. — 6 au reste, hesidea. — 7 saurions, could not. — 8 adoucissement, disguise. — 9 M. S 49, (2).— 10 M. L. 98, R. 4.— 11 que non, tfiatUisnot so ,- M. L. 82, R. 3. 12 aguerri, warlike. — 13 que, why. uv. X. TÉLÉMAQUE. 161 rendre trop puissant en réunissant tant de peuples contre vous par une conduite hautaine et injuste. A quoi servent ces tours que vous vantez tant, sinon à mettre tous vos voisins dans la né- cessité de périr ou de vous faire périr vous-même pour se préserver d'une servitude prochaine ? Vous n'avez élevé ces tours que pour vo- 6 tre sûreté ; et c'est par ces tours que vous êtes dans un si grand péril. f' Le rempart* le plus sûr d'un état est la justice, la modération, la tonne foi, et l'assurance où sont vos voisins que vous êtes in- capahle d'usurper leurs terres. Les plus fortes murailles peuvent tomber par divers accidents imprévus f la fortune est capricieuse 10 et inconstante dans la guerre : mais l'amour et la confiance de vos voisins, quand ils ont senti votre modération, font que votre état ne peut être vaincu, et n'est presque jamais attaqué ; quand même un voisin injuste l'attaquerait, tous les autres, intéressés à sa con- ôervation, prennent aussitôt les armes pour le défendre^ Cet 16 appui^ de tant de peuples, qui trouvent leurs véritables intérêts à soutenir les vôtres, vous aurait rendu bien plus puissant que ces tours qui rendent vos maux irrémédiables. Si vous aviez songé* d'abord à éviter la jalousie de tous vos voisins, votre ville naissante fleurirait dans une heureune paix, et vous seriez l'arbitre de toutes 20 les nations de l'Hespérie. Retranchons-nous* maintenant à examiner comment on peut réparer le passé par l'avenir. Vous avez commencé à me dire qu'il y a sur cette côte diverses colonies grecques. Ces peuples doivent être disposés à vous se- 25 courir. Ils n'ont oublié ni le grand nom de Minos, fils de Jupiter, ni vos travaux au siège de Troie, où vous vous êtes signalé tant de fois entre les princes grecs pour la querelle commune de toute la Grèce. Pourquoi ne songez-vous pas à mettre ces colonies dans votre parti ?** 30 Elles sont toutes, répondit Idoménée, résolues à demeurer neutres. Ce n'est pas qu'elles n'eussent' quelque inclination à me secourir ; mais le trop grand éclat que cette ville a eu dès sa naissance les a épouvantées.® Ces Grecs, aussi bien que les autres peuples, ont craint que nous n'eussions des desseins sur 36 leur liberté. Ils ont pensé qu'après avoir subjugué les barbares des montagnes, nous pousserions plus loin notre ambition. En un mot tout est contre nous. Ceux même qui ne nous font pas une 1 rempart, support. — 2 imprévus, urtforeseen. — 3 appui, assistance, 4 songé, thought. — 5 retranchons-nous, let tus confine ourselves. — 6 parti, side. 7 ce n'est pas qu'elles n'eussent, thei/ had ivdeed. — 8 épouvantées, alarmed; M. L. 98, R. 4. 162 TÉLÉMAQUE. lit. z. guerre ouverte désirent notre abaissement, et la jalousie ne nous laisse aucun allié. Étrange extrémité ! reprit Mentor : pour vouloir paraître trop puissant, vous ruinez votre puissance ; et, pendant que vous êtes 5 au-dehors l'objet de la crainte et de la haine de vos voisins, vous vous épuisez au-dedans par les efforts nécessaires pour soutenir une telle guerre. O malheureux, et doublement malheureux Ido- ménée, que le malheur même n'a pu instruire qu'à demi :* aurez- vous encore besoin d'une seconde chiite pour apprendre à pré- 10 voir les maux qui menacent les plus grands rois? Laissez-moi faire, et racontez-moi^ seulement en détail quelles sont donc ces villes grecques qui refusent votre alliance. La principale, lui répondit Idoménée, est la ville de Tarente : Phalante l'a fondée depuis trois ans. Il ramassa^ en Laconie un lô grand nombre de jeunes hommes nés^ des femmes qui avaient oublié leurs maris absents pendant la guerre de Troie. Quand les maris revinrent, ces femmes ne songèrent* qu'à les apaiser, et qu'à désavouer leurs fautes. Cette nombreuse jeunesse, qui était née hors du mariage,^ ne connaissant plus ni père ni mère, 20 vécut avec une licence"^ sans bornes. La sévérité des lois ré- prima leurs désordres. Ils se réunirent sous Phalante, chef hardi, intrépide, ambitieux, et qui sait gagner les cœurs par ses artifices. Il est venu sur ce rivage avec ces jeunes Laconiens : ils ont fait de Tarente une seconde Lacédémone. D'un autre côté, Philoc- 25 tète, qui a eu une si grande gloire au siège de Troie en y portant les flèches d'Hercule, a élevé dans ce voisinage les murs de Pé- tille, moins puissante à la vérité, mais plus sagement gouvernée que Tarente. Enfin, nous avons ici près la ville de Métaponte, que le sage Nestor a fondée avec ses Pyliens. 30 Quoi ! reprit Mentor, vous avez Nestor dans l'Hespérie, et vous n'avez pas su l'engager dans vos intérêts ! Nestor qui vous a vu tant de fois combattre contre les Troyens, et dont vous aviez l'amitié ! Je l'ai perdue, répliqua Idoménée, par l'artifice de ces peuples, qui n'ont rien de barbare que le nom ; ils ont eu l'adresse' 35 de lui persuader que je voulais me rendre le tyran de l'Hespérie. Nous le détromperons," dit Mentor. Télémaque le vit à Pylos avant qu'il fût venu fonder sa colonie, et avant que nous eussions entrepris nos grands voyages pour chercher Ulysse: il n'aura 1 qu'à demi, but half. — 2 racontez-moi, relate to me. — 3 ramassa, assem- bled.'--A nés, born. — 5 songèrent, thaught. — 6 mariage, wedlock. — 7 lioenoe, licentiouanese. — 8 adresse, cunning. — ^9 détromperons, wiU undceetee. Liv. z. TÉLÉMAQUE. 163 pas^ encore oublié ce héros, ni les marques de tendresse qu'il donna à son fils Télémaque. Mais le principal est de guérir sa défian- ce :^ c'est par les ombrages* donnés à tous vos voisins que cette guerre s'est allumée ; et c'est en dissipant ces vains om- brages que cette guerre peut s'éteindre. Encore un coup,* 6 laissez-moi faire. A ces mots, Idoménée, embrassant Mentor, s'attendrissait et ne pouvait parler. Enfin, il prononça à peine ces paroles : O sage vieillard, envoyé par les dieux pour réparer toutes mes fautes ! j'avoue que je me serais irrité contre tout autre qui m'aurait parlé 10 aussi librement que vous : j'avoue qu'il n'y a que vous seul qui puissiez m'obliger à rechercher la paix. J'avais résolu de périr, ou de vaincre tous mes ennemis : mais il est juste de croire vos sages conseils plutôt que ma passion. O heureux Télémaque, qui ne pourrez jamais vous égarer* comme moi, puisque vous avez 15 un tel guide ! Mentor, vous êtes le maître, toute la sagesse des dieux est en vous. Minerve même ne pourrait donner de plus salutaires conseils. Allez, promettez, concluez, donnez tout ce qui est à moi ; Idoménée approuvera tout ce que vous jugerez à propos de faire. 20 Pendant qu'ils raisonnaient^^ ainsi, on entendit tout-à-coup un bruit confus de chariots, de chevaux hennissants,"^ d'hommes qui poussaient des hurlements épouvantables, et de trompettes qui remplissaient l'air d'un son belliqueux.® On s'écrie : Voilà les ennemis qui ont fait un grand détour* pour éviter les passages 25 gardés ! les voilà^° qui viennent assiéger Salente ! Les vieillards et les femmes paraissaient consternés. Hélas ! disaient-ils, fal- lait-il quitter notre chère patrie, la fertile Crète, et suivre un roi malheureux au travers de tant de mers, pour fonder une ville qui sera mise" en cendres comme Troie ! De dessus" les murailles 30 nouvellement bâties on voyait dans la vaste campagne briller au soleil les casques," les cuirasses et les boucliers des ennemis; les yeux en étaient éblouis. On voyait aussi les piques hérissées qui couvraient la terre comme elle est couverte par une abondante moisson que Cérès prépare dans les campagnes D'Enna en Sicile 35 pendant les chaleurs de l'été, pour récompenser le laboureur de toutes ses peines. Déjà on remarquait les chariots armés de faux 1 il n'aura pas, he cannothave. — 2 défiance, distrust — 3 ombrages, J«aZ(msy. 4 encore un coup, once more. — 5 vous égarer, err. — 6 raisonnaient, were cori' veraing. — 7 hennissants, neighing. — 8 belliqueux, warlike. — 9 détour, circuit. 10 les voilà, hère they are. — U mise, reduced. — 12 de dessus, /r(wi the top. 13 casques, hdmets. 164 TÉLEMAQUE. uv. X» tranchantes; on distinguait facilement chaque peuple venu à cette guerre. Mentor monta sur une haute tour pour les mieux découvrir: Idoménée et Télémaque le suivirent de près. A peine y fut-il 5 arrivé, qu'il aperçut d'un côté Philoctète, et de l'autre Nestor avec Pisistrate son fils. Nestor était facile à reconnaître à sa vieillesse vénérable. Quoi donc ! s'écria Mentor, vous avez cru, ô Idomé- née, que Philoctète et Nestor, se contentaient de ne vous point secourir ; les voilà qui^ ont pris les armes contre vous ! et, si je 10 ne me trompe, ces autres troupes qui marchent en si bon ordre avec tant de lenteur'' sont des troupes Lacédémoniennes, com- mandées par Phalante. Tout est contre vous; il n'y a aucun voisin de cette côte dont vous n'ayez fait un ennemi sans vouloir le faire. 16 En disant ces paroles, Mentor descend à la hâte de cette tour; il marche vers une porte de la ville du côté par où' les ennemis s'avançaient ; il la fait ouvrir : et Idoménée, surpris de la majesté avec laquelle il fait ces choses, n'ose pas même lui demander quel est son dessein. Mentor fait signe de la main, afin que personne 20 ne songe à le suivre. Il va au-devant des ennemis, étonnés de voir un seul homme qui se présente à eux. Il leur montre de loin une branche d'olivier en signe de paix ; et quand il fut à portée* de se faire entendre,^ il leur demanda" d'assembler tous les chefs. Aussitôt les chefs s'assemblèrent, et il leur parla ainsi: 25 O hommes généreux, assemblés de tant de nations qui fleuris- sent dans la riche Hespérie, je sais que vous n'êtes venus ici que pour l'intérêt commun de la liberté. Je loue votre zèle : mais souffrez que je vous représente un moyen facile de conserver la liberté et la gloire de tous vos peuples, sans répandre le sang 30 humain. O Nestor, sage Nestor, que j'aperçois dans cette assem- blée, vous n'ignorez pas combien la guerre est funeste à ceux même qui l'entreprennent avec justice et sous la protection des dieux. La guerre est le plus grand des maux dont les dieux afl3i- gent les hommes. Vous n'oublierez jamais ce que les Grecs ont 35 soufiert pendant dix ans devant la malheureuse Troie. Quelles divisions entre les chefs ! quels caprices de la fortune ! quel car- nage des Grecs par la main d'Hector ! quels malheurs dans toutes les villes les plus puissantes, causés par la guerre, pendant la longue 1 les voilà qui, you see that they. — 2 tant de lenteur, so alowly. — 3 du côté par où, on the sîde towards which. — i à portée, near enough. — 5 de se faire entendre, to be heard. — 6 il leur demanda., he requested them. UV. X. TÉLÉMAQUB. 166 absence de leurs rois ! Au^ retour, les uns ont fait naufrage au promontoire de Capharée, les autres ont trouvé une mort funeste dans le sein même de leurs épouses. O dieux, c'est dans votre colère que vous armâtes les Grecs pour cette éclatante expédi- tion ! O peuples hespériens, je prie les dieux de ne vous donner 6 jamais une victoire si funeste. Troie est en cendres, il est vrai: mais il vaudrait mieux* pour les Grecs qu'elle fût encore dans toute sa gloire, et que le lâche Paris jouit de ses infâmes amours avec Hélène. Philoctète, si long- temps malheureux et abandonné dans l'île de Lemnos, ne craignez-vous point de retrouver de sem- 10 blables malheurs dans une semblable guerre ? Je sais que les peuples de la Laconie ont senti aussi les troubles causés par la longue absence des princes, des capitaines et des soldats qui allèrent contre les Troyens. O Grecs qui avez passé' dans l'Hes- périe, vous n'y avez tous passé que par une suite* de malheurs que 15 causa la guerre de Troie. Après avoir ainsi parlé, Mentor s'avança vers les Pyliens ; et Nestor, qui l'avait reconnu, s'avança aussi pour le saluer. O Men- tor, lui dit-il, c'est avec plaisir que je vous revois. Il y a bien des années* que je vous vis pour la première fois dans la Phocide ; 20 vous n'aviez' que quinze ans, et je prévis dès-lors"^ que vous seriez aussi sage que vous l'avez été dans la suite. Mais par quelle aventure avez-vous été conduit en ces lieux? Quels sont donc les moyens que vous avez de finir cette guerre ? Idoménée nous a contraints de l'attaquer. Nous ne demandions que la paix; 25 chacun de nous avait un intérêt pressant de la désirer : mais nous ne pouvions plus trouver aucune sûreté avec lui. Il a violé toutes ses promesses 1 l'égard de ses plus proches voisins. La paix avec lui ne serait pas une paix ; elle lui servirait seulement à dissiper" notre ligue, qui est notre unique ressource. Il a montré à tous 30 les peuples son dessein ambitieux de les mettre dans l'esclavage, et il ne nous a laissé aucun moyen de défendre notre liberté, qu'en tâchant de renverser son nouveau royaume. Par sa mauvaise foi nous sommes réduits à le faire périr, ou à recevoir de lui le joug de la servitude. Si vous trouvez quelque expédient pour faire en 35 sorte qu'on puisse se confier à lui, et s'assurer d'une bonne paix, tous les peuples que vous voyez ici quitteront volontiers les armes, et nous avouerons avec joie que vous nous surpassez en sagesse. 1 au, on their. — 2 il vaudrait mieux, it would he better ; from vàUnr^ M. p. 388. — 3 qui avez passé, wJw came. — 4 suite, séries. — 5 il y a bien des an- nées, U is many years since; M. L. Aly R. 6. — 6 M. L. 20, R. 6. — 7 dès-lors, even then. — 8 dissiper, dissolve. 166 TÉLÉMAQUE. lav. X. Mentor lui répondit : Sage Nestor, vous savez qu'Ulysse m'a- vait eonfié son fils Télémaque. Ce jeune homme impatient de découvrir la destinée de son père, passa chez vous* à Pylos, et vous le reçûtes avec tous les soins^ qu'il pouvait attendre d'un 6 fidèle ami de son père ; vous lui donnâtes même votre fils pour le conduire. Il entreprit ensuite de longs voyages sur la mer ; il a vu la Sicile, l'Egypte, l'île de Chypre, celle de Crète. Les vents, ou plutôt les dieux, l'ont jeté sur cette côte comme il voulait re- tourner à Ithaque. Nous sommes arrivés ici tout-à-propos pour 10 épargner' les horreurs d'une cruelle guerre. Ce n'est plus Ido- ménée ; c'est le fils du sage Ulysse ; c'est moi qui vous réponds* de toutes les choses qui vous seront promises. Pendant que Mentor parlait ainsi avec Nestor, au milieu des troupes confédérées, Idoménée et Télémaque, avec tous les Cré- 15 tois armés, les regardaient du haut des murs de Salente; ils étaient attentifs pour remarquer comment les discours de Men- tor seraient reçus, et ils auraient voulu pouvoir entendre les sages entretiens* de ces deux vieillards. Nestor avait toujours passé pour le plus expérimenté et le plus éloquent de tous les rois de 20 la Grèce. C'était lui qui modérait, pendant le siège de Troie, le bouillant courroux d'Achille, l'orgueil d'Agamemnon, la fierté* d'Ajax, et le courage impétueux de Diomède. La douce persua- sion coulait^ de ses lèvres comme un ruisseau de miel : sa voix seule se faisait entendre à tous ces héros; tous se taisaient dès 25 qu'il ouvrait la bouche ; et il n'y avait que lui qui pût apaiser dans le camp la farouche discorde. Il commençait à sentir les injures de la froide^ vieillesse ; mais ses paroles étaient encore pleines de force et de douceur : il racontait les choses passées pour instruire la jeunesse par son expérience ; mais il les racon- 30 tait avec grâce, quoiqu'avec un peu de lenteur. Ce vieillard, admiré de toute la Grèce, semblait avoir perdu toute son éloquence et toute sa majesté dès que Mentor parut avec lui. Sa vieillesse paraissait flétrie et abattue auprès de celle de Mentor, en qui les ans semblaient avoir respecté la force et la 36 vigueur du tempérament. Les paroles de Mentor, quoique graves et simples, avaient une vivacité et une autorité qui commençaient à manquer' à l'autre. Tout ce qu'il disait était court, précis et nerveux.^ Jamais il ne faisait aucune redite; jamais il ne 1 passa chez tous, visited you. — 2 soins, kindness. — 3 épargner, prevent. 4 réponds, become responsible. — B entretiens, conversation^ discourse. — 6 fierté, haughtiness. — 7 oonl&ity Jlowed. — 8 froide, chiUy. — 9 manquer, tofail.—lO nei.*- veux, expressive. < r ■ UV.X. TÉLÉMAQUJB. 167 racontait que le fait nécessaire pour TafTaire qu'il fallait décider. S'il était obligé de parler plusieurs fois d'une même chose pour l'in- culquer ou pour parvenir* à la persuasion, c'était toujours par des tours nouveaux et par des comparaisons sensibles.' U avait même je ne sais quoi de complaisant et d'enjoué, quand il voulait se pro- 6 portionner' aux besoins des autres, et leur insinuer quelque vérité. Ces d€Rix hommes si vénérables furent un spectacle touchant à tant de peuples assemblés, î^ Pendant que tous les alliés ennemis de Salente se jetaient les uns sur les autres pour les voir de plus près, et pour tâcher d'en- 10 tendre leurs sages discours, Idoménée et tous les siens s'efforçaient de découvrir, par leurs regards avides et empressés, ce que signi- fiaient leurs gestes et l'air* de leur visage.* 1 parvenir, to succeed. — 2 sensibles, intelligihlef strikmg. — 3 se proportion- ner, aceommodaU hirnself. — 4 l'air, the expression. — ^6 visage, cauntenancef M. L. 66, R. 5. / 1^ FIN DU LIVRE DIXIÈME. LIVRE ONZIEME. Sommaire. — Télémaquo, voyant Mentor au milieu des alliés, veut savoir ce qui se passe entre eux. Il se fait ouvrir^ les portes de Salente, va join- dre^ Mentor ; et sa présence contribue auprès des^ alliés à leur faire ac- cepter les conditions de paix que celui-ci leur proposait de la^ part d'Ido- ménée. Les rois entrent comme amis dans Salente. Idoménée accepte^ tout ce qui a été arrêté.^ On se donne réciproquement des otages, et on fait un sacrifice commun entre la ville et le camp, pour la confirmation^ de cette alliance. Cependant Télémaque, impatient, se dérobe* à la multitude qui Tenvironne ; il court à la porte par où Mentor ôbiit sorti, il se la fait ouvrir avec autorité. Bientôt Idoménée, qui le croit* à ses côtés, s'étonne de le voir qui court au milieu de la campagne, et 5 qui est déjà auprès de Nestor. Nestor le reconnaît, et se hâte, mais d'un pas pesant et tardif,^" de l'aller recevoir. Télémaque saute à" son cou, et le tient serré entre ses bras sans parler. Enfin il s'écrie : O mon père ! je ne crains pas de vous nommer ainsi; le malheur de ne point retrouver mon véritable père, et les 10 bontés que vous m'avez fait sentir,^^ me donnent le droit de me servir" d'un nom si tendre : mon père, mon cher père, je vous re- vois ! ainsi puissé-je** revoir Ulysse î Si quelque chose pouvait me consoler d'en être privé, ce serait de trouver en vous un autre lui-même. • 16 Nestor ne put, à ces paroles, retenir ses larmes; et il fut touché d'une secrète joie, voyant celles qui coulaient avec une merveil- 1 se fait ouvrir, orders to he opened; M. L. 65, R. 3. — 2 joindre, to join. 3 auprès des, to induce the.—i de la, on the. — 5 accepte, ratifies. — 6 arrêté, a^eed upon. — 7 confirmation, solemn ratification. — 8 se dérobe, disengaged kimself. — ^9 croit, belieties ; from croire^ M. p. 364. — 10 tardif, slow. — 11 saute à, threw hims^on. — 12 que vous m'avez fait sentir, uhich I hâve experienced in you. — 13 de me servir, to make use of; M. L. 39, R. 2. — 14 poissé-je, migkt I be permitted ; M. § 98, (3). UV. XL TÉLÉMAQUE. 169 leuse grâce sur les joues de Télémaque. La beauté, la douceur, et la noble assurance de ce jeune inconnu, qui traversait* sans précaution tant de troupes ennemies, étonnèrent tous les alliés. N'est-ce pas, disaient-ils, le fils de ce vieillard qui est venu parler à Nestor ? Sans doute, c'est la même sagesse dans les deux âges 5 les plus opposés de la vie. Dans l'un elle ne fait^ encore que fleurir; dans l'autre elle porte avec abondance les fruits les plus mûrs.^ Mentor, qui avait pris plaisir à voir la tendresse avec laquelle Nestor venait de recevoir Télémaque, profita de cette heureuse 10 disposition. Voilà, dit-il, le fils d'Ulysse si cher à toute la Grèce, et si cher à vous-même, ô sage Nestor î le voilà, je vous le livre comme un otage et comme le gage* le plus précieux qu'on puisse vous donner de la fidélité des promesses d'Idoménée. Vous jugez bien que je ne voudrais pas que la perte du fils suivît celle du 16 père, et que la malheureuse Pénélope pût reprocher à Mentor qu'D a sacrifié son fils à l'ambition du nouveau roi de Salente. Avec ce gage, qui est venu de lui-même s'offrir, et que les dieux ama- teurs de la paix vous envoient, je commence, ô peuples assemblés de tant de nations, à vous faire des propositions pour établir à 20 jamais une paix solide. A ce nom de paix, on entend un bruit confus de rang en rang. Toutes ces différentes nations frémissaient* de courroux," et croyaient perdre tout le temps où l'on retardait le combat; elles s'imaginaient qu'on ne faisait tous ces discours que pour ralentir 25 leur fureur et pour faire échapper leur proie. Surtout les Man- duriens souffraient impatiemment qu'Idoménée espérât de les tromper encore une fois. Souvent ils entreprirent d'interrompre Mentor; car ils craignaient que ses discours pleins de sagesse ne détachassent*^ leurs alliés. Ils commençaient à se défier de** tous 30 les Grecs qui étaient dans l'assemblée. Mentor, qui l'aperçut, se hâta d'augmenter cette défiance pour jeter® la division dans les esprits de tous ces peuples. J'avoue, disait-il, que les Manduriens ont sujet de se plaindre et de demander quelque réparation des torts" qu'ils ont soufferts : 35 mais il n'est pas juste aussi que les Grecs qui font sur cette côte des colonies soient suspects et odieux aux anciens peuples du 1 traversait, ventured among. — 2 ne fait — aue, merdy. — 3 mûrs, mature. 4 gage» pledge. — 5 frémissaient, tremhUd. — 6 ae courroux, v>Wi ariger. — 7 ne détachassent, migU draw off; M. § 138, (5).— 8 se défier de, tQ MspecL 9 jeter^ spread. — 10 torts, wrongs. 8 170 TÉLÊMAQUB, UV. XI. pays. Au contraire, les Grecs doivent être unis entre eux, et se faire bien traiter par les autres ; il faut seulement qu'ils soient modérés et qu'ils n'entreprennent jamais d'usurper les terres de leurs voisins. Je sais qu'Idoménée a eu le malheur de vous don- 6 ner des ombrages;* nuiis il est aisé de guérir toutes vos défian- ces*' Télémaque et moi nou&^ vous oifrons à être des otages qui vous répondent de la bonne foi d'Idoménée. Nous demeurerons entre vos mains jusqu'à ce que les choses qu'on vous promettra soient fidèlement accoinplius. Ce qui vous irrite, ô Manduriens, 10 s'écria^t-iJ, c'est que les troupes des Cretois ont saisi les passages dé vos montagnes par surprise, et que par-là ils sont en état d'eiv- trer malgré vous, aussi souvent qu'il leur plaira, dans le pays où vous vous êtes retirés pour leur laisser le pays uni* qui est sur le rivage de la mer. Ces passages que les Cretois ont fortifiés ih par de hautes tours pleines de gens armés, sont donc le véri- table sujet de la guerre. Répondez-moi; y en a-t-il encore quelqu'autre ? Alors le chef des Munduriens s'avança, et parla ainsi : Que n'avons-nous pas fîiit pour éviter cette guerre ! Les dieux nous 20 sont témoins que nous n'avons renoncé à la paix que quand la paix nous a échappé sans ressource par l'ambition inquiète des Cretois, et par l'impossibilité où ils nous ont mis de nous fier à leurs serments. Nation insensée! qui nous a réduits, malgré nous, à l'affreuse nécessité de prendre un parti de désespoir contre 25 elle, et de ne pouvoir plus chercher notre salut* que dans sa perte ! Tandis qu'ils conserveront'' ces passages, nous croirons toujours qu'ils veulent usurper nos terres et nous mettre en ser- vitude. S'il était vrai qu'ils ne songeassent qu'à"^ vivre en paix avec leurs voisins, il se contenteraient de ce que nous leur avons 30 cédé sans peine, et ils ne s'attacheraient pas® à conserver des en- trées" dans un pays contre la liberté duquel ils ne formeraient aucun dessein ambitieux. Mais vous ne les connaissez pas, ô sage vieillard. C'est par un grand malheur que nous avons appris à les connaître. Cessez, 6 homme aimé des dieux, de retarder une 36 guerre juste et nécessaire, sans laquelle l'Hespérie ne pourrait jamais espérer une paix constante. O nation ingrate, trompeuse et cruelle, que les dieux irrités ont envoyée auprès de nous pour troubler notre paix, et pour nous punir de nos fautes! Mais 1 des ombrages, cause of jealousy.^2 défiances, dxstruat.—^ M. 5 33, (10). 4 uni, Uvd. — 5 salât, safety. — 6 conserveront, keep. — 7 ne songeassent qa'à, ^uU thty merdy loished to. — 8 ne s* attacheraient pas, wotdd not ht anxiaus. 9 entrées, avenues. UV.XI. TÉLÉMAQUE. 171 après nous avoir punis, ô dieux, vous nous vengerez : vous ne serez pas moins justes contre nos ennemis que contre nous. A ces paroles toute l'assemblée parut émue ; il semblait que Mars et Bellone allaient de rang en rang rallumer dans les cœurs la fureur des combats, que Mentor tâchait d'éteindre. Il reprit 5 ainsi la parole : Si je n'avais que des promesses à vous faire, vous pourriez re- fuser de vous y fier ; mais je vous offre des choses certaines et présentes. Si vous n'êtes pas contents d'avoir pour otages Télé- maque et moi, je vous ferai donner douze des plus nobles et des 10 plus vaillants Cretois. Mais il est juste aussi que vous donniez de votre côté des otages; car Idoménée, qui désire sincèrement la paix, la désire sans crainte et sans bassesse.^ Il désire la paix, comme vous dites vous-mêmes que vous l'avez désirée, par sagesse et par modération, mais non par l'amour d'une vie molle, ou par 16 faiblesse à la vue des dangers dont la guerre menace les hommes. Il est prêt à périr ou à vaincre ; mais il aime mieux la paix que la victoire la plus éclatante. Il aurait honte de craindre d'être vaincu; mais il craint d'être injuste, et il n'a point de honte de vouloir réparer ses fautes. Les armes à la main, il vous offre la 20 paix ; il ne veut point en imposer les conditions avec hauteur f car il ne fait aucun cas* d'une paix forcée. Il veut une paix dont tous les partis soient contents, qui finisse toutes les jalousies, qui apaise tous les ressentiments, et qui guérisse* toutes les défiances." En un mot, Idoménée est dans les sentiments où je suis sûr que 25 vous voudriez qu'il fût. Il n'est question que de° vous en persua- der. La persuasion ne sera pas difficile, si vous voulez m'écouter avec un esprit dégagé' et tranquille. Ecoutez donc, ô peuples remplis de valeur ; et vous, 6 chefs si sages et si unis, écoutez ce que je vous offre de la part d'Idoménée. 30 Il n'est pas juste qu'il puisse® entrer dans les terres de ses voisins; il n'est pas juste aussi que ses voisins puissent entrer dans les siennes. Il consent que les passages que l'on a fortifiés par de hautes tours soient gardés par des troupes neutres. Vous Nes- tor, et vous Philoctète, vous êtes Grecs d'origine : mais en cette 36 occasion vous vous êtes décltirés contre Idoménée ; ainsi vous ne pouvez être suspects d'être trop favorables à ses intérêts. Ce qui vous touche, c'est l'intérêt commun de la paix et de la liberté de 1 bassesse, meanness. — 2 avec hauteur, haughiUy. — 3 ne fait aucun cas, aeta no value. — 4 guérisse, cure, remove. — 5 défiances, distrust. — 6 il n'est question que de, nothing is necessary but. — 7 dégagé, free. — 8 puisse, shcndd Se able; M. L. 73, R. 1. 172 TBLBMAQUB. LIV. XL THespérie. Soyez vous-mêmes les dépositaires et les gardiens de ces passages qui causent la guerre. Vous n'avez pas moins d'intérêt à empêcher que les anciens peuples d'Hespérie ne dé- truisent Salente, nouvelle colonie des Grecs semblable à celles 6 que vous avez fondées, qu'à empêcher qu'Idoménée n'usurpe les terres de ses voisins. Tenez l'équilibre entre les uns et les autres. Au lieu de porter le fer* et le feu chez un peuple que vous devez aimer, réservez-vous la gloire d'être les juges et les médiateurs. Vous me direz que ces conditions vous paraîtraient 10 merveilleuses si vous pouviez vous assurer qu'Idoménée les ac- complirait de bonne foi : mais je vais vous satisfaire. H y aura pour sûreté réciproque les otages dont je vous ai parlé, jusqu'à ce que tous les passages soient mis en dépôt^ dans vos mains. Quand le salut de l'Hespérie entière, quand celui de 16 Salente même et d'Idoménée sera à votre discrétion, serez-vous cofltents? De qui pourrez-vous désormais'' vous défier! Sera- ce de vous-mêmes ? Vous n'osez vous fier à Idoménée ; et Ido- ménçe est si incapable de vous tromper, qu'il veut se fier à* vous. Oui, il veut vous confier le repos, la vie, la liberté de son peuple 20 et de lui-même. S'il est vrai que vous ne désiriez qu'une bonne paix, la voilà qui se présente à vous, et qui vous ôte tout prétexte de reculer.* Encore une fois, ne vous imaginez pas que la crainte réduise Idoménée à vous faire ces offres, c'est la sagesse et la justice qui l'engagent à prendre ce parti, sans se mettre en 25 peine" si vous imputerez à faiblesse ce qu'il fait par vertu. Dans les commencements il a fait des fautes : et il met sa gloire à les reconnaître par les offres dont il vous prévient."^ C'est faiblesse, c'est vanité, c'est ignorance grossière de son propre intérêt, que d'espérer de pouvoir cacher ses fautes en affectant de les soutenir 30 avec fierté et avec hauteur. Celui qui avoue ses fautes à son ennemi, et qui offre de les réparer, montre par-là qu'il est devenu incapable d'en commettre, et que l'ennemi a tout à craindre d'une conduite si sage et si ferme, à moins qu'il ne fasse la paix. Gar- dez-vous bien® de souffrir qu'il vous mette à son tour dans le 35 tort* Si vous refusez la paix et la justice qui viennent à vous, la paix et la justice seront vengées. " Idoménée, qui devait crain- dre de trouver les dieux irrités contre lui, les tournera pour lui contre vous. Télémaque et moi nous combattrons pour la bonne 1 le fer, thc sword. — 2 mis en dépôt, pledged. — 3 désormais, henceforth 4 se fier à, to con/ide in. — 5 de reculer, to refuse U. — 6 se mettre en peine, vnthout troubling himsdf. — 7 dont il vous prévient, toith whichh^e (tcquaintê you. — 8 gardez-vous bien, heware. — 9 tort, xcrong. UV.XL TBLBMAQUE. 178 cause. Je prends tous les dieux du ciel et des enfers à témoin des justes propositions que je viens de vous faire. En achevant ces mots, Mentor leva son bras pour montrer à tant de peuples le rameau^ d'olivier qui était dans sa main le signe pacifique. Les chefs, qui le regardèrent de près, furent étonnés 5 et éblouis du feu divin qui éclatait dans ses yeux. Il parut avec une majesté et une autorité qui est au-dessus de tout ce qu*on voit dans les plus grands d'entre les mortels. Le charme de ses paroles douces et fortes enlevait* les cœurs ; elles étaient sembla- bles à ces paroles enchantées qui tout-à-coup dans le profond 10 silence de la nuit arrêtent au milieu de TOlympe la lune et les étoiles, calment la mer irritée, font taire' les vents et les flots, et suspendent le cours des fleuves rapides. Mentor était, au milieu de ces peuples furieux, comme Bacchus lorsqu'il était environné de tigres qui, oubliant leur cruauté,* ve- 16 naient, par la puissance de sa douce voix, lécher ses pieds et se soumettre par"* leurs caresses. D'abord il se fit un profond silence dans toute l'armée. Les chefs se regardaient les uns les autres, ne pouvant résister à cet homme, ni comprendre qui il était. Toutes les troupes, immobiles, avaient les yeux attachés sur lui. On 20 n'osait parler, de peur qu'il n'eût encore quelque chose à dire, et qu'on ne l'empêchât d'être entendu. Quoiqu'on ne trouvât rien à ajouter aux choses qu'il avait dites, on aurait souhaité qu'il eût parlé plus long-temps. Tout ce qu'il avait dit demeurait comme gravé* dans tous les cœurs. En parlant, il se faisait aimer, il se 25 faisait croire ; chacun était avide' et comme suspendu® pour re- cueillir' jusqu'aux moindres paroles qui sortaient de sa bouche. Enfin, après un assez long silence, on entendit un bruit sourd qui se répandait peu-à-peu. Ce n'était plus ce bruit confus des peuples qui frémissaient dans leur indignation ; c'était, au contraire, 30 un murmure doux et favorable. On découvrait déjà sur les visages je ne sais quoi de serein et de radouci." Les Manduriens, si irrités, sentaient que leurs armes leur tombaient des mains. Le farouche Phalante, avec ses Lacédémoniens, fut surpris de trouver ses entrailles" attendries. Les autres commencèrent à soupirer 36 après cette heureuse paix qu'on venait de leur montrer. Philoc- tète, plus sensible qu'un autre par l'expérience de ses malheurs, ne put retenir ses larmes. Nestor, ne pouvant parler, dans le 1 rameau, brandi. — 2 enlevait, won. — 3 font taire, silence.— A ornante, JUrceness. — 5 se soumettre par, express their submissUm hy. — 6 gravé, en- fraved. — 7 avide, eager. — 8 suspendu, in suspense. — ^9 recueillir, to gcdher, radouci, ^en//é. — 11 entrailles, ^«oH. 174 TÉLBMAQUE. UV. XL transport où le discours de Mentor venait de le mettre, l'embrassa tendrement ; et tous les peuples à-la-fois, comme si c'eût été un signal, s'écrièrent aussitôt : O sage vieillard, vous nous désarmez ! La paix ! la paix ! 6 Nestor, un moment après, voulut commencer un discours ; mais toutes les troupes, impatientes, craignirent qu'il ne voulût repré- senter* quelque difficulté. La paix ! la paix ! s'écrièrent-elles encore une fois. On ne put leur imposer silence qu'en faisant crier avec eux par tous les chefs de l'armée : La paix ! la paix ! 10 Nestor, voyant bien qu'il n'était pas libre de faire un discours suivi,'' se contenta de dire : Vous voyez, ô Mentor, ce que peut la parole d'un homme de bien. Quand la sagesse et la vertu parlent, elles calment toutes les passions. Nos justes ressenti- ments se changent en amitié et en désirs d'une paix durable. 16 Nous l'acceptons telle que vous nous l'offrez. En même temps tous les chefs tendirent les mains en signe de consentement. Mentor courut vers la porte de Salente pour la faire ouvrir, et pour mander à Idoménée de sortir de la ville sans précaution. Cependant Nestor embrassait Télémaque, disant : O aimable fils 20 du plus sage de tous les Grecs, puissiez-vous être' aussi sage et plus heureux que lui ! N'avez-vous rien découvert sur sa des- tinée ? Le souvenir de votre père, à qui vous ressemblez, a servi à étouffer notre indignation. Phalante, quoique dur et farouche, quoiqu'il n'eût jamais vu 25 Ulysse, ne laissa pas* d'être touché de ses malheurs et de ceux de son fils. Déjà on pressait Télémaque de raconter ses aven- tures, lorsque Mentor revint avec Idoménée et toute la jeunesse Cretoise qui le suivait. A la vue d'Idoménée, les alliés sentirent que leur couitoux se 30 rallumait : mais les paroles de Mentor éteignirent ce feu prêt à éclater.'' Que tardons-nous, dit-il, à conclure cette sainte alliance dont les dieux seront les témoins et les défenseurs ? Qu'ils la vengent, si jamais quelque impie ose la violer, et que tous les maux horribles de la guerre, loin d'accabler les peuples fidèles et 35 innocents, retombent sur la tête parjure et exécrable de l'ambi- tieux qui foulera aux pieds* les droits sacrés de cette alliance ; qu'iP soit détesté des dieux et des hommes; qu'il ne jouisse jamais du fruit de sa perfidie ; que les furies infernales, sous les 1 représenter, start. — 2 suivi, set. — 3 puissiez-vous être, may you become ; M. §98, (3).— 4 ne laissa pas, could not help. — 5 éclater, to bursi out. — 6 fou- lera aux pieds, shail trample on. — 7 qu'il, let him. J Liv.qa. TÉLÉMAQUE. 176 figures les plus hideuses, viennent exciter sa rage et son déses- poir ; qu'il tombe mort sans aucune espérance de sépulture ; que son corps soit la proie des chiens et des vautours ; et qu'il soit aux enfers, dans le profond abîme du Tartare, tourmenté à jamais^ plus rigoureusement'' que Tantale, Ixion et les Danaïdes ! Mais 6 plutôt, que cette paix soit inébranlable' comme le rocher d'Atlas qui soutient le ciel ; que tous les peuples la révèrent et goûtent* ses fruits de génération en génération ; que" les noms de ceux qui l'auront" jurée soient avec amour et vénération dans la bouche de nos derniers neveux -^ que cette paix, fondée sur la justice et 10 sur la bonne foi, soit le modèle de toutes les paix qui se feront à l'avenir* chez toutes les nations de la terre ; et que tous les peu- ples qui voudront se rendre heureux en se réunissant songent à imiter les peuples de l'Hespérie ! Aces paroles, Idoménée et les autres rois jurent la paix aux 15 conditions marquées. On donne de part et d'autre douze otages. Télémaque veut être du nombre des otages donnés par Idomé- née ; mais on ne peut consentir que Mentor en soit, parceque les alliés veulent qu'il demeure auprès d'Idoménée pour répondre de sa conduite et de celle de ses conseillers jusqu'à l'entière exécu- 20 tion des choses promises. On immola, entre la ville et l'armée, cent génisses® blanches comme la neige, et autant de taureaux de même couleur, dont les cornes étaient dorées et ornées de festons. On entendait retentir jusques dans les montagnes voisines le mu- gissement affreux des victimes qui tombaient sous le couteau 25 sacré. Le sang fumant ruisselait^" de toutes parts. On faisait couler" avec abondance un vin exquis pour les libations. Xics haruspices consultaient les entrailles qui palpitaient encore. Les sacrificateurs brûlaient sur les autels un encens qui formait un épais nuage, et dont la bonne odeur parfumait toute la 30 campagne. Cependant les soldats des deux partis, cessant de se regarder d'un œil ennemi, commençaient à s'entretenir^^ sur leurs aven- tures. Ils se délassaient" déjà de leurs travaux, et goûtaient par avance les douceurs de la paix. Plusieurs de ceux qui avaient 35 suivi Idoménée au siège de Troie reconnurent ceux de Nestor qui avaient combattu dans la même guerre. Ils s'embrassaient avec 1 à pâmais, etemaUi/. — 2 rigoureusement, severely. — 3 inébranlable, /2rm, unahcJcen. — 4 goûtent, taste^ enjoy. — 5 que, may. — 6 Jkf. £/. 61, iJ. 5. — 7 der- niers neveux, Uttest posterUy.—9 se feront à l'avenir, wiU henceforth bemade ; M. L. 36, R. 2.-9 génisses, hdftrs.— 10 ruisselait, strearned.— Il faisait cou- ler, paurcd. — 12 s'entretenir, to discourse. — 13 se délassaient, rested. 176 TÉLÉMAQUE. LIV. XL tendresse, et se racontaient mutuellement tout ce qui leur était arrivé depuis qu'ils avaient ruiné la superbe ville qui était l'ome- ment de toute l'Asie. Déjà ils se couchaient sur l'herbe, se cou- ronnaient de fleurs, et buvaient ensemble du vin qu'on apportait 6 de la ville dans de grands vases, pour célébrer une si heureuse journée. Tout-à-coup Mentor dit aux rois et aux capitaines assemblés : Désormais,^ sous divers noms et divers chefs, vous ne serez plus qu'un seul peuple. C'est ainsi que les justes dieux, amateurs 10 des* hommes qu'ils ont formés, veulent être le lien* éternel de leur parfaite concorde. Tout le genre humain n'est qu'une famille dispersée sur la face de toute la terre. Tous les peuples sont frères, et doivent s'aimer comme tels. Malheur* à ces im- pies qui cherchent une gloire cruelle dans le sang de leurs frères, 15 qui est leur propre sang ! La guerre est quelquefois nécessaire, il est vrai : mais c'est la honte du genre humain qu'elle soit inévitable en certaines occa- sions. O rois, ne dites point qu'on doit la désirer pour acquérir de la gloire. La vraie gloire ne se trouve point hors* de l'hu- 20 manité. Quiconque préfère sa propre gloire aux sentiments de l'humanité est un monstre d'orgueil, et non pas un homme : il ne parviendra' même qu'à une fausse gloire ; car la vraie ne se trouve que dans la modération et dans la bonté. On pourra le flatter pour contenter sa vanité folle ; mais on dira toujours de lui en 25 secret, quand on voudra parler sincèrement : Il a d'autant moins mérité la gloire, qu'il l'a désirée avec une passion injuste : les hommes ne doivent point l'estimer, puisqu'il a si peu estimé les hommes, et qu'il a prodigué leur sang par une brutale vanité. Heureux le roi qui aime son peuple, qui en est aimé, qui se confie 30 en ses voisins, et qui a leur confiance ; qui, loin de leur faire la guerre, les empêche^ de l'avoir entre eux, et qui fait envier à toutes les nations étrangères le bonheur qu'ont ses sujets de l'avoir pour roi ! Songez donc à vous rassembler de temps en temps, ô vous qui 85 gouvernez les plus puissantes villes de l'Hespérie. Faites de trois ans en trois ans une assemblée générale où tous les rois qui sont ici présents se trouvent pour renouveler l'alliance par un nouveau serment, pour affermir® l'amitié promise, et pour délibérer 1 désormais, henceforth. — 2 amateurs des, who lace the. — 3 lien, hand qf tmion.— 4 malheur, woe. — 5 hors, in the violation. — 6 parviendra, wiU attain. 7 empêche, preventa. — 8 affermir, strengthen. LIV. XI. TÉLBMAQUE. 177 sur tous les intérêts communs. Tandis que vous serez unis, vous aurez au-dedans de ce beau pays la paix, la gloire et l'abondance ; au-dehors* vous serez toujours invincibles. Il n'y a que la dis- corde, sortie de l'enfer pour tourmenter les hommes insensés, qui puisse troubler la félicité que les dieux vous préparent. 6 Nestor lui répondit : Vous voyez, par la facilité avec laquelle nous faisons la paix, combien nous sommes éloignés de vouloir faire la guerre par une vaine gloire ou par l'injuste avidité de nous agrandir^ au préjudice* de nos voisins. Mais que peut-on faire quand on se trouve auprès d'un prince violent, qui ne connait 10 point d'autre loi que son intérêt, et qui ne perd aucune occasion d'envahir* les terres des autres états ? Ne croyez pas que je parle d'Idoménée ; non, je n'ai plus de lui cette pensée ; c'est Adraste, roi des Dauniens, dô qui nous avons tout à craindre. Il méprise les dieux, et croit que les hommes qui sont sur la terre ne sont 16 nés* que pour servir à sa gloire par leur servitude. Il ne veut point de sujets dont il soit le roi et le père ; il veut des esclaves et des adorateurs ; il se fait rendre* les honneurs divins. Jus- qu'ici l'aveugle fortune a favorisé ses plus injustes entreprises. Nous nous étions hâtés de venir attaquer Salente pour nous dé- 20 faire"' du plus faible de nos ennemis, qui ne commençait qu'a s'établir sur cette côte, afin de tourner ensuite nos armes contre cet autre ennemi plus puissant. Il a déjà pris plusieurs villes de nos alliés. Ceux de Crotone ont perdu contre lui deux batailles. Il se sert de toutes sortes de moyens pour contenter son ambi- 26 tion : la force et l'artifice, tout lui est égal, pourvu qu'il accable® ses ennemis. Il a amassé de grands trésors ; ses troupes sont disciplinées et aguerries ; ses capitaines sont expérimentés ; il est bien servi ; il veille lui-même sans cesse sur tous ceux qui agis- sent par ses ordres. Il punit sévèrement les moindres fautes, et 30 récompense avec libéralité les services qu'on lui rend. Sa valeur soutient et anime celle de toutes ses troupes. Ce' serait un roi accompli, si la justice et la bonne foi réglaient sa conduite : mais il ne craint ni les dieux ni les reproches de sa conscience. Il compte même pour rien la réputation; il la regarde comme un 36 vain fantôme qui ne doit arrêter que les esprits faibles. 11 ne compte pour" un bien solide et réel, que l'avantage de posséder 1 an-dehors, without. — 2 noua agrandir, to increase our power. — 3 préju- dice, expenêe.'-A envahir, invading. — 5 nés, born ; from naître, M. p. 376. 6 il se fait rendre, he orders — to be paid to him. — 7 nous défaire, to he frtt from. — ^8 accable, destroy. — 9 ce, he; M. L. 82, R. 1. — 10 compte pour, considéra as. 8* 178 TBLÉJIAQUE. LIV. XI. de grandes richesses, d'être craint, et de fouler* à ses pieds tout le genre humain. Bientôt son armée paraîtra sur nos terres ; et si l'union de tant de peuples ne nous met en état^ de lui résister, toute espérance de liberté nous sera ôtée. C'est l'intérêt d'Ido- 5 menée, aussi bien que le nôtre, de s'opposer à ce voisin qui ne peut soufirir rien de libre dans son voisinage. Si nous étions' vaincus, Salente serait menacée du même malheur. Hâtons-nous donc tous ensemble de le prévenir. Pendant que Nestor parlait ainsi, on s'avançait vers la ville ; 10 car Idoménée avait prié tous les rois et les principaux chefs d'y entrer pour y passer la nuit 1 fouler, trample. — 2 nous met ^n état, enabU us. — 3 M. L. 62, R. 6. FIN DU LIVRE ONZIÈME. LIVRE DOUZIEME. SokMAXBE. — Nestor, au nom des alliés, demande du secours à Idoménée contre les Danniens leurs ennemis. Mentor, qui veut policer^ la ville de Salente, ef exercer^ le peuple à l'agriculture, fait en -sorte qu'il se con- tente^ d'avoir Télémaque à la tête de cent nobles Cretois. Après le départ de celui-ci. Mentor fait une revue exacte dans la ville et dans le port ; s'informe de tout ; fait faire à Idoménée de nouveaux règlements pour le commerce et pour la police ; lui fait partager en sept classes le peuple, dont il distingue les rangs et la naissance par la diversité des habits ; lui fait retrancher le luxe et les arts inutiles, pour appliquer les artisans au labourage,^ qu'il met en honneur.^ Toute Parmée des alliés dressait* déjà ses tentes, et la cam- pagne était couverte de riches pavillons de toutes sortes de cou- leurs, où les Hespériens fatigués attendaient le sommeil. Quand les rois, avec leur suite, furent entrés dans la ville, ils parurent étonnés qu'en si peu de temps on eût pu faire tant de bâtiments 6 magnifiques, et que l'embarras d'une si grande guerre n'eût point empêché cette ville naissante"^ de croître® et de s'embellir* tout-à-coup. On admira la sagesse et la vigilance d'Idoménée, qui avait fondé un si beau royaume ; et chacun concluait que, la paix étant faite 10 avec lui, les alliés seraient bien puissants, s'il entrait dans leur ligue contre les Dauniens. On proposa à Idoménée d'y entrer ; il ne put rejeter une si juste proposition, et il promit des troupes. Mais comme Mentor n'ignorait rien de tout ce qui est néces- saire pour rendre un état florissant, il comprit" que les forces 15 d'Idoménée ne pourraient pas être aussi grandes qu'elles le parais- saient; il le prit en particulier," et lui parla ainsi: 1 policer, esUiblish proper regtdations wUhin. — 2 exercer, accustom. — 3 fait en sorte qu'il se contente, Jinds means to aatiafy him.-—4 labourage, AtM- bandry. — 5 met en honneur, brings into reptUe. — 6 dressait, pUched. — 7 nais- sante, rising. — 8 croître, to grow. — 9 M. L. 36, R. 2.— 10 comprit, knsw; jfrom comprendre, M. p. 362. — 11 en particulier, aside. 180 TÉLBMAQUE. UV. Xn. Vous voyez que nos soins ne vous ont pas été mutiles : Salente est garantie^ des malheurs qui la menaçaient. Il ne tient plus qu'à vous' d'en élever jusqu'au eiel la gloire, et d'égaler la sagesse de Minos votre aïeul dans le gouvernement de vos 6 peuples. Je continue à vous parler librement, supposant que vous le voulez, et que vous détestez toute flatterie. Pendant que ces rois ont loué votre magnificence, je pensais en moi-même à la témérité de votre conduite. A ce mot de témérité, Idoménée changea de visage, ses yeux se 10 troublèrent, il rougit; et peu s'en fallut qu'il* n'interrompît Men- tor pour lui témoigner son ressentiment. Mentor lui dit «ifun ton modeste et respecteux, mais libre et hardi : Ce mot de témérité vous choque, je le vois bien : tout autre que moi aurait eu tort de s'en servir ; car il faut respecter les rois, 16 et ménager leur délicatesse, même en les reprenant* La vérité par elle-même les blesse assez sans y ajouter des termes forts; mais j'ai cru que vous pourriez soufirir que je vous parlasse sans adoucissement,* pour vous découvrir votre faute. Mon dessein a été de vous accoutumer à entendre nommer les choses par leur 20 nom, et à comprendre que, quand les autres vous donneront des conseils sur votre conduite, ils n'oseront jamais vous dire tout ce qu'ils penseront. Il faudra, si vous voulez n'y être pas trompé, que vous compreniez toujours plus qu'ils ne vous diront sur les choses qui vous seront désavantageuses. Pour moi, je veux bien 25 adoucir mes paroles selon votre besoin : mais il vous est utile qu'un homme sans intérêt et sans conséquence vous parle en secret un langage dur. Nul autre n'osera jamais vous le parler : vous ne verrez la vérité qu'à demi et sous de belles enveloppes.' A ces mots, Idoménée, déjà revenu"' de sa première prompti- 30 tude, parut honteux de sa délicatesse.® Vous voyez, dit-il à Mentor, ce que fait l'habitude d'être flatté. Je vous dois le salut de mon nouveau royaume ; il n'y a aucune vérité que je ne me croie heureux d'entendre de votre bouche : mais ayez pitié d'un roi que la flatterie avait empoisonné, et qui n'a pu, même dans 35 ses malheurs, trouver des hommes assez généreux pour lui dire la vérité. Non, je n'ai jamais trouvé personne qui m'ait® assez aimé pour vouloir me déplaire en me disant la vérité tout entière. 1 garantie, preserved. — 2 il ne tient plus qu'à vous, it is now wholly in your pouoer. — 3 peu s'en fallut qu'il, he was on the point of. — 4 reprenant, re- proving. — 5 adoucissement, softening my langziage. — 6 enveloppes, veils. 7 déjà revenu, wha had already recovered. — 8 délicatesse, sensitiveness, weak- nm.— 9 M. L. 74, R.3. â ( Liv. xn. TÉLÉMAQUE. 181 En disant ces paroles, les larmes lui vinrent aux yeux, et il em- brassa tendrement Mentor. Alors ce sage vieillard lui dit : C'est avec douleur que je me vois contraint de vous dire des choses dures :^ mais puis-je vous trahir en vous cachant la vérité ? Met- tez-vous en ma place. Si vous avez été trompé jusqu'ici, c'est 5 que vous avez bien voulu l'être; c'est que vous avez craint des conseillers trop sincères. Avez-vous cherché les gens les plus désintéressés et les plus propres* à vous contredire ? Avez-vous pris soin de faire parler les hommes les moins empressés à vous plaire, les plus désintéressés dans leur conduite, et les plus capa- 10 blés de condamner vos passions et vos sentiments injustes? Quand vous avez trouvé des flatteurs, les avez-vous écartés?* vous en êtes-vous défié ? Non, non, vous n'avez point fait ce que font ceux qui aiment la vérité, et qui méritent de la connaître. Voyons si vous aurez maintenant le courage de vous laisser 16 humilier par la vérité qui vous condamne. Je disais donc que ce qui vous attire tant de louanges, ne mérite que d'être blâmé. Pendant que vous aviez au-dehors tant d'enne- mis qui menaçaient votre royaume mal établi, vous ne songiez au-dedans^ de votre nouvelle ville qu'à y faire des ouvrages 20 magnifiques. C'est ce qui vous a coûté tant de mauvaises* nuits, comme vous me l'avez avoué vous-même. Vous avez épuisé vos richesses ; vous n'avez songé ni à augmenter votre peuple ni à cultiver les terres fertiles de cette côte. Ne fallait-il pas' regar- der ces deux choses comme les deux fondements essentiels de 25 votre puissance ; avoir beaucoup de bons hommes, et des terres bien cultivées pour les nourrir? Il fallait une longue paix dans ces commencements, pour favoriser la multiplication de votre peuple. Vous ne deviez songer qu'à l'agriculture et à l'établisse- ment des plus sages lois. Une vaine ambition vous a poussé jus- 30 qu'au bord^ du précipice. A force de vouloir* paraître grand, vous avez pensé" ruiner votre véritable grandeur. Hâtez-vous de réparer ces fautes ; suspendez tous vos grands ouvrages ; renon- cez à ce faste qui ruinerait votre nouvelle ville ; laissez en paix respirer vos peuples ; appliquez-vous à les mettre dans l'abon- 35 dance pour faciliter les mariages. Sachez que vous n'êtes roi qu'autant que^" vous avez des peuples à gouverner ; et que votre 1 dures, harsh. — 2 propres, likely.—3 écartés, removed. — 4 au-dedans within. — 5 mauvaises, aUe'plesa.—Q ne fallait-il pas, should you not hâve 7 bord, brink.—^ à force de vouloir, by such efforts to— 9 vous avez pensé, you were in danger of. — 10 qu'autant que, only in proportion as. J82 TÉLÉMAQUE. LIV. xn. puissance doit se mesurer, non par Toiendue des terres que vous occuperez, mais par le nombre des hommes qui habiteront ces terres, et qui seront attachés à vous obéir. Possédez une bonne terre, quoique médiocre en étendue ; couvrez-la de peuples innom- 6 brables, laborieux et disciplinés ; faites que ces peuples vous aiment : vous êtes plus puissant, plus heureux, et plus rempli de gloire, que tous les conquérants qui ravagent tant de royaumes. Que ferai-je donc à l'égard de ces rois ? répondit Idoménée : leur avouerai-je ma faiblesse ? Il est vrai que j'ai négligé l'agri- 10 culture, et même le commerce, qui m'est si facile sur cette côte : je n'ai songé qu'à faire une ville magnifique. Faudra-t-il donc,* mon cher Mentor, me déshonorer dans l'assemblée de tant de rois, et découvrir mon imprudence ? S'il le faut, je le veux, je le ferai sans hésiter, quoi qu'il m'en coûte ; car vous m'avez appris qu'un 15 vrai roi, qui est fait pour ses peuples, et qui se doit tout entier à eux, doit préférer le salut de son royaume à sa propre réputation. Ce sentiment est digne du père des peuples, reprit Mentor ; c'est à cette bonté, et non à la vaine magnificence de votre ville, que je reconnais en vous le cœur d'un vrai roi. Mais il faut 20 ménager votre honneur pour l'intérêt même de votre royaume. Laissez-moi faire : je vais faire entendre à ces rois que vous vous êtes engagé à rétablir Ulysse, s'il est encore vivant, ou du moins son fils, dans la puissance royale, à Ithaque, et que vous voulez en chasser par force tous les amants de Pénélope. Ils n'auront pas 26 de peine* à comprendre que cette guerre demande des troupes nombreuses. Ainsi ils consentiront que vous ne leur donniez d'abord qu'un faible^ secours contre les Dauniens. A ces mots Idoménée parut comme un homme qu'on soulage* d'un fardeau accablant.* Vous sauvez, cher ami, dit-il à Mentor, 30 mon honneur, et la réputation de cette ville naissante dont vous cacherez l'épuisement® à tous mes voisins. Mais quelle apparence de dire que je veux envoyer des troupes à Ithaque pour y rétablir Ulysse, ou du moins Télémaque son fils, pendant que Télémaque lui-même est engagé d'aller à la guerre contre les Dauniens ? 36 Ne soyez point en peine, répliqua Mentor ; je ne dirai rien que de vrai. Les vaisseaux que vous enverrez pour l'établissement de votre commerce iront sur la côte de TÉpire : ils feront à la fois^ deux choses ; l'une, de rappeler® sur votre côte les marchands i 1 faudra-t-il donc, mitat I then; M. L. 61, R. 5. — 2 peine, difficuUy. 3 faible, alight.'-A qu'on soulage, relievtd. — 5 fardeau accablant, tooheavy a burden. — 6 épuiaement, wcahuss. — 7 à la fois, at once. — 8 rappeler, reccUl. i LIV.xn. TBLBMAQUE. 183 étrangers, que les trop grands impôts éloignent de Salente ; l'autre, de chercher des nouvelles d'Ulysse. S'il est encore vivant, il faut qu'il ne soit pas^ loin de ces mers qui divisent la Grèce d'avec l'Italie, et on assure qu'on l'a vu chez les Phéaciens. Quand même il n'y aurait plus aucune espérance de le revoir, vos vais- 5 seaux rendront un signalé service à son fils ; ils répandront dans Ithaque et dans tous les pays voisins la terreur du nom du jeune Télémaque, qu'on croyait mort comme son père. Les amants de Pénélope seront étonnés d'apprendre qu'il est prêt à revenir avec le secours d'un puissant allié. Les Ithaciens n'oseront secouer 10 le joug. Pénélope sera consolée, et refusera toujours de choisir un nouvel époux. Ainsi vous servirez Télémaque pendant qu'il sera en votre place avec les alliés de cette côte d'Italie contre les Dauniens. A ces mots Idoménée s'écria: Heureux le roi qui est soutenu 15 par de sages conseils ! Un ami sage et fidèle vaut mieux à un roi que des armées victorieuses. Mais doublement heureux le roi qui sent son bonheur et qui en sait profiter par le bon usage des sages conseils! car souvent il arrive'' qu'on éloigne de sa confiance les hommes sages et vertueux dont on craint la vertu, 20 pour prêter l'oreille à des flatteurs dont on ne craint point la trahison. Je suis moi-même tombé dans cette faute, et je vous raconterai tous les malheurs qui me sont venus par' un faux ami, qui flattait mes passions dans l'espérance que je flatterais à mon tour les siennes. 25 Mentor fit aisément entendre aux rois alliés qu'Idoménée devait* se charger des affaires de Tél^aque pendant que celui-ci irait avec eux. Ils se contentèrent d'avoir dans leur armée le jeune .fils d'Ulysse avec cent jeunes Cretois qu'Idoménée lui donna pour l'accompagner: c'était la fleur de la jeune noblesse que ce roi 30 avait emmenée* de Crète. Mentor lui avait conseillé de les envoyer dans cette guerre : Il faut, disait-il, avoir soin pendant la paix de multiplier le peuple ; mais, de peur que toute la nation ne s'amollisse et ne tombe dans l'ignorance de la guerre, il faut envoyer dans les guerres étrangères la jeune noblesse. Ceux-là 35 suffisent pour entretenir toute la nation dans une émulation de gloire, dans l'amour des armes, dans le mépris des fatigues et de la mort même, enfin dans l'expérience de l'art militaire. Les rois alliés partirent de Salente contents d'Idoménée, et 1 il faut qu'il ne soit pas, ?ie eannot 6c.— 2* il arrive, U happens.—Z par, thraugh — i devait, waa; M. L. 36, R. 5.-5 emmenée, brought. 184 TÉLÉMAQUE. Liv. xn. charmés de la sagesse de Mentor: ils étaient pleins de joie de ce qu'ils emmenaient^ avec eux Télémaque. Celui-ci ne put mo- dérer sa douleur quand il fallut se séparer de son ami. Pendant que les rois alliés faisaient leurs adieux, et juraient à Idomênée 5 qu'ils garderaient^ avec lui une étemelle alliance, Mentor tenait Télémaque serré entre ses bras ; il se sentait arrosé de ses larmes. Je suis insensible, disait Télémaque, à la joie d'aller acquérir de la gloire ; je ne suis touché que de la douleur de notre séparation. n me semble que je vois encore ce temps infortuné ou les Égyp- 10 tiens m'arrachèrent d'entre' vos bras, et m'éloignèrent de vous sans me laisser aucune espérance de vous revoir. Mentor répondit à ces paroles avec douceur pour le consoler. Voici, lui disait-il, une séparation bien différente ; elle est volon- taire, elle sera courte, vous allez chercher* la victoire. Il faut, 15 mon fils, que vous m'aimiez d'un amour moins tendre et plus courageux : accoutumez-vous à mon absence ; vous ne m'aurez pas toujours : il faut que ce soit* la sagesse et la vertu, plutôt que la présence de Mentor, qui vous inspirent ce que vous devez £ûre. 20 En disant ces mots, la déesse, cachée sous la figure de Mentor, couvrait Télémaque de son égide ; elle répandait' au-dedans de lui l'esprit de sagesse et de prévoyance,^ la valeur intrépide et la douce modération, qui se trouvent si rarement ensemble. Allez, disait Mentor, au milieu des plus grands périls toutes les 25 fois qu'il sera utile que vous y alliez. Un prince se déshonore encore plus en évitant les dangers dans les combats, qu'en n'al- lant jamais à la guerre. Il ne faut point que le courage de celui qui conmiande aux autres puisse être douteux.® S'il est néces- saire à un peuple de conserver son chef ou son roi, il lui est 30 encore plus nécessaire de ne le voir point dans une réputation douteuse sur la valeur. Souvenez-vous que celui qui commande doit être le modèle de tous les autres : son exemple doit animer toute l'armée. Ne craignez donc aucun danger, ô Télémaque, et périssez dans les combats plutôt que de faire douter® de votre 36 courage. Les flatteurs qui auront plus d'empressement*® pour vous empêcher de vous exposer au péril dans les occasions nécessaires seront les premiers à dire en secret que vous» 1 emmenaient, took; M. L. 44, R. 6. — 2 garderaient, would maintain, keep. — 3 m'arrachèrent d'entre, tore me Jrom.—i chercher, in jmrsuit of. B M. L. 73, R. 1. — 6 répandait, diffused. — 7 prévoyance, foresignt. — 8 dou- teux, questùmable. — 9 faire douter, aUow — to be doubted. — 10 empressement, ajixuiy. ^ LIV.xn. TÉLÉMAQUK. 185 manquez de cœur,^ s'ils vous trouvent facile à arrêter dans ees occasions. Mais aussi n'allez pas chercher les périls sans utilité. La valeur ne peut être une vertu qu'autant qu'elle est réglée par la prudence. Autrement c'est un mépris insensé' de la vie, et une 5 ardeur brutale ; la valeur emportée* n'a rien de sûr. Celui qui ne se possède point* dans les dangers est plutôt fougueux* que brave ; il a besoin d'être hors de lui** pour se mettre au-dessus de la crainte, parcequ'il ne peut la surmonter par la situation natu- relle de son cœur. En cet état, s'il ne fuit^ point, du moins il se 10 trouble ; il perd la liberté de son esprit, qui lui serait nécessaire pour donner de bons ordres, pour profiter des occasions, pour ren- verser les ennemis, et pour servir sa patrie. S'il a toute l'ardeur d'un soldat, il n'a point le discernement d'un capitaine. Encore même n'a-t-il pas le vrai courage d'un simple soldat, car le soldat 15 doit conserver dans le combat la présence d'esprit et la modéra- tion nécessaires pour obéir. Celui qui s'expose témérairement trouble l'ordre et la discipline des troupes, donne un exemple de témérité, et expose souvent l'armée entière à de grands malheurs. Ceux qui préfèrent leur vaine ambition à la sûreté® de la cause' 20 commune méritent des châtiments et non des récompenses. Gardez-vous donc bien," mon cher fils, de chercher la gloire avec impatience. Le vrai moyen de la trouver est d'attendre'* tranquillement l'occasion favorable. La vertu se fait d'autant plus révérer qu'elle" se montre plus simple, plus modeste, plus 25 ennemie de tout faste." C'est à mesure^* que la nécessité de s'exposer au péril augmente, qu'il faut aussi de nouvelles res- sources de prévoyance et de courage qui aillent toujours crois- sant." Au reste souvenez-vous qu'il ne faut s'attirer l'envie de personne. De votre côté ne soyez point jaloux du succès des 30 autres. Louez-les pour tout ce qui mérite quelque louange : mais louez avec discernement, disant le bien avec plaisir: cachez le mal, et n'y pensez qu'avec douleur. Ne décidez point devant ces anciens capitaines qui ont toute l'expérience que vous ne pouvez avoir : écoutez-les avec déférence ; 36 consultez-les: priez les plus habiles de vous instruire, et n'ayez 1 cœur, courage. — 2 mépris insensé, foolish contem'ot. — 3 emportée, pre- cipitate.—A ne se possède point, who cannot govem himself. — 6 fougueux, jîtry. — 6 hors de lui, besvde himself. — 7 fuit, ^ee; M. p. 372. — 8 sûreté, safây. — 9 gardez-vous bien, beware lest you. — 10 attendre, awaU. — 11 se fait d'autant plus révérer qu'elle, is more rêver ed in proportion as it. — 12 faste, ostentation. — 13 à mesure, as. — 14 croissant, increasing; from croUrey M.p.^U. 186 TBLÉMAQUE. Liv. xn. point de honte d'attribuer à leurs instructions tout ce que vous ferez de meilleur. Enfin n'écoutez jamais les discours par les- quels on voudra exciter votre défiance ou votre jalousie contre les autres chefs. Parlez-leur avec confiance et ingénuité. Si 5 vous croyez qu'ils aient manqué à votre égard,' ouvrez-leur votre cœur, expliquez-leur toutes vos raisons. S'ils sont capables de sentir la noblesse de cette conduite, vous les charmerez, et vous tirerez'' d'eux tout ce que vous aurez sujet d'en attendre. Si au contraire ils ne sont pas assez raisonnables pour entrer dans vos \ 10 sentiments, vous serez instruit par vous-même de ce qu'il y aura en eux d'injuste à souffrir ; vous prendrez vos mesures pour ne vous plus commettre jusqu'à ce que la guerre finisse, et vous n'aurez rien à vous reprocher. Mais surtout ne dites jamais à certains flatteurs qui sèment^ la division les sujets de peine que 16 vous croirez avoir contre les chefs de l'armée où vous serez. Je demeurerai ici, continua Mentor, pour secourir Idoménée dans le besoin où il est de travailler au bonheur de ses peuples, et pour achever de lui faire réparer les fautes que les mauvais conseils et les flatteurs lui ont fait commettre dans l'établisse- 20 ment de son nouveau royaume. Alors Télémaque ne put s'empêcher* de témoigner à Mentor quelque surprise, et même quelque mépris pour la conduite d'Ido- ménée. Mais Mentor l'en reprit^ d'un ton sévère: Êtes-vous étonné, lui dit-il, de ce que les hommes les plus estimables sont 25 encore hommes, et montrent encore quelques restes des faiblesses de l'humanité parmi les pièges* innombrables et les embarras inséparables de la royauté ? Idoménée, il est vrai, a été nourri^ dans des idées de faste et de hauteur : mais quel philosophe pour- rait se défendre de la flatterie, s'il avait été en sa place ? Il est 30 vrai qu'il s'est laissé trop prévenir® par ceux qui ont eu sa con- fiance ; mais les plus sages rois sont souvent trompés, quelques' précautions qu'ils prennent pour ne l'être pas. Un roi ne peut se passer de^° ministres qui le soulagent et en qui il se confie, puis- qu'il ne peut tout ftiire. D'ailleurs un roi connaît beaucoup moins 36 que les particuliers" les hommes qui l'environnent : on est tou- jours masqué auprès de lui; on épuise toutes sortes d'artifices pour le tromper. Hélas ! cher Télémaque, vous ne l'éprouverez 1 à votre égard, towards y ou. — 2 tirerez, vyill obtain. — 3 sèment, êoiff. 4 s'empêcher, hein; M. L. 93, R. 4. — 5 reprit, reproved; Jrom reprendre^ M. p. 382. — 6 pièges, snares. — 7 nourri, nurtured. — 8 prévenir, influence. 9 craelques, wfuUever; M. §30, (12).— 10 se passer de, dispense wUh; M. £r. 39, R. 1. — 11 particuliers, prvoate individuals. UV.xn. TÉLÉMAQtJE. 187 que trop ! On ne trouve point dans les hommes ni les vertus ni les talents qu'on y cherche. On a beau* les étudier et les appro- fondir,'' on s*y mécompte' tous les jours. On ne vient même jamais à bout* de faire, des meilleurs hommes, ce qu'on aurait besoin d'en faire pour le public. Ils ont leurs entôtementSy' leurs 6 incompatibilités, leurs jalousies. On ne les persuade ni on ne les corrige guère. Plus on a de peuples à gouverner, plus il faut de ministres pour faire par eux ce qu'on ne peut faire soi-même ; et plus on a besoin d'hommes à qui on confie l'autorité, plus on est exposé à 10 se tromper dans de tels choix. Tel* critique aujourd'hui impitoya- blement les rois, qui gouvernerait demain moins bien' qu'eux, et qui ferait les mêmes fautes, avec d'autres infiniment plus grandes, si on lui confiait la même puissance. La condition privée, quand on y joint un peu d'esprit pour bien parler, couvre tous les dé&uts 16 naturels, relève® des talents éblouissants, et fait paraître un homme digne de toutes les places dont il est éloigné. Mais c'est l'autorité qui met tous les talents à une rude épreuve, et qui dé- couvre de grands défauts. La grandeur est comme certains verres® qui grossissent^" tous 20 les objets. Tous les défauts paraissent croître" dans ces hautes places,^' où les moindres choses ont de grandes conséquences, et où les plus légères fautes ont de violents contre-coups." Le monde entier est occupé à observer un seul homme à toute heure, et à le juger en toute rigueur. Ceux qui le jugent n'ont aucune 25 expérience de l'état où il est. Ils n'en sentent point les dilQScultés, et ils ne veulent plus qu'il soit homme, tant ils exigent de perfec- tions de lui. Un roi, quelque bon et sage qu'il soit, est encore homme. Son esprit a des bornes** et sa vertu en a aussi. Il a de l'humeur, des passions, des habitudes, dont il n'est pas tout-à- 30 fait" le maître. Il est obsédé" par des gens intéressés et artifi- cieux; il ne trouve point les secours qu'il cherche. Il tombe chaque jour dans quelque mécompte," tantôt par ses passions, et tantôt par celles de ses ministres. A peine a-t-il réparé une £a.ute, qu'il retombe dans une autre. Telle est la condition des 36 rois les plus éclairés et les plus vertueux. 1 on a beau, itiain vain that we; M. L. 67, R. 1.— 2 approfondir, sound. 3 on s'y mécompte, we are mistaken in them. — 4 on ne vient même jamais à bout, wt never even succeed. — 5 entêtements, prejtidices. — 6 tel, he; M. §41, (12).--7 moins bien, worse. — 8 relève, exhibits.—9 verres, glassea. 10 grossissent, magnify. — 11 paraissent croître, seem to expand; from paraî- tre^ M. p. 378.— 12 places, «io/iorw.— 13 contre-coups, éjecte.— 14 bornes, dowTwte.— 15 tout-à-fait, entirely.—lG obsédé, beset.—ll mécompte, miatakc. 188 TÉLÉMAQUE. LIV. XIL Les plus longs et les meilleurs règnes sont trop courts et trop imparfaits pour réparer à la fin ce qu'on a gâté^ sans le vouloir dans les commencements. La royauté porte avec elle toutes ces misères: l'impuissance humaine succombe sous un fardeau si 5 accablant. Il faut plaindre les rois, et les excuser. Ne sont-ils pas à plaindre d'avoir à gouverner tant d'hommes dont les besoins sont infinis, et qui donnent tant de peines à ceux qui veulent les bien gouverner? Pour parler franchement, les hommes sont fort à plaindre d'avoir à être gouvernés par un roi qui n'est qu'homme 10 et semblable à eux ; car il faudrait des dieux pour redresser' les hommes. Mais les rois ne sont pas moins à plaindre, n'étant' qu'hommes, c'est-à-dire faibles et imparfaits, d'avoir à gouverner cette multitude innombrable d'hommes corrompus et trompeurs. Télémaque répondit avec vivacité : Idoménée a perdu par sa 15 faute le royaume de ses ancêtres en Crète ; et, sans vos conseils, il en aurait perdu un second à Salente. J'avoue, reprit Mentor, qu'il a fait de grandes fautes; mais cherchez dans la Grèce, et dans tous les autres pays les mieux policés,* un roi qui n'en ait point fait d'inexcusables. Les plus grands hommes ont, dans 20 leur tempérament et dans le caractère de leur esprit, des défauts qui les entraînent :^ les plus louables sont ceux qui ont le cou- rage de reconnaître et de réparer leurs égarements.' Pensez- vous qu'Ulysse, le grand Ulysse votre père, qui est le modèle des rois de la Grèce, n'ait pas aussi ses faiblesses et ses déûiuts ? Si 25 Minen^e ne l'eût conduit pas à pas,^ combien de fois aurait-il suc- combé® dans les périls et dans les embarras où la fortune s'est jouée de lui ! Combien de fois Minerve l'a^t-elle retenu ou re- dressé* pour le conduire toujours à la gloire par le chemin de la vertu ! N'attendez pas même, quand vous le verrez régner avec 30 tant de gloire à Ithaque, de le trouver sans imperfection ; vous lui en verrez, sans doute. La Grèce, l'Asie, et toutes les îles des mers, l'ont admiré malgré ses défauts: mille qualités merveil- leuses les font oublier. Vous serez trop heureux de pouvoir l'admirer aussi, et de l'étudier sans cesse comme votre modèle. 35 Accoutumez-vous, ô Télémaque, à n'attendre*' des plus grands hommes que ce que l'humanité est capable de faire. La jeunesse sans expérience se livre à une critique présomptueuse qui la 1 gâté, done amisa. — 2 redresser, reform. — 3 n'étant que, being ion ses flots écumeux, mais qui entraîne* encore dans sa course les plus pesants* vaisseaux dont il est chargé. 26 Philoctète, Nestor, les chefs des Manduriens et des autres na^ tiens, sentent dans le fils d'Ulysse je ne sais quelle autorité à la- quelle il faut que tout cède:' l'expérience des vieillards leur manque, le conseil et la sagesse sont ôtés à tous les comman- dants : la jalousie même, si naturelle aux hommes, s'éteint dans 30 les cœurs; tousse taisent;® tous admirent Télémaque; tous se rangent pour lui obéir, sans y faire réflexion, et comme s'ils y eussent été accoutumés. Il s'avance, et monte sur une colline, d'où il observe la disposition des ennemis : puis tout-à-coup il juge qu'il faut se hâter de les surprendre dans le désordre où ils 35 se sont mis en brûlant le camp des alliés. Il fait le tour en dili- gence ; et tous les capitaines les plus expérimentés le suivent. Il attaque les Dauniens par derrière, dans un temps où ils croyaient l journée, day. — 2 au-devant, to mtet. — 3 paissaient, grazed; front paUre^ M. V' 378.— -4 éperdus, distracted. — 5 entraîne, carrits. — 6 les plus pesanta, thô tuaviest, largest. — 7 il faut que tout oède, ail muât yield. — 8 se taisent, are sUent ; M. £$. 96, R. 5. 262 TÉLâMAQTTB. LIV. xvn. Tarmée des alliés enveloppée dans les flammes de l'embrasement. Cette surprise les trouble;^ ils tombent sous la main de Télé- maque, comme les feuilles, dans les derniers jours de l'automne, tombent des forêts quand un fier aquilon, ramenant l'hiver, fait 6 gémir les troncs des vieux arbres et en agite toutes les branches. La terre est couverte des hommes que Télémaque renverse. De son dard il perce le cœur d'Iphyclès, le plus jeune des enfants d'Adraste : celui-ci osa se présenter contre lui au combat pour sauver la vie de son père, qui pensa être* surpris par Télémaque. 10 Le fils d'Ulysse et Iphyclès étaient tous deux beaux, vigoureux, pleins d'adresse et de courage, de la même taille, de la même douceur, du même âge, tous deux chéris de leurs parents ; mais Iphyclès était comme une fleur qui s'épanouif dans un champ, et qui doit être coupée par le tranchant de la faux du moissonneur. 16 Ensuite Télémaque renverse Euphorion, le plus célèbre de tous les Lydiens venus en Étrurie. Enfin son glaive perce Cléomènes, nouveau marié, qui avait promis à son épouse de lui porter les riches dépouilles des ennemis, mais qui ne devait jamais la revoir. Adraste frémit de rage voyant la mort de son cher fils, celle de 20 plusieurs capitaines, et la victoire qui échappe de ses mains. Pha- lante, presque abattu à ses pieds, est comme une victime à demi égorgée* qui se dérobe au* couteau sacré, et qui s'enfuit loin de l'autel. U ne fallait plus à Adraste* qu'un moment pour achever la perte du Lacédémonien. Phalante, noyé dans son san^ et dans 25 celui des soldats qui combattent avec lui, entend les cris de Télé- maque qui s'avance pour le secourir. En ce moment la vie lui est rendue, un nuage qui couvrait déjà ses yeux se dissipe. Les Dauniens, voyant cette attaque imprévue,' abandonnent Phalante pour aller repousser un plus dangereux ennemi. Adraste est tel 30 qu'un tigre à qui les bergers assemblés arrachent la proie qu'il était prêt à dévorer. Télémaque le cherche dans la mêlée,® et veut finir tout-à-coup la guerre en délivrant les alliés de leur im- placable ennemi. Mais Jupiter ne voulait pas donner au fils d'Ulysse une victoire 36 si prompte et si facile : Minerve même voulait qu'il eût à souflrir des maux plus longs, pour mieux apprendre à gouverner les hommes. L'impie Adraste fut donc conservé par le père des dieux afin que Télémaque eût le temps d'acquérir plus de gloire et plus 1 les trouble, throws them irUo confusion. — 2 qui pensa être, wlio was aboiU to he. — 3 s'épanouit, blooms. — 4 égorgée, slain. — 5 se dérobe au, avoids the. 6 il ne fallait plus à Adraste, Adrasius needed but ; M. L. 48, È. 4. — 7 im- prévue, untxpected. — 8 mêlée, 4hrong. UV.xm TÉLÉMAQUE. 268 de vertu. Un nuage que Jupiter assembla dans les airs sauva les Dauniens ; un tonnerre effroyable déclara la volonté des dieux ; on aurait cru que les voûtes^ éternelles du haut Olympe allaient s'écrouler' sur les têtes des faibles mortels ; les éclairs fendaient la nue de Tun à l'autre pôle ; et dans le moment où ils éblouis- 5 Baient les yeux par leurs feux perçants, on retombait dans les affreuses ténèbres de la nuit. Une pluie abondante qui tomba dans l'instant servit encore à séparer les deux armées. Adraste profita du secours des dieux, sans être touché de leur pouvoir, et mérita par cette ingratitude d'être réservé à une plus 10 cruelle vengeance. Il se hâta de faire passer ses troupes entre le camp à demi brûlé et un marais qui s'étendait jusqu'à la rivière : il le fit avec tant d'industrie et de promptitude, que cette retraite montra combien il avait de ressources et de présence d'esprit. Les alliés, animés par Télémaque, voulaient le poursuivre ; mais 16 à la faveur de cet orage il leur échappa, comme un oiseau d'une aile légère échappe aux filets' des chasseurs. Les alliés ne songèrent plus qu'à* rentrer dans leur camp, et qu'à réparer leur perte. En y rentrant, ils virent ce que la guerre a de plus lamentable : les malades et les blessés, manquant de 20 force pour se traîner* hors des tentes, n'avaient pu se garantir du feu ; ils paraissaient à demi brûlés, poussant vers le ciel d'une voix plaintive et mourante, des cris douloureux. Le cœur de Télémaque en fut percé, il ne put retenir ses larmes; il détourna plusieurs fois ses yeux, étant saisi d'horreur et de compassion : il 25 ne pouvait voir sans frémir* ces corps encore vivants et dévoués à une longue et cruelle mort; ils paraissaient semblables à la chair des victimes qu'on a brûlées sur les autels, et dont l'odeur se ré- pand de tous côtés. Hélas ! s'écriait Télémaque, voilà donc les maux que la guerre 30 entraine après elle ! Quelle fureur aveugle pousse les malheu- reux mortels ! ils ont si peu de jours à vivre sur la terre ; ces jours sont si misérables; pourquoi précipiter une mort déjà si prochaine?^ pourquoi ajouter tant de désolations affreuses à l'amertume dont les dieux ont rempli cette vie si courte ? Les 36 hommes sont tous frères, et ils s'entre-déchirent ;• les bêtes fa- rouches sont moins cruelles. Les lions ne font point la guerre aux lions, ni les tigres aux tigres ; ils n'attaquent que les animaux 1 voûtes, arches. — 2 s* écrouler, to faU dormi. — 3 filets, ruta.-A ne son- gèrent plus qu'à, thought then mertly of. — 5 se traîner, to crawl. — 6 frémiri thvddering. — 7 prochaine, ntar. — 8 s'entre-déchirent, tear ont another. 264 TÉLÉMAQUE. Liv. xvn. d'espèce différente-: Phomme seul, malgré sa raison, fait ce que les animaux sans raison ne firent jamais. Mais encore, pourquoi ces guerres? N'y a-t-il pas assez de terre dans l'univers pour en donner à tous les hommes plus qu'ils n'en peuvent cultiver? 6 Combien y-a-t-il de terres désertes ! le genre humain ne saurait les remplir. Quoi donc ! une fausse gloire, un vain titre de con- quérant qu'un prince veut acquérir, allume la guerre dans des pays immenses! Ainsi un seul homme, donné au monde par la colère* des dieux, en sacrifie brutalement tant d'autres à sa vanité : il 10 faut que tout périsse, que tout nage dans le sang, que tout soit dévoré par les flammes, que ce qui échappe au fer et au feu ne puisse échapper à la faim encore plus cruelle, afin qu'un seul homme, qui se joue de la nature humaine entière, trouve dans cette destruction générale son plaisir et sa gloire ! Quelle gloire 16 monstrueuse! Peut-on trop abhorrer et trop mépriser des hommes qui ont tellement oublié l'humanité ? Non, non, bien loin d'être des demi-dieux,^ ce ne sont pas même des hommes; ils doivent être en exécration à tous les siècles, dont ils ont cru être admirés. Oh î que les rois doivent bien prendre garde aux guerres 20 qu'ils entreprennent! Elles doivent être justes; ce n'est pas assez, il faut qu'elles soient nécessaires pour le bien public. Le sang d'un peuple ne doit être versé' que pour sauver ce même peuple dans les besoins extrêmes. Mîiis les conseils flatteurs, les fausses idées de gloire, les vaines jalousies, l'injuste avidité qui se 26 couvre de beaux prétextes, enfin les engagements insensibles,* entraînent presque toujours les rois dans des guerres où ils se rendent malheureux, où ils hasardent tout sans nécessité, et où ils font autant de mal à leurs sujets qu'à leurs ennemis. Ainsi rai- sonnait Télémaque. 30 Mais il ne se contentait pas de déplorer les maux de la guerre ; il tâchait de les adoucir. On le voyait aller dans les tentes secou- rir lui-même les malades et les mourants ; il leur donnait de l'ar- gent et des remèdes ; il les consolait et les encourageait par des discours pleins d'amitié, et envoyait visiter ceux qu'il ne pouvait 36 visiter lui-même. Parmi les Cretois qui étaient avec lui, il y avait deux vieillards, dont l'un se nommait Traumaphile et l'autre Nosophuge. Traumaphile avait été au siège de Troie avec Idoménée, et avait appris des enfants d'Esculape, l'art divin de guérir les 1 colère, anger.—2 demi-dieux, demigodsj Jlf. §84, (2).— 3 versé, shed, 4 insensibles, thoughtleaa. ij LlV.Xvn. TÉLÉMAQUE. 265- plaies. Il répandait dans les blessures^ les plus profondes et les plus envenimées une liqueur odoriférante qui consumait les chairs mortes et corrompues,'' sans avoir besoin de faire aucune incision, et qui formait promptement de nouvelles chairs plus saines et plus belles que les premières. 6 Pour Nosophuge, il n'avait jamais vu les enfants d'Esculape ; mais il avait eu, par le moyen de Mérion, un livre sacré et mysté- rieux qu'Esculape avait donné à ses enfants. D'ailleurs Noso- phuge était ami des dieux ; il avait composé des hymnes en l'hon- neur des enfants de Latone ; il offrait tous les jours le sacrifice 10 d'une brebis blanche et sans tache à Apollon, par lequel il était souvent inspiré. A peine avait-il vu un malade, qu'il connaissait à ses yeux, à la couleur de son teint,' à la conformation de son corps, et à sa respiration, la cause de sa maladie. Tantôt il don- nait des remèdes qui faisaient suer,^ et il montrait, par le succès 15 des sueurs,* combien la transpiration,* diminuée ou facilitée, dé- concerte" ou rétablit tout la machine du corps; tantôt il donnait, pour les maux de langueur, certains breuvages qui fortifiaient peu- à-peu les parties nobles, et qui rajeunissaient les hommes en adoucissant^ leur sang. Mais il assurait que c'était faute de vertu 20 et de courage que les hommes avaient si souvent besoin de la médecine. C'est une honte, disait-il, pour les hommes qu'ils aient • tant de maladies: car les bonnes mœurs produisent la santé. Leur intempérance, disait-il encore, change en poisons mortels les aliments destinés à conserver la vie. Les plaisirs pris sans mode- 25 ration abrègent plus les jours des hommes que les remèdes ne® peuvent les prolonger. Les pauvres sont moins souvent malades faute de nourriture, que les riches ne le deviennent pour en pren- dre trop. Les aliments qui flattent trop le goût, et qui font man- ger au-delà du besoin, empoisonnent au lieu de nourrir. Les 30 remèdes sont eux-mêmes de véritables maux qui usent^ la nature, et dont il ne faut se servir que dans les pressants besoins. Le grand remède, qui est toujours innocent, et toujours d'un usage utile, c'est la sobriété, c'est la tempérance dans tous les plaisirs, c'est la tranquillité de l'esprit, c'est l'exercice du corps. Par-là 35 on fait un sang doux et tempéré, et on dissipe toutes les humeurs superflues. Ainsi le sage Nosophuge était moins admirable par 1 blessures, wounds. — 2 corrompues, decayed. — 3 teint, complexion.--4 fai- saient suer, promoted persjnrcUion. — 5 sueurs, transpiration, perspiration. 6 déconcerte, disturbs. — 7 adoucissant, purifying. — 8 M. § 138, (5). — 9 usent, wear out. 12 3 2M TÉLÉMAQUK hSf.imx. ses remèdes, que par le régime qu'il conseillait^ pour prévenir les maux, et pour rendre les remèdes inutiles. Ces deux hommes furent envoyés par Télémaque pour visiter tous les malades de l'armée. Ils en guérirent beaucoup par leurs 6 remèdes : mais ils en guérirent bien davantage par le soin qu'ils prirent pour les faire servir à propos f car ils s'appliquaient à les tenir proprement, à empêcher le mauvais air par cette propreté, à leur feire garder un régime de sobnété exacte dans leur conva- lescence. Tous les soldats, touchés de ces secours, rendaient 10 grâces aux dieux d'avoir envoyé Télémaque dans l'armée des alliés. Ce* n'est pas un homme, disaient-ils; c'est sans doute quelque divinité bienfaisante sous une figure humaine. Du moins, si c'est un homme, il ressemble moins au reste des hommes qu'aux dieux ; il n'est sur la terre que pour :^ire du bien ; il est lé encore plus aimable par sa douceur et par sa bonté que par sa valeur. Oh ! si nous pouvions l'avoir pour rw ! mais les dieux le réservent pour quelque peuple plus heureux qu'ils chérissent, et chez lequel ils veulent renouveler l'â^ d'or. Télémaque, pendant qu'il allait la nuit visiter les quartiers 20 du camp, par précaution^ contre les ruses* d'Adraste, entendait ces louanges, qui n'étaient point suspectes de flatterie, comme celles que . les flatteurs donnent souvent en face** aux princes, supposant qu'ils n'ont ni modestie ni délicatesse, et qu'il n'y a qu'à les louer sans mesure pour s'emparer de leur faveur. Le fils d'Ulysse ne pou- 2d vait goûter que ce qui était vrai : il ne pouvait souffrir d'autres louanges que celles qu'on lui donnait en secret loin de lui, et qu'il avait véritablement méritées. Son cœur n'était pas insensible à celles-là ; il sentait ce plaisir si doux et si pur que les dieux ont attaché à la seule vertu, et que les méchants, faute"' de l'avoir 30 éprouvé, ne peuvent ni concevoir ni croire : mais il ne s'abandon- nait point à ce plaisir; aussitôt revenaient en foule dans son es- prit toutes les fautes qu'il avait faites ; il n'oubliait point sa hauteur naturelle et son indifférence pour les hommes ; il avait une honte secrète d'être né si dur,® et de paraître si humain. Il renvoyait* 36 à la sage Minerve toute la gloire qu'on lui donnait, et qu'il ne croyait pas mériter. C'est vous, disait-il, ô grande déesse, qui m'avez" donné Men- tor pour m'instruire et pour corrriger mon mauvais naturel ; c'est 1 conseillait, preacribed. — 2 pour les faire servir à propos, to fumish them roper atiendance. — 3 ce, ?u; M. L. 82, R. 1. — 4 par précaution, to ffuard. ruses, stratagems. — 6 en face, in tke présence. — 7 faute, ^/ôr want. — 8 né si dur, naturaUy so un/eeling.—9 renvoyait, referred.— 10 M. L, 81, R. 2. UT.ZVn. TÉLSMAQUE. 2ft7 YOUB qui me donnez^ la sagesse de profiter de mes fautes pour me défier de moi-même ; c'est vous qui retenez mes passions impé- tueuses; c'est vous qui me faites^ sentir le plaisir de soulager les malheureux : sans vous je serais haï et digne de Tétre ; sans vous je ferais des fautes irréparables ; je serais comme un enfant, qui, 5 no sentant pas sa faiblesse, quitte sa mère, et tombe dès le pre- mier pas. Nestor et Philoctète étaient étonnés de voir Télémaque devenu si doux, si attentif à obliger les hommes, si officieux, si secourable, si ingénieux pour prévenir' tous les besoins ; ils ne savaient que 10 croire, ils ne recomiaissaient plus en lui le même homme. Ce qui les surprit davantage fut le soin qu'il prit des funérailles d'Hippias ; il alla lui-même retirer' son corps sanglant et défiguré de Tendroit où il était caché sous un monceau de corps morts ; il versa sur lui des larmes pieuses ; il dit : O grande ombre, tu le sais 15 maintenant combien j'ai estimé ta valeur ! Il est vrai que ta fierté m'avait irrité, mais tes défauts venaient d'une jeunesse ardente ; je sais combien cet âge a besoin qu'on lui pardonne : nous eussions dans la suite été sincèrement unis : j'avais tort de mon côté. O dieux, pourquoi me le ravir* avant que j'aie pu le forcer de m'aimer? 20 Ensuite Télémaque fit laver le corps dans des liqueurs odorifé- rantes ; puis on prépara par son ordre un bûcher. Les grands pins, gémissant sous les coups des haches, tombent en roulant du haut des montagnes. Les chênes, ces vieux enfants de la terre qui semblaient menacer le ciel, les hauts peuplieis, les ormeaux,* 25 dont les têtes sont si vertes et si ornées d'un épais feuillage, les hêtres,* qui sont l'honneur des forêts, viennent tomber sur le bord du fleuve Galèse ; là s'élève avec ordre un bûcher qui ressemble à un bâtiment régulier ; la flamme commence à paraître, un tour- billon de fumée monte jusqu'au ciel. 30 Les Lacédémoniens s'avancent d'un pas lent et lugubre, tenant leurs piques renversées^ et leurs yeux baissés : la douleur amère est peinte sur ces visages si farouches, et les larmes coulent abon- damment. Puis on voyait venir Phérécide, vieillard moins abattu® par le nombre des années que par la douleur de survivre à Hip- 36 pias, qu'il avait élevé depuis son enfance. Il levait vers le ciel ses mains et ses yeux noyés de larmes. Depuis la mort d'Hippias il refusait toute nourriture ; le doux sommeil n'avait pu appesantir" 1 M. L. 81, R. 2. — 2 prévenir, anticipate. — 3 retirer, to remove. — 4 mo le ravir, take him, front me. — 5 ormeaux, dms. — 6 hêtres, be^h. — 7 renversées, reveraed. — 8 abattu, wtiglied down. — 9 appesantir, close. 268^ TÉLÉMAQUE. LW, awn. ses paupières, ni suspendre un moment sa cuisante peine :^ il mar- chait d^un pas tremblant, suivant la foule, et ne sachant où il allait.' Nulle parole ne sortait de sa bouche, car son cœur était trop serré;'' c'était un silence de désespoir et d'abattement:' mais 6 quand il vit le bûcher allumé, il parut tout-à-coup furieux, et il s'écria : O Hippias, Hippias, je ne te verrai plus ! Hlppias n'est plus, et je vis* encore ! O mon cher Hippias, c'est moi cruel, moi impitoyable, qui t'ai appris à mépriser la mort ; je croyais que tes mains fermeraient mes yeux, et que tu recueillerais* mon dernier 10 soupir. O dieux cruels, vous prolongez ma vie pour me faire voir la mort d'Hippias ! O cher enfant que j'ai nourri, et qui m'as coûté tant de soins, je ne te verrai plus! mais je verrai ta mère qui mourra de tristesse en me reprochant ta mort ; je verrai ta jeune épouse frappant sa poitrine," arrachant ses cheveux ; et j'en 16 serai cause ! O chère ombre ! appelle'-moi sur les rives du Styx ; la lumière m'est odieuse : c'est toi seul, mon cher Hippias, que je veux revoir. Hippias ! Hippias ! ô mon cher Hippias ! je ne vis encore que pour rendre à tes cendres le dernier devoir. Cependant on voyait le corps du jeune Hippias étendu, qu'on 20 portait dans un cercueil® orné de pourpre, d'or, et d'argent. La mort, qui avait éteint ses yeux, n'avait pu effacer toute sa beauté, et les grâces étaient à demi peintes sur son visage pâle; on voyait flotter autour de son cou, plus blanc que la neige, mais penché* sur l'épaule, ses longs cheveux noirs, plus beaux que 25 ceux d'Atys ou de Ganymède, qui allaient être réduits en cendres : on remarquait dans le côté la blessure profonde par où tout son sang s'était écoulé,*" et qui l'avait fait descendre dans le royaume sombre de Plu ton. Télémaque, triste et abattu, suivait de près le corps, et lui je- 30 tait des fleurs. Quand on fut arrivé au bûcher, le jeune fils d'Ulysse ne put voir la flamme pénétrer les étoffes" qui envelop- paient le corps, sans répandre de nouvelles larmes. Adieu, dit-il, ô magnanime Hippias ! car je n'ose te nommer mon ami : apaise- toi, ô ombre qui as mérité tant de gloire ! Si je ne t'aimais, j'en- 36 vierais ton bonheur; tu es délivré des misères où nous sommes encore, et tu en es sorti par le chemin le plus glorieux. Hélas 1 que je serais heureux de finir de même ! Que" le Styx n'arrête point ton ombre ; que les Champs Élysées lui soient ouverts ; que la 1 cuisante peine, poignant grief . — 2 serré, heavy. — 3 abattement, dejecHon. 4 vis, live ; M. p. 390. — 5 recueillerais, wouldst receive. — 6 poitrine, bosom. 7 M. §49, (4). — 8 cercueil, hier, coffin. — 9 penché, reclining. — 10 s'était écoulé, luid issued.— Il étoffes, cloth.— 12 que, may. inr.xvn. télbmaqub. 269 renommée conserve ton nom dans tous les siècles, et que tes cen- dres reposent en paix ! À peine eut-il dit ces paroles entremêlées de soupirs, que toute l'armée poussa un cri : on s'attendrissait sur Hippias, dont on nu contait les grandes actions; et la douleur de sa mort, rappelant 5 toutes ses bonnes qualités, faisait oublier les défauts qu'une jeu- nesse impétueuse et une mauvaise éducation lui avaient donnés. Mais on était encore plus touché des sentiments tendres de Télé- maque. Est-ce donc là, disait-on, ce jeune Grec si fier, si hautain, si dédaigneux, si intraitable? le voilà devenu doux, humain, tendre. 10 Sans doute Minerve, qui a tant aimé son père, l'aime aussi ; sans doute elle lui a fait le plus précieux don que les dieux puissent^ faire aux hommes, en lui donnant avec la sagesse un cœur sensi- ble à l'amitié. Le corps était déjà consumé par les flammes. Télémaque lui- 15 même arrosa^ de liqueur parfumée ses cendres encore fumantes, puis il les mit dans une urne d'or qu'il couronna de fleurs, et il porta cette urne à Phalante. Celui-ci était étendu,^ percé de di- verses blessures ; et, dans son extrême faiblesse, il entrevoyait^ près de lui les portes sombres des enfers.* 20 Déjà Traumaphile et Nosophuge, envoyés par le fils d'Ulysse, lui avaient donné tous les secours de leur art : ils rappelaient peu- à-peu son àme prête à s'envoler ; de nouveaux esprits" le rani- maient insensiblement ; une force douce et pénétrante, un baume de vie s'insinuait de veine en veine jusqu'au fond de son cœur; 25 une chaleur agréable le dérobait^ aux mains glacées de la mort En ce moment, la défaillance^ cessant, la douleur succéda ; il com- mença à sentir la perte de son frère, qu'il n'avait point été jus- qu'alors en état de sentir. Hélas ! disait-il, pourquoi prend-on de si grands soins de me faire vivre ? ne me vaudrait-il pas mieux* 30 mourir et suivre mon cher Hippias ? Je l'ai vu périr tout auprès de moi ! O Hippias, la douceur de ma vie, mon frère, mon cher frère, tu n'es plus ! je ne pourrai donc plus ni te voir, ni t'entendre, ni t'embrasser, ni te dire mes peines, ni te consoler dans les tiennes ! O dieux ennemis des hommes ! il n'y a plus d'Hippias pour moi ! 35 Est-il possible ! Mais n'est-ce point un songe ? Non, il n'est que trop vrai. O Hippias, je t'ai perdu, je t'ai vu mourir; et il faut que je vive encore autant qu'il sera nécessaire pour te 1 M. L. 74, R. 3, 4. — 2 arrosa, sprinkled. — 3 étendu, stretched ujxma couch. — 4 entrevoyait, perccived — 5 enfers, death^ infernal régions. — 6 esprita, atrength. — 7 dérobait, snatched. — 8 défaillance, fainbing. — 9 ne vaudrait-il I>as mieux, would it not be préférable ; M. L. 49, R. 6. SJ7Ô tblémaque. tnr. xvit. yenger; je veux immoler* à tes mânes le cruel Adraste teint* de ton sang. Pendant que Phalante parlait ainsi, les deux hommes divins tâchaient d'apaiser sa douleur de peur qu'elle n'augmentât ses 5 maux, et n'empêchât l'effet des remèdes. Tout-à-coup il aper- çoit Télémaque qui se présente à lui. D'abord son cœur fut combattu* par deux passions contraires; il conservait un ressenti- ment de tout ce qui s'était passé entre Télémaque et Hippias ; la douleur de la perte d'Hippias rendait ce ressentiment encore plus 10 vif: d'un autre côté, il ne pouvait ignorer qu'il devait la conserva- tion de sa vie à Télémaque, qui l'avait tiré* sanglant et à demi mort des mains d'Adraste. Mais quand il vit l'urne d'or où étaient renfermées les cendres si chères de son frère Hippias, il versa un torrent de larmes ; il embrassa d'abord Télémaque sans 16 pouvoir lui parler, et lui dit enfin d'une voix languissante entre- coupée de sanglots: Digne fils d'Ulysse, votre vertu me force à vous aimer: je vous dois ce reste de vie qui va s'éteindre, mais je vous dois quelque chose qui m'est bien plus cher. Sans vous, le corps de mon 20 frère aurait été la proie des vautours; sans vous, son ombre, privée de la sépulture, serait malheureusement errante sur les rives du Styx, toujours repoussée par l'impitoyable Caron. Faut- il que je doive tant à un homme que j'ai tant haï ! O dieux, ré- compensez-le, et délivrez-moi d'une vie si malheureuse. Pour 25 vous, ô Télémaque, rendez-moi les derniers devoirs que vous avez rendus à mon frère, afin que rien ne manque à votre gloire. A ces paroles Phalante demeura épuisé et abattu d'un excès de douleur. Télémaque se tint* auprès de lui sans oser lui parler, en attendant qu'il reprît" ses forces. Bientôt Phalante, revenant de 30 cette défaillance, prit l'urne des mains de Télémaque, la baisa plusieurs fois, l'arrosa de ses larmes, et dit : O chères, ô précieuses cendres ; quand est-ce que' les miennes seront renfermées avec vous dans cette même urne ? O ombre d'Hippias, je te suis® dans les enfers; Télémaque nous vengera tous deux. 36 Cependant le mal de Phalante diminua de jour en* jour par les soins des deux hommes qui avaient la science d'Esculape. Télé- maque était sans cesse avec eux auprès du malade pour les rendre plus attentifs à avancer*" sa guérison ;" et toute l'armée admirait 1 immoler, sacrifice. — 2 teint, stained ; front teindre^ M. p. 388. — 3 com- battu, agUated. — 4 tiré, reacued. — 5 se tint, remained. — 6 reprît, should re- cwcr.— 7 ikr. L. 82, R. 2.-8 ems^/oUoiD; from suivre, M. p. 386.-9 en, to. 10 avancer, ?iasten.—ll guérison, cure. Liv. xvn. TÉLÉMAQUE. 271 bien plus la bonté de cœur avec laquelle il secourait son plus grand ennemi, que la valeur et la sagesse qu'il avait montrées en sauvant dans la bataille Tarmée des alliés. En même temps Télémaque se montrait infatigable dans les plus rudes travaux de la guerre : il dormait peu ; et son sommeil 5 était souvent interrompu, ou par les avis* qu'il recevait à toutes les heures de la nuit comme du jour, ou par la visite de tous les quartiers du camp, qu'il ne faisait jamais deux fois de suite aux mêmes heures, pour mieux surprendre ceux qui n'étaient pas assez vigilants. Il revenait souvent dans sa tente couvert de 10 sueur et de poussière : sa nourriture était simple ; il vivait comme les soldats, pour leur donner l'exemple de la sobriété et de la pa- tience. L'armée ayant peu de vivres dans ce campement, il jugea nécessaire d'arrêter" les murmures des soldats, en souffrant lui- même volontairement les mêmes incommodités qu'eux. Son 15 corps, loin de s'affaiblir dans une vie si pénible, se fortifiait et s'endurcissmt chaque jour: il commençait à n'avoir plus" ces grâces si tendres qui sont comme la fleur de la première jeunesse ; son teint* devenait plus brun^ et moins délicat, ses membres moins mous et plus nerveux.* 20 1 avis, intelligence. — 2 d'arrêter, to prevent. — 3 à n'avoir plus, to lo9t. 4 teint, complexion. — 5 plus brun, darkar. — 6 nerveux, muscutar. WIV nv LIVRE DIX-SBPTiftMB. LIVRE DIX-HUITIEME. SoMMAisB. — Télémaque, persuadé par divers songes que son père Ulysse n'est plus sur la terre, exécute son dessein de l'aller chercher dans les enfers. Il se dérobe du^ camp, étant suivi de deux Cretois jusqu'à un temple près de la fameuse caverne d' Aohérontia. Il s'y enfonce^ au tra- vers des ténèbres, arrive au bord du Styx, et le Caron le reçoit dans sa barque. Il va se présenter devant Pluton, qu'il trouve préparé à lui permettre de chercher son père. Il traverse le Tartare, où il voit les tourments que souffrent les ingrats, les parjures, les hypocrites, et sur- tout les mauvais rois. Adraste, dont les troupes avaient été considérablement afiai- blies dans le combat, s'était retiré derrière la montagne d'Aulon, pour attendre divers secours et pour tâcher de surprendre encore une fois ses ennemis ; semblable à un lion affamé, qui, ayant été 5 repoussé d'une bergerie,' s'en retourne dans les sombres forêts et rentre dans sa caverne, où il aiguise* ses dents et ses griffes,* at- tendant le moment favorable pour égorger® les troupeaux. Télémaque, ayant pris soin de mettre' une exacte discipline dans tout le camp, ne songea plus qu'à exécuter un dessein qu'il avait 10 conçu, et qu'il cacha à tous les chefs de l'armée. Il y av.ait déjà long-temps qu'il était agité pendant toutes les nuits par des songes qui lui représentaient son père Ulysse. Cette chère image reve- nait toujours sur la fin de la nuit, avant que l'aurore vint chasser du ciel, par ses feux naissants, les inconstantes étoiles, et de des- 16 sus® la terre le doux sommeil suivi des songes voltigeants.® Tan- tôt il croyait voir Ulysse nu, dans une île fortunée, sur la rive d'un fleuve, dans une prairie" ornée de fleurs, et environné de nymphes qui lui jetaient des habits pour se couvrir: tantôt il 1 se dérobe du, retires from the. — 2 il s'y enfonce, hc entera it. — 3 bergerie, foUi.—4 aiguise, wluta. — 5 griffes, claws. — 6 égorger, to destroy. — 7 mettre, eatablish.-^ et de dessus, and from.— 9 voltigeants, light;M. §65, (2). 10 prairie, meadow. Liv. xvm. TÉLÉMAQUE. 273 croyait l'entendre parler dans un palais tout éclatant* d'or et d'ivoire, où des hommes couronnés de fleurs l'écoutaient avec plaisir et admiration. Souvent Ulysse lui apparaissait tout-à- coup dans des festins où la joie éclatait parmi les délices, et où l'on entendait les tendres accords^ d'une voix avec une lyre 6 plus douce que la lyre d'Apollon et que les voix de toutes les muses. Télémaque, en s'éveillant, s'attristait' de ces songes si agréa- bles. O mon père! ô mon cher père Ulysse! s'écriait-il, les songes les plus affreux me seraient plus doux ! Ces images de 10 félicité me font comprendre que vous êtes déjà descendu dans le séjour des âmes bienheureuses que les dieux récompensent de leurs vertus par une éternelle tranquillité. Je crois voir les Champs Elysées. Oh ! qu'il est cruel de n'espérer plus ! Quoi donc, ô mon cher père ! je ne vous verrai jamais ! jamais je n'embrasserai 16 celui qui m'aimait tant, et que je cherche avec tant de peines ! ja- mais je n'entendrai parler cette bouche d'où sortait la sagesse ! jamais je ne baiserai ces mains, ces chères mains, ces mains victo- rieuses, qui ont abattu tant d'ennemis! elles ne puniront point les insensés amants de Pénélope, et Ithaque ne se relèvera ja- 20 mais* de sa ruine ! O dieux ennemis de mon père, vous m'envoyez ces songes funestes pour arracher toute espérance de mon cœur: c'est m'arracher la vie. Non, je ne puis plus vivre dans cette in- certitude. Que dis-je, hélas ! je ne suis que trop certain que mon père n'est plus. Je vai§ chercher son ombre jusques dans les 25 enfers. Thésée y est bien descendu ; Thésée, cet impie qui vou- lait outrager les divinités infernales : et moi, j'y vais conduit par la piété. Hercule y descendit : je ne suis point Hercule ; mais il est beau d'oser l'imiter. Orphée a bien touché, par le récit de ses malheurs, le cœur de ce dieu qu'on dépeint comme inexorable : il 30 obtint de lui qu'Eurydice retournerait parmi les vivants !* Je suis plus digne de compassion qu'Orphée ; car ma perte est plus grande. Qui pourrait comparer une jeune fille semblable à tant d'autres, avec le sage Ulysse admiré de toute la Grèce ? Allons ; mou- rons, s'il le faut. Pourquoi craindre la mort quand on souffre 36 tant dans la vie ? O Pluton ! ô Proserpine ? j'éprouverai bientôt si vous êtes aussi impitoyables qu'on le dit ! O mon père ! après avoir parcouru en vain les terres et les mers pour vous trouver, 1 éclatant, brilliant — 2 accords, mdody. — 3 s'attristait, was grieved. 4 no se relèvera jamais, sliaU never rise again; M. §49, (6). — 5 vivants, Ivoing. 12* 274 TÉLÉMAQUE. LIV. XVm. je vais voir si vous n'êtes point dans la sombre demeure des morts. Si les dieux me refusent de vous posséder sur la terre et à la lumière du soleil, peut-être ne me refuseront-ils pas de voir au moins votre ombre dans le royaume de la nuit.' 6 En disant ces paroles, Télémaque arrosait* son lit de ses larmes : aussitôt il se levait, et cherchait par la lumière à soulager la douleur cuisante' que ces songes lui avaient causée ; mais c'était une flèche qui avait percé son cœur et qu'il portait par-tout avec lui. 10 Dans cette peine, il entreprit de descendre aux enfers par un lieu célèbre qui n'était pas éloigné du camp ; on l'appelait Aché- rontia, à cause qu'il y avait en ce lieu une caverne affreuse, de laquelle on descendait sur les rives de l'Achéron, par lequel les dieux mêmes craignent de jurer. La ville était sur un rocher, 16 posée comme un nid* sur le haut d'un arbre : au pied de ce ro- cher on trouvait la caverne, de laquelle les timides mortels n'osaient approcher, les bergers avaient soin d'en détourner leurs troupeaux. La vapeur soufrée'' du marais" stygien, qui s'exha- lait sans cesse par cette ouverture, empestait l'air. Tout autour 20 il ne croissait' ni herbe ni fleurs ; on n'y sentait jamais les doux zéphyrs, ni les grâces naissantes du printemps, ni les riches dons de l'automne: la terre, aride, y languissait; on y voyait seule- ment quelques arbustes® dépouillés* et quelques cyprès funestes." Au loin même, tout à l'entour, Cérès refusait aux laboureurs ses 25 moissons dorées. Bacchus semblait en vain y promettre ses doux fruits: les grappes" de raisins se desséchaient" au lieu de mûrir.** Les naïdes, tristes, ne faisaient point couler une onde pure ; leur flots étaient toujours amers et troubles.** Les oiseaux ne chantaient jamais dans cette terre hérissée'* de ronces et 30 d'épines, et n'y trouvaient aucun bocage pour se retirer: ils allaient chanter leurs amours sous un ciel plus doux. Là on n'entendait que le croassement des corbeaux*' et la voix lugubre des hiboux :" l'herbe même y était amère, et les troupeaux qui la paissaient ne sentaient point la douce joie qui les fait bondir. 85 Le taureau fuyait la génisse; et le berger, tout abattu, oubliait sa musette*® et sa flûte. 1 nuit, night^ darkntss. — 2 arrosait, bedewed. — 3 cuisante, poignant.— 4 nid, 7U8t. — 5 soufrée, svlphurous. — 6 marais, marsh. — 7 il ne croissait, there grew; front croître^ M. p. 364. — 8 arbustes, shrubs. — 9 dépouillés, naked. — ^10 fu- nestes, mournfid. — 11 grappes, bunches. — 12 se desséchaient, withercd. 13 mûrir, ripèning. — 14 troubles, muddy. — 15 hérissée, overgrown. — 16 eor- beanz, ravena. — 17 hiboux, owls ; M. L. 11, R. 4. — 18 musette, pipt. UT. 3[ym, TÉLÉMAQUE. 276 De cette caverne sortait de temps en temps une fumée noire et épaisse qui faisait une espèce de nuit au milieu du jour. Les peu- pies voisins redoublaient alors leurs sacrifices pour apaiser les divinités infernales: mais souvent les hommes à la fleur de leur &ge et dès leur plus tendre jeunesse étaient les seules victimes 6 que ces divinités cruelles prenaient plaisir à immoler par une fu- neste contagion. C'est là que Télémaque résolut de chercher le chemin de la sombre demeure de Pluton. Minerve, qui veillait sans cesse sur lui, et qui le couvrait de son égide, lui avait rendu Pluton &vora- 10 ble. Jupiter même, à la prière de Minerve, avait ordonné à Mer-, cure, qui descend chaque jour aux enfers pour livrer à Caron un certain nombre de morts, de dire au roi des ombres qu'il laissât entrer le-fils d'Ulysse dans son empire. Télémaque se dérobe du camp pendant la nuit; il marche à 15 la clarté de la lune, et il invoque cette puissante divinité, qui, étant dans le ciel le brillant astre de la nuit, et sur la terre la chaste Diane, est aux enfers la redoubtable Hécate. Cette divi- nité écouta favorablement ses vœux, parceque son cœur était pur, et qu'il était conduit par l'amour pieux qu'un fils doit à son père. 20 A peine fut-il auprès de l'entrée de la caverne, qu'il entendit l'em- pire souterrain mugir.* La terre tremblait sous ses pas; le ciel s'arma d'éclairs^ et de feux qui semblaient tomber sur la terre. Le jeune fils d'Ulysse sentit son cœur ému ; tout son corps était couvert d'une sueur glacée :' mais son courage se soutint ; il leva 26 les yeux et les mains au ciel. Grands dieux, s'écria-t-il, j'accepte ces présages* que je crois heureux ; achevez votre ouvrage. Il dit, et, redoublant ses pas, il se présenta hardiment. Aussitôt la fumée épaisse qui rendait l'entrée de la caverne funeste à tous les animaux, dès qu'ils en approchaient, se dissipa; 30 l'odeur empoisonnée cessa pour un peu de temps. Télémaque entra seul ; car quel autre mortel eût osé le suivre ! Deux Cre- tois, qui l'avaient accompagné jusqu'à une certaine distance de la caverne, et auxquels il avait confié son dessein, demeurèrent trem- blants et à demi morts assez loin de là dans un temple, fusant 35 des vœux,* et n'espérant plus de revoir Télémaque. Cependant le fils d'Ulysse, l'épée à la main, s'enfonce" dans ces ténèbres horribles. Bientôt il aperçoit une faible et sombre^ lueur, 1 mugir, roar.—2 s'arma d'éclairs, was Jtllcd with lightning.—3 8u««r glaoée, cold verspircUian. — 4 présages, omens. — 5 des vœux, prayers/or ht* êiuxes». — 6 s'enfonce, pénétrâtes. — 7 sombre, gloomy. 276 TÉLÉMAQUE. LIV. XVm. telle qu'on la voit pendant la nuit sur la terre : il remarque les ombres légères qui voltigent autour de lui : il les écarte* avec son épée : ensuite il voit les tristes bords du fleuve marécageux,' dont les eaux bourbeuses' et dormantes ne font que tournoyer.* Il 6 découvre sur ce rivage une foule innombrable de morts privés de la sépulture, qui se présentent en vain à l'impitoyable Caron. Ce dieu, dont la vieillesse éternelle est toujours triste et chagrine, mais pleine de vigueur, les menace, les repousse, et admet d'abord dans sa barque le jeune Grec. En entrant, Télémaque entend les 10 gémissements d'une ombre qui ne pouvait se consoler. Quel est donc, lui dit^il, votre malheur? qui étiez-vous sur la terre ? J'étais, lui répondit cette ombre, Nabopharzan, roi de la superbe Babylone : tous les peuples de l'Orient tremblaient au seul bruit de mon nom : je me faisais* adorer par les Babyloniens 16 dans un temple de marbre où j'étais représenté par une statue d'or, devant laquelle on brûlait nuit et jour les plus précieux par- fums de l'Ethiopie : jamais personne n'osa me contredire sans être aussitôt puni : on inventait chaque jour de nouveaux plaisirs pour me rendre la vie plus délicieuse. J'étais encore jeune et robuste ; 20 hélas ! que de prospérités ne me restait-il pas® encore à goûter sur le trône ! mais une femme que j'aimais, et qui ne m'aimait pas, m'a bien fait sentir que je n'étais pas dieu;' elle m'a empoisonné : je ne suis plus rien. On mit hier avec pompe mes cendres dans une urne d'or; on pleura; on s'arracha les cheveux; on fit sem- 25 blant® de vouloir se jeter dans les flammes de mon bûcher pour mourir avec moi ; on va encore gémir au pied du superbe tom- beau où l'on a mis mes cendres: mais personne ne me regrette, ma mémoire est en horreur même dans ma famille, et ici-bas® je soufire déjà d'horribles traitements. 30 Télémaque, touché de ce spectacle, lui dit : Étiez-vous vérita- blement heureux pendant votre règne ? senti ez-vous cette douce paix sans laquelle le cœur demeure toujours serré et flétri*" au milieu des délices? Non, répondit le Babylonien; je ne sais même ce que vous voulez dire. Les sages vantent cette paix 36 comme l'unique bien : pour moi, je ne l'ai jamais sentie ; mon cœur était sans cesse agité de désirs nouveaux, de crainte et d'es- pérance. Je tâchais de m'étourdir moi-même par l'ébranlement 1 écarte, disperses. — 2 marécageux, marshy. — 3 bourbeuses, muddy,-^ ne font que tournoyer, hâve orUy a ichirling motion.— 5 M. L. 32, R. 3.-6 ne me restait-il pas, were stiU hefore me ; M. L. 85, R. 4.-7 M. L. 30, R. 4. 8 on fit semblant, ihey seemed ready, pretended; M. L. 64, R. 4.-— 9 ici- bas, Mres literoUy, hère below.— 10 serré et flétri, heavy andpining. UV. XVUL TÉLÉMAQUE. 277 de mes passions: j'avais •soin d'entretenir cette ivresse pour la rendre continuelle: le moindre intervalle de raison tranquille m'eût été trop amer. Voilà la paix dont j'ai joui j toute autre me paraît une fable et un songe : voilà les biens que je regrette. En parlant ainsi, le Babylonien pleurait comme un homme lâche 5 qui a été amolli par les prospérités, et qui n'est point accoutumé à supporter constamment un malheur. Il avait auprès de lui quelques esclaves qu'on avait fait* mourir pour honorer ses funé- railles: Mercure les avait livrés à Caron avec leur roi, et leur avait donné une puissance absolue sur ce roi qu'ils avaient servi 10 sur la terre. Ces ombres d'esclaves ne craignaient plus l'ombre de Nabopharzan ; elles la tenaient enchaînée, et lui faisaient les plus cruelles indignités. L'une lui disait: N'étions-nous pas hommes aussi bien que toi ? comment étais-tu assez insensé^ pour te croire un dieu? et ne fallait-il pas te souvenir que tu étais de 16 la race des autres hommes? Une autre, pour lui insulter, disait: Tu avais raison de ne vouloir pas qu'on te prît pour un homme ; car tu étais un monstre sans humanité. Une autre lui disait : lié bien ! où sont maintenant tes flatteurs ? tu n'as plus rien à don- ner, malheureux î tu ne peux plus faire aucun mal ;' te voilà* de- 20 venu esclave de tes esclaves mêmes : les dieux sont lents" à feire justice: mais enfin ils la font. A ces dures paroles, Nabopharzan se jetait le visage contre terre, arrachant ses cheveux dans un excès de rage et de déses- poir. Mais Caron disait aux esclaves : Tirez-le® par sa chaîne ; 25 relevez-le' malgré lui : il n'aura pas même la consolation de cacher sa honte ; il faut que toutes les ombres du Styx en soient témoins, pour justifier les dieux qui ont souffert si long-temps que cet im- pie régnât sur la terre. Ce n'est encore là, ô Babylonien, que le commencement de tes douleurs; prépare-toi à être jugé par l'in- 30 flexible Minos, juge des enfers. Pendant ce discours du terrible Caron, la barque touchait déjà le rivage de l'empire de Pluton : toutes les ombres accouraient pour considérer cet homme vivant qui paraissait au milieu de ces morts dans la barque; mais dans le molnent où Télémaque mit 36 pied à terre,® elles s'enfuirent, semblables aux ombres de la nuit que la moindre clarté du jour dissipe. Caron montrant au jeune Grec un front moins ridé* et des yeux moins farouches qu'à 1 3f. L. 63, R. 2.-2 insensé, 8enseless.^3 mal, injury.—4 te voilà, thmt art. — 5 lonts, slmo. — 6 tirez-le, draw him. — 7 relevez-le, raisc hims M. § 100, (2).— 8 à terre, on ihe 8hore.^9 ridé, contracted. 278 TBLÉMAQT7E. tIV. XVm. # l'ordinaire lui dit : Mortel chéri des dieux, puisqu'il t'est donné^ d'entrer dans le royaume de la nuit, inaccessible aux autres vi- vants, hâte-toi ji*aller où les destins t'appellent; va par ce chemin sombre au palais de Pluton, que tu trouveras sur son trône ; il te 6 permettra d'entrer dans les lieux dont il m'est défendu'' de te dé- couvrir le secret. Aussitôt Télémaque s'avance à grands pas: il voit de tous côtés voltiger les ombres, plus nombreuses que les grains de sable qui couvrent les rivages de la mer ; et, dans l'agitation de 10 cette multitude infinie, il est saisi d'une horreur divine, observant le profond silence de ces vastes lieux. Ses cheveux se dressent' sur sa tête, quand il aborde* le noir séjour de l'impitoyable Plu- ton ; il sent ses genoux chancelants ; la voix lui manque ;" et c'est avec peine qu'il peut prononcer au dieu ces paroles: Vous voyez, 15 ô terrible divinité ! le fils du malheureux Ulysse ; je viens vous demander si mon père est descendu dans votre empire, ou s'il est encore errant sur la terre. Pluton était sur un trône d'ébène ; son visage était pâle et sé- vère, ses yeux creux* et étincelants, son front ridé et menaçant. 20 La vue d'un homme vivant lui était odieuse, comme la lumière offense les yeux des animaux qui sont accoutumés de ne sortir de leurs retraites que pendant la nuit. A son côté paraissait Proser- pine, qui attirait seule ses regards,' et qui semblait un peu adou- cir son cœur : elle jouissait d'une beauté toujours nouvelle ; mais 25 elle paraissait avoir joint à ses grâces divines je ne sais quoi de dur et de cruel de son époux. Au pied du trône était la mort pâle et dévorante, avec sa faux tranchante, qu'elle aiguisait sans cesse. Autour d'elle volaient les noirs soucis f les cruelles défiances ;" les vengeances toutes 30 dégouttantes" de sang et couvertes de plaies ; les haines injustes; l'avarice qui se ronge" elle-même ; le désespoir qui se déchire de ses propres mains; l'ambition forcenée'^ qui renverse tout; la trahison qui veut se repaître" de sang, et qui ne peut jouir des maux qu'elle a faits ; l'envie qui verse son venin mortel autour 36 d'elle, et qui se tourne en rage, dans l'impuissance où elle est de nuire ; l'impiété qui se creuse** elle-même un abîme sans fond" où elle se précipite sans espérance; les spectres hideux, les 1 il t'est donné, thou art permitted. — 2 défendu, forbidden. — 3 se dressent, etand erect. — 4 aborde, reacfies. — 5 manque, faUs.—Q creux, hollow. — 7 re- gards, eyes.—Q soucis, car es. —^ défiances, suspicions. — 10 dégouttantes, cov- eredj dropping.— Il ronge, griaws.— 12 forcenée, frantic.— 13 se repaître, to fetd. — 14 creuse, opens, digs. — 15 sans fond, botlomless. LIV. xvm. TBLÉMAQUE. 279 fantômes qui représentent ^es morts pour épouvanter les vivants; les songes affreux; les insomnies^ aussi cruelles que les tristes songes. Toutes ces images funestes environnaient le fier Pluton, et remplissaient le palais oà il habite. Il répondit à Télémaque d*une voix basse qui fit gémir le fond 5 de TErèbe ; Jeune mortel, les destins font fait violer cet asile sacré des ombres ; suis^ ta haute destinée : je ne te dirai point où est ton père ; il suffit que tu sois libre de le chercher. Puisqu'il a été roi sur la terre, tu n'as qu'à parcourir' d'un côté l'endroit du noir Tartare où les mauvais rois sont punis, de l'autre les Champs 10 Elysées où les bons rois sont récompensés. Mais tu ne peux aller d'ici dans les Champs Élysées qu'après avoir passé par le Tartare : hâte-toi d'y aller, et de sortir de mon empire. A l'instant Télémaque semble voler dans ces espaces vides et immenses, tant il lui tarde* de savoir s'il verra son père, et de 16 s'éloigner de la présence horrible du tyran qui tient en crainte* les vivants et les morts. Il aperçoit bientôt assez près de lui le noir Tartare ; il en sortait* une fumée noire et épaisse, dont l'odeur empestée donnerait la mort, si elle se répandait dans la de- meure des vivants : cette fumée couvrait un fleuve de feu et des 20 tourbillons de flamme, dont le bruit, semblable à celui des tçrrents les plus impétueux quand ils s'élancent^ des plus hauts rochers dans le fond des abîmes, faisait qu'on ne pouvait rien entendre distinctement dans ces tristes lieux. Télémaque, secrètement animé par Minerve, entre sans crainte 25 dans ce goufire. D'abord il aperçut un grand nombre d'hommes qui avaient vécu dans les plus basses conditions, et qui étaient punis pour avoir cherché les richesses par des fraudes, des trahi- sons et des cruautés. Il y remarqua beaucoup d'impies hypo- crites, qui, faisant semblant® d'aimer la religion, s'en étaient ser- 30 vis comme d'un beau prétexte pour contenter leur ambition, et pour se jouer des hommes crédules: ces hommes, qui avaient abusé de la vertu même, quoiqu'elle soit le plus grand don des dieux, étaient punis comme les plus scélérats de tous les hommes. Les enfants qui avaient égorgé leurs pères et leurs mères, et les 35 épouses qui avaient trempé leurs mains dans le sang de leurs époux, les traîtres qui avaient livré leur patrie après avoir violé 1 insomnies, rngUs^ sleeplessness. — 2 from suivre^ M. p. 386. — 3 tu n'as qu'à parcourir, thy starch may he ccmfined.—A tant il lui tarde, ao mvxih did ne long ; M. L. 58, R. 3. — 5 tient en crainte, inspires terror to. — 6 il en ior- tait, Sure issuedfrom U. — 7 s'élancent, rush. — 8 M. L. 64, R. 4. 280 TÉLÉMAQUE. Liv. xvm. toua les serments, souffraient des peines moins cruelles que ces h3rpocrites. Les trois juges des enfers l'avaient ainsi voulu; et voici leur raison : c'est que les hypocrites ne se contentent pas d'être méchants comme le reste des impies ; ils veulent encore 6 passer pour bons, et font, par leur fausse vertu, que les hommes n'osent plus se fier à la véritable. Les dieux, dont ils se sont joués, et qu'ils ont rendus méprisables aux hommes, pren- nent plaisir à employer toute leur puissance pour se venger de leur insulte. 10 Auprès de ceux-ci paraissaient d'autres hommes que le vulgaire ne croit guère coupables, et que la vengeance divine poursuit impitoyablement ; ce^ sont les ingrats, les menteurs, les flatteurs qui ont loué le vice, les critiques malins qui ont tâché de flétrir* la plus pure vertu, enfin ceux qui ont jugé témérairement' des 16 choses sans les connaître à fond, et qui par-là ont nui** à la répu- tion des innocents. Mais parmi toutes les ingratitudes, celle qui était punie comme la plus noire, c'est celle qui se commet envers les dieux. Quoi donc ! disait Minos, on passe pour un monstre quand on manque 20 de reconnaissance pour son père, ou pour un ami de qui on a reçu quelque secours ; et on fait gloire d'être ingrat envers les dieux, de qui on tient la vie et tous les biens qu'elle renferme !* Ne leur doit-on pas sa naissance plus qu'au père et à la mère de qui on est né ? Plus tous ces crimes sont impunis et excusés 25 sur la terre, plus ils sont dans les enfers l'objet d'une vengeance implacable à qui rien n'échappe. Télémaque, voyant les trois juges qui étaient assis et qui con- damnaient un homme, osa leur demander quels étaient ses crimes. Aussitôt le condamné," prenant la parole, s'écria: Je 30 n'ai jamais fait aucun mal ; j'ai mis tout mon plaisir à faire du bien ; j'ai été magnifique, libéral, juste, compatissant i'' que peut- on donc me reprocher ? Alors Minos lui dit : On ne te reproche rien à l'égard des hommes; mais ne devais-tu pas moins aux hommes qu'aux dieux ? Quelle est donc cette justice dont tu te 35 vantes? Tu n'as manqué à aucun devoir envers les hommes qui * ne sont rien; tu as été vertueux: mais tu as rapporté® toute tu vertu à toi-même, non aux dieux qui te l'avaient donnée; ea; tu voulais jouir du fruit de ta propre vertu, et te renfermer 1 ce, thet/; M. L. 82, R. 1. — 2 flétrir, svlly, — 2 témérairement, rashly 4 nui, injured; M. p. 376. — 5 renferme, inclvdes. — 6 condamné, culprU. 7 oompâtissant. compassionate. — 8 rapporté, ascribed. UV.Xvm. TÉLBMAQUE. 281 en toi-même: tu as été ta divinité. Mais les dieux, qui ont tout fait, et qui n'ont rien fait que pour eux-mêmes, ne peu- vent renoncer à leurs droits: tu les as oubliés; ils t'oublie- ront ; ils te livreront à toi-même, puisque tu as voulu être à toi et non pas à eux. Cherche donc maintenant, si tu le peux, ta con- 5 solation dans ton propre cœur. Te voilà* à jamais séparé des hommes, auxquels tu as voulu plaire: te voilà seul avec toi- même qui étais ton idole : apprends qu'il n'y a point de véritable vertu sans le respect et l'amour des dieux, à qui tout est dû. Ta fausse vertu, qui a long-temps ébloui les hommes faciles 10 à tromper, va être^ confondue. Les hommes, ne jugeant des vices et des vertus que par ce qui les choque ou les accommode, sont aveugles et sur le bien et sur le mal: ici une lumière divine renverse tous leurs jugements superficiels; elle condamne souvent ce qu'ils admirent, et justifie ce qu'ils condamnent. 16 A ces mots ce philosophe, comme frappé d'un coup de foudre, né pouvait se supporter soi-même. La complaisance qu'il avait eue autrefois à contempler sa modération, son courage, et ses in- clinations généreuses, se change en désespoir. La vue de son propre cœur, ennemi des dieux, devient son supplice : il se voit, 20 et ne peut cesser de se voir: il voit la vanité des jugements des hommes, auxquels il a voulu plaire dans toutes ses actions: il se fait une révolution universelle de tout ce qui est au-dedans de lui, comme si on bouleversait^ toutes ses entrailles; il ne se trouve plus le môme : tout appui^ lui manque dans son cœur; sa 25 conscience, dont le témoignage^ lui avait été si doux, s'élève con- tre lui et lui reproche amèrement l'égarement et l'illusion de toutes ses vertus, qui n'ont point eu le culte® de la divinité pour principe et pour fin : il est troublé, consterné, plein de honte, de remords et de désespoir. Les furies ne le tourmentent point, 30 parcequ'il leur suffit de l'avoir livré à lui-même, et que son pro- pre cœur venge assez les dieux méprisés. Il cherche les lieux les plus sombres pour se cacher aux autres morts, ne pouvant se cacher à lui-même: il cherche les ténèbres, et ne peut les trouver; une lumière importune le suit par-tout; par-tout les 35 rayons perçants de la vérité vont venger la vérité qu'il a négligé de suivre. Tout ce qu'il a aimé lui devient odieux, comme étant la source de ses maux qui ne peuvent jamais finir. Il 1 te voilà, thou art. — 2 va être, is on the pohit of being ; lUerally^ is going to 6e, M. L. 26, R. 1. — 3 bouleversait. suhvertcd'—A appui, support. — 5 té- moignage, testlmony. — 6 culte, irorf^hlp. 2^ TÉLÉMAQtlE. UV. xvm. dit en lui-même: O insensé! je n'ai donc connu ni les dieux, ni les hommes, ni moi-même ! non, je n'ai rien connu, puisque je n'ai jamais aimé l'unique et véritable bien: tous mes pas ont été des égarements;^ ma sagesse n'était que folie; ma vertu 6 n'était qu'un orgueil impie et aveugle: j'étais moi-même mon idole. Enfin Télémaque aperçut les rois qui étaient condamnés pour avoir abusé de leur puissance. D'un côté une furie vengeresse' leur présentait un miroir qui leur montrait toute la difformité 10 de leurs vices: là ils voyaient et ne pouvaient s'empêcher de voir leur vanité grossière' et avide des plus ridicules louanges, leur dureté pour les hommes, dont ils auraient dû faire la félicité, leur insensibilité pour la vertu, leur crainte d'entendre la vérité, leur inclination pour les hommes lâches et flatteurs, leur inap- 16 plication, leur mollesse, leur indolence, leur défiance déplacée./ leur faste et leur excessive magnificence fondée sur la ruine des peuples, leur ambition pour acheter un peu de vaine gloire par le sang de leurs citoyens, enfin leur cruauté qui cherche chaque jour de nouvelles délices^ parmi les larmes et le désespoir de tant 20 de malheureux. Ils se voyaient sans cesse dans ce miroir : ils se trouvaient plus horribles et plus monstrueux que n'est la Chi- mère* vaincue par Bellérophon, ni l'hydre de Lerne abattue^ par Hercule, ni Cerbère même, quoiqu'il vomisse® de ses trois gueules béantes un sang noir et venimeux qui est capable d'empester 26 toute la race des mortels vivants sur la terre. En même temps, d'un autre côté, une autre furie leur répétait avec insulte toutes les louanges que leurs flatteurs leur avaient données pendant leur vie, et leur présentait un autre miroir, oà ils se voyaient tels que la flatterie les avait dépeints : l'opposition* 30 de ces deux peintures si contraires était le supplice de leur va- nité. On remarquait que les plus méchants d'entre ces rois étaient ceux à qui on avait donné les plus magnifiques louanges pendant leur vie, parceque les méchants sont plus craints que les bons, et qu'ils exigent" sans pudeur les lâches flatteries des 36 poètes et des orateurs de leur temps. On les entend gémir dans ces profondes ténèbres, où ils ne peuvent voir que les insultes et les dérisions qu'ils ont à souffrir: ils n'ont rien autour d'eux qui ne les repousse, qui ne les con- 1 égarements, errors. — 2 vengeresse, avenging. — 3 grossière, coor»e.— 4 dé- placée, unju8t. — 5 délices, enjoymertts. — 6 Chimère, chimera. — 7 abattue, con- çuered. — 8 M. % 143, (2). — 9 opposition, contrast. — 10 exigent, recuire. "v; MV. XTIIL TÉLÉMAQTTE. 288 tredise,^ qui ne les confonde. Au lieu que sur la terre ils se jouaient de la vie des hommes, et prétendaient que tout était fait pour les servir; dans le Tartare ils sont livrés à tous les ca- prices de certains esclaves qui leur font sentir à leur tour une cruelle servitude : ils servent avec douleur, et il ne leur reste 6 aucune espérance de pouvoir jamais adoucir leur captivité ; ils sont sous les coups de ces esclaves, devenus leurs tyrans impi- toyables, comme une enclume' est sous les coups des marteaux des Cyclopes quand Vulcain les presse de travailler dans les fournaises ardentes du mont Etna. 10 Là Télémaque aperçut des visages pâles, hideux et consternés. C'est une tristesse noire qui ronge ces criminels : ils ont horreur d'eux-mêmes, et ils ne peuvent non plus* se délivrer de cette horreur que de leur propre nature : ils n'ont point besoin d'autres châtiments de leurs fautes que leurs fautes mêmes : ils les voient 16 sans cesse dans toute leur énormité : elles se présentent à eux comme des spectres horribles ; elles les poursuivent. Pour s'en garantir,* ils cherchent une mort plus puissante que celle qui les a séparés de leurs corps. Dans le désespoir ou ils sont ils ap- pellent à leur secours une mort qui puisse éteindre tout senti- 20 ment et toute connaissance en eux ; ils demandent aux abîmes de les engloutir* pour se dérober aux rayons vengeurs de la vérité qui les persécute ; mais ils sont réservés à la vengeance qui dis- tille sur eux goutte à® goutte et qui ne tarira jamais.' La vérité, qu'ils ont craint de voir, fait leur supplice ; ils la voient, et n'ont 25 des yeux que pour la voir s'élever contre eux ; sa vue les perce, les déchire, les arrache à eux-mêmes : elle est comme la foudre ; sans rien détruire au dehors, elle pénètre jusqu'au fond des en- tRvilles. Semblable à un métal dans une fournaise ardente, l'âme est comme fondue par ce feu vengeur : il ne laisse aucune con- 30 sistance, et il ne consume rien: il dissout jusqu'aux premiers principes de la vie, et on ne peut mourir. On est arraché à soi- même ; on ne peut plus trouver ni appui ni repos pendant un seul instant: on ne vit" plus que par la rage qu'on a contre soi-même, et par une perte de toute espérance, qui rend forcené.* 36 Parmi ces objets qui faisaient dresser" les cheveux de Télé- maque sur sa tête, il vit plusieurs des anciens rois de Lydie qui 1 contredise, oppose. — 2 enclume, anvU. — 3 non plus, moreaoer^ besidea, 4 s'en garantir, tofree themsdvts from thèse. — 5 engloutir, to swaUow. — 6 à, by. — 7 ne tarira jamais, is inexhaustible. — 8 vit, lives ; from vivre, M. p. 390. 9 foToenéf frarUic. — 10 faisaient dresser, caused — to stand erect. 284 TÉLÉMAQUE. uv. xvin; étaient punis pour avoir préféré les délices d'une vie molle au travail, qui doit être inséparable de la royauté pour le soulage- ment des peuples. Ces rois se reprochaient les uns aux autres leur aveuglement. 6 L'un disait à l'autre, qui avait été son fils : Ne vous avais-je pas recommandé souvent, pendant ma vieillesse et avant ma mort, de réparer les maux que j'avais faits par ma négligence î Le fils ré- pondait : O malheureux père ! .c'est vous qui m'avez perdu ! c'est votre exemple qui m'a inspiré le faste, l'orgueil, la volupté, et la 10 dureté pour les hommes ! En vous voyant régner avec tant de mollesse, et entouré de lâches flatteurs, je me suis accoutumé à aimer la flatterie et les plaisirs. J'ai cru que le reste des hommes était à l'égard des rois ce que les chevaux et les autres bêtes de charge^ sont à l'égard des hommes, c'est à-dire, des animaux dont 15 on ne fait cas qu'autant'' qu'ils rendent de services et qu'ils don- nent de commodités. Je l'ai cru, c'est vous qui me l'avez fait croire ; et maintenant je souffre tant de maux pour vous avoir imité. A ces reproches ils ajoutaient les plus affreuses malédic- tions, et paraissaient animés de rage pour s'entre-déchirer. 20 Autour de ces rois voltigeaient' encore, comme des hiboux dans la nuit, les cruels soupçons, les vaines alarmes, les défiances qui vengent les peuples de la dureté de leurs rois, la faim insa- tiable des richesses, la fausse gloire toujours tyrannique, et la mollesse lâche qui redouble tous les maux qu'on soufire, sans 25 pouvoir jamais donner de solides plaisirs. On voyait plusieurs de ces rois sévèrement punis, non pour les maux qu'ils avaient faits, mais pour les biens qu'ils auraient dû £ûre. Tous les crimes des peuples, qui viennent de la négligence avec laquelle on fait observer les lois, étaient imputés aux rois, 30 qui ne doivent régner qu'afin que les lois régnent par leur minis- tère. On leur imputait aussi tous les désordres qui viennent du faste,^ du luxe, et de tous les autres excès qui jettent*^ les hommes dans un état violent et dans la tentation de mépriser les lois pour acquérûr du bien.® Surtout on traitait rigoureusement les rois 35 qui, au lieu d'être bons et vigilants pasteurs des peuples, n'avaient songé qu'à ravager le troupeau comme des loups dévorants. Mais ce qui consterna davantage Télémaque, ce fut de voir dans cet abîme de ténèbres et de maux un grand nombre de rois 1 charge, burden. — 2 dont on ne fait cas qu'autant, which we value ordy in proportwn.—^^ voltigeaient, hmered; M. §49, (1).— 4 faste, pomp.— 5 jet- tent, invcive; M. §49, (4).— 6 du bien, ueaUh. UV. xvm. TÉLBMAQUE. 286 qui avaient passé sur la terre pour des rois assez bons : ils avaient été condamnés aux peines du Tartare pour s'être laissé^ gouver- ner par des hommes méchants et artificieux. Us étaient punis pour les maux qu'ils avaient laissé^ faire par leur autorité. *La plupart de ces rois n'avaient été ni bons ni méchants, tant leur 5 faiblesse avait été grande ; ils n'avaient jamais craint de ne con- naître point la vérité ; ils n'avaient point'' eu le goût de la vertu, et n'avaient point mis leur plaisir à faire du bien. 1 M. L. 99, R. S.— 2 M. S 138, (1). FIN DU LIVRE DIX-HUITIÊMK. ( "^ LIVRE DIX-NEUVIÈME. Sommaire. — Télémaque entre dans les Champs Elysées, où il est reconnu par Arcésias son bisaïeul,^ qui l'assure qu'Ulysse est vivant, qu'il le re- verra à Ithaque, et qu'il y régnera après lui. Arcésius lui dépeint' la félicité dont jouissent les hommes justes, sur-tout les bons rois, qui, pen- dant leur vie, ont servi les dieux et fait le bonheur des peuples qu'ils ont gouvernés. Il lui fait remarquer^ que les héros qui ont seulement ex- cellé dans l'art de faire la guerre sont beaucoup moins heureux dans un lieu séparé. Il donne des instructions à Télémaque : puis celui-ci s'en va^ pour rejoindre en diligence le camp des alliés. Lorsque Télémaque sortit de ces lieux, il se sentit soulagé,* comme si on avait ôté° une montagne de dessus sa poitrine : il comprit, par ce soulagement, les malheurs de ceux qui y étaient renfermés sans espérance d'en sortir jamais. Il était effrayé de 5 voir combien les rois étaient plus rigoureusement tourmentés que les autres coupables."^ Quoi ! disait-il, tant de devoirs, tant de périls, tant de pièges,® tant de difficultés de connaître la vérité pour se défendre contre les autres et contre soi-même ! enfin tant de tourments horribles dans les enfers, après avoir été si agité, si 10 envié, si traversé" dans une vie courte! O insensé celui qui cherche à régner ! Heureux celui qui se borne à*" une condition privée et paisible, où la vertu lui est moins difficile ! En faisant ces réflexions, il se troublait au-dedans de lui-même : il frémit, et tomba dans une consternation qui lui fit sentir quelque 15 chose du désespoir de ces malheureux qu'il venait de considérer. Mais à mesure qu'il s'éloignait de" ce triste séjour des ténèbres, 1 bisaïeul, grtai grandfather. — 2 dépeint, describes from dépeindre, M. p. 366. — 3 remarquer, observe. — 4 s'en va, leavcs; M. L. 40, R. 2. — 5 soulagé, relieved. — 6 ôté. removed; M. L. 32, R. 2. — 7 coupables, qfendera — 8 pièges, anares. — 9 traversé, thwarted. — 10 se borne à, ia conttnted imtfi. — 11 s'éloi- gnait de, wentfrom ; M. L. 39, R. 6. X2V. XXX. TÉLSMAQUE. 287 de l^orreur et du désespoir, son courage commença peu-à-peu à renaître : il respirait, et entrevoyait^ déjà de loin la douce et pure lumière du séjour des héros. C'est dans ce lieu qu'habitaient tous les bons rois..qui avaient jusqu'alors gouverné sagement les hommes : ils étaient séparés du 6 reste des justes. Comme les méchants princes souffraient dans le Tartare des supplices infiniment plus rigoureux que les autres coupables d'une condition privée, aussi les bons rois jouissaient dans les Champs Élysées d'un bonheur infiniment plus grand que celui du reste des hommes qui avaient aimé la vertu sur la 10 terre. Télémaque s'avança vers ces rois, qui étaient dans des bocages odoriférants, sur des gazons toujours renaissants et fleuris : mille petits ruisseaux d'une onde pure arrosaient ces beaux lieux et y faisaient sentir une délicieuse fraîcheur : un nombre infini d'oi- 16 seaux faisaient^ résonner ces bpcages de leurs doux chants. On voyait tout ensemble les fleurs du printemps qui naissaient sous les pas, avec les plus riches fruits de Tautomne qui pendaient des arbres. Là jamais on ne ressentit les ardeurs de la furieuse ca- nicule :' là jamais les noirs aquilons n'osèrent souffler, ni faire 20 sentir les rigueurs de l'hiver. Ni la guerre altérée de sang, ni la cruelle envie qui mord* d'une dent venimeuse et qui porte des vipères entortillées^ dans son sein et autour de ses bras, ^i les ja- lousies, ni les défiances, ni la crainte, ni les vains désirs, n'appro- chent jamais de cet heureux séjour de la paix. Le jour n'y finit 25 point; et la nuit, avec ses sombres voiles, y est inconnue; une lumière pure et douce se répand autour des corps de ces hommes justes, et les environne de ses rayons comme d'un vêtement. Cette lumière n'est point semblable à la lumière sombre qui éclaire les yeux des misérables mortels, et qui n'est que ténèbres ;• 30 c'est plutôt une gloire céleste qu'une lumière : elle pénètre plus subtilement les corps les plus épais, que les rayons du soleil ne^ pénètrent le plus pur crystal : elle n'éblouit jamais ; au con- traire, elle fortifie les yeux et porte dans le fond de l'âme je ne sais quelle sérénité : c'est d'elle seule que les hommes bienheu- 35 reux sont nourris ; elle sort d'eux et elle y entre ; elle les pénètre et s'incorpore à eux comme les aliments s'incorporent à nous. Ils la voient, ils la sentent, ils la respirent; elle fait naître* en 1 entrevoyait, had a glimpse af.—2 M. L. 85, R. 2, 3.-3 canlonle, dog' star. — 4 mord, hites. — 5 entortillées, wreathedy twisted. — 6 ténèbres, dont' ruas.— 7 Jlf. § 138, (5).— 8 fait naître, produces. leama 288 ÏÉLBMAQUE. lav. XK. eux une source intarissable^ de paix et de joie : ils sont plongés dans cet abîme de délices comme les poissons dans la mer ; ils ne veulent plus rien; ils ont tout sans rien avoir, car ce goût de lumière pure apaise la faim de leur cœur; tous les désirs sont 5 rassasiés,^ et leur plénitude* les élève au-dessus de tout ce que les hommes vides et affamés* cherchent sur la terre : toutes les délices qui les environnent ne leur sont rien, parceque le comble de leur félicité, qui vient du dedans, ne leur laisse aucun senti- ment pour tout ce qu'ils voient de délicieux au-dehors; ils sont 10 tels que les dieux, qui rassasiés de nectar et d'ambrosie, ne dai- gneraient pas se nourrir des viandes^ grossières qu'on leur pré- senterait à la table la plus exquise des hommes mortels. Tous les maux s'enfuient loin de ces lieux tranquilles : la mort, la ma- ladie, la pauvreté, la douleur, les regrets, les remords, les craintes, 16 les espérances même qui coûtent souvent autant de peines que les craintes, les divisions, les dégoûts, les dépits,^ ne peuvent y avoir aucune entrée. Les hautes montagnes de Thrace, qui de leurs fronts couverts de neige et de glace depuis l'origine du monde fendent les nues, 20 seraient renversées de leurs fondements posés au centre de la terre, que' les cœurs de ces hommes justes ne pourraient pas même être émus : seulement ils ont pitié des misères qui accablent les hommes vivant dans le monde ; mais c'est une pitié douce et paisible qui n'altère en rien leur immuable félicité. Une jeunesse éternelle, une 2ô félicité sans fin, une gloire toute divine est^ peinte sur leur visage : mais leur joie n'a rien de folâtre ni d'indécent ; c'est une joie douce, noble, pleine de majesté ; c'est un goût sublime de la vérité et de la vertu qui les transporte : ils sont, sans interruption, à chaque mo- ment, dans le même saisissement® de cœur où est une mère qui re- 30 voit son cher fils qu'elle avait cru mort; et cette joie, qui échappe bientôt à la mère, ne s'enfuit jamais du cœur de ces hommes ; jamais elle ne languit un instant; elle est toujours nouvelle pour eux : ils ont le transport de l'ivresse sans en avoir le trouble et l'aveuglement. 35 Ils s'entretiennent^*' ensemble de ce qu'ils voient et de ce qu'ils goûtent : ils foulent à leurs pieds les molles délices et les vaines grandeurs de leur ancienne condition qu'ils déplorent; ils repas- 1 intarissable, inexhaustihle. — 2 rassasiés, satisJUd. — 3 leur plénitude, thù Jtdnesa of their joy. — 4 affamés, hungry. — 5 viandes, food. — 6 dépits, anU mosities. — 7 que, and. — 8 M. L. 84 K. 1. — 9 saisissement, ecstacv. — 10 s'en- tretiennent, converse. UV.xa. TâLÉKAQUB. ^ sent^ avec plaisir ces tristes mais courtes aimées où ils ont eu W- soin de combattre contre euz-mémes et contre le torrent des hommes corrompus, pour devenir bons; ils admirent le secours des dieux qui les ont conduits, comme par la main, à la vertu, au milieu de tant de périla Je ne sab quoi de divin coule sans 6 cesse au travers^ de leurs cœurs comme un torrent de la divinité même qui s*unit à eux; ils voient, ils goûtent qu'ils sont heu- reux, et sentent qu'ils le seront toujours. Ils chantent les louan- ges des dieux, et ils ne font tous ensemble qu'une seule voix, une seule pensée, un seul cœur : une même félicité fait comme un 10 flux et reflux dans ces âmes unies. Dans ce ravissement divin les siècles' coulent plus rapidement que les heures parmi les mortels, et cependant mille et mille siècles écoulés* n'ôtent* rien à leur félicité toujours nouvelle et tou- jours entière. Ils régnent tous ensemble, non sur des trônes que 15 la main des hommes peut renverser, mais en eux-mêmes, avec une puissance immuable ; car ils n'ont plus besoin d'être redou- tables par une puissance empruntée* d'un peuple vil et misérable. Us ne portent plus ces vains diadèmes dont l'éclat cache tant de craintes et de noirs soucis; les dieux mêmes les ont couronnés 9^ de leurs propres mains avec des couronnes que rien ne peut flétrir.^ Télémaque, qui cherchait son père, et qui avait craint de le trouver dans ces beaux lieux, fut si saisi" de ce goût de paix et de félicité, qu'il eût voulu y trouver Ulysse, et qu'il s'affligeait' 95 d'être contraint lui-même de retourner ensuite dans la société des mortels. C'est ici, disait-il, que la véritable vie se trouve, et la nôtre n'est qu'une mort. Mais ce qui l'étonnait, c'était d'avoir vu tant de rois punis dans le Tartare, et d'en voir si peu dans les Champs Élysées; il comprit qu'il y a peu de rois assez fermes et 80 assez courageux pour résister à leur propre puissance, et pour re- jeter la flatterie de tant de gens^' qui excitent toutes leurs pas- sions. Ainsi les bons rois sont très rares ; et la plupart sont si méchants, que les dieux ne seraient pas justes si, après avoir souf- fert qu'ils aient abusé de leur puissance pendant la vie, ils ne les 85 punissaient après leur mort TélésiaqDe, ne voyant point son père Ulysse parmi tous ces 1 repiut&i, r«0iet0.— 2 a^ traveri, through.—Z sièelei, a^j».--4 éowUéi, dapêed."-^ n^ôtent, dimiai^-'6 empruntée, borrowed,^! flatir, ta^ SSL— 8 stiti, jhonorer, préférer une vie douce et oisive® aux fonctions pénibles du gouvernement: il se doit à tous les hommes qu'il gouverne, et il ne lui est jamais 20 permis d'être à lui-même ; ses moindres fautes sont d'une consé- quence infinie, parcequ'elles causent le malheur des peuples, et quelquefois pendant plusieurs siècles: il doit réprimer l'audace des méchants, soutenir l'innocence, dissiper la calomnie. Ce n'est piis assez pour lui de ne fture aucun mal ; il faut qu'il fasse tout 26 le bien possible, dont l'état a besoin. Ce n'est pas assez de faire le bien par soi-même, il faut encore empêcher tous les maux que les autres feraient s'ils n'étaient retenus." Crains donc, mon fils, crains une condition si périlleuse ; arme-toi de courage conlK^i^ . même, contre tes passions, et contre les flatteurs. 30 En disant ces paroles, Arcésius paraissait animé d'un feu divin, et montrait à Télémaque un visage plein de compassion pour-les maux qui accompagnent la royauté. Quand elle est prise,*" di- sait-il, pour se contenter soi-même, c'est une monstrueuse tyran- nie : quand elle est prise pour remplir ses devoirs et pour con- 36 duire un peuple innombrable comme un père conduit ses enfants, c'est une servitude accablante qui demande un courage et une l rider. wrinkle.—2 tarir, dry up.—3 s'anéantit, ends. — i se rapprocher, retum.—b sentier, pcUh.—6 âpre, rugged.—l épineux, thomy.--^ oisive, inactive. — 9 retenus, reatrained.—Ki prise, assumed; from prendre^ M. p. 380. 29% TÉLâMAQlTE. LIT. XUC patience héroïques. Aussi est-il certain que ceux qui ont régné avec une sincère vertu possèdent ici tout ce que la puissance des dieux peut donner pour rendre une félicité complète. Pendant qu'Arcésius parlait de la sorte,* ses paroles entraient 5 jusqu'au fond du cœur de Télémaque; elles s'y gravaient comme un habile ouvrier avec son burin'* grave sur l'airain les figures inef- façables* qu'il veut montrer aux yeux de la plus reculée* pos- térité. Ces sages paroles étaient comme une fiamme subtile qui pénétrait dans les entrailles du jeune Télémaque; il se sentait 10 ému et embrasé; je ne sais quoi de divin semblait fondre son cœur au-dedans de lui. Ce qu'il portait dans la partie la plus in- time^ de lui-même le consumait secrètement; il ne pouvait ni le contenir, ni le supporter, ni résister à une si violente impression : c'était un sentiment vif et délicieux, qui était mêlé d'un tourment 16 capable d'arracher® la vie. Ensuite Télémaque commença à respirer^ plus librement. Il reconnut dans le visage d'Arcésius une grande ressemblance avec Laërte : il croyait même se ressouvenir® confusément d'avoir vu en Ulysse, son père, des traits de cette même ressemblance lors- 20 qu'Ulysse partit pour le siège de Troie. Ce ressouvenir attendrit son cœur; des larmes douces et mê- lées de joie coulèrent de ses yeux : il voulut embrasser une per- sonne si chère; plusieurs fois il l'essaya" inutilement: cette ombre vaine échappa à ses embrassements comme un songe 26 trompeur se dérobe à l'homme qui croit en jouir; tantôt la bouche altérée*" de cet homme dormant poursuit une eau fugi- tive ; tantôt ses lèvres s'agitent pour former des paroles que sa langue engourdie ne peut proférer; ses mains s'étendent avec effort et ne prennent rien ; ainsi Télémaque ne peut contenter sa 30 tendresse; il voit Arcésius, il l'entend, il lui parle, fl ne peut le toucher. Enfin il lui demande qui sont ces hommes qu'il voit autour de** lui. Tu vois, mon fils, lui répondit le sage vieillard, les hommes qui ont été l'ornement de leur siècle, la gloire et le bonheur du genre 36 humain.*" Tu vois le petit nombre de rois qui ont été dignes de l'être, et qui ont fait avec fidélité la fonction des dieux sur la terre. Ces autres que tu vois assez près d'eux, mais séparés par 1 do la sorte, in thia manner. — 2 burin, graver. — 3 ineffaçables, indelible. Uy.m. TÉLÉMAQUE. 298 ce petit nuage, ont une gloire beaucoup moindre : ce sont des héros, à la vérité; mais la récompense de leur valeur et de leurs expéditions militaires ne peut être comparée avec celle des rois sages, justes et bienfaisants. Parmi ces héros, tu vois Thésée, qui a le visage un peu triste :* 5 il a ressenti le malheur d'être trop crédule pour une femme arti- ficieuse, et il est encore affligé d'avoir si injustement demandé à Neptune la mort cruelle de son fils Hippolyte : heureux s'il n'eût point été si facile" et si prompt à irriter ! Tu vois aussi Achille appuyé' sur sa lance à cause de cette blessure qu'il reçut au talon,* 10 de la main du lâche Paris, et qui finit sa vie. S'il eût été aussi sage, juste et modéré, qu'il était intrépide, les dieux lui auraient accordé un long règne ; mais ils ont eu pitié des Phthiotes et des Dolopes, sur lesquels il devait naturellement régner après Pelée : ils n'ont pas voulu livrer tant de peuples à la merci d'un homme 15 fongueux,* plus facile à irriter que la mer la plus orageuse. Les Parques ont accourci" le fil de ses jours, et il a été comme une fleur à peine éclose que le tranchant' de la charrue coupe, et qui tombe avant la fin du jour où on l'avait vue naître. Les dieux n'ont voulu s'en servir® que comme des torrents et des tempêtes 20 pour punir les hommes de leurs crimes, ils ont fait servir Achille à abattre les murs de Troie pour venger le parjure de Laomédon et les injustes amours de Paris. Après avoir employé ainsi cet instrument de leurs vengeances, ils se sont apaisés, et ils ont re- fusé aux larmes de Thétis de laisser plus long-temps sur la terre 3l5 ce jeune héros qui n'y était propre qu'à troubler les hommes, qu'à renverser les villes et les royaumes. Mais vois-tu cet autre avec ce visage farouche ? c'est Ajax, fils de Télamon et cousin d'Achille: tu n'ignores pas sans doute quelle fut sa gloire dans les combats. Après la mort d'Achille il $0 prétendit qu'on ne pouvait donner ses armes à nul autre qu'à lui; ton père ne crut pas les lui devoir céder : les Grecs jugèrent en faveur d'Ulysse. Ajax se tua de désespoir ; l'indignation et la fureur sont encore peintes sur son visage. N'approche pas de lui, mon fils, car il croirait que tu voudrais lui insulter dans son 35 malheur; et il est juste de le plaindre: ne remarques-tu pas qu'il nous regarde^ avec peine, et qu'il entre brusquement dans ce sombre bocage parceque nous lui sommes odieux? Tu vois de 1 triste, sad. — 2 facile, easy. — 3 appuyé, leaning.—i talon, heel. — 6 fou- gueux, irascible. — 6 accourci, eut short. — 7 tranchant, share^ ec^e.— 8 •'on servir, tmploy him ; M. L. 39, R. 2. — ^9 nous regarde, lookt ai w. 294 TÉLÉMAQUE. UV. cet autre côté itector, qui eût été invincible si le fils de Thétis n'eût point été au monde dans le même temps. Mais voiU Ag-a- memnon qui passe, et qui porte encore sur lui les marques de la perfidie de Clytemnestre. O mon fils, je frémis en pensant aux 6 malheurs de cette famille de l'impie Tantale. La division des deux frères Atrée et Thyeste a rempli cette maison d'horreur et de sang. Hélas ! combien un crime en attire* d'autres ! Agamena- non, revenant à la tête des Grecs du siège de Troie, n'a pas eu le temps de jouir en paix de la gloire qu'il avait acquise : telle est la 10 destinée de presque tous les conquérants. Tous ces hommes que tu vois ont été redoutables^ dans la guerre; mais ils n'ont point été aimables et vertueux : aussi ne sont-ils que dans la seconde demeure' des Champs Élysées. Pour ceux-ci, ils ont régné* avec justice, et ont aimé' leurs peu- 15 pies: ils sont les amis des dieux, pendant qu'Achille et Agamem- non, pleins de leurs querelles et de leurs combats, conservent encore ici leurs peines et leurs défauts naturels. Pendant qu'ils regrettent en vain la vie qu'ils ont perdue," et qu'ils s'affligent de n'être plus que des ombres impuissantes et vaines, ces rois justes, 20 étant purifiés par la lumière divine dont ils sont nourris, n'ont plus rien à désirer pour leur bonheur: ils regardent avec com- passion les inquiétudes des mortels, et les plus grandes afi^aires qui agitent les hommes ambitieux leur paraissent comme des jeux d'enfants : leurs cœurs sont rassasiés'' de la vérité et de la vertu, 26 qu'ils puisent* dans la source. Ils n'ont plus rien à souffrir ni d'autrui ni d'eux-mêmes; plus de désirs, plus de besoins, plus de crainte : tout est fini pour eux, excepté leur joie qui ne peut finir. Considère, mon fils, cet ancien roi Inachus qui fonda le royaume d'Argos. Tu le vois avec cette vieillesse si douce et si 30 majestueuse: les fleurs naissent** sous ses pas; sa démarche*" lé- gère ressemble au vol d'un oiseau ; il tient dans sa main une lyre d'ivoire, et dans un transport éternel il chante les merveilles des dieux. Il sort de" son cœur et de sa bouche un parfum exquis ; l'harmonie de sa lyre et de sa voix ravirait les hommes et les dieux. 35 II est ainsi récompensé pour avoir aimé le peuple qu'il assembla dans l'enceinte" de ses nouveaux murs, et auquel il donna des lois. De l'autre côté, tu peux voir entre ces myrtes Cécrops, Égyp- tien, qui le premier régna dans Athènes, ville consacrée à la sage 1 attire, is the caust of. — 2 redoutables, formidable. — 3 demeure, abode^ place.— 4 M.L. 99, R. 2.-5 M. L. 99, R. 1.^ M. L. 98, R. 4.-7 rassasiés, fiU«d. — 8 puisent, draw. — 9 naissent, spring up. — 10 démarche, atep. — H il ■ort de, thire brecUhesfrom. — 12 l'enceinte, the precincts. Liv. XIX. TâLÊMAQUE. 2d5 déesse dont elle porte le nom. Cécrops, apportant des lois utiles de rÉgypte, qui a été pour la Grèce la source des lettres et des bonnes mœurs, adoucit les naturels farouches des bourgs de TAttique, et les unit par les liens de la société. Il fut juste, hu- main, compatissant : il laissa les peuples dans l'abondance, et sa 6 famille dans la médiocrité, ne voulant point que ses enfants eus- sent l'autorité après lui, parcequ'il jugeait que d'autres en étaient plus dignes. Il faut que je te montre aussi dans cette petite vallée Éricthon, qui inventa l'usage de l'argent pour la* monnaie : il le fit en vue 10 de^ faciliter le commerce entre les îles de la Grèce ; mais il prévit* l'inconvénient attaché à cette invention. Appliquez-vous, disait- il à tous ces peuples, à multiplier chez vous les richesses natu- relles, qui sont les véritables: cultivez la terre pour avoir une grande abondance de blé, de vin, d'huile, et de fruits ; ayez des 15 troupeaux innombrables qui vous nourrissent de leur lait et qui vous couvrent de leur laine : par-là vous vous mettrez en état de ne craindre jamais la pauvreté. Plus vous aurez d'enfants, plus vous serez riches, pourvu que vous les rendiez laborieux; car la terre est inépuisable, et elle augmente sa fécondité à proportion 20 du nombre de ses habitants qui ont soin de la cultiver; elle les paie tous libéralement de leur peine, au lieu* qu'elle se rend* avare et ingrate pour ceux qui la cultivent négligemment. At- tachez-vous donc principalement aux véritables richesses qui satisfont aux vrais besoins de l'homme. Pour l'argent monnayé, il 26 ne faut en fiiire aucun cas* qu'autant qu'il est nécessaire, ou pour les guerres inévitables qu'on a à soutenir au-dehors,^ ou pour le commerce des marchandises nécessaires qui manquent dans votre pays ; encore serait-il à souhaiter qu'on laissât tomber le com- merce à l'égard de toutes les choses qui ne servent qu'à entre- 30 tenir le luxe, la vanité, et la mollesse. Le sage Éricthon disait souvent: Je crains bien, mes enfants, de vous avoir fait un présent funeste en vous donnant l'invention de la monnaie. Je prévois qu'elle excitera l'avarice, l'ambition, le faste; qu'elle entretiendra' une infinité d'arts pernicieux qui 36 ne tendent qu'à amollir et qu'à corrompre les mœurs, qu'elle vous dégoûtera de l'heureuse simplicité qui fait tout le repos et toute la sûreté de la vie ; qu'enfin elle vous fera mépriser l'agriculture, 1 pour la, 08—2 en vue do, in order to.—2 prévit, foresaw ; frma prévoir, M. p 380.--4 au lieu que, whtreas.^^ se rend, hecomus.^ en faire aucun 7^\JrsttavalueuponÛmly.-l au-dehora, a6road.-8 entretiendra, iwfl mamiain. 196 TÉLÉMAQUE. LIT. ^m est le fondement de la vie humaine, et la source de tous les vrais biens : mais les dieux me sont témoins que j'ai eu le cœur pur en vous donnant cette invention utile en elle-même. Enfin quand Éricthon aperçut que l'argent corrompait les peuples 6 comme il l'avait prévu, il se retira de* douleur sur une montagne sauvage, où il vécut^ pauvre et éloigné des hommes jusqu'à une . extrême vieillesse, sans vouloir se mêler du gouvernement des villes. Peu de temps après lui, on vit paraître dans la Grèce le fa- 10 meux Triptolème, à qui Cérès avait enseigné l'art de cultiver les terres, et de les couvrir tous les ans d'une moisson dorée. Ce n'est pas que les hommes ne connussent déjà le blé et la manière de le multiplier en le semant : mais ils ignoraient la perfection du labourage ; et Triptolème, envoyé par Cérès, vint, la charrue en 16 main, ofinr les dons de la déesse à tous les peuples qui auraient assez de courage pour vaincre leur paresse naturelle et pour s'adonner à un travail assidu. Bientôt Triptolème apprit aux Grecs à fendre* la terre et à la fertiliser en déchirant* son sein : bientôt les moissonneurs ardents et infatigables firent tomber sous 20 leurs faucilles*^ tranchantes tous les jaunes épis qui couvraient les campagnes. Les peuples même sauvages et farouches, qui cou- raient épars' çà et là dans les forêts d'Épire et d'Étolie pour se nourrir de glands,'^ adoucirent leurs mœurs et se soumirent à des lois quand ils eurent appris à faire croître des moissons et à se 25 nourrir de pain. Triptolème fit sentir aux Grecs le plaisir qu'il y a à ne de- voir ses richesses qu'à son travail, et à trouver dans son champ tout ce qu'il faut® pour rendre la vie commode et heureuse. Cette abondance si simple et si innocente qui est attachée à l'agri- 30 culture les fit souvenir des sages conseils d'Ericthon ; ils mépri- sèrent l'argent et toutes les richesses artificielles, qui ne sont richesses que par l'imagination des hommes, qui les tentent de chercher des plaisirs dangereux, et qui les détournent du travail, où ils trouveraient tous les biens réels avec des mœurs pures dans 35 une pleine liberté. On comprit donc qu'un champ fertile et bien cultivé est le vrai trésor d'une famille assez sage pour vouloir vivre frugalement comme ses pères ont vécu.* Heureux les Grecs, s'ils étaient demeurés" fermes dans ces maximes si propres 1 de, &verwhel'nliedwWi.--2 vécut, livedi from vivre^ M. p. 390.-— 3 fendre, to open. — i déchirant, breaking up.—h faucilles, sickles.—S épars, scaitered. 7 fflands. cu^ottis. — 8 tout ce qu'il faut, cUl that is necessary. — 9 vécu, lieedi JtfTX,. 99, R, 2.— 10 M. L.9ë,R.^. ^ * ' ttv. ÎIX. TÉLÊMAQUE. 297 à les rendre puissants, libres, heureux, et dignes de l'être par une solide vertu! Mais, hélas! ils commencent à admirer les fausses richesses, ils négligent peu-ù-peu k\s vraies, et ils dégénèrent de jcette mîerveilleuse simplicité. mon fils, tu régneras un jour ; alors souviens-toi* de ramener' 5 les hommes à Tagriculture, d'honorer cet art, de soulager ceux qui s'y appliquent, et de ne souffrir point que les hommes vivent ni oisifs ni occupés à des arts qui entretiennent le luxe et la mol- lesse. Ces deux hommes, qui ont été si sages sur la terre, sont Ici chéris des dieux. Remarque, mon fils, que leur gloire sur- 10 passe autant celle d'Achille et des autres héros qui n'ont excellé que dans les combats, qu'un doux printemps est au-dessus de l'hiver glacé, et que la lumière du soleil est plus éclatante que celle de la lune. Pendant qu'Arcésius parlait de la sorte," il aperçut que Télé- 16 maque avait toujours les yeux arrêtés du côté d'un petit bois de lauriers, et d'un ruisseau bordé de violettes, de roses, de lis, et de plusieurs autres fleurs odoriférantes, dont les vives couleurs res- semblaient à celles d'Iris, quand elle descend du ciel sur la terre pour annoncer à quelque mortel les ordres des dieux. C'était le 20 grand roi Sésostris que Télémaque reconnut dans ce beau lieu ; il était mille fois plus majestueux qu'il ne* l'avait jamais été sur son trône d'Egypte. Des rayons d'une lumière douce sortaient de ses yeux, et ceux de Télémaque en étaient éblouis. A le voir on eût cru qu'il était enivré* de nectar, tant l'esprit divin l'avait mis dans 25 un transport au-dessus de la raison humaine pour récompenser ses vertus. Télémaque dit à Arcésius: Je reconnais, ô mon père, Sésostris, ce sage roi d'Egypte, que j'y ai vu il n'y a pas long-temps.* Le voilà, répondit Arcésius ; et tu vois par son exemple com- 30 bien les dieux sont magnifiques à récompenser les bons rois: mais il faut que tu saches que toute cette félicité n'est rien en comparaison de celle qui lui était destinée, si une trop grande prospérité ne lui eût fait oublier les règles de la modération, et de la justice. La passion de rabaisser^ l'orgueil et l'insolence des 35 Tyriens l'engagea à prendre leur ville. Cette conquête lui donna le désir d'en faire d'autres ; il se laissa séduire par la vaine gloire des conquérants ; il subjugua, ou, pour mieux dire," il ravagea 1 souviens-toi, remember; M. p. 386.-2 de ramener, to Uad back.—3 de la sorte, in this manner.—A M. § 138, (5).— 5 enivré, inebriated ; M. L. 2, «. 20, note. — 6 il n'y a pas long-temps, not long ago ; M. L. 41, R- 6. — 7 »- Dalsser, humble.--S ou, ponr mieux dire, or rallier. 13 # 298 TÉLÊMAQUE. LIV. xnc. toute l'Asie. A son retour en Egypte, il trouva que son frère s^était emparé de* la royauté, et avait altéré, par un gouverne- ment injuste, les meilleures lois du pays. Ainsi ses grandes con- quêtes ne servirent qu'à troubler son royaume. Mais ce qui le 6 rendit plus inexcusable, c'est qu'il fut enivré de sa propre gloire : il fit atteler'* à son char les plus superbes d'entre les rois qu'il avait vaincus. Dans la suite, il reconnut sa faute, et eut honte d'avoir été si inhumain. Tel fut le fruit de ses victoires. Voilà ce que les conquérants font contre leurs états et contre eux- 10 mêmes, en voulant usurper ceux de leurs voisins. Voilà ce qui fit déchoir' un roi d'ailleurs si juste et si bienfaisant; et c'est ce qui diminue la gloire que les dieux lui avaient préparée. Ne vois-tu pas cet autre, ô mon fils, dont la blessure parait si éclatante 1* C'est un roi de Carie, nommé Dioclides, qui se dé- 16 voua pour son peuple dans une bataille, pareeque l'oracle avait dit que, dans la guerre des Cariens et des Lyciens, la nation dont le roi périrait serait victorieuse. Considère cet autre ; c'est un sage législateur, qui, ayant donné à sa nation des lois propres à les rendre bons et heureux, leur 20 fit jurer qu'ils ne violeraient jamais aucune de ces lois pendant son absence; après quoi il partit, s'exila lui-même de sa patrie, et mourut pauvre dans une terre étrangère, pour obliger son peuple, par son serment, à garder à jamais des lois si utiles. Cet autre que tu vois est Eunésyme, roi des Py liens, et un des 25 ancêtres du sage Nestor. Dans une peste* qui ravagea la terre, et qui couvrait de nouvelles ombres les bords de l'Achéron, il demanda aux dieux d'apaiser leur colère en payant par sa mort pour tant de milliers d'hommes innocents. Les dieux l'exau- cèrent,* et lui firent trouver ici la vraie royauté, dont toutes celles 80 de la terre ne sont que de vaines ombres. Ce vieillard que tu vois couronné de fleurs est le fameux Bé- lus: il régna en Egypte; et il épousa Anchinoé, fille du dieu Nilus, qui cache la source de ses eaux, et qui enrichit les terres qu'il arrose^ par ses inondations. Il eut deux fils ; Danaiis, dont 35 tu sais l'histoire; et Egyptus, qui donna son nom à ce beau royaume. Bélus se croyait plus riche par l'abondance où il met- tait son peuple, et par l'amour de ses sujets pour lui, que par tous les tributs qu'il aurait pu leur imposer. Ces hommes, que tu 1 s'était emparé de, had usurped ; M. L. 93, R. 3. — 2 il fit atteler, he hamessed. — 3 fit déchoir, degraded the character.—A éclatante, glarious B peste, pestilence. — 6 l'exaucèrent, granted his request. — 7 arrose, toaUrs. UT. ZZZ. TÉLâMAQUB. 299 crois morts, vivent, mon fils ; et c'est la vie qu'on traîne^ miséra- blement sur la terre, qui n'est qu'une mort : les noms seulement sont changés. Plaise aux dieux'* de te rendre assez bon pour mé- riter cette vie heureuse que rien ne peut plus finir ni troubler ! Hâte-toi, il en est temps, d'aller chercher ton père. Avant que 5 de le trouver, hélas ! que tu verras répandre de sang ! mais quelle gloire t'attend* dans les campagnes de l'Hespérie ! Souviens-toi des conseils du sage Mentor : pourvu que tu les suives, ton nom sera grand parmi tous les peuples et dans tous les siècles. Il dit; et aussitôt il conduisit Télémaque vers la porte d'ivoire, 10 par où l'on peut sortir du ténébreux empire de Pluton. Télé- maque, les larmes aux yeux, le quitta sans pouvoir l'embrasser ; et, sortant de ces sombres lieux, il retourna en diligence vers le camp des alliés, après avoir rejoint^ sur le chemin les deux jeunes Cretois qui l'avaient accompagné jusqu'auprès de la caverne, et 16 qui n'espéraient plus de le revoir. 1 traîne, drags. — 2 plaise aux dieux, maythegods. — 3 t'attend, airaito^Ace. 4 rejoint, retumed to ; from rejoindre^ M. p. 382. FIN DU LIVRE DIX-NBUVIÈMB. LIVRE VINGTIEME. BouMAiRE.— Dans une assemblée des chef^, Télémaque fait préraloir son myis^ pour ne pas surprendre Yénnse, laissée par les deux partis en d6« pôt* aux Lacaniens. Il fait voir sa sagesse à Toocasion de deux trans- fuges, dont l'un, nommé Aoante, avait entrepris de l'empoisonner: l'antre, nommé Dioscore, offrait aux alliés la tête d'Adraste. Dans le combat qui s'engage^ ensuite, Télémaquo porte la mort par-tout où il va pour trouver Adraste ; et ce roi, qui le ohercho aussi, rencontre et tue Pisistrate, fils de Nestor. Philoctète survient ; et, dans le temps où il ra percer Adraste, il est blessé lui-même, et obligé de se retirer du combat. Télémaque court aux cris de ses alliés, dont Adraste fait un carnage horrible. Il combat cet ennemi, et lui donne la vie à des con- ditions qu'il lui impose. Adraste, relevé,^ veut surprendre Télémaque ; celui-ci le saisit une seconde fois, et lui Ote la vie. Cependant les chefs de l'armée s'assemblèrent pour délibérer s'il fallait s'emparer* de Vénuse. C'était une ville forte qu' Adraste avait autrefois usurpée sur ses voisins, les Apuliens Peucètes. Ceux-ci étaient entrés contre lui dans la ligue pour demander 6 justice sur cette invasion. Adraste, pour les apaiser, avait mis cette ville en dépôt entre les mains des Lucaniens ; mais il avait corrompu par argent, et* la garnison Lucanienne, et celui qui la commandait : de manière que les Lucaniens avaient moins d'au- torité effective que lui dans Vénuse ; et que les Apuliens, qui 10 avaient consenti que la garnison Lucanienne gardât Vénuse, avaient été trompés dans cette négociation. Un citoyen de Vénuse, nommé Démophante, avait offert se- crètement aux alliés de leur livrer la nuit une des portes de la 1 fait prévaloir son avis, persuades the allies tojbîlow kis advîce. — 2 dépôt* trust. — 3 s'engage, takes place. — 4 relevé, rising front ffie ground. — 5 s'il fallait s'emparer, \f U was expédient to take possession ; M. L. 93, R. 3. 6 corrompu par argent, et, bribedf both. UV. XX. TÉLÉMAQUE. 801 ville. Cet avantage était d'autant plus grand, qu'Adraste avait mis toutes ses provisions de guerre et de bouche^ dans un château voisin de Vénuse, qui ne pouvait se défendre' si Vénuse était prise.' Philoctète et Nestor avaient déjà opiné* qu'il fallut pro- fiter d'une si heureuse occasion. Tous les chefs, entraînés^ par 6 leur autorité, et éblouis par l'utilité d'une si facile entreprise, ap- plaudissaient à ce sentiment : mais Télémaque, à son tour, fit les derniers efforts pour les en détourner." Je n'ignore pas, leur dit-il, que si jamais un homme a mérité d'être surpris et trompé, c'est Adraste, lui' qui a si souvent 10 trompé tout le monde. Je vois bien qu'en surprenant Vénuse vous ne feriez que vous mettre en possession d'une ville qui vous appartient, puisqu'elle est aux Apuliens, qui sont un des peuples de votre ligue. J'avoue que vous le pourriez faire avec d'autant plus d'apparence de raison qu' Adraste, qui a mis cette ville en 15 dépôt, a corrompu le commandant et la garnison, pour y entrer quand il le jugera à propos. Enfin je comprends, comme vous, que, si vous preniez Vénuse, vous seriez dès le lendemain maîtres du château où sont tous les préparatifs de guerre qu' Adraste y a assemblés, et qu'ainsi vous finiriez en deux jours cette guerre si 20 formidable. Mais ne vaut-il pas mieux périr que vaincre par de tels moyens ? Faut-il repousser* la fraude par la fraude ? Sera- t-il dit que tant de rois liguéB pour punir l'impie Adraste de ses tromperies seront trompeurs comme lui ? S'il nous est permis de faire comme Adraste, il n'est pas coupable, et nous avons tort 25 de vouloir le punir. Quoi ! l'Hespérie entière, soutenue de' tant de colonies grecques et des héros revenus du siège de Troie, n'a^t-elle point d'autres armes contre la perfidie et les parjures*® d' Adraste, que la perfidie et le parjure ? Vous avez juré, par les choses les plus sacrées, que vous 30 laisseriez Vénuse en dépôt dans les mains des Lucaniens. La garnison lucanienne, dites-vous, est corrompue, par l'argent d' Adraste ; je le crois comme vous : mais cette garnison est tou- jours à la solde" des Lucaniens : elle n'a point refusé de leur obéir; elle a gardé," au moins en apparence, la neutralité. 36 Adraste ni les siens ne sont jamais entrés dans Vénuse; le traité subsiste; votre serment n'est pas oublié des dieux. Ne 1 ses provisions de guerre et de boncbe, his military stores and provisions 2 se défendre, hold eut. — 3 M. L. 46, É. 2. — i opiné, given their opinion» 5 entraînés, irifiueTiced. — 6 détourner, dissuade. — 7 lui, fu ; M. % 33 (9). 8 repousser, counteract — 9 de, by. — 10 pai^jures, fraud. — Il A la solde, m the pay. — 12 gardé, ohserved. 802 TÉLÉMAQUK, jjr, gardera-t-on les paroles données, que quand on manquera^ de prétextes plausibles pour les violer ? Ne sera-t-on fidèle et reli- gieux pour les serments, que quand on n'aura rien à gagner en violant la foi ? Si l'amour de la vertu et la crainte des dieux ne 5 vous touchent plus, au moins soyez touchés de votre réputation et de votre intérêt Si vous montrez aux hommes cet exemple pernicieux de manquer de parole^ et de violer votre serment pour terminer une guerre, quelles guerres n'exciterez- vous point par cette conduite impie ! quel voisin ne sera pas contraint de crain- 10 dre tout de vous, et de vous détester î qui pourra désormais," dans les nécessités les plus pressantes, se fier à vousl Quelle sûreté pourrez-vous donner quand vous voudrez être sincères, et qu'il vous importera* de persuader à vos voisins votre sincérité ? Sera-ce un traité solennel ? vous en aurez foulé un aux pieds. 16 Sera^^îe un serment? eh! ne saura-t-on pas que vous comptez les dieux pour rien quand voua espérez tirer du parjure quelque avantage ? La paix n'aura donc pas plus de sûreté que la guerre à votre égard.* Tout ce qui viendra de vous sera reçu comme une guerre, ou feinte ou déclarée : vous serez les ennemis per- 20 pétuels de tous ceux qui auront le malheur d'être vos voisins : toutes les affaires qui demandent de la réputation, de la probité et de la confiance, vous deviendront impossibles : vous n'aurez plus 'de ressource pour faire croire ce que vous promettrez. Voici,® ajouta Télémaque, un motif encore plus pressant qui 25 doit vous frapper,^ s'il vous reste^ quelque sentiment de probité et quelque prévoyance sur vos intérêts : c'est qu'une conduite si trompeuse attaque par le dedans" toute votre ligue, et va la ruiner; votre parjure va faire triompher Adraste. A ces paroles toute l'assemblée émue lui demanda comment il 30 osait dire qu'une action qui donnerait une victoire certaine à la ligue pouvait la ruiner. Comment, leur répondit-il, pourrez-vous vous confier les uns aux autres, si une fois vous rompez l'unique lien*" de la société et de la confiance, qui est la bonne foi ? Après que vous aurez 35 posé" pour maxime qu'on peut violer les règles de la probité et de la fidélité pour un grand intérêt, qui d'entre vous pourra se fier à un autre, quand cet autre pourra trouver un grand avantage à 1 manquera, wiU lack. — 2 manquer de parole, hreaking your promise. 3 désormais, henceforth. — 4 il vous importera, it will be important foryou. 5 à votre égard, with respect to you.—6 voici, hère is ; M. L. 34, 2c. 4. 7 frapper, strike. — 8 s'il vous reste, ifthere remains vnUi you; M. L. 85, R. 4. 9 par le dedans, intemally. — 10 lien, hond. — 11 posé, lavd cUnon. LIV. XX. TÉLÉMAQUE. 308 lui manquer de parole et à Je tromper 1 Où en serez-vous? Quel est celui d'entre vous qui ne voudra point prévenir les arti- fices de son voisin par les siens 1 Que devient une ligue de tant de peuples, lorsqu'ils sont convenus^ entre eux, par une délibéra- tion commune, qu'il est permis de surprendre son voisin, et de 6 violer la foi donnée ? Quelle sera votre défiance mutuelle, votre division, votre ardeur à vous détruire les uns les autres ! Adraste n'aura plus besoin de vous attaquer; vous vous déchirerez assez vous-mêmes ; vous justifierez ses perfidies. rois sages et magnanimes, ô vous qui commandez avec tant 10 d'expérience sur des peuples innombrables, ne dédaignez pas d'écouter les conseils d'un jeune homme. Si vous tombiez dans les plus affreuses extrémités où la guerre précipite quelquefois les hommes, il faudrait vous relever par votre vigilance et par les efibrts de votre vertu; car le vrai courage ne se laisse jamais 16 abattre. Mais si vous aviez une fois rompu la barrière de l'hon- neur et de la bonne foi, cette perte est irréparable ; vous ne pour- riez plus ni rétablir la confiance nécessaire au succès de toutes les affaires importantes, ni ramener^ les hommes aux principes de la vertu, après que vous leur auriez appris' à les mépriser. Que 20 craignez-vous? N'avez-vous pas assez de courage pour vaincre sans tromper? Votre vertu, jointe aux forces de tant de peuples, ne vous suffit-elle pas ? Combattons, mourons sMl le faut,^ plu- tôt que de vaincre si indignement. Adraste, l'impie Adraste, est dans nos mains, pourvu que nous ayons horreur d'imiter sa là- 26 cheté et sa mauvaise foi.^ Lorsque Télémaque acheva son discours", il sentit que la douce persuasion avait coulé de ses lèvres, et avait passé jusqu'au fond des cœurs. Il remarqua un profond silence dans l'assemblée ; chacun pensait, non à Lui ni aux grâces de ses paroles, mais à la 30 force de la vérité qui se faisait sentir dans la suite" de son rai- sonnement : l'étonnement était peint sur les visages. Enfin on entendit un murmure sourd qui se répandait peu-à-peu dans l'assemblée : les uns regardaient les autres, et n'osaient parler les premiers ; on attendait que les chefs de l'armée se déclarassent f 36 et chacun avait de la peine à retenir ses sentiments. Enfin le grave Nestor prononça ces paroles : Digne fils d'Ulysse, les dieux vous ont fait parler f et Minerve, 1 convenus, agreed. — 2 ramener, bring bock. — 3 appris, tatLght.—4 s'il le faut, if we must; M. L. 48. — 5 mauvaise foi, pcrfidy. — 6 suite, course. 7 se déclarassent, shmUd déclare their opinion. — 8 vous ont fait parler, hâve dktaied your words. 304 TÊLÈMAQUE. LIV. XX. qni a tant de fois inspiré votre père, a mis dans votre cœur le conseil sage et généreux que vous avez donné. Je ne regarde point votre jeunesse ; je ne considère que Minerve dans tout ce que vous venez de dire. Vous avez parlé pour la vertu ; sans 6 elle les plus grands avantages sont de vraies pertes ; sans elle on s'attire bientôt la vengeance de ses ennemis, la défiance de ses alliés, rhorreur de tous les gens de bien, et la juste colère des dieux. Laissons donc Vénuse entre les mains des Lucaniens, et ne songeons plus qu'à vaincre Adraste par notre courage. 10 II dit : et toute l'assemblée applaudit à ses sages paroles ; mais, en applaudissant, chacun, étonné, tournait les yeux vers le fils d'Ulysse, et on croyait voir reluire en lui la sagesse de Minerve qui l'inspirait. Il s'éleva* bientôt une autre question dans le conseil des rois, 15 où il n'acquit^ pas moins de gloire. Adraste, toujours cruel et perfide, envoya dans le camp un transfuge nommé Acante, qui devait' empoisonner les plus illustres chefs de l'armée : surtout il avait ordre de ne rien épargner pour faire mourir le jeune Télé- maque, qui était déjà la terreur des Dauniens. Télémaque, qui âO avait trop de courage et de candeur pour être enclin à la défiance, reçut sans peine* avec amitié ce malheureux, qui avait vu Ul)'sse en Sicile, et qui lui racontait les aventures de ce héros. Il le nourrissait, et tâchait de le consoler dans son malheur; car Acante se plaignait d'avoir été trompé et traité indignement par 25 Adraste. Mais c'était nourrir et réchauffer* dans son sein une vipère venimeuse toute prête à faire une blessure mortelle. On surprit un autre transfuge, nommé Arion, qu' Acante en- voyait vers Adraste pour lui apprendre l'état du camp des alliés, et pour lui assurer qu'il' empoisonnerait le lendemain les princi- 30 paux rois avec Télémaque dans un festin que celui-ci leur devait donner. Arion, pris," avoua"' sa trahison. On soupçonna qu'il était d'intelligence* avec Acante, parcequ'ils étaient bons amis : mais Acante, profondément dissimulé et intrépide, se défendait avec tant d'art qu'on ne pouvait le convaincre ni découvrir le fond 35 de la conjuration. Plusieurs des rois furent d'avis* qu'il fallait, dans le doute, sacrifier Acante à la sûreté publique. Il faut, disaient-ils, le faire mourir; la vie d'un seul homme n'est rien quand il s'agit" d'as- 1 il 8* éleva, there arose. — 2 M. p. 356. — 3 devait, had undertaken ta; M. L. 35, R. 5. — 4 sans peine, readily. — 5 réchauffer, warming. — 6 pris, being apprehended. — 7 avoaa, confessai. — 8 qu'il était d'intelligence, that ht had an understanding. — 9 d'avis, qf opinion. — 10 il s'agît, tfie question ia. surer celle de tant de rois. Qu'importe qu'un innocent pétisëe, quand il s'agit de conserver ceux qui représentent les dieux au milieu des hommes ? Quelle maxime inhumaine ! quelle politique barbare ! répondit Téiémaque. Quoi ! vous êtes si prodigues du sang humain, ô 6 vous qui êtes établis les pasteurs des hommes, et qui ne com- mandez sur eux que pour les conserver, coUime un pasteur con- serve son troupeau ! vous êtes donc des loups cruels, et non pas des pasteurs ; du moins vous n'êtes pasteurs que pour tondre et pour égorger le troupeau, au lieu do le conduire dans les pâtu- 10 rages. Selon vous, on est coupable dès qu'on est accusé ; un soupçon mérite la mort; les innocents sont à la merci -des envieux et des calomniateurs ; et à mesure que la défiance tyran- nique croîtra* dans vos cœurs, il faudra aussi vous égorger' plus de victimes. 16 Téiémaque disait ces paroles avec une autorité et une véhé- mence qui entraînaient les cœurs, et qui couvraient de honte les auteurs d'un si lâche conseil. Ensuite, se radoucissant,' il leur dit: Pour moi, je n'aime pas assez la vie pour vouloir vivre à ce prix; j'aime mieux qu'Acante soit méchant que si je l'étais, et âO qu'il m'arrache la vie par une trahison, que si, dans le doute, je le faisais moi-même périr injustement. Mais écoutez, ô vous qui, étant établis rois, c'est-à-dire juges des peuples, devez savoir juger les hommes, avec justice, prudence, et modération; laissez- moi interroger Acante en votre présence. 35 Aussitôt il interroge cet homme sur son commerce* avec Arion ; il le presse sur une infinité de circonstances ; il fait semblant* plusieurs fois de le renvoyer à Adraste comme un transfuge digne d'être puni, pour observer s'il aurait peur d'être ainsi ren- voyé, ou non : mais le visage et la voix d' Acante demeurèrent 30 tranquilles. Enfin, ne pouvant tirer la vérité du fond de son cœur, il lui dit : Donnez-moi votre anneau, je veux l'envoyer à Adraste. A cette demande de son anneau,® Acante pâlit, il fut embarrassé. Téiémaque, dont les yeux étaient toujours attachés sur lui, s'en aperçut ; il prit cet anneau. Je m'en vais, lui dit-fl, 35 l'envoyer à Adraste par les mains d'un Lucnnien, nomme Poly- trope, que vous connaissez, et qui paraîtra y aller secrètement de votre part. Si nous pouvons découvrir par cette voie' votre 1 croîtra, increases; M. L.Gly R. 5. — 2 il fiiudra vous égorger, you wiU require the sacrifice. — 3 se radoucissant, softening his voiee.—A coiïitaAerM, connection. — 5 fait semblant, feigned; M. L. 64, R. 4. — 6 anneau, ring. 7 voie, meana. 806 TÉLÉMAQ0E. LIV. XX. intelligence avec Adraste, on vous fera périr impitoyablement par les tourments les plus cruels ; si au contraire vous avouez dès-à- présent votre faute, on vous la pardonnera, et on se contentera de vous envoyer dans une île de la mer où vous ne manquerez de 6 rien. Alors Acante avoua tout ; et Télémaque obtint des rois qu^on lui donnerait la vie, parcequ'il la lui avait promise. On renvoya dans une des îles Ëchinades, où il vécut en paix. Peu de temps après, un Daunien d'une naissance obscure, mais d'un esprit violent et hardi,* nommé Dioscore, vint la nuit 10 dans le camp des alliés, leur offrir d'égorger'* dans sa tente le roi Adraste. U le pouvait : car on est maître de la vie des autres quand on ne compte plus pour rien la tienne. Cet homme ne respirait que la vengeance, parcequ' Adraste lui avait enlevé sa femme qu'il aimait éperdument,'' et qui était égale en beauté à 15 Vénus même. Il était résolu ou de faire périr Adraste et de reprendre sa femme, ou de périr lui-même. Il avait des intel- ligences* secrètes pour entrer la nuit dans la tente du roi, et pour être favorisé dans son entreprise par plusieurs capitaines dau- niens : mais il croyait avoir besoin que les rois alliés attaquassent 20 en même temps le camp d' Adraste, afin que dans ce trouble il pût plus facilement se sauver* et enlever sa femme. Il était con- tent de périr s'il ne pouvait l'enlever après avoir tué le roi. Aussitôt que Dioscore eut expliqué aux rois son dessein, tout le monde se tourna vers Télémaque, comme pour lui demander 25 une décision. Les dieux, répondit-il, qui nous ont préservés des traîtres, noua défendent de nous en servir." Quand même nous n'aurions pas assez de vertu pour détester la trahison, notre seul intérêt suffi- rait pour la rejeter: dès que nous l'aurons autorisée par notre 30 exemple, nous mériterons qu'elle se tourne contre nous ; dès ce moment, qui d'entre nous sera en sûreté % Adraste pourra bien éviter le coup qui le. menace, et le faire retomber sur les rois alliés. La guerre ne sera plus une guerre ; la sagesse et la vertu ne seront plus d'aucun usage : on ne verra plus que perfidie, tra- 35 hison et assassinats. Nous en ressentirions nous-mêmes les funestes suites,' et nous les mériterions, puisque nous aurions autorisé le plus grand des maux. Je conclus donc qu'il faut renvoyer le traître à Adraste. J'avoue que ce roi ne le mérite ^M— I »-■— I ■ I ,1 I , I -■ ..,■.■■■■ ,- ■■Il — ■ ■■■ ■ I ■ ■ ■■■ ■— I ■ ■■ ■ I. ■■■■■ ■ ^ 1 bardi, hold^ daring. — 2 d'égorger, to murder. — 3 éperdament, passion- atdy.—A. intelligences, arrangements. — 5 se sauver, escape. — 6 nous défendent de nous en servir, forhid us io employ them; M. L. 39, R. 2. — 7 suites, LIV. XX. TÉLÉMAQUE. 807 pas : mais toute PHespérie et toute la Grèce, qui ont les yeux sur nous, méritent que nous tenions cette conduite pour en être estimés. Nous nous devons à nous-mêmes, enfin nous devons aux dieux justes, cette horreur de la perfidie. Aussitôt on envoya Dioscore à Adraste, qui frémit du péril oîi 6 il avait été, et qui ne pouvait assez s'étonner de la générosité de ses ennemis, car les méchants ne peuvent comprendre la pure vertu. Adraste admirait malgré lui ce qu'il venait de voir , et n'osait le louer. Cette action noble des alliés rappelait un hon- teux souvenir de toutes ses tromperies et de toutes ses cruautés. 10 Il cherchait à rabaisser' la générosité de ses ennemis, et était honteux de paraître ingrat, pendant qu'il leur devait la vie : mais les hommes corrompus s'endurcissent bientôt contre tout ce qui pourrait les toucher. Adraste, qui vit que la réputation des alliés augmentait tous les jours, crut qu'il était pressé de faire contre 16 eux quelque action éclatante :' comme il n'en pouvait faire aucune de vertu, il voulut du moins tâcher de remporter quelque grand avantage sur eux par les armes, et il se hâta de combattre. Le jour du combat étant venu, à peine l'aurore ouvrait au soleil les portes de l'orient, dans un chemin semé de roses, que le jeune 20 Télémaque, prévenant* par ses soins la vigilance des plus vieux capitaines, s'arracha* d'entre les bras du doux sommeil, et mit en mouvement tous les officiers. Son casque, couvert de crins flottants, brillait déjà sur sa tête; et sa cuirasse sur son dos éblouissait les yeux de toute l'armée : l'ouvrage de Vulcain avait, 25 outre sa beauté naturelle, l'éclat de l'égide qui y était cachée. Il tenait sa lance d'une main, de l'autre il montrait les divers postes qu'il fallait occuper. Minerve avait mis dans ses yeux un feu divin, et sur son visage une majesté fière qui promettait déjà la victoire. Il marchait, et 30 tous les rois, oubliant leur âge et leur dignité, se sentaient en- traînés* par une force supérieure qui leur faisait suivre ses pas. La faible jalousie ne peut plus entrer dans les cœurs ; tout cède à celui que Minerve conduit invisiblement par la main. Son action^ n'avait plus rien d'impétueux ni de précipité: il était 35 doux, tranquille, patient, toujours prêt à écouter les autres et à profiter de leurs conseils; mais actif, prévoyant, attentif aux besoins les plus éloignés ;' arrangeant toutes choses à propos, ne 1 ce qu'il veuftît de voir, what he had just earpeHenctd ; M. L. 26, R. 2. 2 rabaisser, to diminish.—^ éclatante, signal. — 4 prévenant, antîcipating. 5 s'arracha, tore himaelf. — S entraînés, impelled.—l action, deportmmL 8 éloignés, rtmoU. 608 TâLÉMAQUE. LTT. B'embarrassant de rien, et n'embarrassant point les autres ; exen- sant les fautes, réparant les mécomptes, prévenant les difficultés, ne demandant jamais rien de trop à personne, inspirant partout la liberté et la confiance. 6 Donnait-il un ordre î c'était dans les termes les plus simples et les plus clairs : il le répétait pour mieux instruire celui qui devait l'exécuter. Il voyait dans ses yeux s'il l'avait bien com- pris:^ il lui faisait ensuite expliquer familièrement comment il avait compris ses paroles et le principal but^ de son entreprise. 10 Quand il avait ainsi éprouvé le bon sens de celui qu'il envoyait, et qu'il l'avait fait entrer dans ses vues, il ne le faisait partir qu'après lui avoir donné quelques marques d'estime et de con- fiance pour l'encourager. Ainsi tous ceux qu'il envoyait étaient pleins d'ardeur pour lui plaire et pour réussir : mais ils n'étaient 15 point gênés* par la crainte qu'il leur imputerait les mauvais succès ; car il excusait toutes les fautes qui ne venaient point de mauvaise volonté.^ L'horizon paraissait rouge et enflammé par les premiers rayons du soleil, et la mer était pleine des feux du jour naissant Toute SO la côte était couverte d'hommes, d'armes, de chevaux et de chariots en mouvement ; c'était un bruit confus semblable à celui des flots en courroux quand Neptune excite au fond de ses abtmes les noires tempêtes. Ainsi Mars commençait, par le bruit des armes et par l'appareil^ frémissant de la guerre, à fi5 semer' la rage dans tous les cœurs. La campagne était pleine de piques hérissées semblables aux épis qui couvrent les sillons fer- tiles dans le temps des moissons. Déjà s'élevait un nuage de poussière qui dérobait peu-à-peu aux yeux des hommes la terre et le ciel. La confusion, l'horreur, le carnage, l'impitoyable mort, 80 s'avançaient A peine les premiers traits^ étaient jetés, que Télémaque, levant les yeux et les mains vers le ciel, prononça ces paroles : O Jupiter, père des dieux et des hommes, vous voyez de notre côté la justice et la paix que nous n'avons point eu honte de 85 rechercher.* C'est à regret que nous combattons; nous vou- drions épargner* le sang des hommes ; nous ne haïssons point cet ennemi même, quoiqu'il soit cruel, perfide et sacrilège. Voyez, et décidez entre lui et nous : s'il faut mourir, nos vies sont dans 1 oompris, understood; from comprendre^ M. p. 362.-— 2 but, oim.— 3 gênés, eonatrained } M. L. 83, R. 5. — 1 mauvaise volonté, bad idîU.—S ap- pareil, panoply. — 6 semer, sjpread. — 7 traits, arrows. — 8 de redieroher, to 9U0 for. — ^9 épargner, spart. Lrr^sQE. télI:maqu£. SOd ¥08 mains : s'il &ut délivrer PHespérie et abattre le tjrran, ee seia votre puissance et la sagesse do Minerve, votre fille, qui nous donneront la victoire ; la gloire vous en sera due.^ C'est vous qui, la balance en main, réglez le sort des combats : nous com- battons pour vous ; et, puisque vous êtes juste, Adraste est plus 5 votre ennemi que le nôtre. Si votre cause est victorieuse, avuit la fin du jour le sang d'une hécatombe entière ruissellera^ sur vos autels. U dit, et à l'instant il pousse' ses coursiers fougueux et écumants dans les rangs les plus pressés^ des ennemis. Il ren- 10 contra d'abord Périandre, Locrien, couvert d'une peau de lion qu'il avait tué dans la Cilicie pendant qu'il y avait voyagé : il était armé, comme Hercule, d'une massue énorme; sa taille et sa force le rendaient semblable aux géants. Dès qu'il vit Télé- maque, il méprisa sa jeunesse et la beauté de son visage. Cest 15 bien à toi,* dit-il, jeune efféminé, à nous disputer la gloire des combats ! va, enfant, va parmi les ombres chercher ton père. En disant ces paroles, il lève sa massue noueuse," pesante, armée de pointes de fer; elle parait comme un mât de navire: chacun craint le coup de sa chute. Elle menace la tête du fils d'Ulysse : 20 mais il se détourne du coup, et se lance sur Périandre avec la rapidité d'un aigle qui fend^ les airs. La massue, en tombant, brise une roue d'un char auprès de celui de Télémaque. Cepen- dant le jeune Grec perce d'un trait Périandre à la gorge; le sang qui coule à gros bouillons de sa large plaie étouffe sa voix : ses ^ chevaux fougueux, ne sentant plus sa main défaillante," et les rênes flottant sur leur cou, l'emportent ça et là: il tombe de dessus son char, ses yeux fermés à la lumière, et la pâle mort étant déjà peinte sur son visage défiguré. Télémaque eut pitié de lui ; il donna aussitôt son corps à ses domestiques, et garda 30 comme une marque de sa victoire la peau de lion avec la massue. Ensuite il cherche Adraste dons la mêlée, mais en le cherchant il précipite dans les enfers une foule de combattants : Hilée, qui avait attelé" à son char deux coursiers semblables à ceux du 35 soleil, et nourris dans les vastes prairies qu'arrose TAufide : Dé- moléon, qui dans la Sicile avait autrefois presque égalé Eryx dans les combats du ceste : Cranton, qui avait été hôte et ami d'Her- 1 due, yrom devoir. — 2 ruissellera, shall atream; M. L. 49, R. 4. — 3 pottMej drives. — A les plus pressés, the ihickest. — 5 c'est bien à toi, is U for thé*. 6 noueuse, knotty. — 7 fend, parte.— 8 défaillante, fainting.— 9 attelé, *«r- neased. 810 TÉLâMAQUE. UV. cule lorsque ce fils de Jupiter, passant par THespérie, y ôta la vie à* rinfôime Cacus : Ménécrate, qui ressemblait, disait-on, à PoUux dans la lutte: Hippoeoon, Salapien, qui imitait Tadresse et la bonne grâce de Castor pour mener un cheval : le fameux chasseur 5 Eurymède, toujours teint du sang des ours et des sangliers qu'il tuait dans les sommets couverts de neige de froid Appennin, qui avait été, disait-on, si cher à Diane qu'elle lui avait appris elle- même à tirer des flèches : Nicostrate, vainqueur d'un géant qui vomissait du feu dans les rochers du mont Gargan : Cléanthe, 10 qui devait épouser' la jeune Pholpé, fille du fleuve Liris. Elle avait été promise par son père à celui qui la délivrerait' d'un serpent ailé qui ét^it né sur les bords du fleuve, et qui devait la dévorer dans peu de jours, suivant la prédiction d'un oracle. Ce jeune homme, par un excès d'amour, se dévoua pour tuer le 16 monstre; il réussit: mais il ne put goûter le fruit de sa vic- toire ; et pendant que Pholoé, se préparant à un doux hymenée, attendait impatiemment Cléanthe, elle apprit qu'il avait suivi Adraste dans les combats, et que la Parque avait tranché* cruelle- ment ses jours. Elle remplit de ses gémissements les bois et les 20 montagnes qui sont auprès du fleuve; elle noya ses yeux de larmes, arracha ses beaux cheveux blonds ;** elle oublia les guir- landes de fleurs qu'elle avait accoutumé de cueillir, et accusa le ciel d'injustice. Comme elle ne cessait de pleurer nuit et jour, les dieux, touchés de ses regrets, et pressés par les prières du 26 fleuve, mirent fin à sa doufeur. A force de verser des larmes," elle fut tout-à-coup changée en fontaine, qui, coulant dans le sein du fleuve, va joindre ses eaux h celles du dieu son père : mais l'eau de cette fontaine est encore amère; l'herbe du rivage ne fleurit jamais, et sur ses tristes bords on ne trouve d'autre 30 ombrage que celui des cyprès. Cependant Adraste, qui apprit que Télémaque répandait de tous côtés la terreur, le cherchait avec empressement. "" Il espérait de vaincre facilement le fils d'Ulysse dans un âge encore si tendre, et menait autour de lui trente Dauniens d'une force, d'une 36 adresse, et d'une audace extraordinaires, auxquels il avait promis de grandes récompenses s'ils pouvaient, dans le combnt, faire périr Télémaque de quelque manière que ce pftt être. S'il l'efit rencontré dans ce commencement du combat, sans doute ces 1 ôta la vie à, slew. — 2 qui devait épouser, the qffUmccd husband qf. 3 la délivrerait, would rescue her — 4 tranché, eut ojf — 5 bli»nd.'<../atr — 6 à force de verser des larmes, her tears Jlowed in such abundance. — 7 avec eia- pressement, vm-patiently. XJV. XX. TÉLÉMAQUB. SU trente hommes, environnant le char de Télémaque pendant qu*Adraste l'aurait attaqué de front, n'auraient eu aucune peine à le tuer; mais Minerve les fit égarer.* Adraste crut voir et entendit Té)émaque dans un endroit de la plaine enfoncé,^ au pied d'une colline, où il y avait une foule ô de combattants ; il court, il vole, il veut se rassasier de sang : mais, au lieu de Télémaque, il aperçoit le vieux Nestor, qui, d'une main tremblante, jetait au hasard^ quelques traits inutiles. Adraste, dans sa fureur, veut le percer; mais une troupe de Pyliens se jeta autour de Nestor. 10 Alors une nuée* de traits obscurcit l'air et couvrit tous les combattants ; on n'entendait que les cris plaintifs des mourants, et le bruit des armes de ceux qui tombaient dans la mêlée : la terre gémissait sous un monceau de morts: des ruisseaux de sang coulaient de toutes parts. Bellone et Mars, avec les furies 16 infernales, vêtues de robes toutes dégouttantes de sang, repais- saient* leurs yeux cruels de ce spectacle, et renouvelaient sans cesse la rage dans les cœurs. Ces divinités ennemies des hommes repoussaient loin des deux partis la pitié généreuse, la valeur modérée, la douce humanité. Ce n'était plus, dans cet 20 amas confus d'hommes acharnés" les uns sur les autres, que mas- sacre, vengeance, désespoir, et fureur brutale : la sage et invinci- ble Pallas elle-même, l'ayant vu, frémit et recula d'horreur. Cependant Philoctète, marchant à pas lents, et tenant dans ses mains les flèches d'Hercule, s'avançait au secours de Nestor. 25 Adraste, n'ayant pu atteindre le divin vieillard, avait lancé ses traits sur plusieurs Pyliens, auxquels il avait fait mordre la poussière."' Déjà il avait abattu Ctésilas, si léger à la course qu'à peine il imprimait la trace de ses pas dans le sable, et qui devançait® en son pays les plus rapides flots de l'Eurotas et de 30 l'Alphée. À ses pieds étaient tombés Eutyphron, plus beau qu'Hylas, aussi ardent chasseur qu'Hippolyte ; Ptérélas, qui avait buivi Nestor au siège de Troie, et qu'Achille même avait aimé à cause de son courage et de sa force ; Aristogiton, qui, s'étant baigné dans les ondes du fleuve Achéloiis, avait reçu secrète- 35 ment de ce dieu la vertu" de prendre toutes sortes de formes. En effet, il était si souple et si prompt dans tous ces mouvements, qu'il échappait aux mains les plus fortes: mais Adraste, d'un 1 les fit égarer, tumed thtm aside. — 2 endroit — enfoncé, koUow part. — 3 aa hasard, at random. — 4 nuée, cloud. — 5 repaissaient, Jetisted; M. p. 382. 6 acharnés, enragtd. — 7 poussière, dtist. — 8 devançait, left behind him in the race; M. § 49 (3).— 9 vertu, power. S1& TÉLÉMAQUE. UT. eovp d^ lanee, le rendit immobile ; et son lime s^enfuit d'al^ord^ avee son sang. Nestor, qui voyait tomber ses plus vaillants capitaines sous la main du cruel Adraste, comme les épis dorés, pendant la moisson, 5 tombent sous la faux tranchante d'un infatigable moissonneur, oubliait le danger où il exposait inutilement sa vieillesse. Sa sagesse l'avait quitté : il ne songeait plus qu'à* suivre des yeux Pisistrate, son fils, qui, de son côté, soutenait avec ardeur le combat pour éloigner le péril de son père. Mais le moment 10 fatal était venu où Pisistrate, devait faire sentir à Nestor combien on est souvent malheureux d'avoir trop vécu.* Pisistrate porta un coup de lance si violent contre Adraste, que le Daunien devait succomber; mais il l'évita: et pendant que Pisistrate, ébranlé du faux coup' qu'il avait donné, ramenait sa 15 lance, Adraste le perça d'un javelot au milieu du ventre. Ses entrailles commencèrent à sortir avec un ruisseau de sang; son teint se flétrit* comme une fleur que la main d'une nymphe a cueillie dans les prés:* ses yeux étaient déj.i presque éteints et sa voix défaillante. Alcée, son gouverneur, qui était auprès 20 de lui, le soutint comme il allait tomber, et n'eut le temps que de le mener entre les bras de son père. Là, il voulut parler et donner les dernières marques de sa tendresse, mais en ouvrant la bouche il expira. Pendant que Philoctète répandait autour de lui le C4irnage et 25 l'horreur pour repousser les effbrts d' Adraste, Nestor tenait sexrê entare ses bras le corps de son fils : il remplissait l'air de ses cris, et ne pouvait souffrir la lumière. Malheureux, disait-il, d'avoir été père et d'avoir vécu si long-temp 5 ! Hélas ! cruelles desti- nées, pourquoi n'avez-vous pas fini ma vie, ou à la chasse du 30 sanglier de Calydon, ou au voyage de Colchos, ou au premier siège de Troie ? je serais mort avec gloire et sans amertume : maintenant je traîne une vieillesse douloureuse, méprisée, et impuissante; je ne vis plus que pour les maux, et je n'ai plus de sentiment que pour la tristesse. O mon fils ! ô cher Pisistrate ! 35 quand je perdis ton frère Antiloque, je t'avais pour me consoler ; je ne t'ai plus, je n'ai plus rien, et rien ne me consolera: tout est fini pour moi. {j'espérance, seul adoucissement des peines des hommes, n'est plus un bien qui me regarde." Antiloque, Pisis- trate ; ô chers enfants, je crois que c'est aujourd'hui que je vous peitls tous dettx, la mort de Tun rouvre la ^aie^ que Paatre avait faite an fond de mon coeur. Je ne vous verrai plus ! Qui jfinw mera mes yeux ? qui recueillera mes cendres? O Pisistrate! ta es mort, comme ton frère, en homme eourageux; il n'y a que moi qui ne puis mourir ! 5 En disant ces paroles il voulut se percer lui-même d'un dard qu'il tenait ; mais on arrêta sa main, on lui arracha le corps de son fils : et comme cet infortuné vieillard tombait en défaâlanee,' on le porta dans sa tente, où ayant un peu r^ris ses toces, il voulut retourner au combat ; mais on le retint malgré lu. 10 Cependant Adraste et Philoetète se cheiehaient : leurs yeux étaient étincelants comme ceux d'un lion et d'un léopard, qui cherchent à se déchirer l'un l'autre dans les campagnes qu'arrose le Caïstre. Les menaces, la fureur guerrière et la cruelle ven- geance éclatent dans leurs yeux farouches: ils portent une mort 16 certaine par-tout où ils lancent leurs traits, tous les combattants les regardent avec effroi. Déjà ils se voient l'un l'autre^ et Phi- loetète tient en j&ain une de ses lèches temUes qui n'ont jamais manqué leur coup' dans ses mains, et dont les blessures sont irrémédiables;^ mais Mars, qui favorisait le cruel et intrépide 20 Adraste, ne put souffirir qu'il périt sitôt : il voulait, par lui, ^o* longer les horreurs de la guerre et multiplier le carnage. Adraste était encore dû* à la justice des dieux pour punir les hommes et pour verser leur sang. Dans le moment où Philoetète veut l'attaquer, il est blessé lui- 26 mémo par un coup de lance que lui donne Amphimaque, jeune Lucanien, plus beau que le fameux Nirée dont la beauté ne cédait qu'à celle d'Achille parmi tous les Grecs qui combattirent an siège de Troie. A peine Philoetète eut reçu le coup, qu'il tna' sa flèche contre Amphimaque ; elle lui perça le cœur. Aussitôt 30 ses beaux yeux noirs s'éteignirent et furent couverts des ténèbres de la mort: sa bouche, plus vermeille que les roses dont l'aurore naissante sème l'horizon, se flétrit; une pâleur aflreuse ternit ses joues : ce visage si tendre et si gracieux tout-à-coup se défigura. Philoetète lui-même en eut ^tié» Tous les combattants gémirent 36 en voyant ce jeune homme tomber dans son sang oà il se roulait, et ses cheveux, aussi beaux que ceux d'Apollon, traînés dans la poussière. 1 i^ai», toound.— 2 tombait en dé&illaDoe, im8jainiing.'''i manqué leur oméme, c'est défiance, c'est petitesse; e^est 1 qu'il» s'entendent mal en, haw littU they under8tand.—2 désabiuê te, uHdeceived HfWi rtgard ft>.— 3 prérentioM, mjudkes.'^ ne m "<^ J«™« égarée, hme nevtr fatUA into errer. -^ éclairé, enUf^iUned.--% ™i^**»SS' mden.—7 le gros, ^ wAote.— 8 d'en venir à bout, to gwsGCtd t» tntê* 9 main, Aoiui, iNKMr. 16 888 TÉLÉKAQUE. UT. zzn. se livrer à une jalousie pour les détails qui consume le temps et la liberté d'esprit nécessaires pour les grandes choses. Pour former de grands desseins, il faut avoir l'esprit libre et reposé ;* il faut penser à son aise'* dans un entier dégagement de toutes 6 les expéditiona d'affaires épineuses." Un esprit épuisé par le détail est comme la lie* du vin, qui n'a plus ni force ni délicatesse. Ceux qui gouvernent par le détail sont toujours déterminés par le présent, sans étendre leurs vues sur un avenir éloigné : ils sont toujours entraînés par l'affaire du jour où ils sont: et cette 10 affaire étant seule à les occuper, elle les frappe trop, elle rétrécit* leur esprit; car on ne juge sainement des affaires que quand on les compare toutes ensemble, et qu'on les place toutes dans un certain ordre, afin qu'elles aient de la suite* et de la proportion. Manquer à suivre cette règle dans le gouvernement, c'est ressem- 15 bler à un musicien qui se contenterait de trouver des sons harmonieux, et qui ne se mettrait point en peine^ de les unir et de les accorder pour en composer une musique douce et tou- chante. C'est ressembler aussi à un architecte qui croit avoir tout fait pourvu qu'il assemble de grandes colonnes, et beaucoup 20 de pierres bien taillées, sans penser à l'ordre et à la proportion des ornements de son édifice. Dans le temps qu'il fait un salon, il ne prévoit pas qu'il faudra faire un escalier convenable:* quand il travaille au corps du bâtiment, il ne songe ni à la cour ni au portail. Son ouvrage n'est qu'un assemblage confus de 25 parties magnifiques, qui ne sont point faites les unes pour les autres : cet ouvrage, loin de lui faire honneur, est un monument qui éternisera sa honte; car il fait voir que l'ouvrier n'a pas su penser avec assez d'étendue pour concevoir à-la-fois le dessein génénd de tout son ouvrage ; c'est un caractère d'esprit court* et 30 subalterne.*" Quand on est né avec ce génie borné" au détail, on n'est propre qu'à exécuter sous autrui. N'en doutez pas, ô mon cher Télémaque, le gouvernement d'un royaume demande une certaine harmonie comme la musique, et de justes proportions comme l'architecture. 36 Si vous voulez que je me serve encore de la comparaison de ces arts, je vous ferai entendre combien les hommes qui gouver- nent par le détail sont médiocres. Celui qui, dans un concert^ 1 reposé, composed.—^ à son aise, Uîsurdy.—J épmeases, dijffUndL—A lie. Ut8.—b rétrécit, amira^ta.—Q de la suite, amnedim.-'l ne se mettrait point en peine, wmddnot troubU hijnsd/.—Q convenable, «*iteWe.— 9 court» âoU- stghted.—lO subalterne, inferior.— Il borné, limited. LIT. ZZXL TÉLÉMAQUE. 889 ne chante que certaines choses, quoiqu'il les chante parfaitement, n'est qu'un chanteur : celui qui conduit tout le concert, et qui en règle à-Ia-fois toutes les parties, est le seul maître de musique. Tout de même celui qui taille^ des colonnes, ou qui élève un côté d'un bâtiment, n'est qu'un maçon : mais celui qui a pensé' tout 6 l'édifice, et qui en a toutes les proportions dans sa tête, est le seul architecte. Ainsi ceux qui travaillent, qui expédient,' qui font le plus d'affaires, sont ceux qui gouvernent le moins : ils ne sont que les ouvriers subalternes. Le vrai génie qui conduit l'état est celui qui, ne faisant rien, fait tout faire ;^ qui pense, 10 qui invente, qui pénètre dans l'avenir, qui retourne dans" le passé, qui arrange, qui proportionne, qui prépare de loin, qui se raidit* sans cesse pour lutter' contre la fortune comme un nageur contre le torrent de l'eau, qui est attentif, nuit et jour, pour ne laisser rien au hasard. 15 Croyez-vous, Télémaque, qu'un grand peintre travaille assidû- ment depuis le matin jusqu'au soir, pour expédier plus prompte- ment ses ouvrages? non: cette gêne* et ce travail servile* éteindraient tout le feu de son imagination; il ne travaillerait plus de génie ; il faut que tout se fasse irrégulièrement et par 20 saillies^" suivant que son goût le mène et que son esprit l'excite. Croyez-vous qu'il passe son temps à broyer** des couleurs et à préparer des pinceaux 1 non, c'est l'occupation de ses élèves." Il se réserve le soin de penser; il ne songe qu'à faire des traits*' hardis qui donnent de la noblesse, de la vie et de la passion à ses 25 figures. Il a dans sa tête les pensées et les sentiments des héros qu'il veut représenter ; il se transporte dans leurs siècles et dans toutes les circonstances où ils ont été ; à cette espèce d'enthou- siasme, il faut qu'il joigne une sagesse qui le retienne, que tout soit vrai, correct, et proportionné l'un à l'autre. Croyez-vous, 30 Télémaque, qu'il faille moins d'élévation de génie et d'efforts de pensées pour faire un grand roi, que pour faire un grand peintre ? Concluez donc que l'occupation d'un roi doit être de penser, de former de grands projets, et de choisir les hommes propres à les exécuter sous lui. 35 Télémaque lui répondit : Il me semble que je comprends tout ce que vous dites : mais, si les choses allaient ainsi, un roi serait 1 taille, cttto, corrc».-— 2 pensé, deaigned.—3 expédient, di8pateh.—4 fait tout faire, causes ail to bi dont, — 5 retourne dans, reviews. — 6 se riddit, stren^tns himseif.—7 lutter, contend.—B gêne, constraini.^d travail servile, drudgety. — 10 saillies, starts.— -Il broyer, grind. — 12 éldvef, êeholars. — 13 traits, strokts. semyent trompé, n'entrant point par lui-même dans le détail. Ceet vous-même qui vous trompez, repartit Mentor: ce qui empêche qu'on ne soit trompé, c'est la connaissance générale du gouvernement Les gens qui n'ont point de principes dans les 6 affaires, et qui n'ont point de vrai discernement des esprits, vont toujours comme à tâtons ;^ c'est un hasard quand ils ne se trom- pent pas : ils ne savent pas même précisément ce qu'ils cherchent, ni à quoi ils doivent tendre ;^ ils ne savent que se défier, et se défient plutôt des honnêtes gens qui les contredisent, que des 10 trompeurs qui les flattent. Au contraire, ceux qui ont des prin- cipes pour le gouvernement, et qui se connaissent en' hommes, savent ce qu'ils doivent chercher en eux, et les moyens d'y par- venir: ils reconnaissent assez, du moins en gros,^ si les gens dont ils se servent sont des instruments propres à leurs desseins, 15 et s'ils entrent dans leurs vues pour tendre* au but' qu'ils se proposent. D'ailleurs, comme ils ne se jettent pas dans des détails accablants, ils ont l'esprit plus libre pour envisager d'une seule vue le gros^ de l'ouvrage, et pour observer s'il s'avance vers la fin principale. S'ils sont trompés, du moins ils ne le sont 20 guère dans l'essentiel. Ils sont au-dessus des petites jalousies qui marquent un esprit borné et une âme basse : ils comprennent qu'on ne peut éviter d'être trompé dans les grandes affaires, puisqu'il faut s'y servir des hommes, qui sont si souvent trom- peurs. On perd plus dans l'irrésolution où jette la défiance,* 25 qu'on ne perdrait à se laisser un peu tromper. On est trop heureux quand on n'est trompé que dans les choses médiocres; les grandes ne laissent pas de s'acheminer," et c'est la seule chose dont un grand homme doit être en peine." Il faut réprimer sévèrement la tromperie quand on la découvre: mais il faut 30 compter sur quelque tromperie, si on ne veut point être véri- tablement trompé. Un artisan dans sa boutique voit tout de ses propres yeux, et fait tout de ses propres mains : mais im roi, dans un grand état, ne peut tout faire ni tout voir. Il ne doit faire que les choses que nul autre ne peut fahre sous lui: il 35 ne doit voir que ce qui entre dans la décision des choses importantes. Enfin Mentor dit à Télémaque: Les dieux vous aiment et 1 à tâtons, grvpmg along.'^2 tendre, direct their eieps. — ^3 M. L. 87, R. 6. 4 en gros, in gênerai. — 5 tendre, reach. — 6 but, aim. — 7 le gros, the •whèU, 8 défiiuice, diatruat. — 9 ne laissent pas de s'acheminer, proceed nwerthêUêê^ 10 doit être en peine, should be folicitoua. XJV.:XZIL TÉLÉMAQUE. ML vous préparent un règne plein de sagesse. Tout ce que vous voyez ici est fait moins pour la gloire d'Idoménée que pour votre instruction. Tous ces sages établissements que vous admirez dans Salente ne sont que l'ombre de ce que vous ferez un jour à Ithaque, si vous répondez^ par vos vertus à votre haute destinée. 6 Il est temps que nous songions à partir d'ici; Idoménée tient un vaisseau prêt pour notre retour. Aussitôt Télémaque ouvrit son cœur à son ami, mais avec quelque peine, sur un attachement qui lui faisait regretter Salente. Vous me blâmerez peut-être, lui dit-il, de prendre' trop facile- 10 ment des inclinations dans les lieux où je passe : mais mon cœur me ferait de continuels reproches, si je vous cachais que j'aime Antiope, fille d'Idoménée. Non, mon cher Mentor, ce n'est point une passion aveugle comme celle dont vous m'avez guéri dans l'île de Calypso ; j'ai bien reconnu la profondeur' de la plaie que 15 l'amour m'avait faite auprès d'Eucharis : je ne puis encore pro- noncer son nom sans être troublé ;* le temps et l'absence n'ont pu l'effacer. Cette expérience funeste m'apprend à me défier de moi-même. Mais pour Antiope, ce que je ressens n'a rien de semblable : ce n'est point un amour passionné ; c'est goût, c'est 20 estime, c'est persuasion que je serais heureux si je passais ma vie avec elle. Si jamais les dieux me rendent mon père, et qu'ils me permettent de choisir une femme, Antiope sera mon épouse. Ce qui me touche en elle, c'est son silence, sa modestie, sa retraite,^ son travail assidu, son industrie pour les ouvrages de laine et de 25 broderie, son application à conduire toute la maison de son père depuis que sa mère est morte, son mépris des vaines parures,* l'oubli' ou l'ignorance même qui parait en elle de sa beauté. Quand Idoménée lui ordonne de mener les danses des jeunes Cretoises au son des flûtes, on la prendrait pour la riante Vénus, 80 qui est accompagnée des Grâces. Quand il la mène avec lui à la chasse dans les forêts, elle parait majestueuse et adroite à tirer de l'arc,* comme Diane au milieu de ses nymphes : elle seule ne le sait pas, et tout le monde l'admire. Quand elle entre dans les temples des dieux, et qu'elle porte sur sa tête les choses 85 sacrées*Mans des corbeilles," on croirait qu'elle est elle-même la divinité qui habite dans les temples. Avec quelle crainte et 1 répondez k^ fvljil — 2 prendre, conceivt. — 3 profondeur, dtptk.—A être troublé, vnthoid émotion. — 5 retraite, reserve. — 6 pamros, appard, 7 oubli, fargetfulness. — 8 tirer de l'arc, tising the bow. — 9 dioses 0aôréei} sacred qfcringa. — 10 corbeilles, baskets. 842 TÉLÊMAQUE. Liv. xxn. quelle religion* la voyons-nous offrir des sacrifices, et détourner la colère'' des dieux, quand il faut expier quelque faute ou détour- ner» quelque funeste présage ! Enfin, quand on la voit avec une troupe de femmes, tenant en sa main une aiguille* d'or, on 6 croit que c'est Minerve même qui a pris sur la terre une forme humaine, et qui inspire aux hommes les beaux arts : elle anime les autres à travailler; elle leur adoucit^ le travail et l'ennui'^ par le charme de sa voix, lorsqu'elle chante toutes les merveilleuses histoires des dieux : elle surpasse la plus exquise peinture^ par 10 la délicatesse de ses broderies. Heureux l'homme qu'un doux hymen unira avec elle ! il n'aura à craindre que de la perdre et de lui survivre. Je prends ici, mon cher Mentor, les dieux à témoin que je suis tout prêt à partir : j'aimerai Antiope tant que je vivrai ; mais elle 16 ne retardera pas d'un moment mon retour à Ithaque. Si un autre la devait® posséder, je passerais le reste de mes jours avec tristesse et amertume: mais enfin je la quitterai, quoique je sache que l'absence peut me la faire perdre. Je ne veux ni lui parler ni parler à son père de mon amour ; car je ne dois en 20 parler qu'à vous seul, jusqu'à ce qu'Ulysse, remonté sur son trône, m'ait déclaré qu'il y consent. Vous pouvez recon- naître par-là, mon cher Mentor, combien cet attachement est différent de la passion dont vous m'avez vu aveuglé pour Eucharis. 26 Mentor répondit: O Télémaque, je conviens de" cette diffé- rence. Antiope est douce, simple, sage ; ses mains ne méprisent point le travail ; elle prévoit de loin, elle pourvoit à*" tout ; elle sait se taire, et agit de suite" sans empressement; elle est à toute heure occupée; elle ne s'embarrasse jamais, parcequ'elle 30 fait chaque chose à propos :" le bon ordre de la maison de son père est sa gloire; elle en est plus ornée que de sa beauté. Quoiqu'elle ait soin de tout, et qu'elle soit chargée de corriger, de refuser, d'épargner,^» choses qui font haïr presque toutes les femmes, elle s'est rendue aimable à toute la maison ; c'est qu'on 35 ne trouve en elle ni passion, ni entêtement,** ni légèreté, ni humeur," comme dans les autres femmes : d'un seul i^gard elle 1 religion, dévotion. — 2 colère, anger. — 3 détourner, avert. — 4 aiguille, nudle. — 5 adoucit, sweetens. — 6 l'ennui, weaHness. — 7 peinture, painting. 8 devait, was destined ; M. L. 35, R. 5. — 9 je conviens de, I acknowledge. 10 pourvoit à., provide for. — 11 de suite, immediately. — 12 à propos, in the proper iime arvd place. — 13 d'épargner, to save. — 14 entêtement, obstinacy» 16 humeur, caprice. uv. XXII. TâLÉMAQtJE. S4S se fait entendre,* et on craint de lui déplaire: elle donne des ordres précis, elle n'ordonne que ce qu'on peut exécuter, elle reprend^ avec bonté, et en reprenant elle encourage. Le coeur de son père se repose sur elle, comme un voyageur abattu par les ardeurs du soleil, se repose à l'ombre sur l'herbe tendre. Vous 6 avez raison, Téléraaque; Antiope est un trésor digne d'être recherché dans les terres l^s plus éloignées. Son esprit, non plus que son corps, ne se pare jamais de vains ornements : son imagination, quoique vive, est retenue par sa discrétion : elle ne parle que pour la nécessité : et si elle ouvre la bouche, la douce 10 persuasion et les grâces naïves coulent de ses lèvTCs. Dès qu'elle parle, tout le monde se tait, et elle en rougit: peu s'en faut qu'elle ne' supprime ce qu'elle a voulu dire, quand elle aperçoit qu'on l'écoute si attentivement A peine l'avons-nous entendue parler. ^ 15 Vous souvenez-vous, ô Téîémaque, d'un jour que son père la fit venir 1 Elle parut les yeux baissés, couverte d'un grand voile; et elle ne parla que pour modérer la colère d'Idoménée, qui vou- lait faire punir rigoureusement un de ses esclaves : d'abord elle entra dans"* sa peine, puis elle le calma ; enfin elle lui fit entendre 20 ce qui pouvait excuser ce malheureux ; et sans faire sentir au roi qu'il s'était tix>p emporté,* elle lui inspira des sentiments de jus- tice et de compassion. Thétis, quand elle flatte le vieux Nérée, n'apaise pas avec plus de douceur les flots irrités. Ainsi Antiope, sans prendre aucune autorité, et sans se prévaloir* de ses charmes, 25 maniera' un jour le cœur de son époux, comme elle touche main- tenant sa lyre, quand elle en veut tirer les plus tendres accords. Encore une fois, Téîémaque, votre amour pour elle est juste ; les dieux vous la destinent : vous l'aimez d'un amour raisonnable ; il faut attendre qu'Ulysse vous la donne. Je vous loue de n'avoir 30 point voulu lui découvrir vos sentiments; mais sachez que si vous eussiez pris quelques détours® pour lui apprendre vos desseins, elle les aurait rejetés, et aurait cessé de vous estimer. Elle ne se promettra jamais à personne ; elle se laissera donner par son père : elle ne prendra jamais pour époux qu'un homme 35 qui craigne* les dieux, et qui remplisse*" toutes les bienséances." 1 se faifc entendre, tnuikes hersdf understood ; M. L. 96, R. 4. — 2 reprend, reproves. — 3 peu s'en faut qu'elle ne, »he eau hardly help. — 4 entra dans, €he took part in — 5 s'était — emporté, had gwtn way to anger.—S se prévaloir, taking adxarUage. — 7 maniera, will injluence. — 8 détours, indirect means. 9 craigne, fears; M. L. 74, R. 3.— 10 remplisse, discharges ; M. L. 74, R. 3. 11 bienséances, dutie*. ta TÉLÉMAQUE. LIV. zzn. Avez-vons observé comme moi qu'elle se montre encore moins et qu'elle baisse plus les yeux depuis votre retour ? Elle sait tout ce qui vous est arrivé* d'heureux ^dans la guerre ; elle n'ignore ni Totre naissance, ni vos aventures, ni tout ce que les dieux ont 6 mis en vous; c'est ce qui la rend si modeste et si réservée. Allons, Télémaque, allons vers Ithaque ; il ne me reste plus qu'à vous faire trouver votre père, et qu'à vous mettre en état d'ob- tenir une femme digne de l'âge d'or: fût-elle bergère dans la firoide Algide, au lieu qu'elle est' fille du roi de Salente, vous serez 10 trop heureux de la posséder. 1 arrivé, fiappcned. — 2 au lien qu'elle est, instead ofhting. FIN DU LIVRE VINGT-DEUXIÈMB. riVRE VINGT-TROISIÈME. SoMMAiBE. — Idoménée, craignant^ le départ de ses deux hôtes,^ propose à Mentor plusieurs affaires embarrassantes, l'assurant qu'il ne les pourra régler sans son secours. Mentor lui explique comment il doit se compor- ter, et tient ferme^ pour remmener Télémaque. Idoménée essaie^ encore de les retenir en excitant la passion do ce dernier pour Antiope. Il les engage dans une partie de chasse, où il veut que sa fille se trouve. Elle y serait déchirée par un sanglier, sans^ Télémaque qui la sauve. Il sent ensuite beaucoup de répugnance à la quitter, et à prendre congé* du roi son père : mais, encouragé par Mentor, il surmonte sa peine, et s'em- barl]^ue pour sa patrie. Idoménée, qui craignait le départ de Télémaque et de Mentor, ne songeait qu'à le retarder : il représenta à Mentor qu'il ne pou- vait régler sans lui un différent"^ qui s'était élevé® entre Diophanes, prêtre de Jupiter Conservateur, et Héliodore, prêtre d'Apollon, sur les présages qu'on tire* du vol des oiseaux et des entrailles 6 des victimes. Pourquoi, lui répondit Mentor, vous mêleriez-vous des*" choses sacrées? laissez-en la décision aux Étruriens, qui ont la tradition des plus anciens oracles, et qui sont inspirés pour être les inter- prètes des dieux : employez seulement votre autorité a étouffer ces 10 disputes dès leur naissance." Ne montrez ni partialité ni préven- tion ; contentez-vous d'appuyer" la décision, quand elle sera faite : souvenez-vous qu'un roi doit être soumis à la religion, et qu'il ne doit jamais entreprendre de la régler ; la religion vient des dieux, elle est au-dessus des rois. Si les rois se mêlent de la religion, 15 1 fnm craindre^ M. p. 364. — 2 hôtes, gueats.—3 tient ferme, continues tUoAif t» kis jmrpoae.'-i M. S 49, (2).— 5 sans, hvifor.—Q congé, leate, 7 dirent, dispute. — 8 qui s'était élevé, which had arisen. — 9 qu*on tire, to be drawn. — 10 vous mêleriez- vous des, akould you interfère with. — 11 nais- •anœ, Irùrtht beginning.^12 d'appuyer, to support; M. S 49, (2). 846 TÊLÊMAQUE. uv. xxm. au lieu de la protéger ils la mettront en servitude. Les rois sont si puissants, et les autres hommes sont si faibles, que tout sera en péril d'être altéré au gré* des rois si on les fait entrer dans les questions qui regardent les choses sacrées. Laissez donc en 6 pleine liberté la décision aux amis des dieux ; et bornez-vous à réprimer ceux qui n'obéiraient pas à leur jugement quand il aura été prononcé. Ensuite Idoménée se plaignit de l'embarras où il était sur un grand nombre de procès'' entre divers particuliers,' qu'on le pres- 10 sait de juger. Décidez, lui répondit Mentor, toutes les questions nouvelles qui vont* à établir des maximes générales de jurisprudence, et à interpréter les lois : mais ne vous chargez jamais de juger les causes particulières, elles viendraient toutes en foule vous assié- 16 ger; vous seriez l'unique juge de tout votre peuple, tous les autres juges qui sont sous vous deviendraient inutiles ; vous se- riez accablé, et les petites aflkires vous déroberaient* aux grandes, sans que vous pussiez suffire à régler le détail des petites. Grar- dez-vous donc bien de vous jeter dans cet embarras ; renvoyez 20 les affaires des particuliers aux juges ordinaires : ne faites que ce que nul autre ne peut faire pour vous soulager ; vous ferez alors les véritables fonctions de roi. On me presse encore, disait Idoménée, de faire* certains ma^ riages. Les personnes d'une naissance distinguée qui m'ont 26 suivi dans toutes les guerres, et qui ont perdu' de très grands biens en me servant, voudraient trouver une espèce de récom- pense en épousant certaines filles riches : je n'ai qu'un mot à dire pour leur procurer ces établissements. Il est vrai, répondit Mentor, qu'il ne vous en coûterait qu'au 30 mot : mais ce mot lui-même vous coûterait trop cher. Voudriez- vous ôter aux" pères et aux mères la liberté et la consolation de choisir leurs gendres,' et par conséquent** leurs héritiers ? ce se- rait mettre toutes les familles dans le plus rigoureux esclavage ; vous vous rendriez responsable de tous les malheurs domestiques 36 de vos citoyens. Les mariages ont assez d'épines" sans leur donner encore cette amertume. Si vous avez des serviteurs fidèles à récompenser, donnez-leur des terres incultes; ajoutez-y 1 gré, will. — 2 procès, law-suUs. — 3 particuliers, private indwidttals, 4 vont, tend. — 5 vous déroberaient, would prevent your attending.—B de faire, to recommend. — 7 M. L. 99, R. 1. — 8 ôter aux, deprive the. — 9 gendres, 9on8-in-law. — 10 par conséquent, consequently. — 11 épines, thoma. LIV. XZZn. TÉLâMAQUJS. i4J des rangs et des honneurs proportionnés à leur condition et à leurs services; ajoutez-y, s'il le faut, quelque argent pris par vos épargnes sur* les fonds destinés à votre dépense : mais ne payez jamais vos dettes en sacrifiant les filles riches malgré leurs parents. 5 Idoménée passa bientôt de cette question à une autre. Les Sybarites, disait-il, se plaignent de ce que nous avons usurpé des terres qui leur appartiennent, et de ce que nous les avons données, comme des champs à défricher, aux étrangers que nous avons attirés depuis peu ici: céderai-je à ces peuples? Si je le fais, 10 chacun croit qu'il n'a qu'à former des prétentions sur nous. Il n'est pas juste, répondit Mentor, de croire les Sybarites dans leur propre cause: mais il n'est pas juste aussi de vous croire dans la vôtre. Qui croirons-nous donc ? repartit Idoménée. Il ne faut croire, poursuivit Mentor, aucune des deux parties : 16 mais il £aut prendre pour arbitre^ un peuple voisin qui ne soit suspect d'aucun côté; tels sont les Sipontins: ils n'ont aucun intérêt contraire au vôtre. Mais suis-je obligé, répondit Idoménée, à croire quelque arbitre ? ne suis-je pas roi ? Un souverain est-il obligé à se soumettre à 20 des étrangers sur l'étendue de sa domination 1^ Mentor reprit ainsi le discours: Puisque vous voulez tenir ferme,* il faut que vous jugiez que votre droit* est bon ; d'un autre côté, les Sybarites ne relâchent rien ;' ils soutiennent que leur droit est certain. Dans cette opposition de sentiments, il 25 faut qu'un arbitre choisi par les parties vous accommode,^ ou que le sort des armes décide ; il n'y a point de milieu." Si vous en- triez dans une république où il n'y eût ni magistrats ni juges, et où chaque famille se crût' en droit de se faire par violence justice à elle-même sur toutes ses prétentions contre ses voisins, vous 30 déploreriez le malheur d'une telle nation, et vous auriez horreur de cet affreux désordre, où toutes les familles s'armeraient les unes contre les autres. Croyez- vous que les dieux regardent avec moins d'horreur le monde entier, qui est la république universelle, si chaque peuple, qui n'y est que comme une grande famille, so 35 croit en plein droit de se faire par violence justice à soi-même sur toutes ses prétentions contre les autres peuples voisins ? Un 1 pris par vos épargnes sur, saved from. — 2 arbitre, umpire. — 3 domina- tion, empire.— A vous voulez tenir ferme, you persist in your purpose. — 5 droit, right,—^ ne relâchent rien, vnll vield nothing. — 7 vous accommode, aettU thc dtfieuUy. — 8 milieu, médium. — y from croire^ M. p. 364. (48 TÊLâMAQUE. uv. xxm. particulier' qui possède un champ, comme l'héritage de ses ancêtres, ne peut s'y maintenir que par l'autorité des lois et par le juge- ment d'un magistrat: il serait très sévèrement puni comme un séditieux* s'il voulait conserver par la force ce que la justice lui 6 a donné. Croyez-vous que les rois puissent employer d'abord la tiolence pour soutenir leurs prétentions, sans avoir tenté toutes les voies de douceur et d'humanité ? La justice n'est-elle pas en- core plus sacrée et plus inviolable pour les rois par rapport* à des pays entiers, que pour les familles par rapport à quelques champs 10 labourés? Sera t-on injuste et ravisseur* quand on ne prend que quelques arpents* de terre? sera-t-on juste, sera-t-on héros, quand on prend des provinces? Si on se prévient,* si on se flatte, si on s'aveugle dans les petits intérêts des particuliers, ne doit-on pas encore plus craindre de se flatter et de s'aveugler sur les grands 15 intérêts d'état? Se croira-t-on soi-même dans une matière oà l'on a tant de raisons de se défier de soi ? Ne craindra-t-on pas de se tromper dans des cas où l'erreur d'un seul homme a des conséquences afireuses ? L'erreur d'un roi qui se flatte sur ses prétentions cause souvent des ravages, des famines, des massacres, 20 des pertes, des dépravations de mœurs, dont les effets funestes s'étendent jusques dans les siècles les plus reculés.^ Un roi, qui assemble toujours tant de flatteurs autour de lui, ne craindra-t-il point d'être flatté en ces occasions ? S'il convient* de quelque arbitre pour terminer le diflerent, il montre son équité, sa bonne 25 foi, sa modération. H publie les solides raisons sur lesquelles sa cause est fondée. L'arbitre choisi est un médiateur amiable,* et non un juge de rigueur.'* On ne se soumet pas aveuglément à ses décisions ; mais on a pour lui une grande déférence : il ne prononce pas ime sentence en juge souverain ; mais il &it des 30 propositions, et on sacrifie quelque chose par ses conseils pour conserver la paix. Si la guerre vient malgré tous les soins qu'un roi prend pour conserver la paix, il a du moins alors pour lui le témoignage" de sa conscience, l'estime de ses voisins, et la juste protection des dieux. Idoménée, touché de ce discours, consentit 35 que les Sipontins fussent médiateurs entre lui et les Sybarites. Alors le roi, voyant que tous les moyens de retenir les deux étrangers lui échappaient, essaya de les arrêter par un lien** plus I particulier, indioidual. — 2 comme on séditieux, as guiJUy qf sédition, 3 par rapport, vi^ resped.—A ravisseur, robher. — 6 arpents, aeràs. — 6 si on se prévient, \f cne i» tuMeet to pr^udice. — 7 les sidoles les plus reculés, ths most remote âges; M. § 14, (9). — 8 convient, agrées ti^on.-— 9 amiable, ami' cable. — 10 de rigueur, strict, severe. — U témoignage, testvmony. — 12 lien, tic LIV. XXin. TÊLÊMAQUE. 849 fort, n avait remarqué que Télémaque aimait Antiope ; et il es- péra de le prendre par cette passion. Dans cette vue, il la fit chanter plusieurs fois pendant des festins.^ Elle le fit pour ne pas désobéir à son père, mais avec tant de modestie et de tristesse, qu'on voyait bien la peine qu'elle souffrait en obéissant. Idomé- 6 née alla jusqu'à^ vouloir qu'elle chantât la victoire remportée sur les Dauniens et sur Adraste : mais elle ne put se résoudre à chan- ter les louanges de Télémaque ; elle s'en défendit* avec respect, et son père n'osa la contraindre. Sa voix douce et touchante pénétrait le cœur du jeune fils d'Ulysse; il était tout ému. Ido- 10 menée, qui avait les yeux attachés sur lui, jouissait du plaisir de remarquer son trouble. Mais Télémaque ne faisait pas sem- blant d'apercevoir les desseins du roi. Il ne pouvait s'empêcher en ces occasions d'être fort touché; mais la raison était en lui au-dessus du sentiment; et ce n'était plus ce même Télémaque 16 qu'une passion tyrannique avait autrefois captivé dans l'île de Ca- lypso. Pendant qu' Antiope chantait, il gardait* un profond silence ; dès qu'elle avait fini, il se hâtait de tourner la conversation sur quelque autre matière. Le roi, ne pouvant par cette voie réussir dans son dessein, prit 20 enfin la résolution de faire une grande chasse dont il voulut don- ner le plaisir à sa fille. Antiope pleure, ne voulant point y aller : mais il fallut exécuter l'ordre absolu de son père. Elle monte un cheval écumant, fougueux, et semblable à ceux que Castor domp- tait pour les combats : elle le conduit sans peine : une troupe de 25 jeunes filles la suit avec ardeur; elle parait au milieu d'elles comme Diane dans les forêts. Le roi la voit, et il ne peut se las- ser de la voir; en la voyant il oublie tous ses malheurs passés. Télémaque la voit aussi, et il est encore plus touché de la mo- destie d' Antiope, que de son adresse et de toutes ses grâces. 30 Les chiens poursuivaient un sanglier d'une grandeur énorme, et furieux comme celui de Calydon ; ses longues soies* étaient dures et hérissées comme des dards ; ses yeux étincelants étaient pleins de sang et de feu : son soufflé* se faisait entendre de loin, comme le bruit sourd des vents séditieux quand Éole les rappelle dans 35 son antre' pour apaiser les tempêtes : ses défenses,® longues et crochues' comme la faux tranchante des moissonneurs, coupaient le tronc des arbres. Tous les chiens qui osaient en approcher l ffestms, banquets. — 2 alla jusqu'à, went sojur as to. — 3 s'en dëfénôBt, e^- cused htrsàf.—i. gardait, kept. — B soies, bristles, — 6 souffle, hrcatK"^! antr^i cave.-—% défenses, tusks. — 9 crochues, crooked. 850 TÉLÉMAQUB. LIT. étaient déchirés: les plus hardis chasseurs, en le poursuivant, craignaient de l'atteindre.^ Antiope, légère à la course comme les vents, ne craignit point de l'attaquer de près;'* elle lui lance un trait, qui le perce au-des- 6 sus de l'épaule. Le sang de l'animal farouche ruisselle, et le rend plus furieux : il se tourne vers celle qui l'a blessé. Aussi- tôt le cheval d' Antiope, malgré sa fierté, frémit et recule f le san- glier monstrueux s'élance* contre lui, semblable aux pesantes machines qui ébranlent* les murailles des plus fortes villes. Le 10 coursier chancelle, et est abattu.* Antiope se voit par terre hors d'état"^ d'éviter le coup fatal de la défense du sanglier animé" con- tre elle. Mais Télémaque, attentif au danger d' Antiope, était déjà descendu de cheval. Plus prompt que les éclairs, il se jette entre le cheval abattu* et le sanglier qui revient pour venger 15 son sang; il tient dans ses mains un long dard, et l'enfonce presque tout entier dans le flanc de l'horrible animal, qui tombe plein de rage. A l'instant Télémaque en coupe la hure,^° qui fait" encore peur quand on la voit de près, et qui étonne tous les chasseurs : il la 20 présente à Antiope. Elle en rougit;^'* elle consulte des yeux son père, qui, après avoir été saisi de frayeur, est transporté de joie de la voir hors du péril, et lui fait signe qu'elle doit accepter ce don. En le prenant, elle dit à Télémaque: Je reçois de vous avec reconnaissance un autre don plus grand, car je vous dois la 25 vie. A peine eut-elle parlé, qu'elle craignit d'avoir trop dit; elle baissa les yeux : et Télémaque, qui vit son embarras, n'osa lui dire que ces paroles : Heureux le fils d'Ulysse d'avoir conservé une vie si précieuse ! mais plus heureux encore s'il pouvait passer la sienne auprès de vous! Antiope, sans lui répondre, rentra 30 brusquement" dans la troupe de ses jeunes compagnes, où elle remonta à cheval. Idoménée aurait dès ce moment promis sa fille à Télémaque : mais il espéra d'enflammer davantage sa passion en le laissant dans l'incertitude, et crut même le retenir encore à Salente par le 35 désir d'assurer son mariage. Idoménée raisonnait ainsi en lui- même : mais les dieux se jouent de la sagesse des hommes. Ce qui devait retenir Télémaque fut précisément ce qui le pressa de 1 atteindre, overtake. — 2 de près, closdy. — 3 recule, dreuj bock. — 4 s'élanoe, ruahed. — 6 ébranlent, sfiook. — 6 est abattu, fell. — 7 hors d'état, unable. 8 animé, enraged.—9 abattu, prostrate.— 10 hure, head.— Il fait, inspired, 12 rougit, bluahed. — 13 brusquement, haatUy. Liv. xxm. TÉLÊMAQUB. 861 partir: ce quMl commençait à sentir le mit dans une juste défiance de lui-même. Mentor redoubla ses soins pour inspirer à Télémaque un désir impatient de s'en retourner à Ithaque, et il pressa en même temps Idoménée de le laisser partir. Le vaisseau était déjà prêt; car 6 Mentor, qui réglait tous les moments de la vie de Télémaque, pour rélever à la plus haute gloire, ne l'arrêtait en chaque lieu qu'au- tant qu'il le fallait* pour exercer sa vertu, et pour lui faire acqué- rir de l'expérience. Mentor avait eu soin de faire préparer ce vaisseau dés'' l'arrivée de Télémaque. 10 Mais Idoménée, qui avait eu beaucoup de répugnance à le voir préparer, tomba dans une tristesse mortelle et dans une désola- tion à faire pitié,* lorsqu'il vit que ses deux hôtes,* dont il avait tiré tant de secours, allaient l'abandonner. Il se renfermait dans les lieux les plus secrets de sa maison: là il soulageait son cœur 15 en poussant des gémissements et en versant des larmes ; il oubliait de se nourrir: le sommeil n'adoucissait plus ses cuisantes^ peines; il se desséchait," il se consumait par ses inquiétudes. Sembla- ble à un grand arbre qui couvre la terre de l'ombre de ses rameaux épais, et dont un ver commence à ronger la tige dans les canaux 20 déliés où la sève' coule pour sa nourriture ; cet arbre, que les vents n'ont jamais ébranlé, que la terre féconde se plaît à® nour- rir dans son sein, et que la hache du laboureur a toujours respecté, ne laisse pas de languir sans qu'on puisse découvrir la cause de son mal ; il se flétrit, il se dépouille de ses feuilles qui ^ont sa 25 gloire; il ne montre plus qu'un tronc couvert d'une écorce" entr'ouverte, et des branches sèches : tel parut Idoménée dans sa douleur. Télémaque, attendri, n'osait lui parler : il craignait le jour du départ ; il cherchait des prétextes pour le retarder ; et il serait 30 demeuré*" long-temps dans cette incertitude si Mentor ne lui eût dit : Je suis bien aise de vous voir si changé. Vous étiez né dur et hautain ; votre cœur ne se laissait toucher que de" vos com- modités et de vos intérêts : mais vous êtes enfin devenu homme, et vous commencez, par l'expérience de vos maux, à compatir à 35 ceux des autres. Sans cette compassion, on n'a ni bonté, ni vertu, ni capacité pour gouverner les hommes : mais il ne faut pas la 1 qu'il le fallait, as toas necessary. — 2 dès, immediatdy on the. — 3 à fidre pitié, déplorable. — 4 hôtes, gtiests. — 5 cuisantes, poignant. — 6 se desséchait, r'ned away. — 7 sève, sap. — 8 se plait à, delighta in; M. L. 40, R. 6. éooroe, bark. — 10 serait demeuré, would hâve remained. — 11 ne se laissait toucher que de, vas sensible ordy to. 852 TÉLÉMAQUE. Liv. xxm. pousser trop loin, ni tomber dans une amitié faible. Je parlerais volontiers à Idoménée pour le faire consentir à notre départ, et je vous épargnerais l'embarras d'une conversation si fâcheuse : mais je ne veux point que la mauvaise honte et la timidité dominent votre 6 cœur. II faut que vous vous accoutumiez à mêler le courage et la fermeté avec une amitié tendre et sensible. Il faut craindre d'afSiger les hommes sans nécessité: il faut entrer dans leurs peines, quand on ne peut éviter de leur en faire, et adoucir le plus qu'on peut le coup qu'il est impossible de leur épargner entière- 10 ment C'est pour chercher cet adoucissement, répondit Télé- maque, que j'aimerais mieux qu'Idoménée apprît* notre départ par vous que par moi. Mentor lui dit aussitôt : Vous vous trompez,' mon cher Télé- maque ; vous êtes né comme les enfants des rois nourris dans la 16 pourpre, qui veulent que tout se fasse à leur mode,' et que toute la nature obéisse à leur volonté, mais qui n'ont pas la force de résister à personne en face. Ce n'est pas qu'ils se soucient des hommes, ni qu'ils craignent par bonté de les aflîiger ; mais c'est que, pour leur propre commodité, ils ne veulent point voir autour 20 d'eux des visages tristes et mécontents. Les peines et les misères des hommes ne les touchent point, pourvu qu'elles ne soient pas sous leurs yeux : s'ils en entendent parler, ce discours les impor- tune et les attriste :* pour leur plaire, il faut toujours dire que tout va bien; et, pendant qu'ils sont dans leurs plaisirs, ils ne veulent 25 rien voir ni entendre qui puisse interrompre leurs joies. Faut-il reprendre,* corriger, détromper quelqu'un, résister aux prétentions et aux passions injustes d'un homme importun; ils en donneront toujours la commission" à quelque autre personne. Plutôt que de parler eux-mêmes avec une douce fermeté dans ces occasions, 30 ils se laisseraient arracher^ les grâces les plus injustes ; ils gâte- raient' les affaires les plus importantes, faute de' savoir décider contre le sentiment de ceux avec qui ils ont affaire tous les jours. Cette faiblesse qu'on sent en eux fait que chacun ne songe qu'à s'en prévaloir : on les presse, on les importune, on les accable, et 35 on réussit en les accablant. D'abord on les flatte et on les en- cense pour s'insinuer ; mais dès qu'on est dans leur confiance, et qu'on est auprès d'eux dans les emplois de quelque autorité, on les mène loin, on leur impose le joug; ils en gémissent, ils l M.% W7, (2).— 2 M. L. 38, R. 2.-3 mode, famey.—é attriste, griexseê. B reprendre, r«proo6.— 6 la commission, Oit charge of it. — 7 arracher, to bt extorted. — 8 g&teriûent, wmdd spoU. — 9 fiante de,ybr want qf. UT.zxnL TÉLÉMAQUE. 868 veulent souvent le secouer ;^ mais ils le portent toute leur vie. Us sont jaloux de ne paraître point gouvernés, et ils le sont toujours : ils ne peuvent même se passer* de l'être ; car ils sont semblaUes . à ces faibles tiges* de vigne qui, n'ayant par elles-mêmes aucun soutien, rampent^ toujours autour du tronc de quelque grand 6 arbre. Je ne souffrirai point, ô Télémaque, que vous tombiez dans ce défaut, qui rend un homme imbécille pour le gouvernement Vous qui êtes tendre jusqu'à n'oser parler à Idoménée, vous ne serez plus touché de ses peines dès que vous serez sorti de Sa- 10 lente : ce n'est point sa douleur qui vous attendrit, c'est sa pré- sence qui vous embarrasse. Allez parler vous-même à Idoménée; apprenez dans cette occasion à être tendre et ferme tout ensem- ble: montrez-lui votre douleur de le quitter; mais montrez-lui aussi d'un ton décisif la nécessité de notre départ. 15 Télémaque n'osait ni résister îi Mentor ni aller trouver* Idomé- née ; il était honteux de sa crainte, et n'avait pas le courage de la surmonter: il hésitait, il faisait deux pas, et revenait incontinent' pour alléguer à Mentor quelque nouvelle raison de différer."' Mais le seul regard de Mentor lui ôtait la parole,^ et faisait dispa- 20 raître tous ses beaux prétextes. Est^e donc là, disait Mentor en souriant, ce vainqueur des Dauniens, ce libérateur de la grande Hespérie, ce fils dû sage Ulysse, qui doit être, après lui, l'oracle de la Grèce ? il n'ose dire à Idoménée qu'il ne peut plus retarder son retour dans sa patrie pour revoir son père! O peuple 25 d'Ithaque, combien serez-vous malheureux un jour si vous avez un roi que la mauvaise honte domine," et qui sacrifie les plus grands intérêts à ses faiblesses sur les plus petites choses ! Voyez, Télémaque, quelle différence il y a entre la valeur dans les com- bats, et le courage dans les affaires : vous n'avez point craint les 30 armes d'Adraste; et vous craignez la tristesse d'Idoménée! Voilà ce qui déshonore les princes qui ont fait les plus grandes actions : après avoir paru des héros dans la guerre, ils se mon- trent les derniers des hommes dans les occasions communes où d'autres se soutiennent avec vigueur. 35 Télémaque, sentant la vérité de ces paroles, et piqué de ce re- proche, partit brusquement sans s'écouter lui-même: mais à ■ 1 le secouer, shake it off. — 2 se passer, hd^^ avoid. — 3 tiges, atejna.—A ram- pent, cretp. — 5 aller trouver, go to; M. là. 26, R. 3. — 6 inoontinent, immt" dicUely. — 7 différer, delay. — 8 lui ôtait la parole, deprived kim qf the jHniDer qf speech. — ^9 que la mauvaise honte domine, wfiom an unworthy thamê gavema. 864 TÉLÉMAQUE. UV. XXm. peine commençait-il à paraître dans le lieu où Idoménée était assis, les yeux baissés, languissant et abattu de tristesse, qu'ils se crai- gnirent l'un l'autre ; ils n'osaient se regarder.* Ils s'entendaient sans se rien dire, et chacun craignait que l'autre ne rompît le si- ô lence; ils se mirent^ tous deux à pleurer. Enfin Idoménée, pressé d'un excès de douleur, s'écria: A quoi sert* de rechercher la vertu, si elle récompense si mal ceux qui l'aiment ? Après m'avoir montré ma faiblesse, on m'abandonne ! hé bien ! je vais retomber dans tous mes malheurs: qu'on ne me parle plus de 10 bien gouverner; non, je ne puis le faire; je suis las des hommes. Où voulez-vous aller, Télémaque ? Votre père n'est plus ; vous le cherchez inutilement : Ithaque est en proie à vos ennemis ; ils vous feront périr si vous y retournez : quelqu'un d'entre eux aura épousé votre mère. Demeurez ici : vous serez mon gendre 15 et mon héritier; vous régnerez après moi. Pendant ma vie même, vous aurez ici un pouvoir absolu; ma confiance en vous sera sans bornes. Que* si vous êtes insensible à tous ces avan- tages, du moins laissez-moi Mentor, qui est toute ma ressource. Parlez, répondez-moi, n'endurcissez pas votre cœur, ayez pitié du 20 plus malheureux de tous les hommes. Quoi ! vous ne dîtes rien ! Ah ! je comprends combien les dieux me sont cruels, je le sens encore plus rigoureusement qu'en Crète lorsque je perçai mon propre fils. Enfin Télémaque lui répondit d'une voix troublée et timide : je 25 ne suis point à moi;^ les destinées me rappellent dans ma patrie. Mentor, qui a la sagesse des dieux, m'ordonne en leur nom de partir. Que voulez-vous que je fasse ? Renoncerai-je à mon père, à ma mère, à ma patrie, qui me doit être encore plus chère qu'eux 1 Etant né pour être roi, je ne suis pas destiné à 30 une vie douce et tranquille, ni à suivre mes inclinations. Votre royaume est plus riche et plus puissant que celui de mon père : mais je dois préférer ce que les dieux me destinent à ce que vous avez la bonté de m'ofirir. Je me croirais heureux si j'avais An- tiope pour épouse, sans espérance de votre royaume : mais, pour 35 m'en rendre digne, il faut que j'aille* où mfts devoirs m'appellent, et que ce soit' mon père qui vous la demande pour moi. Ne m'avez-vous pas promis de me renvoyer à Ithaque ? N'est-ce pas sur cette promesse que j'ai combattu pour vous contre Adraste 1 se regarder, interchange a look. — 2 so mirent, commenced; M. L. 69, R. 3. — 3 à quoi sert, why should wû. — 4 que, bvi. — 5 à moi, my own moAttr. 6 Jl(f. L. 73, R. 1. — 7 que ce soit, ti^ muet be. UV. zxin. TÉLÉMAQUE. 856 avec les alliés ? Il est temps que je soDge à réparer mes mal- heurs domestiques. Les dieux qui m'ont donné à Mentor, ont aussi donné Mentor au fils d'Ulysse pour lui faire remplir ses destinées. Voulez-vous que je perde Mentor après avoir perdu tout le reste ? Je n'ai plus ni biens,* ni retraite, ni père, ni mère, 6 ni patrie assurée : il ne me reste* qu'un homme sage et vertueux, qui est le plus précieux don de Jupiter. Jugez vous-même si je puis y renoncer, et consentir qu'il m'abandonne. Non, je mour- rais plutôt Arrachez-moi la vie; la vie n'est rien: mais ne m'arrachez pas Mentor. 10 A mesure que Télémaque parlait, sa voix devenait plus forte, et sa timidité disparaissait. Idoménée ne savait que répondre, et ne pouvait demeurer d'accord'' de ce que le fils d'Ulysse lui disait. Lorsqu'il ne pouvait plus parler, du moins il tâchait^ par ses re- gards et par ses gestes de faire pitié. Dans ce moment il vit 15 paraître Mentor, qui lui dit ces graves paroles : Ne vous aflligez point: nous vous quittons; mais la sagesse qui préside aux conseils des dieux demeurera sur vous : croyez seulement que vous êtes trop heureux que Jupiter nous ait en- voyés ici pour sauver votre royaume, et pour vous ramener* de 20 vos égarements.' Philoclès, que nous vous avons rendu, vous servira fidèlement: la crainte des dieux, le goût de la vertu, l'amour des peuples, la compassion pour les misérables, seront toujours dans son cœur. Ecoutez-le, servez-vous de lui avec con- fiance et sans jalousie. Le plus grand service que vous puissiez 25 en tirer est de l'obliger à vous dire tous vos défauts sans adou- cissement.^ Voilà en quoi consiste le plus grand courage d'un bon roi, que de chercher de vrais amis qui lui fassent remarquer ses fautes. Pourvu que vous ayez ce courage, notre absence ne vous nuira® point, et vous vivrez heureux : mais si la flatterie, qui 30 se glisse comme un serpent, retrouve un chemin jusqu'à votre cœur pour vous mettre en défiance contre les conseils désintéres- sés, vous êtes perdu. Ne vous laissez point abattre' mollement à la douleur, mais efibrcez-vous de suivre la vertu. J'ai dit à Philoclès tout ce qu'il doit" faire pour vous soulager et pour 36 n'abuser jamais de votre confiance ; je puis vous répondre de lui : les dieux vous l'ont donné comme ils m'ont donné à Télémaque. 1 biens, wealth. — 2 il ne me reste, there remains to me ; M. L. 85, R. 4. 3 demeurer d'accord, acquiesce.— 4 tâchait, endeavored. — 5 ramener, cure, 6 égarements, errors. — 7 adoucissement, disguise^ palliation. — 8 ne vous nuira point, wUl not be injurions to you. — 9 abattre, ta be prostrated. — 1 doiti êhauM; M. L. 35, R. 5. 866 TÉLÉMAQ^E. IlV.xaSL Chaenn doit suivre courageusement sa destinée ; il est inutile de s'affliger. Si jamais vous aviez besoin de mon secours, après que j'aurai rendu Télémaque à son père et à son pays, je revien- drais vous voir. Que pourrais-je faire qui me donnât un plaisir 6 plus sensible ! Je ne cherche ni biens ni autorité sur la terre ; je ne veux qu'aider ceux qui cherchent la justice et la vertu. Pourrais-je oublier jamais la confiance et l'amitié que vous m'avez témoignées? A ces mots Idoménée fut tout-à-coup changé, il sentit son cœur apaisé, comme Neptune de son trident apaise les flots en 10 courroux et les plus noires tempêtes : il restait seulement en lui une douleur douce et paisible ; c'était plutôt une tristesse et un sentiment tendre qu'une vive douleur. Le courage, la confiance, la vertu, l'espérance du secours des dieux, commencèrent à re- naître^ au-dedans de lui. 16 Hé bien! dit-il, mon cher Mentor, il faut donc tout perdre, et ne se point décourager! Du moins souvenez-vous d'Idoménée quand vous serez arrivé à Ithaque, où votre sagesse vous comble- ra de prospérité. N'oubliez pas que Salente fut votre ouvrage, et que vous y avez laissé un roi malheureux qui n'espère qu'en vous. 20 Allez, digne fils d'Ulysse, je ne vous retiens plus, je n'ai garde* de résister aux dieux qui m'avaient prêté un si grand trésor. Al- lez aussi. Mentor, le plus grand et le plus sage de tous les hromesso à la nymphe Sangaride, la déesse J'en punit dans la personne de sa maî- tresse ; il entra à cette occasion en fureur contre lui-môme, mais la déesse le métamorphosa en pin. Avertie, lac fameux chez les anciens, dans la Campanie ou terre de Labour, près de Pouzzcl. Les poètes l'ont pris pour l'entrée des enfers. Avfide, rivière d'Italie, qui des- cend de l'Apennine Horace en parle souvent. Aidon, dont il est parlé au livre XVIII., était une colline près de Tarente, dans la grande Grèce. BABYLONE, capitale de la Chaldée en Asie, la plus ancienne ville du monde, fondée par Bélus, qu'on croit être Nemrod. On en voit des vestiges à 30 lieues S. 0. de Bagdad. Bacchantes, prêtresses de Bac- chus. Bacchus, fils de Jupiter et de Sémélé, fut nourri par les nymphes de la ville de Nysa; il eut aussi Silène pour noumcier. On le fait dieu du vin. Baiéazar. voyez Pygmalwn. BeUérophouj fils do Glaucns, roi de Corinthe. BelloTie, déesse de la guerre, sœur de Mars. Elle préparait le char et les chevaux de son frère, lorsqu'il partait pour la guerre. Bélus. Il y a eu plusieurs rois de ce nom, mais celui dont il s'agit au XIXe. livre, était père de Danaûs, roi d'Argos. Béiique, contrée considérable de l'Espagne, qui comprenait en grande partie les provinces nommées aujour- d'hui le royaume de Grenade et l'Andalousie. Elle prenait son nom du fleuve Bélis ou Bœtis, aujour- d'hui Guadalquivir,qmla.'psLTtAge&ii en deux. Elle était à l'extrémité des mers pour les anciens, particu- j lièrement pour les Grecs, qui ne I connaissaient guère que la Méditer- I ranéo. On en voit une description au livre VIII. BrhidcSj Brundusium^ ville sur la ! mer Adriatique. C'était le port le i T)lus fréquenté pour le trajet entre r Italie et la Grèce. Elle subsiste encore sous le môme nom à l'est de Tarente. BriUiens^ colonie de Lacédé- nioniens, à l'extrémité de la grande Grèce au sud de la Lucanie. Voy, ce mot. CACUS, fils de Vulcam, était un fameux brigand qui habitait les en- virons du mont Aventin, l'une des sept collines de Rome. Il enleva des bœufs à Hercule, et les tirant par la queue, il les fit entrer à recu- lons dans sa caverne afin que les traces ne le fissent point reconnaître pour auteur du vol ; mais Hercule découvrit sa ruse et le tua. Cdùtre. fleuve de la Lydie, dans ; l'Asie-Mineure. I J0alyifl7i, ville de la Grèce dans j rÊtolic, elle donna son nom à la forêt, oli les poètes ont feint que Méléagre tua un sanglier mons- trueux. Calypso, nymphe ou déesse, fille du joiir, selon les uns, de l'Océan et de Thétis, selon d'autres. Elle régnait dans l'île d'Ogygie, où eUe reçut Ulysse qu'une tempête y avait 878 DICTIOKNAIBE Jeté. Elle l'y retint sept ans ; puis ce héros la quitta, préférant sa patrie et Pénélope son épouse à 1 immortalité, qu'elle lui offrit. Ca- lypso reçut aussi favorablement Télémaque. Capharée, promontoire à l'ex- trémité méridionale de l'Eubéo, aujourd'hui île de Négrepont. Carie, province maritime qui for- mait la partie S. 0. de l' Asie-Mi- neure. Caron, fils de l'Erôbe et de la Nuit, était le nautonnier des enfers ; il y passait les ombres dans sa barque ; celles qui n'avaient pas reçu la sépulture sur la terre, étaient cent ans à errer sur le rivage du Styx, avant de passer dans les enfers. Carpathie, aujourd'hui Scarpanto, île à l'entrée de la mer Egée. Carybde, v. Scylla. Carlhage, ville célèbre d'Afrique, long-temps la rivale de Rome, capi- tale d'un vaste État. Didon en est regardée comme la fondatrice. Castor, fils de Jupiter et de Léda, femme de Tyndare, roi de Sparte, avait un frère nommé PoUux, qui reconnaissait Tyndare pour son père. Ils suivirent Jason dans la Colchide, et eurent beaucoup de part à la conquête de la toison d'or. Ils s'aimaient si tendrement qu'ils ne se quittaient jamais. PoUux, ayant obtenu l'immortalité, Jupiter lui permit de la partager avec son frère. Il obtint cette grâce, de façon que quand l'un était aux enfers, l'autre renaissait dans le ciel. Us furent placés dans le Zodiaque, sous le nom de constellation des Jumeaux. Cécrops, originaire d'Egypte, est regardé comme le fondateur d'Athènes; il poliça les Grecs par les^ lois qu'il avait apportées d'Egypte; la première loi qu'il établit, fut celle du mariage. Centaures, peuples de ïhessalie près du mont Pélion. On feint qu'ils étaient moitié hommes et moitié chevaux. Aux noces de Pirithoiis et d'Hippodaraie, ils se querellèrent avec les Lapithes, au- tre race monstrueuse de Thessalie. V. locion. Cerbère, chien à trois tètes, que les poètes mettent à l'entrée des en- fers. Orphée l'endormit au son de sa lyre; Hercule l'enchaîna, et la Sibylle, qui conduisit Enée aux en- fers, l'amusa avec un gâteau. Cérès, fille de Saturne et de Cy- bèle, et déesse de l'agriculture. Elle parcourut toute la terre pour chercher sa fille Proserpine, que Pluton avait enlevée. Cfuivips Élysées, v. Élysées. Chimère, monstre qui avait la tôt« d'un lion, le corps d'une chèvre, et la queue d'un dragon. Chypre, v. Cypre. Cllicie, contrée de l'Asie-Mineure sur la Méditerranée, boniée au nord par le mont Taurus. Clrcé, fille du soleil, célèbre ma- gicienne. Elle reçut Ulysse, et pour le retenir, elle changea ses compa- gnons en pourceaux. Clytemnestre, femme d'Agamem- non. V. ce nom. Cocyle, fleuve d'enfer qui entou- rait le Tartare, et qui s'augmentait des larmes des méchants. Culclies ou Colchide, royaume d'A- sie. Colonnes d'Hercule, deux monta- gnes aux deux côtés du détroit de Gibraltar : Calpé en Europe et Aby- la en Afiique. Les poètes disent qu'Hercule, trouvant ces deux mon- tagnes unies, les sépara, et ouvrit par-là une communication entre l'Océan et la Méditerranée. Crète, une des grandes îles de la mer Méditerranée, entre la mer Egée et la Lybie ; rien ne la rendait plus remarquable dans l'autiquitc, que d'avoir donné naissance à Jupiter ; les Turcs la nomment Jêriti, et les autres nations Candie. Crotone, ville de la grande Grèce à l'entrée ckîcidentale du golfe de Tarente. Ses habitants passaient {)Our être forts et robustes; elle a conservé son nom, on l'appelle Croto7ie. Cupidon, fils de Vénus, présidait comme sa mère à la volupté. Cyclopes, géants de Sicile, qui n'a- vaient qu'un œil, au milieu du front. Us étaient les forgerons de YulcaiQ. MYTHOLOGIQUE ET GÉOGRAPHIQTJB. 879 Çypre, une des plus grandes îles de la mer Méditerranée. Elle a conservé son nom. quoiqu'on dise plus communément C/iypre. Cylàère, ville de l'île de Chypre dans la partie septentrionale, consa- crée à Vénus 11 ne faut pas la confondre avec Cythère île égale- ment consacrée à Vénus. Selon les poètes, cette déesse fut formée de l'écume de la mer près de cette île. DAMAS, ville de la Syrie, presque aussi aîicienne que le monde. Danaïdes, (Î^'S,) étaient cinquante sœui-s, filles de Danaiis, roi d'Argos. Ell/'S furent mariées à autant de fils d'Egyptus. frère de Danaiis. Celui- ci qui avait appris de l'oracle qu'un de ses gendres lui donnerait la mort, arma ses filles de poignards. Il leur ordonna de tuer leurs maris la pre- mière nuit de leurs noces. La seule Hypermnestre sauva la vie au sien. nommé L/yncès. Celui-ci dans la suite fit mourir Danaiis et lui suc- céda. Les Danaïdes furent con- damnées par les dieux à remplir con- tinuellement dans les enfers un tonneau percé, et leur supplice devait finir dès qu'elles seraient parvenues à le remplir. Danaûs, voyez Danaïdes. Dauniens, peuples de la Daunie, province de la grande Grèce. Elle est connue aujourd'hui sous le nom de Capitanata. Dauphin, poisson de mer. On dit qu'il est ami de l'homme, qu'il va au devant des vaisseaux et joue tout autour. Dédale, Athénien, père d'Icare, artiste célèbre, qui essaya de voler au moyen de deux ailes qu'il atta- cha à ses épaules, ce qui veut dire sans doute qu'il perfectionna la na- vigation en ajoutant des voiles aux vaisseaux. Déjanire, femme d'Hercule. En l'emmenant, il dut passer le torrent d'Evène qui coulait près de Caly- don ; Nessus, centaure, lui offrit de la prendre sur son dos ; Hercule ac- cepta l'offre et passa le premier. Le ceutaure le voyant éloigné voulut attenter à l'honneur de Déjanire; mais Hercule lui décocha aussitôt une flèche teinte du sang de l'Hydre de Lerne (v. Hyire) qui le blessa mortellement. La suite de cette fable est racontée au commence- ment du liv. XV. Diane, fille de Jupiter et de La- tone, sœur d'Apollon, était la déesse de la chasse. On l'appelait Diane dans les bois, Lmie dans le ciel, et Hécate dans les enfers. Dldon. V. Png7nalion. Di/miède, roi d'Étolie, fils de Ty- dée, était un des plus vaillants capi- taines qui assiégèrent Troie: Ulysse et Diomède tuèrent Rhésus, roi de Thrace, et emmèneront ses chevaux dont dépendait une partie des des- tinées de Troie. Dtdopes, V. PJiéiiix. Diilichie, île de la mer Ionienne, l'une des Échinades, à l'embou- chure de l'AchéloUs, dépendante d'Ithaque; c'est de là qu'Ulysse est surnommé Dulichius. On la nomme aujourd'hui Dolichîo. ÉCHINADES petites îles de la mer Ionienne, vis-à-vis de l'Êtolie. Écho, nymphe qui, par ses contes agréables, savait amuser Junon, et l'empêcher par-là de surprendre Ju- piter dans ses infidélités continuelles. La déesse s'aperçut de l'artifice, et en punition la condamna à ne parler qu'après les autres, et à ne répéter que les dernières syllabes qu'ils prononceraient. Égide, bouclier ou cuirasse, fait de la peau de la chèvre Amalthée, qui avait nourri Jupiter ; ce dieu le donna à Minerve. Elle y attacha la tête de Méduse, environnée de ser- pents. Égyplns, prince qui mérita par sa sagesse que le pays où il régna prît de lui le nom d'Egypte. Élysées, (Champs,) séjour où les poètes feignaient que les ombres de ceux qui avaient bien vécu, jouis- saient d'un bonheur parfait. Énêe, prince troyen, fils d'An- chise et de Vénus. Après la prise de Troie, il se aauva chargé de ses dieux pénates, de son père qu'il 880 DIOTIONNAIBE portait sur ses épaules, et de son fils Ascagoe qu'il menait par la main. Il s'embarqua, passa en Épire, et après avoir essuyé plu- sieurs tempêtes, il aborda à Car- thage ; de là il fit voile pour la Si- cile, et enfin il arriva en Italie après avoir été long-temps le jouet des vents. Il y fonda un petit état que les Romains regardaient comme le berceau de leur empire. Il est le hé ros du chef-d'œuvre de Virgile. Enna, ville au milieu de la Sicile,, sur une montagne célèbre par le temple de Cérès, et par la réputa- tion qu'elle avait d'avoir été le sé- jour de cette déesse. Éole^ fils d'Hippotas, roi des îles ÉolienneSf au nord de la Sicile; il avait une connaissance particulière de la navigation, il en faisait part aux étrangers, et prédisait assez souvent les vents; c'en fut assez pour que les poètes lui en donnas- sent le gouvernement, et une origine divine en le déclarant fils de Jupiter. Épire, contrée occidentale et ma- ritime de la Grèce septentrionale. Érèbe, (1') se prend souvent pour les enfers. ÉricthoUf fils de Vulcain et de la terre, 4e. roi d'Athènes, avait les jambes si mal faites, que pour en cacher la difibrmité, il inventa l'u- sage des chars et l'attelage de quatre chevaux. Éryx, roi de Sicile, fils de Butés et de Vénus, fut tué par Hercule. Escida/pe^ fils d'Apollon et de la Nymphe Coronis, fut l'élève du cen- taure Chiron, qui lui apprit les se- crets de la médecine. Il fit dans cette science de si grands progrès et de si belles cures, qu'il fut honoré comme le dieu de la médecine. Ethiopie^ grande contrée d'A- frique; c'est aujourd'hui la Ni- gritie. EtTuij fameux volcan de Sicile, au sommet d'une montagne, appe- lée aussi le mont Gibet par les mo- dernes, dans la vallée de Démona. Les poètes ont feint que c'étaient les forges de Vulcain, et que les cy- cloi)es y travaillaient aux foudres de Jupiter. Étolie, {Y) contrée de la Grèce au nord du golfe de Corinthe, fait partie aujourd'hui de la Livadie. Élrurie, province d'Italie, au- jourd'hui la Toscane. Evdée, lie de la mer Egée ou de l'Archioel. On la nomme aujoui^ d'hui Nêgrepont Eucharis, nymphe imaginaire de la déesse Calypso; Télémaque en fut épris. Ewïïiée ou Ewmènes, intendant des troupeaux d'Ulysse. Il reçut ce héros à son retour dans l'île d'I- thaque, après le siège de Troie et sa longue navigation. Il lui donna les moyens de se venger des amants de Pénélope. Europe^ fille d'Agénor, roi de Phénicie, et sœur de Gadmus. Ju- piter déguisé en taureau, l'enleva et la porta dans l'île de Crète ou Candie. EmotaSy rivière du Péloponèse (Morée.) Eurydice, femme d'Orphée Étant poursuivie par Aristée, elle fut piquée d'un serpent, et mourut de cette blessure ; Orphée descendit aux enfers, et par les charmes de sa voix et de sa lyre, il obtint son retour, à condition qu'il ne regar- derait point derrière lui qu'il ne fût sorti des enfers ; mais son im- patience l'empêcha d'obéir à cette loi; Eurydice disparut aussitôt, et lui fut ravie. FA UNES, dieux champêtres. Ils étaient chez les Romains, ce que les satyres étaient chez les Grecs. GADÈS, île et ville d'Espagne, avec un des plus beaux ports que l'on connaisse sur l'Océan, assez près du détroit de Gibraltar qui prenait le nom de Gaditanum Fre- tnm. C'est aujourd'hui Cadix. Galèse, rivière d'Italie, qui coule à rO. de Tarente, et se rend dans le golfe de ce nom. Ganymède^ fils de Trois, roi de Phrygie, Jupiter le fit enlever par son aigle. Il lui donna l'em]^! qu'avait Hébé, de verser le nectar aux dieux. MYTHOLOGIQUE ET GBOGBAPHIQUB. 881 GarganXi^ont,) argourd'hui Monte Sant Angelo, montagne de l'Apulie, qni couvre une terre avancée en mer, et fait l'éperon de la botte, que donne la figure de l'Italie. Géants, hommes d'une grandeur extraordinaire, enfants de Titan. Ils osèrent escalader le ciel pour y détrôner Jupiter, qui les foudroya. Grèce, (la.) c'est la partie mé- ridionale de la Turquie d'Europe. On donnait aussi le nom de Grande Grèce à une grande contrée de l'Ita- lie, aujourd'hui la Calabre, la Basi- licate, etc. HARUSPICES, ou Aruspices, devins, qui dans les sacrifices pré- tendaient, par l'inspection des en- trailles des victimes, connaître les événemeùts futurs. Hébé, fille de Junon, était la déesse de la jeunesse ; elle servait le nectar aux dieux, avant que Ju- piter eût enlevé Ganymède pour en faire son échanson. Hébrej fleuve de la Thrace en Romanie. Hécate, v. Diane. Hécatombe, sacrifice de cent vic- times. Hector, v. Achille. Hélène, fille de Tyndare et de Léda, épousa Ménélas, roi de Lacé- démone ; ella fut d'abord enlevée par Thésée qui la rendit peu après ; puis par Paris, fils de Priam, qui" la conduisit à Troie. Ménélas et son frère Agamemnon, avec le secours de tous les princes de la Grèce, qui s'étaient confédérés, vengèrent ce rapt par la prise de Troie. Hélénus, fameux devin, fils de Priam, roi de Troie. Il eut la lâ- cheté de découvrir aux Grecs un naoyen sûr de surprendre Troie, en leur conseillant d'enlever le Pal^ ladium auquel la conservation de Troie était attachée. Pyrrhus, en récompense, lui donna la partie de l'Épire nommée Chaonie. Hercule, fils de Jupiter et d'Alc- mène, est célèbre dans l'antiquité fabuleuse par les 12 travaux aux- quels il fut condamné, et qui ser- virent à le couvrir de gloire. Il épousa Dejanire sur la terre, ©t Hébé dans le ciel. Hespérides, jardin des filles d'Hes- per, où les arbres portaient des pommes d'or ; il était gardé par un dragon qu'Hercule tua pour en cueillir. Hespérie, ce mot vient de Hesper ou Vesper, qui marque le couchant. Comme l'Italie est plus occidentale que la Grèce, les Grecs la nom- mèrent Hespérie ; et les Latins don- nèrent ce même nom à l'Espagne, parcequ'elle a la même situation à leur égard ; et pour distinguer l'une de l'autre on nommait l'Italie la grande Hespérie. Himériens, habitants de la ville Hlmère, sur la côte septentrionale de la Sicile, à l'Ouest et près de l'embouchure du fi'euye du même nom ; autrefois florissante ; elle fut ruinée par les Carthaginois. Htppolyte, fils de Thésée et de la reine des Amazones. Hippo-mène, v. Atalante. Hydre, serpent de Leme. Il avait sept têtes qui renaissaient à mesure qu'Hercule les abattait; ce qui fit qu'il employa le fer et le feu pour le détruire. Il y réussit, et ce fut le plus glorieux de ses travaux. Hylas, jeune homme d'une beauté singulière, fils de Théodamas, fut aimé d'Hercule. Les nymphes le ravirent au moment qu'il se pen- chait pour puiser de l'eau dans le fleuve Ascanius. Hyper m'nestre, v. Danaïdes. ICARE, V. Dédale. Ida, montagne célèbre dans l'île de Crète ou Candie. On dit que Ju- piter y fut nourri dans son enfance. Idalie, montagne de l'ile de Chy- pre, consacrée à Vénus. Idoménêe, petit fils de Minos, roi de Crète, se distingua au siège de Troie. On ne peut rien ajouter au récit des aventures que l'illustre Fénelon fait de ce héros de la fable, liv. 6, 9, 10, etc. Inachus, fondateur du royaume d'Argos. Ino, V. Leucothoé. lole, V. Dejanire. 382 DICTIONNAIRE Iris, messagère de Junon qui en récompense de ses bons services, la plaça dans le ciel ; c'est ce qu'on appelle L' arc-en-ciel. Jsmare, montagne de la Thrace ou Bomanie. IfÀaque, île de la Grèce dans le golfe de Patras au nord et près de l'ile de Céphalonie. Elle est toute hé- rissée de montagnes et de rochers, et file a 7 lieues de circuit et quelques villages. Elle est célèbre pour avoir été la patrie d'Ulysse. On la nomme aujourd'hui la petite Cép/uilonie, et Théaki. Jxion, roi des Lapithes. aspira à la possession de Junon. Jupiter, pour se convaincre de ce dessein criminel, envoya une nuée sous la forme de cette déesse. Les Cen- taures en naqirirent. Jupiter, en courroux, foudroya Ixion, et le pré- cipita dans les enfers où il est at- taché à ùue roue qui tourne sans cesse. Jupiter, fils de Saturne et de Rhée, frère et mari de Junon, fut adoré comme le premier des dieux ; il partagea le monde avec ses deux frères, et eut le ciel pour royaume. V. Se mêlé. LACÉDÉMONE, nommée aussi Sparte, ancienne ville de la Grèce, capitale de la Laconie. Elle était distinguée dans la Grèce par ses lois et par la valeur de ses habitants. Laconie, v. Cetitanrts. Laërte, roi d'Ithaque, père d'U- lysse, mourut après avoir eu la con- solation de revoir son fils de retour du siège de Troie et de ses longs voyages. Laoméflon, roi de Phrygie, fils d'Ilus et père de Priara. Il bâtit la citadelle de Troie, et y réussit si bien, que l'ouvrage fut attribué à Apollon, dieu des arts et à Nep- tune, parceque Laomédon avait éle- vé des digues contre la fureur des vagues. La fable ajoute qu'ayant refusé le salaire à ces dieux, ils s'en Vengèrent l'un par la peste, l'autre en envoyant un monstre après une inondation terrible. Pour levS apai- ser, Laomédon fut obligé d'exposer sa fille Hésione à la fureur du mon- stre. Hercule l'en délivra à condi- tion qu'il l'épouserait. Laomédon manqua encore à sa parole. Her- cule, indigné, ruina la ville, le tua, et donna Hésione à Télamon, qui le premier avait monté à l'assaut. LapUhes, v. Centaures. Latone, fille du Titan Cœlusj et mère d'Apollon et de Diane. Lemnos, lie de l'Archipel, pres- qu'au fond de ce golfe, entre le mont Athos et le détroit des Dar- danelles. Lcrne, marais du territoire d'Ar- gos dans le Péloponèse, sur la rive occidentale du golfe d'Argos. V. Hydre. Lesbos une des principales îles de la mer Egée. Elle est connue au- jourd'hui sous le nom de Mételin^ du nom de l'ancienne ville Myti- Lène. Ledrigmis, (les) étaient comme les Cyclopes. fils de Neptune, et aussi fé- roces qu'eux. Ulysse ayant été jeté sur leur plage, les Lestrigons tirent périr ses vaisseaux, excepté celui qu'il montait. Létàé, fleuve d'enfer, qui faisait perdre aux morts le souvenir du passé. Lencale, cap de l'Êpire, nommé aujourd'hui, it Capo DucaJ^?. Leacothoé, nom d'Ino. Ayant tué ses deux enfans qu'elle croyait être des lionceaux, elle se précipita de désespoir dans la mer, et fut méta- morphosée en nymphe par Neptune. Linus, fils d'Apollon et de Ter- psichore, enst igna à jouer de la lyre à Orphée son frère et à Hercule. Liris, fleuve d'Italie. On le re- trouve aujourd'hui sous le nom de Gaiigliano dans la terre de Labtmr. Locntns. (les) dont il est parlé au Xe. livre, étaient un i)euple à l'extrémité sud-est de litalie. Lucanie, région d'Italie dans la grande Grèce. Lijcie, province méridionale et maritime de l'Asie- Mineure. Elle fait partie aujourd'hui du canton Aidinelli de Natolie. Lycomè/e, v. Achille. Zjydie, province occidentale de MYTHOLOGIQUE ET GÉOGRAPHIQUE. 383 rAsie-Mineure sur la mer Egée. On l'appelle aujourd'hui Carasic. Jjyncée, v. Danaides. MANDURIENS, peuple do la grande Grèce. V. liv. Xe. Mars, fils de Junon, né dans la Thrace, dieu de la guerre et des armes, frère de Bellone. MempMs, ancienne capitale de lÉgypte, sur la rive gauche du Nil. Mênades, on donnait ce nom aux Bacchantes. V. ce mot. Ménêlas, fils d'Atrée, frère d'Aga- memnon et roi de Lacédémone. 11 avait épousé Hélène que Paris lui enleva, ce qui causa le fameux, siège de Troie. Mentor, était l'ami le plus fidèle d'Ulysse, et celui à qui il confia le soin de sa maison, sous les ordres de Laërte, en partant pour le siège de Troie. Minerve prit la figure de Mentor pour accompagner Télé- maque, lorsque ce jeune pdncc par- tit d'Ithaque pour aller chercher son père. Mercure, fils de Jupiter et de Maïa, était le dieu de l'éloquence et du commerce, le patron des voleurs et le courrier des dieux, particulière- ment de Jupiter. Messapie, contrée de la grande Grèce, aiyourd'hui la terre d'O- trante. Métaponte, ville de la grande Grèce à l'ouest de Tarente. Elle fut fondée par Nestor. Minerve, ou PaUas, déesse des arts et de la guerre, et fille de Jupi- ter, qui la fit sortir de son cerveau, armée de pied en cap. Ce fut en faveur de Minerve que les dieux décidèrent dans la dispute qu'elle eut avec Neptune, à qui produirait la chose la plus utile à l'homme. Neptune, d'un coup de trident, avait fait sortir un cheval fougueux, image du trouble et de la guerre, et Mi- nerve avec sa lance avait fait naître rdivier, symbole de la paix. Minos, fils d'Astérius roi de Crète, se fit passer pour être fils de Jupi- ter et d'Europe ; il rendit ses sujets heureux par ses bienfaits et la sa- gesse de ses lois. On prétend qu'elles étaient encore en vigueur du temps do Platon. Minos, juge des enfers, est, selon quelques au- teurs, le même que ce dernier, et se- lon d'autres son petit-fils. Marphée, dieu du sommeil, endor- mait ceux qu'il touchait d'une plante de pavot. Ml/cènes, ville du Péloponèse, dans l'Argos, capitale du royaume d'Aga- memnon. NAÏADES, divinités qui prési- daient aux fontaines et aux rivières. Narcisse, fils de Céphise et de Liriope, était un jeune homme d'une figure si attrayante que toutes les nymphes l'aimèrent à l'envi; mais il les rejuta toutes. L'Amour les vengea de son indifférence en le ren- dant amoureux de lui-même, ou plutôt do son image qu'il vit dans une fontaine: il mourut de lan- gueur, et fut métamorphosé en la fieur qui porte son nom. Nauplius, roi de l'île d'Eubée, au- jourd'hui Négrepont. Irrité de ce que les chefs de l'armée grecque avaient fait mourir, à la sollicitation d'Ulysse, son fils Palamède qui était allé au siège de Troie, il fit allumer, pendant la nuit des feux au haut du mont Capharée, pour y attirer la flotte des Grecs battue de la tem- pête. Par ce stratagème, il eut la cruelle satisfaction de voir la plu- part des vaisseaux se briser contre les écueils. Mais Ulysse et Dio- mède échappèrent au piège. Naxos, île de la Grèce, la plus grande des Cyclades, au milieu de la mer Egée (Archipel.) Elle s'ap- pelle aujourd'hui Naxia ou Nazie. Néàrqdes, chaîne de montagnes de la Sicile au sud de Termiui. V. Himériens. Nectar, boispon délicieuse, qu'Hé- bé et Ganymède versaient aux dieux. Némée, forêt de l'Achaïe dans le Péloponèse, où Hercule étrangla un lion d'une force extraordinaire; il lui enleva la peau dont il se couvrit depuis. Némésis, fille de l'Océan et de la nuit, selon Hésiode ; et selon 384 DI0TlON^' AlKE d'autres, de Jupiter et de la néces- sité. Elle présidait à la punition des crimes. Néoptolème, ou Pyrrhvs^ fils d'A- chille et de I>éidamie, fille do Lyco- mède, roi de l'île de Scyros. 11 fat mené encore jeune, après la mort de son père, au siège de Troie ; comme lui, il s'y distingua par sa bravoure et ,ses cruautés. Il tua Priam au pied d'un autel, immola Polyxône sur le tombeau d'Achille, et préci- pita du haut d'une tour le jeune Astianax, fils d'Hector. Neptune^ fils de Saturne et de Rhée, dieu de la mer, empire qui lui échut en partage, comme le ciel à Jupiter et l'enfer à Pluton. V. Minerve. Nérée^ dieu marin, fils de l'Océan et de Téthis. Il épousa Doris, sa sœur et fut père des Néréides ou nymphes de la mer. Néréides, nymphes de la mer, filles de Nérce et de Doris. Elles avaient, comme les sirènes, le corps de femme jusqu'à la ceinture, et le reste terminé en poisson. Nérite, ville du pays des Salen- tîns, aujourd'hui Nardo, au nord de Gallipoli. Nessus, centaure, v. Déjatdrc. Nestor, fils de Nélée et de Chloris, et roi de Pylos dans le Péloponèse, se fit une grande réputation au siège de Troie par son éloquence et sa prudence. Apollon le fit vivre 300 ans. Il fonda la ville de Métaponte en Italie. Nûiis, petit-fils d'Atlas, régna, dit- on en Egypte et donna son nom au Nil. Nirée, roi de Naxos, était le plus beau des princes grecs qui allèrent au siège de Troie. No, était le nom de la ville d'A- lexandrie, avant qu'elle eut été re- bâtie par Alexandre-le-Grand. Numidù, région maritime et sep- tentrionale de l'Afrique, aiyourd'hui l'Algérie. Nymphes, déesses des eaux. On appelle aussi nymphes, les divinités des montagnes et des bois. OASIS, désert de la Thébaïde, aujourd'hui la haute Egypte, à l'ouest et aux confins de la Lybie. Oébaliem, Otbalia. On donnait quelquefois ce nom à la Laconie, dont Lacédcmone était la capitale, à cause d'Oébalus roi de Lacédé- mone. Oé^a, longue chaîne de mon- tagnes, qui borne en grande par- tie la Thessalie au sud. Elle est connue aujourdhui sous le nom de Bénlna. OiQ/gle, {)etite île appelée aussi Gaidôs, près de l'île de Malte. Ca- lypso y régnait; on l'appelle au- jourd'hui Gozzo. Olympe, montagne de la Macé- doine, où l'on croyait que Jupiter, avec toute sa cour, faisait sa de- uicure. Les poètes la prenaient pour le ciel. Omphale, reine de Lydie. Her- cule conçut une si violente passion pour cette princesse, que, pour lui plaire, il changea sa massue en que- nouille, sa peau de lion en ajuste- ments de femme, et s'amiisa à filer auprès d'elle. Or este, fils d'Agamemnon et de Clytemnestre, vengea la mort de son i)èie sur Clytemnestre même, sa mère, qui l'avait fait assassiner. 11 fut ensuite continuellement tour- menté par les furies. Orphée, fils d'Apollon. Ayant re- çu une lyre do son père, il en jouait si admirablement, qu'il attirait les animaux et les choses insensibles par les charmes de son harmonie. 11 toucha môme, par les accords de cet instrument, les divinités infer- nales, qui lui rendirent sa chère Eurydice ; mais elle lui fut enlevée presque aussitôt. V. Eurydice. OifJbli. (fieuve d',) v. Létké. P ALLAS, v. Minerve. Pan, fils, selon les uns, de Jupî- piter et de Oalistho; et selon les autres, de Mercure et de Pénélope : il était le dieu des bergers. On l'honorait d'un culte particulier en Arcadie. Pandore, figure de femme que Yulcain forgea et anima. Les dieux Pomèrent à Penvi des dons les pins MYTHOLOGIQUE ET GÉOGRAPHIQUE. 885 io \i G! 1)1 précieux, d'où loi vint son nom qui signifie tout don. Jupiter, irrité con- tre la terre, parceque Prométbée avait enlevé le &u du ciel, pour en animer les hommes, donna une boîte à Pandore. Êpiméthée, fVère de Prométbée, l'ouvrit, et aussitôt tous les maux de la nature, qui y étaient renfermés, se répandirent sur la terre. L'espérance seule resta au fond. JPaphos^ il y avait deux villes de ce nom dans l'Ile de Cbypre ; Palea PaphoSf ou l'ancienne, consacrée à Vénus, qui y avait un temple cé- lèbre; et NeorPapàos, ou la nou- velle, qui prévalait, et dont le nom moderne est Bafo ou Bafa. Elles étaient sur la côte occidentale de llle. Paris, ou Alexandre, fils de Prîam, roi de Troie, fut envoyé en qualité d'ambassadeur à Sparte ; il y enleva Hélène, femme de Ménélas, ce q^ui fut l'occasion de la guerre de Troie. Il tua Achille, et fut ensuite tué par Pyrrhus, fils de ce héros, et selon d'autres par Philoctète. V. Hélène et Vénus, Parques, déesses du destin et de la mort. Elles étaient au nombre de trois, occupée» à filer les desti- nées des hommes: la plus jeune, Clotho, tenait la quenouille ; Lâche- sis tournait le fuseau, et Atropos avec le ciseau fatal, tranchait le fil de la vie. Patrode, prince grec, fUt élevé avec Achille par le centaure Chiron ; il lia une étroite amitié avec ce hé- ros grec, et l'accompagna au siège de fioie. Pelée, fils d'Ëaque, mari de Thé- tis, fut père d'Achille et roi des Phtbiotes. V. Vénus. Péloponèse, grande presqu'île qui faisait la partie méridionale de la Grèce. Péluse, ville à l'embouchure du bras le plus oriental du Nil, était le remi>art et la def de l'ancienne Egypte. Pénates, ou Lares, dieux domes- tiques que les anciens regardaient, comme les protecteurs de leurs maisons et de leurs foyers. Ils les emportaient souvent avec eux, lors- qu'ils étaient forcés de quitter leuit demeures. V. Énée. Pénélope, fille d'Icare roi de La- conie, femme d'Ulysse et mère de Télémaque. Elle demeura fidèle à son mari pendant sa longue absence. Recherchée par plusieurs jeunes princes voisins, qui l'assuraient que son époux avait péri, elle les amusa en s'engageant à épouser un de ses préten&nts, dès qu'elle aurait ache- vé un ouvrage qu'elle travaillait, et pour traîner la chose en longueur, elle défaisait la nuit ce qu'elle avait fait le jour. V. Ulysse, PétiUe, ville d'Italie dans la grande Grèce, bâtie par Philoctète au retour de la guerre de Troie. Peucètes, peuple de la grande Grèce, qui habitait cette partie de l'Italie, nommée aujourd'hui la Terre de Bari. Phalante, v. Tarente, Pharos, île sur la côte d'Egypte, vis-à-vis d'Alexandrie, remarquable par un Phare magnifique que Pto- lomée Philadelphe y avait bâti. Phéaciens, (l'île des,) ainsi nom- mée de ses anciens habitants, est l'île de Corcyre, aigourd'hui Corfoîu Phénicie, contrée maritime de l'Asie, au nord de la Palestine. Tyr et Sidon en étaient les principales villes. Phénix, fils d'Amyntor roi des Dolopes, peuple de la Thessalie, que Néoptolème conduisit au siège de Troie. Philoctète, fils de Poean, Ait ami d'Hercule ; après le siège de Troie, il fonda la ville de Pétille dans 1* grande Grèce. V. le liv. XVe. Phlégéton, fleuve des enfers, qui roulait des flots de feu. Phocide, petit pays de la Grèce, célèbre à cause de l'orade de Del- phes, du Parnasse et du mont Héli- con séjour d'Apollon et des Muses. Phœous, V. Apollon, Phrygie, (la) était une des princi- pales provinces méridionales de i'Asie-Mineure. Phthiotes, peuple de la Thessalie, vers le sud-est, sur le Golfe MéUaGUt, aujourd'hui Zeition. 17 886 DICTIONNAIRB Pluton, fils de Saturne et de Rhée, eut les enfers en partage. Paan, père de PhUoctète. Pollux, V. Castor. Polyphème, fils de Neptune, était un Cyclope d'une grandeur déme- surée; il n'avait qu'un œil, et ne vivait que de vols et de brigandages. Son antre était dans la Sicile. Ulysse ayant été jeté par la tempête sur les côtes de cette île, trouva le moyen de Tenivrer, de lui crever l'œil, et d'échapper par là à sa fu- reur. Priam, roi de Troie, fils de Lao- médon, releva les murs de cette ville qu'Hercule avait détruite. Proserpinej fille de Jupiter et de Cérès, fut enlevée par Pluton, lors- qu'elle cueillait des fleurs dans les campagnes d'Ënna, en Sicile; elle devint déesse des enfers. V. Cérès. Pygmalion^ fils de Bel us, roi de Tyr, tua Sichée, mari de î)idon sa sœur, pour jouir de ses richesses ; mais Didon se sauva en Afrique avec ses trésors, et y fonda la ville de Carthage. Astarbé, aussi cruelle que lui, l'empoisonna, et voyant que le poison n'avait point des effets as- sez prompts, elle l'étouffa. Les aventures de Pygmalion, d'Astarbé et de Baléazar sont mieux rappor- tées aux liv. III. et VIII. que par les mythologistes. PylienSf habitants de Pylos que l'on nommait aussi Pylas-Neleia et PyloS'Nestor, ville de la Messénie, dans le Péloponèse, sur la côte occi- dentale. Navarin en a pris aujour- d'hui la position. C'étaitle royaume de Nestor. Pylos, y. Pyliens. Pyrrhus t ou Néoptolème, v. ce mot. RHÉSUS, V. Diamède. Rhodope, chaîne de montagnes de la Thrace ou Remanie. Elle la couvrait en grande partie vers le couchant. SALAPIA, ville de la grande Grèce, dans l'Apulie daunienne, au voisinage de la mer. Salentins, ces anciens peuples oc- cupaient, dans la partie méridionale de l'Italie, une partie de ce que Ton nomme aujourd'hui la terre d'O- trante sur le Golfe de Tarente. Les géographes, qui ont traité de l'an- cienne géographie, n'ont point parlé de fa ville de Salenle dont il est fait mention aux liv. IXe. et Xe. et que l'on fait capitale du pays des Salen- tins. Ce nom est bien donné à un cap : Salentinum promontorium, ap- pelé aussi Japygium, aujourd'hui Cap de Santa Maria di Leuca, mais point à une ville. SamoSy île de la mer Egée ou Ar- chipel, près de la côte méridionale de l'Asie- Mineure, est encore con- nue sous le même nom. Saturne, ou le Temps, fils du ciel, et de la terre, et mari de Rhée. Il obtînt le droit d'aînesse de son frère Titan, à la charge de n'élever aucun fils. C'est pourquoi Saturne les dévorait aussitôt qu'ils étaient nés: c'est-à-dire, qu'il dévorait le» jours, les mois et les années. Satyres, dieux des forêts. Scylla, rocher ou écueil à l'oppo- site de Carybde, gouffre non moins dangereux pour les vaisseaux que Scylla. Le bruit des fiots qui, dans cet endroit, vont se briser contre des rochers, a donné lieu aux poètes de feindre que c'étaient les aboie- ments des chifens, qui entouraient Scylla, fille de Phocos, changée en rocher. Scylla, qu'on appelle au- jourd'hui Capo Sciglio, est un rocher de la côte de la Calabre, qui s'avance en forme de presqu'île vers le cap de Faro en Sicile. Carybde est près de ce cap. Scyros, île de la mer Egée ou Ar- chipel, à l'est de celle d'Ëubée ou Négrepont, célèbre dans l'antiquité par l'exil de Thésée, roi d'Athènes, et le séjour d'Achille. Le nom de Skiro lui est resté. Scythes, peuples de l'Europe et de l'Asie. Ils habitaient, en grande partie, le pays occupé aigourd'hui par les Tartares, qui leur ressem- blent par leur manière de vivre. Ils étaient au nord par rapport aux Grecs. Sémélé, fille de Cadmus, roi de MYTHOLOGIQUE ET GÉOGRAPHIQUE. 887 Thèbes en Béotie. Elle fut aimée passionnément de Jupiter, dont elle eut Bacchus. Séyoslris, roi d'Egypte, qui dit- on régna plusieurs siècles avant le siège de Troie. On le dépeint comme un conquérant qui, après avoir soumis bien des provinces à son empire, s'occupa à ériger des monuments capables de l'immorta- liser. Sl^ée, promontoire, ville et port de la Troade, dans l'Asie-Mineure ou Natolie, à l'entrée de ï'Helles- pont ou détroit des Dardanelles. C'est sur ce promontoire qu'était le tombeau d'Achille. Silène, vieux satyre, fut le nour- ricier et le compagnon de Bac- chus. Simoîs, fleuve qui se jetait dans le Xanthe. Siponte, ville de la grande Grèce, dans l'Apulie-daunienne, près de la mer Adriatique ou Golfe de Venise. Sirènes, Les poètes les représen- tent comme des filles, qui habi- taient le rivage de la Sicile où elles attiraient les navigateurs par les charmes de leur chant et l'har- monie de leurs instruments, et les faisaient ensuite périr. Elles étaient trois principales, Leucosie, Lys te, et PartAénope. Elles défièrent un jour les Muses de chanter mieux qu'elles ; les neuf sœurs, les ayant vaincues, leur arrachèrent les ailes qu'elles portaient. Sisipàe, fils d'Éole; il est con- damné dans les enfers à rouler con- tinuellement une grosse pierre jus- qu'au sommet d'une montagne, d'où elle retombe incontinent. Sparte, v. Lacédémone. Spercàins, fleuve de la Thessa- lie On y donne aujourd'hui le nom d^Agriomela. Slyx, fontaine de l'Arcadie, dont les eaux sont froides et venimeu- ses. Les poètes en font un fleuve d'enfer, qui en fait neuf fois le tour. Ils ajoutent que quand les dieux jurent par ce fleuve, leur serment est inviolable. Sybarites, peuple de la grande Grèce, dans la Lucanie ; ils étaient renommés dans l'antiquité par leurs richesses et par leur vie efi^mi- née. La ville de Sybaris était située à l'extrémité méridionale de la Lucanie, près de l'embou- chure d'un petit fleuve du même nom. TANTALE, fils de Jupiter, roi de Phrygie, ayant reçu les dieux chez lui, voulut éprouver s'ils con- naissaient les choses cachées, et ju- ger par-là de leur divinité. Pour cela, il leur fit servir le corps du jeune Pélops son fils, mêlé parmi d'autres mets. Les dieux reconnu- rent cette cruauté, et précipitèrent Tantale dans les enfers, où il est tourmenté d'une faim et d'une soif perpétuelles, étant jusqu'au menton dans un fleuve qui s'enfuit, quand il y veut boire, et à portée d'un arbre chargé de fruits, qui se retire quand il veut y atteindre. Tarente, ville d'Italie, au royaume de Naples, dans le fond du golfe qui porte le même nom. Tarsis. Cette terre dont il est parlé au liv. Ville, dans la des- cription de la Bétique, est vraisem- blablement cette ile célèbre dans la haute antiquité, sous le nom de Tartessus, formée par le fleuve Bé- tis. Tartare, lieu des enfers, où, selon les poètes, les méchants étaient tour- mentés par toutes sortes d'horreurs et de supplices. Tél-amon, fils d'Êaque, frère de Pelée, épousa Péribée, dont il eut le fameux Ajax: il épousa ensuite Hésione. V. Laomédon. Télémaque, fils d'Ulysse et de Pénélope, n'était qu'au berceau lorsque son père partit pour le siège de Troie. Dès qu'il eut at- teint l'âge de 16 ans, il par courut les mers, accompagné de Minerve sous la figure de Mentor, son gou- verneur, pour chercher son père ; il le retrouva en arrivant à Ithaque. Ce sont les voyages de ce jeune prince, qui ont fourni le siyet de ce beau poème épique. Thèbes d'Egypte, ou Diospolis, d88 DICTIONNAIRE était nne des plus grandes villes dn monde, capitale de la Thébaïde, anjourd'hui la Haute Egypte. On dit qu'elle avait cenf^portes, d'où lui venait le nom Hécatompylos. T/iersite, le plus difforme et le plus lâche des Grecs qui allèrent au siège de Troie : il était si porté à contredire les héros de cette nation, qu'Achille, indigné contre lui. le tua d'un coup de poing. Thésée, fils d'Egée, roi d'Athènes, donna pendant sa vie des marques d'une valeur extraordinaire, marcha sur les traces d'Hercule, et alla aux enfers avec son ami. TAessalie, province de la Grèce, bornée au nord par l'Olympe. Tàétis, fille de Nérée et de Doris, épousa Pelée et fut mère d'Achille. V. Vénus. Tkrace, contrée qui s'étendait depuis la frontière de la Macé- doine, le long de la mer Egée et de la Propontide, jusqu'au Pont- Euxin. Thyeste, v. Atrêe. TUan, V. Saturne. Tilye, géant d'une grandeur ex- traordinaire, fils de Jupiter, ayant voulu attenter à l'honneur de Latone, fut tué par Apollon, et précipité dans les enfers, où il est condamné à avoir le foie rongé par des vau- tours : ce foie, sans cesse renaissant, fournit continuellement une nou- velle nourriture à ses tourments. Trachine, ou Héradée-Trachine, ville de la Thessalie au pied du mont Oéta. Triptolème, fils de Céléus, roi d'Êléusis, Cérès lui enseigna l'art de cultiver la terre, en recon- naissance de ce qu'il l'avait reçue honorablement, lorsqu'elle cher- chait sa fille Proserpine, enlevée par Pluton. TrUan, dieu marin, fils de Nep- tune et d'Amphitrite, était chargé d'annoncer les ordres de Neptune ; c'est pourquoi on le représente une conque à la main. Troie, ville d'Asie, capitale de la Troade et du royaume de Priam, dans l'Asie-Mineure, au pied du mont Tda, à une lieue de la mer Egée, près de rHellespont on dé- troit de Gallipoli : les Grecs la ren- dirent célèbre par un siège de dix ans, an bout desquels ils s'en em- parèrent par artifice. Mais ce fk- meux siège appartient plus à la fa- ble qu'à l'histoire. Typhis, V. Argonautes. T)/r, ville d'Asie dans la Phénî- cie, sur la mer Méditerranée, an snd de Sidon, fut célèbre dans l'histoire par son commerce, principalement sur la mer, par la bravoure de ses habitants, et par ses colonies. Elle était dans une petite ile. ULYSSE, fils de Laërte et d'An- tiolée, roi d'Ithaque et de Duli- chium, épousa Pénélope, fille d'I- care, dont il eut Tclémaque. Étant allé à la guerre de Troie, il enleva le Palladium. Achille ayant été tué, il reçut ses armes qui lui étaient disputées par Ajax. H fut un de ceux qui s'enfermèrent dans le cheval de bois, et contribua beaucoup par son courage et ses discours à la prise de Troie. Après le siéffe de cette viDe, il erra pen- dant dix ans sur les mers, essuya plusieurs tempêtes, dont l'une le jeta contre les rochers de l'île Ogy- gie ; Calypso l'y retint pendant sept ans. Pendant ce long voyage, il arracha l'œil à Polyphème, visita Circc, descendit aux enfers, et évita les embûches des sirènes. Enfin il arriva à Ithaque dans un état si pitoyable, qu'il ne fut reconnu de personne; il tua ceux qui avaient tâché de corrompre sa femme Péné- lope pendant son absence ; se démît de ses états en faveur de Télémaque, et fut tué par Télégone, son fils, qu'il avait eu de Circé. V. DUh- 7nèdef Pén étape. Vénus, déesse de l'amour, femme de Vulcain, mère de Cupidon, elle épousa aussi Anchise dont elle eut Ënée. Vénus était torgours accom- pagnée des Grâces, des Ris, des Plaisirs et des Attraits. Ses fêtes se célébraient par toutes sortes de débauches exécrables. Paris lui donna la pomme que Junon et Pal- las lui disputaient et que la Dis- MYTHOLOGIQUE ET GEOGRAPHIQUE. 889 corde avait jetée sur la table, aiix noces de Thétis et de Pelée. Vénusey ville de la grande Grèce en Italie, au pied de TApennin, patrie d'Horace. Elle existe dans Venosa^ petite ville épiscopale de la Basili- cate, dans le royaume de Naples. Vulcain, dieu du feu, fils de Ju- piter et de Junon. Son père, le trouvant fort laid le précipita du ciel dans llle de Lemnos ; il se cassa la jambe et en demeura boiteux. Il épousa Vénus, et* fut le forgeron des dieux. Il travaiUaît dans les îles de Lemnos, de Lipare, et au fond du mont Etna. Y. Cydapes, XANTHEj ou Scamandre, fleuve de la Troade, qui prenait sa source au mont Ida. ZACINTHE, île ; elle se nomme aiyourd'hui 2kt7Ue, FIN. VXWMAh ék mSOV^B PUBUOÀTIOlTt. SMDERS' SERIES OF SCHOOL READERS, CONSISTINQ OF SANDERS' PRIMARY SCHOOL PRIMER; 6 cti. SANDERS' PICTORIAL PRIMER; 12è cts. SANDERS' SPELLING BOOK, 168 pages. 12è cts. SANDERS' SCHOOL READER, ist Book ; 120 pages. i2| SANDERS' SCHOOL READER, 2d Book; 180 « is SANDERS' SCHOOL READER, 3d Book; 250 " 87j SANDERS' SCHOOL READER, 4th Book; 364 " 62 SANDERS' SCHOOL READER, 5th Book ; 456 « 75 Thèse books constitute the most valuable séries ever published — a fact fully evinced by the generous patronage which they hâve received from the Friends of Education throughout the country. More than two mil- Uons hâve been sold, and the demand is increasing. Their leading ad- *antages are as follows : Ist. The child ià taught to read by the use of intelligible words only -'beginning with the least, as those of two letters, and gradually advan- cing to those of greater length. 2d. AU the words in the first book, or Primer, are learned by the scholar in the spelUng lessons, before they meet with them in the reading icssons. AIso, the diificuit words of each reading lesson, in ail the Read- ers, are previously formed into speiling lessons. 3d. In the 3d and 4th Readers, the difficult words are defined in a gênerai and Uteral sensé. 4th. The Primary books contain more lessons of easy reading than other Works — there being about ninety pages made up of monos'^ lables. 5th. The progression fromone book to another, is more regular, grad- uai, and philosophical than usually found. 6th. The lessons are adapted to interest as well as instruct. 7th. The practical an»! judicious use of pigtures is calculated to assist, and not retard, the efforts of the teacher. 8th. The practical instructions in the Rhetorical principles of read- ing and speaking, contained in the 4th Reader, constitute a distinguishing characteristic of the work. 9th At the end of each lesson for reading, questions are asked, with référence to the proper in Sections, einphasis, &.C., which should beadopted in reading the lesson with propriety. lOth. In connection witn the questions, are références to the instruc* lions in other parts of the work. llth. The PRiNT is large and distinct, gradually dlminishing from tbt NEWMAK A IVISON'S PUBLICATIONS. large print of tbe Primer to khat of the ordixtary sbe, contained in the 4lk Rfoder. 12th. A ffreater yariett, both in style and subject, is found in thki ■eries than is usual in books of the kind. iSth. The Spelling and Prcm^unciation throughoutthe séries are ani- ibrmly in accordance with those of Dr. Webster. 14th. The instructions in the sounds and power of letters, as well as the " General Rules for Spellino," are more clearly presented in " Sanders' Spelling Book," than any other work of the kind. The Convention of State and Coonty Superintendents of Schools in Vermont. held pnrsoant to adjournment in the State Honse, Montpelier^ Oct. 14, 1846, nnanimoiisly recommended Sanders' Séries of School Books, consisting of Sanders' Spelling Book, Pictorial or Primary School Primer, and Sanders' Readers, Nos. 1, 3, 3, and 4, for the nniform adop- tion in the Common Schools of the State. Of this Convention Hon D. M. Camp was Président. From A. S. LoveU^ Principal of City High Scftooi, MiddUtown^ Conn, Having carefully examined Sanders' Séries of School Books, I most cheerfully recommend their gênerai adoption, as J believe them to excel iu several respects any séries at présent before the public. July, 1845. A. S. Loyell. Extraet from a Utter from Rto. Stepken MarimdaU and Dr. Nathanid IveSj the County Committee on Reading Books for BuUand Co., Vt. To Mr. C. W. Sanders :— Sir — Comparatively it is bnt light praise to say that the lessons are admirably arran^ed to sive the necessary healthful exercise to the opening and expandmg intellect of the pupil ; gradually increasing from the simpler forms of ideas to those that are complex, and by easy grada- tions, progressing to even the initiatory forms of profound ratiocina- tion, ail in a clear, pure, and at times even an elevated style, that cannot fail to be of essential service to pupils using thèse books. The grand crowning excellence of this séries, is the rich vein of sound philosophy and truly Christian morality, that pervades the whole ; uncontaminateu by even an appearance of that sickly pseudo imitation of Christianity, with whicfa we hâve found some works of this class to be unhappily replète : and which, under the specious mask of an outward respect for the nrinci- §Ies of our holy religion, artfuUy inculcate tbe idea that man, unarJed by ivine grâce, is perfectly able to render himself ail that God requim ; and that, as a necessary conséquence, the Christian religion, being in reality unnecessary, is, in truth, but a useless and burdensome form of supersti- tion. In conclusion, allow us to assure you that it will afford us un»Uoyed satisfaction, to leam that the public appreciate your works in a fjegroi commensurate with their merits. We are, sir, respectfiilly and truly yours, Stbphen Martini l^ Nathantel IVEâ. Wallingford, Rutland Ca, Vt., September 18, 1846. e NEWMAN & IVISON'S PUBLICATIONS. DAT AND THOMSON'S ARITHMETICS. On the subject of the Merits of thèse works, the publishere will say nothiug, bol merely submit the foUowing reasons in favor of their adoption,— condensed f^om the expressed opinions of teachers, snperintendents, and committees, who havo oxomined them. I.-MENTAL ARITHMETIC. Among thennmerous reasons given for the adoption of thiswork are tlie following :— 1. "- Tliat it begins and ends in just the right places and in just the right waj." 2. ^ That it equally avoids the childishness und puerility of some works on the enb* {ect, and the cr*mplication and diflaculty of others." 3. ** That th'j lessons graduallv increase in diflSculty, and in a manner happily adaptée* to tlie expanding minds of children, tiom. six to ten years of âge.'' 4. " That thèse lessons are rendered interestitiff to the young, by the great variety of persons, incidents and circumstances embodied in them — strikingly contrasting with that répulsive monotony, where the same name and the same object occur throughout a whole lesson." 5. "That pictures and marks are exduded fi-om the book, and their places sup- plied by the JVumerical Frame, for the use of which ample instructions are glven." 6. " That the lessons are so arranged that the reguiar increase of numbers is con- tinually broken up, and thus the solution of each question requires thought and fur- nishes direct mental exercise for the pupil." 7. " That in the progress of the book, the first example inyolving a new T>rinciple is carefully aualyzed, and aJETords a model of reasoning for the solution of ail simuar questions." 8. "That after the pupU bas become practically acMiainted with the principles of a rule, and Ls able to solve oxamples under it with facility, the opération is then dejinedf and its more prominent tenns briefly explained," fl-PRACTICAL ARITHMETiC. Among the reasons given for preferring this work we sélect the ft^owing : — 1. " That the arrangement of the subjects is consécutive, systematic, and natural." 2. " That the language omployed in the définitions and rules is peculiarly appropriate, concise, and clear.'° 3. " That great care is taken never to anticipate a principle, and that no principle la used in the explanation of another, until it bas itself been explained or demonstrated." 4. " That each principle is explained separately, and carefully analyzed— the why and the ttherefore of ench step in the process are clearly and explicitly given." 5. " That the examples are numerous and diveraified ; their arrangement is graduai and progressive ; and the work is calculated to impress upon the pupirs mind an abid- ing knowiedge pf the subject." 6. "That the notée», observations, and suggestions, contained in the work, form an admirable System of instruction for the studen^ and i^ord important aid to the teacher." 7. " That Mental Arithmetic, instead of being pursued to a tedious and unprofltable length independent of written Arithmetic, is hère immediately connected with it, and ia made introductory to every department of the subject. Thus mental opérations are connected with the use of the slate throughout the course." 8. "Thatitisstrictly an American Book* — arranged in exact accordance with the existing state and national laws, and the practice of business raen." 9. "That the old^ obsolète and useless foi'ms of arithmetical opérations are reijocted, and their places supplied by valuable improvements." 10. " That instead of glving the pupil a rule and recjuiring him to understand it b»- fore he is fumished with an example, this work flrst gives an example, tiien tells the pupil how to do it, and why hê did it* and then gives a short, dear and comprehensive rule for it.» 11. " That in nearly every article, something is gained in the mode of preseuthig the subject, perspicuity and précision being remarkable throughout." 12. "Thatinstudying this book, the pupil's mind is thoroughly and actively exer» dsed ; not in soeking for hours to comprehend the meaning of obscure and knotty pro- positions— the unraveling of which bas no more practical bearing than the solution of a riddle or conundrum, but is exercised upon practical and useful principles, which he m understand and apply as occasions for theu: use arise in after lire." ipply ♦ Thomson's Practical Arithmetic bas the honor of being the first school book wh'cfa CUdied the standard unitt of Weights wid Measures adopted by the Govemment of United States. 14 KEWMAN A IVISON'S PUBLICATIONS. DAY AND THOMSON^S ARITHMETICS. III.-HIGHER ARITHMETIC. Among tlie varions reaaons given for the adoption of this work, we présent th« foUom tng: I. <*Tbe work is complète in itself, embracing the fùndamental prindples of ArKtt metic, together with the highest combinations of numbers.'' 3. ^The mode of analysis and reasonivgy so successAïUy piu'sued in the ^lental and Practical Arithmetics, is admirably corried out in the Higher, and applied to the mora Intricate departments of the science.'' 3. ^^ It is formed upon the plan that there is an intelligible reason for every operatkMif and that that reason ean and ought to be explaiued to pupils." 4. ** Nothing bas been taken for granted which requires •proof^'* 5. ^ It happUy unités the Philosophy of Arithmetic with its various applieations to tlM practical purposes of life." 6. ** The rules are arranged in sbict accordance with reason and the natural ordcr o( the science.'' 7. ^No subject is anticipated, and no principle is used in the explanation of an- other, until it bas itself l>een explained or demonstrated.^ 8. " Tlo principles embraced under each nile are arranged consecutively and qrs tematically ; the dependence of each on those that précède it, is pointed out by re(er> ences — thus presenting a regular nnd harmonious senes of principles and propositions, the study of which must necessarily exert the hnppiest influence in dbTcioping ana «trengthening the reasoning powers of the leamer." 9. " The définitions and rules are remarkably clear, comprehensive, and exact." 10. ^ Instead of presenting the rules as mère arbitrary propositions, or inferring them firom principles unexplained to the pupil, they are deduced iVom a careAil analysis of examples, and a logical course of reasoning upon principles already established, tha steps of which are plain and intelligible to every youth of common understanding." II. "It contidns much valuable information respecting business transactions, and matters of science, not found in other works of the kind." 12. " It contains the ftdlest and most satisfactory account of the origin and présent standard value of American and Foreign Weights and Measures and Moneys of Account, of any ^rith». 3tic extant" The following are some of the Recoromendations which the Publishers bave reoeived of Day and Thomson's Séries. Many others bave been received fh)m distinguished practi- cal Teachers and Mends of éducation ; but our présent limita will not admit of their biaer> tion. Its circulation during the brief period since its publication, is believed to be withoot a parallel, and affords the best practical évidence of its merits : — From HoN. Ira Mayhew, SupH of Pvhlic Instruction^ State of Michigan, Gentlemen :— "Thomson's Hiçner Arithmetic," (which you obligingly forwarded ma a short time since,) was duly received, and bas been critically examined. Having pre- viously examined "Thomson's Mental and Practicul Arithmetics," with much care, and with an unusual d^ree of satisfaction, I looked for a superior work in the " Higber Arithmetic ;" and I am happy (in being able) to say to you, my expectatiozia bave been more than realized. For the last thirteen years I bave given spécial attention to the subject of Arithroetie — in the school-room and in the study — with référence to supplying (or seeing supplied) deflciencies in existing works, and obtaining a séries adapted to the wants of studenta of fdl grades — a séries scientific in thbory, and practical in ils applications. In the prosecution of this investigation, I bave accumulated a large number of Ari th metics. A fier the most careful examination, I am fully satisfled that each volume in the séries under considération is unrivaled. Taken together, as a wrole — leading the leamer on step by step, fW)m the simplest combinations of numbers through the hîgher departments of the science — I regard Day and Thomson's Skries or Arithmetici THE BEST I HAVE BVER sKEN. I shall fecommeud their introduction into the Scho(dl of thia State. I t*uit they will go into gênerai use. Kespectflilly yours, IRA MAYHEW. 15 HIWMAH * ITISON'S POBUOATTOWB. WOODBURY'S NEW METHOD WITH THE 6ERMAN LANGUAGE. Price $1, 50 Mr. Woodbury*s * lated from the GkrmaD by Samuel H. Tayïor, Principal of Philips* Academy, Andover, Mass. Sixth édition, 12mo., 865 pages. $1, 25 The foUowing are some of the recommendations which we hare received of thlf Grammar, and it will at once be seen fhat th^ corne flrom the most req)ectable souroeik and tnai ihoae weU qnalifled to give an opinion of the mérita of sach a work. From Rev. JUoset Stuart, Profesêor in the Andover Theological Semtnary. Andovkr, Mass^ Slst NoY., 1849. To those who are fkmiliar with the grammatical works of KUhner no recomroendatioQ la needed. They speak for themselves. But to those who are in a Btate of inquiry I think I may safely say, that they cannot do better than to make use of them. The Sehool» Orammar of this writer, as translated and edited by Mr. S. H. Taylor, Principal of Fliilips' Academy, of this place, I regard as one of the most orderly, scientiflc, and thorough books that belong to this class. It requires, indeed, more patient and con- tinued labor than it is usual in our country to bestow upon tlie éléments of the Greek language. But in the sequel it will amply repay the student, and greatly facUitate a rad* tcal knowledge of the Greek idiom. I can heartily commend it to ail who are begin ning the study of the Greek language. MOSES STUABT. Front Kev, B, B, Edwards, Prof essor in Andover Theological Semtnary, The Grammatical works of Dr. Kiihner are well known and extensively used in Greoi Britain and the United States, as well as in Germany. His Greek gframmars especially are characterized by a clear and methodical arrangement, by a natiu^ nnfolding of the principles of the language, by exact définitions, and by full and pertinent illustrations and examples. The ^ Elementa^ Grammar** of the Greek language bas been received with much favor, and bas passed through several éditions. It is constructed on the same gênerai principles, and possesses the same excellencies with the larger works. In addi- tion to the devolopment of the principles of the language, there are copious and well< selectod exercises for translation, both fh>m Greek into Ënglish, and iVom Ënglish into Greek, with the necossary vocabuluries. In*this way the pupil leams to combine theonr and practice, and to associate the rule with the livtng forma of speech. It may be added, ^at the book is well fltted. by its simple arrangement and style, for the younger mem- bers of our académies, and no practical difflculty is eiq>erienced in teaching them ita principles. B. B. EDWARDS. Thbolooical Sbuimart, Andovbr, Not. 21, 1849. From O. W, Lane, Prof essor in Emory Collège^ Oxford, Oa. ^KulmeHs Elementary Greek Grammar is exactly the work I baye long wished for, and I bave no hésitation in placing it far above ail other Greek grammars in the Éa^ Ush language. Wo shall use it in the Preparatory School and Collège.'* From M. Sturgess, Professer of Languages in Hanover Collège, Indiana. ^ I hâve used KUhner's Elementary Greek Grammar dnring the past session in this Collège, and am very much pleased with it The etymology is full nnd exact, and in ■orne respecta an improvement on any other grammar I bave seen. The syntax is very thorough and complète. The accompanylng exercises for tnmslating Greek into Eng* Ush, ana English into Greek, are veir copious and satisfactory, and iumished with ex* eeHent yocabularies. Altogether, I deciaedly prefer it to ony Greek First Book 1 bars •xamined." 34 NKWMAN A XVIflON'S PUBLIOATIONS. SPENCER'S NEW ENGLISH GRAMMAR. Price37et8. rO TEACHERS, SCHOOL SUPERIKTEJ^'DEJrrS^ Sre, The Publiahers désire to call renewed attention to tbis New Grammar. It is aa original work, and not a mère compilation. It aima to teach the pupil how to t «• UU English IcMguafre correctifs and not how to "• Parsé^ what others havo written or said. Altbongh it has been l>efore the public but a few months, it bas receired higher and more decided commendation from those compétent to Judge, than any other work on the aame subject over publlshed in this country. Attention is respectfully called to the foUowing Testimonials : F)rom Rev. Simeon JAnrth, D.D^ Président of Haro, Collège, M I take plcasure in saying that the work appears to me to be characterized, in a higb degree, by a philosophical and scbolar-like spirit ; (bat it is markcd by great cleameas and conciseness in its statement of grammatical principles ; and that, in ita statemenf and development of the whole subject, I believe it to be admirably adapted to the wants of students in this department of learning.^' From Rt. Rev. Alomo Potier, D.D. ^ It contains valuable matter not usually found in Elementary Grammars ; it states principles with great deamess and brevity ; it gives, to a greater extent than is com- mon, the reasoiis on whicb the rules are founded, and its arrangement of topica atrikea me as just and happy.'* From Hon. Alfred Conkling, ^ Yoxtt book appears to me to fumish indubitable évidence of an acquaintance with its subject at once comprehensive and minute. You bave assumed the character, not of a rash innovator, but of a discreet reformer. I cannot but believe that you haye ob tained a firm and tenable foot-hold in advance of your predecessors.^' From Rev. J. U. Mellvaine, M I do not hesitate to say, that your work npon English Grammar is Ihe best I ha,f ever seen^ No scholar should be without it. . . . I flnd benofit to myself everj time I look into it.*' FVom Prof, S. B, Woolworth, Principal of Cortland Academy, ^ I hâve determined to introduce it as a text-book in this Institution. This la the highost commendation that I can g^ve to any book.** Fiom J. T. Clark, Esq., Principal of Lyons Union Sehool, " It will supply a place, hitherto vacant, among the text-books essentlal to tlie ftnc^ ^ of the English kmguage.*' . ^ NEWMAN et IVISON'S PUBLICATIONS. FYoïn D. S. UeffroUf Siiperintendent of SchoolSf Uti'ca, JV. T, <* A plainer, more thorougb and scientific mei,nod of treating the subject^ I do noi recoUect ever to bave seen ; indeed, I tbink your Syntax bas no equal oxtant." From Prof, J. W. ^rmstrong^ — Oneida Conférence Seminary, <* I esteem your Grammar among tbe best, if not tbe very best, tbat baa fallen xmdeit my observation." FVom J. O, K. Tr%a,ir^ PrineipcU Broekport CoU, In/ftitute. ^ Many of its features are valuable improvements in tbe etudy of the language. The analysia of sentences is an admirable substitute for the old plan of ' Parsing.^ " From Prof. Wnu Smyth, Principal of Owego ^cademy, ^ Tbe change in the phraseology I like much. The remaito in relation to * Parsinf are much needed by teachers." From E. W. Keyes-, Esq^ — Cortland Aeademy. (^ I bave examined, at leisare, Spencer's Englisb Grammar, and bave become satis- fied tbat it is, in vcry many respecta, superior to any other tbat I hâve ever seen. Its peculiar characteristic is, tbat it is an English Orammar^ and not a Latin Orammar »f the English language^'' From B, Wilcox, Eaq^ Principal of Wilson CoU, Instituée, ^ Ten years* expérience as Principal of a school of this character, convisces me that your mode is the only successful mode of teaching English Grammar." D-om E. S. Hawley, Esq.^ late Superintendent of Schs^la^ Buffalo. ^ I see many things which I must consider singolarly happy advancements, — im- provemonts upon any method of treating the same points, with which I bave erer met." From W. S, Bailey^ Esq.^ Town Superintendent of Madison, *'The System of Grammar which you bave unfolded is most excellent ; it must sava at least une third of tho labor now bestowed upon it." JVoTO the Literary Worldy (by Prof, Tayler Lewis,) *' As a good classical scholar, (a fact which satisfactorily appears in another publica- tion by tbe samo authur,) he bas made the structure of the ancient languages, and tho à priori principles of gênerai grammar, the groundwork of bis investigations ; and from tbe position they give him, he is enabled to see, and to trace out clearly, not only what belongs to the gênerai laws of speech, but also in what respect they havo been modifled by the peculiarities of Anglo-Saxon philology. . . . The work is a small one, but it bas evidently cost much study and great pains in the arrangement, evln- cing, in every part, that the authur is not only a good philologist, but thoro^ighly ao* qaainted with practical teaching. We feel tbat we are safe in commending it to th« moet favorable notice of ail who take an interest in this branch of éducation." 24 mCWMAN A IVISON'S PUBLICATIONS. GRAT'S CHEMISTRT: Or the Eléments of Chemistry : containiDg the Principlea of the Sdence, both Expérimental and llieoretical. Blustrated with numeroos en- gravings. By Alonzo Grat, A.M., Professor of Chemistry and Nata* rai Philosophy in the Brooklyn Female Institute, Andover, Mass. Ite- Tised édition. 1 voL, 12mo., 400 pages. $ 1. ^ In oompiling the first édition of this work, tbe author attempted to prépare a VmA book wbich Bhonld be well fitted for elementary instruction, Most of the vrorka tm diomistry appeared to him to be either too profoond, on the one hand, for those who were Just commencing the study, or too superficial, on the other, for those who wish U obtaio a scientific Knowledge of the subject. Tlie design was to avoid thèse two ex teremes, aud combine tne scientifie with the poptUar and useful parts of the sabjec* The rapid sale of the flrst édition, ind ita introduction into several collèges, hâve led U the inference, that the attempt bas not been wholly unsuccessful. The author bas xhem tore been induced to revise and eslarge the work, and put it into a permanent form. A large amount of matter, and numerous engravings, bave been added, for the purpoo* of rendering the work better adapted to académies and other schools. It is believed thr^ greater success would attend the efforts of teachers in this branch of science if more at tention were given to the principles of chemistry, and loss to its détails. The fandameo" ta! principles being thoroughly understood by the student, h3 is prepared to attend to the détails with greater pleasure and success, as he will be able to connect the effects with their appropriate causes. Under the influence of this bolief the author bas given a greater prominence to the impondérable agents and the tbirteen non-metallic sub- stances than to other parts of the work. Most of the illustrations and experiments are introduced in this part, so as to présent and illustrate the philosophy of chemical conor binations and the gênerai nature of the compounds thus formed ; in other words, the causes of chemical changes and the mode of studying them." This book is in gênerai use as a text-book in the high-schools of the NorthOTn and Eastem States. The présent revised édition contains ail new improvements in tb« Bdence. From John Chriseoia^ tih.D^ Burlingtoti^ JV. .7. Gray's Chemistry. — An examination of this book convlnces me that it is an oxoeed- Ingly Judicious arranj^ement of the facts of Chemistry. Its consécutive ordar ia lucid and logical, It indicates a mind accustomed to teach, as well as to stady. !t seems to me to hold a happy médium between the brevity, which only obscures tbe subjoct, and the copions détails, of works too elaborate and minute for the gênerai studont. In the prosent stoto of chemical science, to produce a treatise, nelther daric nor re pulsive, — ^which is inviting, without being tedious, — ^is no small meril; I bave seen no work which bas so complète an adaptation to schools aod Académie*, and even to the wants of Collèges, as this new édition of " Gray's Qiiemiatiy." BT7RLINOT0N, N. J., 9 m. 9 d., 1850. [Signed,] JNO. GRISCOM. Fv'tfm Prûf, James A*. McEUigott, AJU^ Principal of tàe Mechamts* Institute Sekooi JVeto York, Aller a somewhat careM examination of the claims of Gray^s Chemistry iipon tbt; sdncational community, I bave reached the conclusion, that it ff^mds foremost among lext-books on this subject. Under tnis conviction, I bave just recommended the work to the Committee preiikl- Ing over tne school with which I am connected, and they bave aecordini?ly ordered It te be OMd in the iBStttatioii. JAMES N. MoKLLIGOTT. NKWMAN df IVI80N*S PUBLICATIONS. ELEMENTS OF GEOLOGÎ BT EDWARD HITCHCOCK, D.D, LU)^ PRESIDENT OF AXHBB8T OOLLiaB A NEW AND ENLARGED EDITION. Price 91.35 The PnUldiera beg leaye to call the attention of the pnblic to fhe followlng muttUcited •otieai of the Elementary Geology, from gentlemen eminently qnalilled to Jndge of ttl BMSitS. FVoTO Oideon A. MantdU LL.D, F.R.S. F.O.S., <$-c., <$-c., Lojtdon^ Autkor of the Wblt- ders of Oeology^ &e. ** 1 haye obtained a copy of yoiir Treatise on Geology. It is an admirable work. H liaa been my carHage companion for some time.*? F)roin Prof. C. Dewey^ of Rnchester, J^ew York, << I introduced your Geology into our Academy. Part of it ia hard reasoning far minda not pretty well mati red. Still it is so vastly better than anything in tbe English laiir gnage with whicb I am acquainted, that I boast over it. It is admirable for fhe OoUeg* course." From Prof. W. W. Matker^ Qeologist to one of the Districts of Kew York, aiuL to tkê State of Ohio. ^ I hare examined your little work on Geology with much interest and eatisfiietlon. It présents a large mass of matter in a small compass ; is lucid, concise, and ita mat»- riais are orrangod in the moat convenient form for the student. It seema to form a happy médium between the more elementary books for schools, and those for the more ad> vaneed stiideuts of Geology. Its copious références to various worlcs on Geology, will be a great advantage to those who choose to go to the original sources, and dive deeper iuto ihe various subjects discussed.'' From Prof, J. W, Bailey^ of the Mititarij Academy, West Point, JVeto York, > I bavo recently perused with much pleasure your Elementary Geology, and eoD* eider it a most yaluable contribution to science, and highly creditable to youraolf and OUT couDtry. I am glad we haye such a wurk to which to refer students. If I had known of your publication sooner, I shonld havo adopt<^d it ns our text-book." From the American Biblical Repository far Octobery 1840. •• The appoarance of this volume from the pon of Prof. Hitchcock, will be peculiarlj gratifyiJig to many in the comrounity. It is dosigiind to 1)6 uatHl as a text-book for classeï ia geology^ in cotises and nther seminaritts of lenrnlng. The plan of it, we think, Ib admir»' jj aaapied to tlie flrat of thèse iisei*, nml nnarly, or quita ns well iuited to the mM0«4.* 26 NEWMAir h IVISON'S PUBLICATIONS. HoELUGOTT'S TOUNG ANALTZES; Being au easy outline of the coutbo of instruction in tlie English langnagv presented in McElligott*s Analytical Manual, designed to serve th* double purpose of Spelling-Book and Dictionary, in the jounger classet in Schools. By J. N. MoElligott, A.M. 26 cts. Thk Toitno Analtzbr présente an eaay outline of the coune of instructton jaat% ftilly dereloped in the author^s larger work. It is^ therefore, speciafly adapted to the wants of the younger classée in schools ; though in cases wliere a more extended coursa Il denied, it may, perhaps, serve well enough for pupils of more advanced years. The plan of hoth works is of course the same. That plan is simple, yet thcNrongh; offering, in the opinion of the most compétent Judges, the surest and shortest way to a due and true knowledge of English orthography and définition. For, making speliing a systematic exercise in writino, instead of, or rather in addition to the ordinary prao* tice vf oral speliing, it thus takes the most natural, though, strange to say, the most novel method of fastening the forma of words upon the memory ; whUe, to flx in Ihe mind their true significations, — following still the course of nature, — it compares, con- trasta, analyzes them, and so unfolds their real force in ail their various applications. In respect to the mode of using the book, nothîng need be said ?>eyond the few rag gestions made in the course of the work. Every teacher has, and must hâve, his own particular way of imparting knowledge, whatever book he may adopt, and, in thii libMly he may not be disturbed. With the full assurance, however, that the course of study hère proposed will bette* serre the purpose of imparting a m(M« deep and critical knowledge of our language, than can be acquired by the dry and répulsive methods now generaUy employed, thii little introductory volume is respectfully submitted. It is used in nearly every school which has adopted the Analytical Manual, as an in troduction to that work, and is highly approved by ail teachers who hâve had oocasioa to give it an examination. We hâve room for the names only of the following gentlemen— ail instractiwt of liigk standing— who, with many others, hâve examined and recommended this work. REV. JOHN J. OWEN, Principal of Cornélius Institute. REV. J. F. MESSENGER, MILTON C. TRACY, M. J. O'DONNELL, THOMAS FOULKE, WM. A. TAYLOR, (formerly) R. LOCKWOOD, G. S. BROWNE, CHAULES WM. NICHOLS, Ë. H. JENNY, AARON RAND, JAMES G. RUSSELL, HENRY SWORDS, BENJ. FOWLEB, 18 i( tt u u M «I Classical School (Brooklyn). Mech. Inst School. Public School No. 11. Ward School No. 1. AU Saints* School. Classical School, Broadw^. New England InsUtute. City Institute. Classical School, East Broadwaj. Classical School, Pearl Street Col. and Com. School (Brooklyn). English Academy, 6th Avenue. Select Scbool, Bodfonl BtTM^ ^ KEWMAN A rVISON'S PUBLICATIONS. THE ANALYTICAL MANUAL, By Jaios N. McElligott, A.M, formerlj Classical Principal of the Gol- legiate School, New York city. 62 j cts. Rec0tnmenîrati0n0. eke JBôn. TAe0. Ftdinghv.yatm^ formerîy Chanedlor of the Jfew York Univerritfft and noto Président of Rutger'*ê CoUege, JVVto Jersey. I bave examined with care the ^ Manual of Orthography and Deânition,*^ preparod by Hr. J. N. McEIIigott, of this city, and take pleasure in commending it to the fayorabls considération of the Mends of éducation. There is a fimd of good sensé, praotical wisdom and nseftil arrai^ement in this work, 'lot oflen combined within the same limits. It will, I am persuaded, greatly facilitata (he study of our language ; and teachers, as woU as learners, will flnd cause for thankflil' to the meritorious author. JV«w York, March 10, 1845. THEO. FREUNGHUYSENk Fr0m the SuperitUendetU of Common Sehools for Ihe Cfity ajid County of JVeio Yêrk, N£w ToRK, 24th February, 1845. 7. y. McEllioott, Esq. : I>ear Sir— I bave examined with much attention and high satisfaction, your " Manual »f Orthography and Définition,*^ and cordially comply with your request in expressing my ostimate of the work. Its plan bas the merit of novelty, and by its simplicity and natural adaptation to the purpose of both teacber and leamer, would seem to be such a one as would develop itself to the expérience of a practical man, intent on discovering tbe best means of imparting knowledge, on this intrlcate and most difflcult subject ; and yet I hâve never seen a work, the classification of wliich appeared to me at once no intelligible and complète. Within the compass of 200 pages you bave condensed an amount of critlcal informa tion upon the philosophy of the English language, which I apprehend is not to be found In any other single volume ; and your extondcd analysis of compound words with their préfixes, suffixes, and rodicals, accurately discriminated ; and the synthetical recompo- sition of this multitudinous variety of words out of their éléments with ail their svno nymes, controrieties, ambiguities, and arbitrary variations, must bave imposed an amotmt of labor, which none but an amateur in the profession of teaching could bave patientl; endured. I cannot doubt that your réputation as a philologist will be enhanced by the publication of this work, and I sincorely désire that the just appréciation of your utilitap rian labors among tbe teachers of our common sehools may obtain for this excellent maniul a share of patronage, which shaU adequately remunerate your toils, and at tbe Hune timecontribute to tbe more thorough instruction of the pupils upon subjects which I regard aa lying at the foundation of ail other scholastic acquirements. With high respect, I am yours, &c., D. MEREDITH REESE, iapt of Common Sobooli for the City aod Ooaaty of New York. 10 NSWMAN A IVISON'S PUBLICATIONS. |[AC.GREGOR'S BOOK.KEEPIN& A PBACTICAL TREATISE ON BOOK-KEEPING, BY SINGLE AND DOUBLE ENTRY*-ON A NEW PLAN. OontainiDg, — 1. General Book-keeping, for the use of Farmers, Mechaniei^ Professional Men, and other non-Mercantile Persons. 2. Retailera^ Book-keeping. 8. Merchant's Book-keeping. With an Appendix of Définitions, Directions, and Practical forms. For the use of Seminariei and Self-Instructors. 75 cts. BY P. MAO-GREGOR, AOCOUNTANT AND ATTOENBY AT LAW. <*ThIc> work owes its origîn to the author^s discovering, while giving instmctioiui on the Bubjectfthat there was no other before the pubUc suitable for giying leamers apno- tical knowledge of Book-keeping. The plans hère unfolded bave been proved by ex- périence to be well adapted to the purposes for which they are designed. Many worfei give a variety of ndes and tables ^hich belong to Arithmetic. The anthor has conr flned himself to such subjects as are strictly connected with Book-keeping, and refera thoae who wish to obtain Information on such topics, to works which discuaa tho ym- riouB Babjects with fulness and accuracy, instead of the meagre, and freqnently inaoon- nte Btatements giyen in treatises on Book.-keeping.''^—Jîuthor's Préface, FromJliontg'omery Paterson^ Esq^ ^eeountantf JWw York, ** I haye examined the work with great care. It is written on a plan very differant from that of other treatises, and conforms to the mothod octually foUowed by good practical Book-keepers. The explanations are also much more foU and sattafacttxy. I consider it well adapted to gire youth a correct and efficient knowledge of the prin* ciptos of Modem Book-keeping,— a thing which cannot be said of any oOnor trwtiw which I hare eY&e seen." From David Paterson, JiJâ^ Ttatherin tke MaU Jformal Sehool, JfewTork^ •* When I consider the nmnwons merits of this work, I haye no hésitation in pio* Bomicing it the best treatise on the subject which has corne under my notice ; and I b» Ueve it requires only to be known? in order to be duly appreciated,'and to meet witil gênerai adoption." From tke American Journal of Fducation, «* We thiidc the anthor has ably acqnitted himself of the task which he bas nnder* takan, and that the publication wiU greatly simplify the art, and render it eatier of ■» qiaiBltlon.'' 80 NSWMÀN A IVISON'S PUBLICATIONS. A NEW AOT) VALU AELE TEXT-BOOK, FOR MALE AND FEMALE ACADEMIES AND SCHOOLS. A TREATISB ON PHYSIOAL GEOGRAPHY, COMPRISINO HYDROLOGY, GEOGNOSY, GEOLOGY, METEOROLOGY, BOTANY, ZOOL- OGY, AND ANTHROPOLOGY. BY A. BARRINaTON. Pricefl. EDITED BY CHARLES BURDETT, ESQ. This Work bas bften received with great favor by many eminent Teaeben, ana liigbly cbiutnended by the Press, in ail parts of the country. Itdiffers in plan from any Treatise bitherto nublished or announced. While it carefully excludes tbe detaili giren in ordinary Scbool Geographies, it embraces those parts of tbe Tarions sciences mentioned in tbe above title, wbich are not foreign to tbe subject, and of gênerai intei^ est to the numerous classes for wbom the work is designed. The Seven Subjects mentioned in the Title-Page are discussed in so nuuiy separato divisions, sutxliTided into parts and sections. DIVISION FIRST discusses every property of the Waters, of gênerai interest— sach as Waves, Tides, Marine Currents, Springa, Rivers, Lakes, Glaciers, Color, Deptb, Phosphorescence and Température of the Océan, composition and properties of Fresh and Sea Water, Slc. DIVISION SECOND gives a description of the General Stmcttire, Configuration and Natural Divisions of the Land, including the Subjects of Coasts, Mountains, Valleys, Plains», Déserts, Steppes, and Islands. DIVISION THIRD gives a view of the structure of the Earth*s Crust, including fhe Structure and Classification of Rucks, the earliest and subséquent conditions oi the Earth, influence of Greoloorical Structure on Soil and Scenery, a description of ail the important Minerais found in Rocks, and of thelr Fossil Organic remains. DIVISION FOURTH treats of the Atmosphère, and tbe Phenomena dépendent on Heat, Light, and Electricity. Under this hcad are discussed the composition of Air— how it is aflected by Respiration and Combustion, its Color, Weight, Height and Tem> perature, Clouds, Parholia, Rainbows, the Mirage and Zodiacal Light, Thunder and Lightning, the Aurora Borealis, Shooting Stars, Magnelic Phenomena, the Winds, with an account of the Laws of Storms, a fuli account of the Laws and Pbenomena of CH- mate, and the Température of the Globe, with a particular description of Volcanoea and Earthquakes. DIVISION FIFTH treats of the varions agencies which influence the Growth of Plants, the Transmigration and Classes of Plants, Botanical Régions, and the Flora of tho various Zones. DIVISION SIXTH gives a view of the various Classes and Subdivisions of the Animal Kingdom, and the peculiarities of eacb, with a particular account of the Geographical Distribution of the more interesting and important Animais. DIVISION SEVENTH treats of the various Races and Classes of Men. It investi- gates the Origin of the varletios of Munkind, nnd discusses the question of the Unity of the Human Species, and the Longevity nf Man : it treats uf the affinilies and i)ecu- liaritles of the principal Languages of the Globe, and the various Religions. It gives H /iew of the principal Forms of Government, and their peculiarities ; and discusses the subjects oflho Classes and Orders of Society, National Debts, Standing Armies and MUitias, the Balance of Power, Balance of Trade, Commerce, Taxation, Banks, Coins and Currency, Colonies, and Colonial Policy. Buitable Tables are given throughout the Work ; and the whole forms a well-printed duodecimo of 420 pages, with a large ^d accurato Index. It wUl be sold at the low iNrloe of $1.00, with a libéral allowance to tho Trade. 21 NSWMAN A IVISON'S PUBLICATIONS. TESTIMONIALS. Drom Jno. Chriscom^ LL.D. <* BarringUitCt Phygieai Oeoffraphy^ edited hy Charles BurdeU.—t\\\% book introdnce* ft new Claseic to the notice of teachers and managers of the bigher order of achoola. • ••••••••••• A dnodecimo of 490 pages, — whicb bas an uniisually strong daim to a place in the catal<^iie or tbe bigber and most userai Scbool-Books. I bave careftilly tiirned over ail the leaves, and read no inc4msiderah1e portion or tbeir contents. Fntm tbis survey I may honestly state tbe opinion, tbat tbis book, if tborougbiy perused and undersIcMnl, will enable the pupils of a Grammar School or Academy, to émerge from tbeir piipil- age with a mind untisually stored with useftil and varied knowledse. Any one who will examine the table of Contents at tbe beginnins:, and tbe copions index at tbe end of the book, must at once admit tbat the attentive student of tbis volume miist leave it with an amount rarely attaiiiwi, of highly nsefiil and practicai information. For tbis, no complète substitiite can be found, l believe, in any otber work now used in our schools. Should the piipils* home and school hours be too miicb engrossed for the study of a workof tbissize, miicb advantage might accrue from adopting it as a claas Reading Book, and an exaniination by the te^cher at the end of each lesson. ** Burlington, N. J., Ocl. 9, 1850." From the Rev. W. B. Spraffue^ D.D^ Mbany. " î bave lociked through a Treatise on Pbysical Geography, by A. Barrington, edited by Charles BurdetU and bave been struck with itâ luminous arrangement, its remark- able condensation, the richiiesa and variety of its détails, and its excellent moral ten« deiicy. l caimot doubt that it is destined to render good service to i>oth the intel- lect and tbe beart of more than one génération." From the Rev. J. O. Chovles, D.D.y J^eioport, R. I, "Tbis work is tbe very one tbat is needed for académie use. It bas an extensire range of siibject», and yet il is sutTleiently minute in détail to suit the pupil and studenU The chapters in Part V., Division 3, ' Organic Remsins,' and • Climatolmry,' Part ill. Division 4, are admirable ; and tbe article on ' Ethnoiogy^ is tbe most satisfactory I hare seen upon the Races, wilhin sucb limita." Fr»Tn the Rev. Jonathan M. Wainright^ D.D., JVeto York, "Tt appears to me to contnin a vast deal of nseful information, exceedingly well ar- ranged, and with its copions index, fi>rming a very convenient book of référence. I am not compétent, and could n<»l of course therefore prétend to express an opinion of ita scienliflc accuracy in very many of its departments ; but Judgincr from those with which l bave 8»iz rni:;hl perhar)S learn soinething fhmo thls volume (mi the unity of our race. A very full and complète iiidi^x at the cI'.Mie, af tords every faciilty for référence, and greatly adds to the value of the work." 28 KBWMAN a IVISOU'S PUBLIC ATIOKS. From the JV*. Y. Journal of Commerce, ** We feel Jnstifled in pronoanciniar it to be a valuable addition to the library of Bcteneoi snd especially well adapted to the educational purposes for which it was prepared. Physical Geo^rapby présents a comprehensive fleid of investigation ; and the eit»cida- tion and derelopment of its Tarions parts, in fair proportion to the whole, requires, in addition to a well-stored mind, a nicely balanced Jud^ment, and a rare faculty fur clas- sification and arranRemeut. The woric before us exhibits thèse excellences, and attesta the requisite qualifications in both aiithor and editor. It ««mprises an important por tion of that gênerai information which qualifies one equally to impart and receive en )oyment from the social intercourse of refined and intelligent circles. It présents in aa attractive form what every well-educated person should know." From thê Boston Post. *^ Who Mr. Barrington is, we are not informed ; but to his fltness for the duties of a ■cientific compiler, his présent volume bears the clearest testiniony. The principal chapters are, * General Description of the Océan and Seas,^ ^ Description of the Waters and their Properties,' * Description of the General Structure of the Earlh, of the varions Classes of Rocks,^ * Mineralogy,' *Organlc Remains,' * Atmosphère,' * Wind»,' *ClimHte,* * Volcanoes and Earthquakes,' * Botany,* ^ Animal Kinedom,' ^ Hiiman Relations and Institutions.* Thèse principal heads, however, include a thousand minor ones of great interest and importance ; and the volume, to the gênerai reader, is a fltting com|)anion for the * Cosmos' of Humkxildt. It is an assemblage of facts which oiight to be knowo by every intelligent person, but which, for the most part, hâve hitherto been bey«»nd the reach of those unable or unwilling to go through a long course of scientiflc reading.** From the Chicago Daily Journal. "We havetumed over its pages with rouch interest, and hâve peTdom encountered a book that, in so small a compass, cuiitaiiis so great an amount, or so rich a variety <»f valuable information, upun natural phenomena. It is desigiied not only as a work for the gênerai reader, but for classes and schools, and may well l>e classed with the few t)ooks entitled to the appellation of the pupiPs vade-mecums. Is he studying Geography ? Hère are a thousand facts of iitterest, which he will not meet with in his text-book. Natural Philosophy ? Hère he flnds properly classifled and clearly enunciated, the phe- nomena of rivers, lakes, earthquakes, clouds, storms, and winds. As the student of Botany, Mineralogy, Geology, History, he flnds hère something to interest and instruct ; bis views, instead of flowing on in the narrow channels, marked out in the ordinary 8cho4»I maiiuaK rise, — take a more extended range ; and the young mind is led to in- vestigate, to compare, to think — each now acquisition lending renewed stimulus and strength to the intellect. We should rejoice to see siich volumes as this intrtKluceti into nur schools, in connection with the text-books more particnlarly elementary ; for the benefits of such a course of training would be incalculable." FVom the Prairie Herald^ {Chicago.) **The work before us is intended for students in our higher schools, and for gênerai leaders; and for the purposes above sucrgested it is by far the best work >f the kind that we hâve had the pleasure to examine. It embraces a great variety of subjects. The gênerai principles of the sciences embraced in Physical Geography, are stated with grent simplicity and clearness, so that even the uniearned can readily understand them ; and the facts selected to illustrate them are of the most interesting and elevating chai-Hcinr. We are especially plcased with the high moral tone of the work, freqnently allnding to the wonders of nature as the handiwork of Him who so adorns ' the lilies nf the field that even Solomon in ail his glory was not arrayed like one of thèse.' We cordial ly commeud the book to parents and teachers as a work well worthy of their attention." From 8. P, Lathropt Prof essor of Chemistry and J^atural Science^ Beloit Collège^ {TU.) ** I am happy in being able to say, thati flnd it an interesting, able, and valuable work. and one well calculated, from its coudensed, concise, and cloar style, to impart a l^rcat amount of knowledge of the various and most interesting subjects of which il treats. Physical Geography, in its branches of Hydrology, Geognosy. Geology, iMeteor- ology, Botany, Zoôlogy, and Anthropology, is of vast importance to ail clas.«*es— to the fermer and physiclan especially, and to every one who at ail interests himi^elf in îho progress of knowledge, and who seeks an acquaintance with the great and all-power- ful influences which are molding the featares of the earth-s surface, and changing the condition of man. This book imparts a knowledge very essential to the physical good of the people of a new country. I shali be pieased to flnd that it is widely circulated» ADd made a text-book in our scho<>ls." oq NBWMAN ai IVISON'S PUBLICATIONS. PORTER'8 RHETORICAL READER. The Rhetorical Reader, consisting of Instrucdons for regulating the Toiœ, irilk Rhetorical Notation^ iUnstratiDg Infiection, Ëmphasiâ and Modulation, aad s Course of Rhetorical ExerciseR designed for Che use of Académies and High Schoota. By Ebbnkzeb Porter, D.D., Président of the Theological Semlnary, Andorer. 904 pages, 12mo. 63 cents. It would seem superfluous to say anything, by way of introduction, to this popular and highiy uaeful School Book ; the fact that it has aiready passed through more than threê hundred éditions and is yearly increasing in sale, speaks for itself as to the mcrit of the book, and to the high estimate placed upon it as a Readtnç Book, among the roost intel- ligent Teachers 11 is used in every State of the Union. WILLSON'S HISTORICAL SERIES WILLSON'S JUVENILE AMERICAN h eTORY. WILLSON'S HISTORY OF THE UNITidD STATES. WILLSON'S AMERICAN HISTORY. WILLSON'S COMPREHENSIVE CHART OF AMERI'.AN HISTORY. WILLSON'S "OUTLINES OF GENERAL HISTORY. NO. 1.— WILLSON'S JUVENILE AMERICAN HISTORY. For Primary Schools : on the same gênerai plan as the History of the United Stafees. Emhracing the most interesting and moral ly instructive incidents and «Tenta in American History, commencing with the Life of Columhus. Uandscnnely T2}vuh trated. 160 pages. 31 cts, " This work is designed for younger classes in Schools ; commencing with the m«.^over7 of this Continent, it gives a sketch oi our history down to the présent day. Hitherto much difficulty hfis been encountered in intrmlucing the study of History into Schools, fmm (he marked deficiencies of the works compiied fôr use in juvénile cliu>8e.s, as well in point of uccuracy, as m their imperfetît adaptedneas to the wants of the young. Mr Wilison has compiied this work with the bJunders of his predecessors before his eyes, and has evi- dently done what man can do, to avoid iheir errors ; that is, he has investigated cU»sely, has failhfully collated and verified his facts and dates, and as a nalural conséquence, has produced a most accurate work. The accurar.y of his work, however. is by no means ita soie excellence ; his narraliA-e is given in a clear, simple style, compréhensible to the veiy young ; his biographical sketches of distinçnished men, as of Washington, or Franklin, are in language forcible and vividly descriptive, holding up to our view, a distinct ptctiura of the man, as if we had him face to facî. Thèse biographies form no unimportant por- tion of the work, for with us, the history of our eminent men, is ia a great degree, the his- tory of our country. Many of the lessons are'accompanied by judicious pictorial illustrations, and to the de* scription of each State is ailixed a neat engraving of its seal, or armoriai device. AUuskm is oontinually made, throughout the work, to the geography of the parts described ; in re* oording any important event, its place of occurrence is presented m a marginal map.tbna associating the event with its locality , and more deeply impressing both on the mind o( the pupil. '* 8o far as Historical truth will permit, the author has excluded that constant alluiiion to scènes of bloodshed, so generall:^, and that too in temts of admiration, laid before the readers of History : this cnaracterislic of the work, should alone recommendit 8uch de- scriptions can only tend to vitiate the taste of the child ;— their moral elTect is such, that no place should be allovved them in any schooi book ; un.'e.ss it be in réprobation of them. As a means of impressing upon the young correct viev s of our past history, we hâve •leen no eqfifd to this work of Mr Willson, and from our owi. high opinion of its meiit, sup- p r . "' t V ' ! \ "I , , /■ \.v' ■ 4 (- \ 1', J_ , V:' - '. ^ i t ^ •i ; ; : "1 Xi ' ■ r f , ■/ . ' V, ; V ■ y ^ [ -v, . .